✨Chapitre 8✨Partie 2✨
Calixte était un peu nerveux, il frottait légèrement le sol du bout de sa semelle. Filipin avisa ses chaussures colorées, de pastel et de blanc, comme neuves. C'était peut-être même la première fois qu'il allait dehors avec.
« T'as pas trop peur de les salir ? »
Calixte lui porta un regard interrogatif, sans saisir de quoi il était question, alors le châtain esquissa un petit mouvement vers ses chaussures.
« Tes pompes blanches. »
Il baissa les yeux, détailla ses chaussures, et haussa les épaules.
« C'est pas bien grave. Et puis dans le pire des cas ça me fera un trophée à ramener chez moi. »
Son optimisme arracha un petit sourire à Filipin. Mais c'était un sourire triste. Un sourire triste de fin d'aventure. Le temps était écoulé et ils n'avaient pas passé la ligne d'arrivée. Trop tard.
« Fili ? »
« Ouais, quoi ? »
« T'as une fossette. C'est la première fois que je la vois, ça veut dire que c'est la première fois que tu me souris vraiment. Et t'es beau quand tu souris, même quand c'est par dépit. Tu devrais essayer de le faire plus souvent. »
Il releva la tête d'un coup, surprit. Qu'est-ce qu'il lui prenait de dire des trucs pareils ? Calixte lui sourit, fort. Et quand il croisa son regard, il s'y perdit. Ses prunelles grises n'étaient pas loin du cliché des yeux bleus céruléens, captivantes, envoûtantes, enivrantes, mais surtout, expressives. C'était peut-être ce qu'il préférait chez lui, sa capacité à faire passer myriades d'émotions par un seul regard. Une boucle noire un peu rebelle vint se glisser devant son œil droit. Il la chassa d'un petit oscillement de tête, sans sortir son regard des mirettes de Filipin. L'instant s'étendit, sur plusieurs secondes, peut-être même plusieurs minutes, avant qu'ils ne soient sortis de leur douce torpeur par un cri depuis l'autre côté de la route, des abords de la station service.
« Les garçons, venez ! »
Ils échangèrent un dernier regard, comme pour se jauger, et alors que Filipin s'apprêtait à retraverser, Calixte lui souffla :
« Qu'est-ce que tu comptes faire, t'as décidé si tu voulais continuer avec eux ? »
« J'en sais rien. J'crois que je suis perdu. Et je crois que ça fait un moment que ça dure... »
« Dépêchez-vous un peu ! » Les pressa Kara.
Filipin se demandait bien pourquoi elle était si pressée qu'ils la rejoignent, puisqu'il n'y avait pas si longtemps, parcourir les routes de campagne à un rythme de croisière ne semblait pas tant la déranger. C'était bas de sa part, mais à peine arrivé à côté d'elle, c'est ce qu'il lui dit, presque avec véhémence.
Elle soupira, gonflant les joues comme une enfant.
« Là, t'es pas sympa Filipin, et tu le sais très bien. »
« Non, tu crois ? Mais c'est qu'on a à faire à Miss Perspicace. »
« T'es con. Ok j'ai pas voulu qu'on change de covoiturage, mais je sais pas si t'as remarqué, mais on a prit que des routes paumées sur lesquelles on aurait croisé personne, alors excuse-moi, mais on est quand même allé plus vite qu'à pieds ! »
« Génial, j'suppose que j'devrais te remercier alors ! »
C'était la même dispute sans réels arguments qu'ils avaient eut juste avant que Filipin ne sorte de la voiture arrivé à la station. Kara, qui prenait les choses un peu moins à cœur que Filipin se rendit vite compte du ridicule de la situation et prit sur elle pour ne pas rentrer dans son petit jeu de provocation. Elle commençait à le connaître et savait que c'était une sorte de mécanisme de défense.
« Filipin, on a essayé de voir si on pouvait trouver dans quel hôtel séjournait Assa Cuninnghan, parce que c'est le genre d'informations qui fuitent souvent et... »
« Mais qu'est-ce que tu crois qu'on va faire d'un nom d'hôtel ? C'est mort, on n'a plus qu'à rentrer ! »
« Alors ça, n'y comptes même pas ! On s'est pas tapé tout ce chemin pour te voir abandonner en cours de route ! »
« Mais tu comprends pas qu'il y a plus rien à faire ? J'abandonne pas, je suis juste réaliste ! »
Il n'avait même pas remarqué avoir crié. C'est à ce moment-là que Flora prit les choses en main, passablement énervée par son attitude. Elle sortit son téléphone, le déverrouilla et le planta sous le regard de Filipin.
