✨Chapitre 5✨Partie 4✨

En arrivant en vue de son immeuble, il s'accorda une pause, pour reprendre son souffle qui s'était fait difficile à cause de l'humidité ambiante. Il traversait la rue quand il remarqua une silhouette penchée sur le balcon en face du sien. Le regard dans le vide, une cigarette à la main. Il reconnu immédiatement les cheveux bouclés de Calixte, et avant d'avoir pu y réfléchir, il lui fit un signe de la main.

Le noiraud fronça les sourcils et plissa les yeux, comme pour essayer de distinguer qui pouvait être l'énergumène qui faisait de grands signes de l'autre côté de la rue. Puis, quand il reconnu son voisin d'en face, son visage s'illumina d'un sourire et il lança, dans la rue silencieuse et déserte :

« Qu'est-ce que tu fais déjà debout ? T'es du genre sportif maintenant ? Laisse-moi deviner, c'est dans les trends Instagram alors tu t'es décidé à faire du jogging aux aurores et à manger healthy ? »

« Je reviens de soirée, débile. »

Calixte pouffa.

« Ah autant pour moi, on a vu plus healthy que de s'enfiler des litres d'alcool bas de gamme en une nuit. Tu fais donc partie de la dark side ! »

« Si tu pouvais arrêter avec tes expressions anglaises, j'ai l'impression d'être dans dora l'exploratrice... »

Ce coup-ci, Calixte rit franchement avant de reprendre une autre bouffée de sa cigarette.

Filipin resta un moment sans rien dire, il ignorait s'il devait continuer de faire la conversation depuis la rue ou alors lui souhaiter une bonne nuit, ou une bonne journée qu'importe, et rentrer chez lui. Quand de trop s'étendre, le silence devint gênant, il choisit de dire :

« Bon bah je vais rentrer chez moi... »

Il fit quelques pas en direction de la porte de son immeuble.

« Fili ? »

Surprit il fit un pas en arrière et se retourna. C'était la première fois qu'il lui donnait un surnom, et il ne pu empêcher ses lèvres de s'ourler en un sourire.

« Hum ? »

« Viens sur ton balcon. »

Il ne savait pas pourquoi, mais à ces quelques mots, son cœur s'agita. Il acquiesça d'un dodelinement de tête en entra dans son immeuble. Sans chercher à comprendre, il se précipita dans les escaliers, arrivant presque hors d'haleine sur son palier. Puis il chercha ses clefs frénétiquement dans ses poches et quand il les trouva enfin, il ne fit qu'un détour à la cuisine pour prendre une bouteille de jus d'oranges et se rendit sur son balcon, ouvrant la baie vitrée du salon à la volée, faisant voltiger les rideaux transparents autour de lui. Sur le balcon en face, Calixte n'avait pas bougé. Il avait les yeux rivés sur lui, et sourirait, comme s'il l'attendait depuis une éternité et était soulagé de le voir enfin là.

Ils restèrent à se regarder dans le fond des yeux un moment avant que Calixte ne détourne le regard, comme gêné. Il avisa la bouteille de jus de fruit qu'avait apporté son vis-à-vis et demanda sur le ton de la plaisanterie :

« Grosse gueule de bois ? »

« J'peux pas vraiment dire ça, parce que j'ai pas dormis, mais c'était une grosse murge ouais. »

Calixte hocha la tête. Il était moins loquace qu'à l'accoutumée...

Filipin hésita à lui demander si tout allait bien, mais se ravisa, ça ne le regardait pas, après tout il n'avaient qu'un chat et le vis-à-vis de leurs balcons en commun. D'ailleurs, en parlant du loup -ou plutôt du chat- ce dernier vint rejoindre Filipin à l'extérieur, passant dans l'interstice laissé ouvert de la porte vitrée. Il y eut encore un moment de silence, seulement troublé par l'expiration de Calixte, envoyant la fumée de sa cigarette dans l'atmosphère.

« C'est comment ? Les soirées de lycée je veux dire ? » Questionna-t-il au bout d'un certain temps.

Filipin fronça les sourcils. Il demandait cela comme s'il n'en savait rien. Il ne lui avait pas demandé comment avait été sa soirée à lui, mais comment étaient les soirées en general... Puis Filipin se rappela que son voisin suivait des cours par correspondance. Il répondit :

« Bah comme une soirée normale. Des potes, des connaissances, parfois des inconnus. La seule différence c'est que parfois sortit de nul part il y en a un qui se met à paver sur le dos d'un prof ou parler des notes au dernier DM... »

« Je... » Il hésita un instant. « Je connais pas non plus les soirées normales... Enfait, pour tout te dire, j'ai pas beaucoup d'amis. Voire aucun. »

Sa tirade s'était terminée dans un murmure emporté par le vent. Il baissa les yeux, comme s'il venait d'avouer un secret honteux.

« T'es sérieux ? Genre t'as jamais été en soirée ? »

Il nia, hochant la tête de gauche à droite, faisant virevolter ses bouclettes noires.

« Mais attends, comment ça se fait ? T'es genre le mec le plus sociable et insistant que je connaisse ? »

Il éclata de rire, mais c'était un rire triste.

« Finalement on se connaît pas tant que ça, toi et moi. »

Il était le deuxième à lui dire ça en seulement quelques heures, et Filipin n'avait pas vraiment envie de se rappeler de sa conversation avec Kara pour le moment.

