✨Chapitre 6✨Partie 1✨

La mère de Filipin soupira en fourant aléatoirement les articles que le caissier scannait dans un sac de courses. Elle était épuisée. Physiquement et mentalement. Éreintée.

Le caissier lui annonça le montant, et elle pria pour que sa carte bancaire passe du premier coup. Elle n'avait pas besoin de l'humiliation d'un paiement refusé. Le caissier lui sourit en lui tendant son ticket et elle laissa passer un léger soupir de soulagement.

« Merci, bonne soirée. » Sourit-il gentiment.

« Vous aussi. » Bafouilla-t-elle à la hâte avant de sortir de la petite boutique.

Elle devait se dépêcher si elle voulait arriver à temps pour prendre le dernier bus. Elle souleva les deux lourds sacs remplis de commissions et se mit en route vers l'arrêt de bus. Il faisait déjà nuit depuis un bon moment et seule la lumière des lampadaires éclairait la rue. Il pleuvait légèrement, une pluie fine et glaciale, et les bourrasques de vent soufflant en rafales balayaient la rue. Corine resserra sa prise sur la poignée du caba quand elle arriva en vue de l'arrêt. Le bus y était déjà stationné, alors elle accéléra le pas, quand tout à coup, l'anse de son sac craqua. Les courses se déversèrent au sol et elle jura. Ce n'était pas sa journée.

Évidement il avait fallu que ce soit le sac dans lequel elle avait mis les œufs, qui gisaient désormais éclatées sur le pavé, mélange de jaune et de blanc, comme une grosse omelette ratée. La colère la prit soudain et elle eut envie de tout envoyer valser, le sac et le reste des courses avec. Se contenant de justesse, elle entreprit de ramasser les victuailles tombées au sol et pour la plus part maculées d'œuf. Mais quand elle vit au loin le bus démarrer et quitter l'arrêt, le dernier bus de la soirée, c'en fut trop, elle craqua. Elle laissa la détresse la submerger, sentit sa colère se noyer dans une vague de peine, et elle laissa échapper un cri de rage. Pourquoi fallait-il que ça lui arrive à elle ? Comment allait-elle rentrer avec son sac éventré, ses courses en vrac, à pied et sous la pluie ?

La colère et la résignation l'empêchaient de réfléchir correctement, alors qu'elle remplissait son sac. Accroupie au milieu de la rue, elle devait donner un spectacle pitoyable à voir pour les rares autres personnes qui passaient, que ce soit à pied ou en voiture. Elle essuya ses larmes, constatant avec désolation que son mascara avait coulé, elle devait avoir une mine à émouvoir un mort. Tout à coup, comme une lueur dans la nuit, elle sentit une main se poser doucement sur son épaule, mais pas de manière intrusive, et une voix douce, concernée, lui demander :

« Je peux vous être d'une quelconque aide ? »

« Euh... Je... »

Elle ravala les sanglots idiots qui nouaient sa gorge, s'essuya les joues et reprit :

« Je veux bien. Mon sac s'est cassé. »

Elle avait un peu honte de s'être laissée aller aux larmes, d'avoir craqué comme une petite fille en pleine rue. Elle était adulte. Elle devait être plus forte que cela. Mais la pression sur ses épaules était trop forte depuis les derniers mois, la mort de son conjoint, le rejet de son fils, les factures qui s'amoncelaient, tenter de faire bonne figure, au travail et à la maison, tout cela lui pesait bien trop.

« Je vois ça. Vous habitez loin ? J'ai ma voiture garée tout près, je peux vous déposer. Ce sera plus facile que de rentrer à pied sous la pluie. » Sourit aimablement l'homme en face d'elle.

« C'est très aimable, mais je ne voudrais pas vous déranger. » Remarqua-t-elle poliment.

« Ça ne me dérange pas. » Il regarda les œufs cassés au sol. « Par contre, pour vos œufs, je suis désolé mais je crois que je vais rien pouvoir faire. Un massage cardiaque ne suffirait pas et j'ai peur qu'un coup de défibrillateur ne les transforme définitivement en omelette. »

Il réussi à lui arracher un petit rire bas. Il prit le sac cassé sous son bras et, les clefs de sa voiture à la main, appuya sur le bouton de déverrouillage des portières. Les phares d'une berline noire au bout de la rue s'illuminèrent et Corine le suivit jusqu'à celle-ci. Il mit les deux sac de courses dans le coffre et s'installa derrière le volant.

« Au fait, je m'appelle Stéphane. »

Il lui tendit une main.

« Enchantée. Corine. »

« Saviez-vous que le nom Corine est issus du grec korè, qui signifiait littéralement jeune fille ? C'est d'ailleurs ainsi que l'on appelle les statues de la période archaïque de la sculpture, entre le cinquième et le sixième siècle avant notre ère. On lui reconnaît des influences égyptiennes, notamment dans les coiffures à étages. Mais peut-être que je vous embête avec tout cela... C'est un peu une maladie chez moi. Je suis professeur d'histoire. Ça me passionne alors je suis toujours obligé d'étaler ma science. »

Elle lui offrit un sourire. Elle était toujours fatiguée, mais en quelques mots, il avait réussi à faire poindre une éclaircie sur sa journée. Elle avait l'impression, pour la première fois depuis pas mal de temps, de se retrouver sans une situation normale et simple, sans avoir à se prendre la tête. C'était étrangement relaxant.

« Ça ne me dérange pas. J'ai toujours trouvé que les personnes passionnés étaient les plus intéressantes. »

« Ne me dites pas ça, ou vous risquez de le regretter, quand je vous ensevelirais sous une foule d'anecdotes poussiéreuses. »

« Je prends le risque. » Rit-elle, avant de lui indiquer son adresse pour qu'il puisse la rentrer dans son GPS.