« Mais tais-toi et regarde ! On cherche pas des solutions là, ni un fautif ou quoi que ce soit, tout bonnement parce qu'il n'y a plus de problème. La nouvelle a été publiée depuis ce matin, seulement on a été trop bêtes pour regarder. Une représentation a été ajoutée ils ne pensaient pas vendre tous les billets si vite et avoir encore tant de demandes, ou alors c'est juste un coup de pub, mais BREF, toujours est-il qu'on peut juste y aller demain. »
L'information mit un moment à faire son chemin. Quand il en comprit enfin le sens, ses yeux s'écarquillèrent, il ouvrit grand la bouche, avant de la couvrir de ses mains, comme pour réprimer un cri. Il n'osait pas y croire.
« C'est pas une blague ? Genre une blague de super mauvais goût, pour vous venger parce que je vous ai genre fait chier depuis tout à l'heure, en vous remettant tout sur le dos ? »
Flora rit la première, détendant par la même occasion l'atmosphère.
« On n'est pas si horribles. Mais crois moi, c'est pas l'envie de t'étrangler qui manquait. T'as carrément été exécrable. »
Elle enfonçait le clou et c'était clair que ça lui faisait plaisir. Filipin devait bien admettre qu'il l'avait mérité.
« Alors on dit à Joey qu'on veut bien qu'il nous héberge ? »
« Vous êtes sûres que c'est une bonne idée ? Parce que bon, on peut pas dire qu'on sache grand chose de lui, même après près d'une journée passée avec... »
« Filipin, si tu avais écouté, au lieu de te plaindre comme un gosse, tu penserais plus que c'est un inconnu. Il nous a littéralement raconté plus de la moitié de sa vie ! » Rit Kara.
Les deux filles semblaient lui faire confiance, du moins assez confiance pour aller passer la nuit chez lui, tous les quatre. Sa réflexion était on ne peut plus stupide, mais il se dit qu'elles devaient être plus à même de pressentir ce genre de chose, à cause de l'intuition féminine. Nonobstant, il se tourna vers Calixte. Il voulait être sûr que c'était bon pour lui aussi. Le bouclé n'avait pas encore donné son avis et se tenait en retrait. Plus que tout, Filipin voulait éviter une situation qui le mettrait mal à l'aise.
« C'est bon pour toi ? »
« Je crois que dans tous les cas, c'est notre meilleure option. »
Filipin acquiesça, et ils se mirent en route pour l'annoncer à Joey. Il traînait toujours dans la petite boutique de la station service, accoudé au comptoir de la caisse, il conversait avec le tenancier de la boutique. Personne n'aurait su dire s'ils se connaissaient depuis des années ou si au contraire ils venaient de se rencontrer. Joey avait cette façon d'être familier avec tout le monde, dès la première seconde, comme s'il retrouvait un vieil ami, mais d'un autre côté, il avait également des vieux amis un peu partout tant qu'il était compliqué de faire la différence. En les voyant entrer, il s'exclama, se redressant un peu, mais juste pour la forme :
« Alors les jeunes, vous vous êtes mis d'accords ? »
« On reste avec toi. » Annonça Kara, qui s'était imposée à chacune de leur interaction comme porte-parole du groupe.
Elle était la plus tempéré, alors la mieux placée pour s'adresser aux autres et obtenir ce qu'ils voulaient. Filipin était bien trop impulsif et le côté sarcastique de Flora pouvait jouer en leur défaveur, quand à Calixte, il se trouvait tout bonnement incapable d'adresser la parole à un inconnu sans ressentir les prémices d'une crise d'angoisse monter en lui. A croire qu'ils avaient tous quelque chose de dysfonctionnel.
« A la bonne heure. Charline va être aux anges. Ça lui rappellera sa jeunesse, notre jeunesse, quand je lui dirais que je vous ai prit en stop. Par contre, je vais profiter d'être ici pour acheter des plats tout prêts, la cuisine de Cha' est immangeable. Je m'en voudrais de vous imposer cela, et quand elle verra qu'on a des invités, elle va insister pour se mettre aux fourneaux. Vaut mieux qu'il ne lui reste qu'à réchauffer des plats précuits. »
Sa tirade arracha un sourire attendrit à Flora. Elle trouvait que l'amour qui durait dans le temps était le plus beau. L'amour qui au bout de maintes années fait parler des défauts de l'autre avec tant de tendresse dans les yeux. Elle rêvait de ce genre d'amour, même si c'était un complet cliché, elle était le genre de personne pour qui trouver la bonne personne, l'élu, faisait presque parti d'un but de vie. Elle attendait le prince charmant, en quelque sorte.