En moins de cinq minutes, ils furent au bas de son immeuble. Elle jeta un coup d'œil vers son appartement d'où elle pouvait voir la fenêtre de la chambre de son fils éclairée. Elle ne l'avait pas vu depuis l'avant veille, il était partit partit au lycée avant qu'elle ne soit réveillée puis il n'était pas rentré le soir. Il lui avait vaguement parlé d'une soirée, et même si c'était horrible à avouer, cette soirée seule lui avait fait du bien.

Elle n'avait pas très envie de rentrer, et elle s'en voulu immédiatement de penser cela, mais ses disputes avec Filipin la vidait de toute son énergie. Elle voulait qu'il aille mieux, parce qu'elle n'était pas dupe, son fils souffrait de la situation, mais elle ignorait comment l'aider. Et ce devait être ce qui la rongeait le plus, parmi toutes les choses qui pesaient sur ses épaules.

« Tout va bien ? » S'enquit Stéphane qui avait dû la voir se tendre.

Elle se reprit immédiatement, forçant un sourire.

« Oui, oui. C'est juste que l'idée de devoir rentrer et encore avoir à faire le repas, ranger les courses et autres corvées avant de me coucher me désespère d'avance. J'aurais besoin d'un peu de répit. Mais c'est comme ça pour tout le monde. »

Il hésita à lui demander si son mari -il avait vu la bague à son annulaire- ne pouvait pas se charger de quelques tâches à sa place si elle était si fatiguée, mais se dit que c'était peut-être trop intrusif pour une personne qu'il venait de rencontrer, alors il ajouta seulement, un peu maladroitement :

« Et... On pourrait se revoir ? »

Elle réfléchit un instant. Elle ne savait pas si elle était prête à cela. Ni même si elle aurait le temps. Voyant son indécision, Stéphane sortit un papier de son portefeuille et griffonna une série de chiffres dessus, appuyé sur son volant, manquant à tout moment de déclencher le Klaxon. Il la tendit à Corine.

« Voilà. Mon numéro. Comme ça quand tu sauras si me revoir t'intéresse, tu pourras m'appeler. »

Il était spontanément passé au tutoiement, et ni l'un ni l'autre n'y accorda le moindre égard.

Elle prit le papier entre ses doigts, lu le numéro -un réflexe inutile- et le fourra dans sa poche. Puis, elle ouvrit la portière et contourna la voiture pour rejoindre le coffre. Stephane sortit à son tour pour l'aider avec les sacs.

« Tu n'es pas obligé de... »

« Je te raccompagne au moins jusqu'à la porte du hall. »

Elle ne trouva rien de pertinent à dire pour objecter alors elle le laissa faire. Devant la porte, qu'elle déverrouilla avec son pass, ils se regardèrent sans réellement savoir quoi dire. Comme s'ils avaient oublié comment fonctionnaient les relations, l'un comme l'autre. Puis ils eurent le même rire nerveux, commençant une phrase au même moment, avant que Stéphane ne finisse par lui redonner son sac. Il lui demanda si elle pensait que ça allait aller pour rejoindre son appartement, elle l'en assura, et ils se quittèrent avec un vague au revoir. Aucun ne savait s'il était synonyme d'adieu ou d'à bientôt.

Corine monta tant bien que mal dans l'ascenseur et rejoignit son appartement dans lequel il régnait un silence de mort. Si elle n'avait pas vu la chambre de Filipin éclairée, elle aurait même pu douter de sa présence. Elle posa les deux sacs de courses sur le plan de travail et s'octroya un petit moment de répit, seule, juste pour souffler, avant de les ranger ou de devoir faire face à son fils.

***

Ils se disputaient, encore. Filipin ne savait même plus comment cela avait commencé. Quand sa mère l'avait appelé pour manger, elle avait semblé de bonne humeur, elle avait même cuisine un gâteau qui n'avait presque pas brûlé. Et pourtant, il était debout dans la cuisine, presque tremblant de rage. Il ne savait même pas pourquoi il était si en colère. Peut-être parce que sa mère essayait justement en permanence de juguler cette colère. Alors qu'il posa son regard sur elle, il vit a son doigt briller son alliance.

« Putain mais tu portes encore ton alliance ? Tu te rends compte d'à quel point c'est ridicule quand même ? Tu te rends compte qu'il est mort, qu'il reviendra pas ? Que la seconde partie de ton alliance est perdue dans l'espace pour l'éternité ! »

Ces alliances étaient bidons, ses parents ne s'étaient jamais mariés. Ils refusaient l'idée du mariage, parce que ce n'était devenu rien d'autre qu'une convention. C'était d'autant plus ridicule maintenant qu'elle devait faire des pieds et des mains pour recevoir une pension de réversion.

Sa mère arrêta tout mouvement et porta une main tremblante à sa bouche. Filipin prit conscience qu'il avait été trop loin. Il voulut s'excuser, mais ne su comment s'y prendre. De tout manière, elle n'en lui laissa pas le temps, les yeux humides et les lèvres frémissantes, elle quitta la pièce pour s'enfermer dans sa chambre.

« Maman... » Balbutia-t-il.

Il se sentait con. Seul, au milieu des restes du dîner, et du dessert à peine entamé. Maintenant il se rappelait. Il se rappelait pourquoi ils s'étaient disputés. Sa mère avait voulu lui faire plaisir avec un gâteau au chocolat. Le même qu'elle préparait quand son père revenait de mission quand il était petit. Et ça l'avait fait vriller.

Il soupira, impuissant, et finit par monter se coucher. Il n'avait plus qu'à attendre le lendemain. Dimanche, qu'il passerait sûrement à attendre le lundi pour retourner en cours.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top