Ils reprirent la route, toujours sur un air de vieux rock psychédélique. Bientôt, la cassette arriva à la fin de la bande magnétique, et Joey tapa sur le lecteur pour l'en faire sortir, d'abord un petit coup, puis un plus grand.
« Merde. » Jura-t-il, plus par habitude que réellement énervé, avec un dernier coup qui fit enfin sortir la cassette. Il la retourna et l'inséra à nouveau. Sur la face B, une compilation hétéroclite, qui débuta avec un morceau de reggae.
***
Le quatre-quatre se stationna devant une petite fermette. Il faisait nuit alors il leur était impossible de bien distinguer les alentours, mais Filipin remarqua quand même une rangée d'arbres et une petite barrière. Derrière celle-ci, ce qui semblait être un petit potager et une petite masure, adossée à un corps de ferme avec deux petites dépendances. Il s'agissait d'une construction à mi-chemin entre la maison à colombage et la maison style XIXe. Un drôle de mélange mais elle semblait comme cela, à première vue, plutôt jolie.
« Allez, venez les jeunes, il est temps d'aller manger. Vous avez faim ? Moi je meurs de faim après cette journée sur la route. »
Joey quitta la place derrière le volant, laissant à la surprise générale les clefs sur le contact, comme s'il n'avait aucune crainte que l'on puisse lui voler. Ils suivirent tous quatre, montant les quelques marches du petit porche en bois. Joey ouvrit la porte, qui n'était pas verrouillée. Il se déchaussa dans l'entrée, et ses invités firent de même. L'intérieur de la maison était coloré, il y avait des tapis au sol, des tapis aux murs, beaucoup de tapis, il n'y avait pas de portes, seulement des rideaux de perles qui pendaient dans les encadrements. C'était assez cosy. Une mélodie sortait, un peu nasillarde, d'un poste de radio posé sur un buffet. Joey se mit à la siffloter alors qu'il traversait le rideau de perles. Kara, Flora, Calixte et Filipin étaient un peu en retrait, n'osant pas réellement prendre leurs aises.
« Jo' c'est toi ? Je suis à la cuisine je fais une ratatouille. » Il grimaça.
C'était une voix de femme, assez âgée, mais aux accents mélodieux.
« Ouais. Et je reviens avec de la compagnie. »
Les quatre comparses apparurent dans l'encadrement de la porte et une jolie femme aux longs cheveux gris s'exclama, surprise :
« Oh mais entrez les enfants, venez vous asseoir. »
Elle leur désigna les coussins et couvertures qui ornaient le sol, comme pour les inviter à s'y installer. Kara fut la première à prendre place. Elle s'émerveillait des différents tissus, différentes matières. Tout semblait avoir été abandonné là, en vrac et en même temps, c'était comme si tout était à sa place, décoré avec goût. Kara adorait cette maison. De ses murs peints aléatoirement à ses meubles dépareillés.
« Alors, d'où vous venez les enfants ? Sam a l'habitude de ramener des animaux errants, mais jamais des adolescents. Et Jo est toujours le premier à s'en plaindre. »
Aucun d'eux ne savait qui était Sam, mais Kara répondit sans s'en préoccuper :
« On est parti de chez nous ce matin, on va à Paris. Voir un concert. »
« Oh alors les jeunes de maintenant recommencent à aller à des concerts en stop ? Quelle merveilleuse nouvelle ! C'était le bon temps où toute une génération de jeunes sillonnaient les routes. »
Elle parlait avec un mélange de mélancolie et de bonheur.
« Où est Sam ? » Demanda doucement Joey, une main nonchalamment posée sur l'épaule de Charline.
« Il est a côté. Il dort. »
Calixte était le plus mal à l'aise. Il se tenait un peu en retrait, presque collé à Filipin. Il le voyait presque comme un petit animal craintif, un peu comme Moustic quand ils l'avaient trouvé. Il glissa sa main dans la sienne, comme un réflexe. Un réflexe auquel il ne voulu pas réfléchir, ayant trop peur de se retrouver face à tout ce que cela pouvait impliquer. Il se contenta de ressentir la chaleur de la paume de Calixte dans la sienne et la légère pression qu'il y exerça.
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