« J'ai une phobie scolaire. Enfaite, une phobie sociale plutôt. »

Il ne savait pas si c'était l'alcool qui il avait encore dans le sang, mais Filipin ne pu retenir son rire. Lui faire croire qu'il n'avait jamais été en soirée pour ensuite lui dire qu'il avait une phobie sociale ? C'était quelle genre de blague stupide encore, ça ? Calixte était le genre de garçon insatiable, que l'on remarque partout, parce qu'il veut se faire remarquer. C'était lui qui insistait toujours pour voir Filipin, c'était lui aussi qui lui avait parlé le premier. Et ça ce n'était pas l'attitude d'un phobique. Filipin bu une gorgée de jus, léger, mais son attitude se fit moins nonchalante quand il croisa l'étincelle de douleur dans les mirettes de Calixte. Il l'avait blessé. Pourquoi ? Parce qu'il avait rit à sa blague ? A moins que...

« Attends, t'étais sérieux ? »

« Oui. »

« Oh merde ! Désolé, j'suis con ! »

« J'ai plus trop envie de parler. »

Il se redressa et s'apprêta à rentrer dans sa chambre. Filipin sentit l'urgence, comme si une sorte de peur hurlait dans ses veines que s'il le laissait partir comme cela, ce serait leur dernière discussion. Cela, il le refusait.

« Calixte attends ! J'voulais pas être bête... Enfin non, j'm'y prends comme un manche mais je voulais pas te faire de peine. C'est juste que t'es toujours souriant et parler avec toi c'est comme... facile. Enfin pour moi. Et j'ai bêtement pensé que c'était réciproque. Je... j'vais pas bien en ce moment. En fait ça fait un moment que je vais mal. » Il sentit sa voix se briser mais se força à poursuivre. Calixte lui tournait le dos, mais il l'écoutait. « J'ai juste pensé qu'à moi, comme je le fais tout le temps. T'es pas le seul à qui je fais du mal. Je fais du mal à ma mère aussi, tous les jours. Alors que je vois bien qu'elle fait de son mieux. Je fais du mal à mes amis aussi, sans raisons. Juste parce que j'ai l'impression d'être le seul à souffrir et que je trouve ça injuste. Et quand quelqu'un d'autre avoue souffrir aussi, j'le prends pas au sérieux, je sais pas ce qui cloche chez moi... J'pensais juste que comme tu souris toujours, ça voulait dire que tout allait bien pour toi. Pourtant tout le monde sourit, mais ça ne veux pas dire que tout le mode va bien, si ? Mais si je vais par là, je vais me rendre compte qu'en fait tout le monde va mal, et fait souffrir les gens autour, comme si ça allait les guérir et alors je vais penser que le monde est pourri et je peux pas penser ça, parce que je vois déjà le mal partout, dans le ciel, dans les nuages, dans les étoiles... Et je... »

Il fut forcé de se taire par un gros sanglot. Il n'avait pas prévu de craquer comme cela. Une fois qu'il avait commencé, il n'avait pas réussi à endiguer les flots de ses paroles, mais bizarrement, ça lui avait fait du bien. Et pleurer aussi lui faisait du bien.

Calixte se retourna doucement. Lui aussi avait les yeux brillants.

« Tu sais Fili, ça arrive de faire des erreurs. Mais ça ne doit pas t'empêcher d'avancer. Il faut au contraire t'en servir pour te grandir. J'ai quitté l'école au collège. J'ai merdé et ça m'est retombé dessus, en quelque sorte. Et depuis je vis comme dans un piège. Incapable d'avancer. Bien sûr je suis des cours par correspondance, alors on pourrait dire que je suis pas si loin de la normale, que j'ai juste perdu un an. Mais c'est faux. J'ai plus aucune vie sociale. Mes parents s'inquiètent en permanence et je sais pas quoi dire pour les rassurer, parce qu'au fond je suis encore plus flippé qu'eux. Quand je repense à mes années collège, à quel point elles m'ont fait souffrir, je me dis que pour rien au monde je voudrais reprendre contact avec les gens de l'extérieur, mais quand je te vois passer et rire avec ton ami, quand on parle ensemble, je me dis que le monde dehors, et les gens qui le composent ne sont pas si horrible que l'idée que je me fais d'eux, mais j'ai pas le courage de faire ce qu'il faut pour avancer. J'apprends pas de mes erreurs et je reste sur place. Et comme j'ai honte, je fais des blagues débiles à longueur de temps, je vais comme si tout allait bien, mais c'est un façade. Chacun a son lot de problème, on mène tous nos propres batailles en silence, et dont les autres ne savent rien. C'est pour cela qu'il faut s'efforcer d'être bienveillant, toujours. Mais même comme cela, ça nous arrive de blesser les autres. Et c'est pas grave. C'est comme cela qu'on se construit. L'essentiel et d'essayer. »

« Pourquoi tu me dis toutes ses choses gentilles. Je mérite pas. »

« Tu mérites autant qu'un autre. Ni plus, ni moins. »

Filipin baissa les yeux sur ses mains. Il se sentait si petit et stupide.

« Je peux ? »

Il releva le regard et vit que Calixte lui désignait sa bouteille de jus d'orange. Il la lui tendit.

« Tu veux une taffe en échange ? »

Le châtain haussa les épaules et attrapa le petit bâton incandescent. Au lieu de laisser tomber sa main, Calixte l'approcha un peu plus du visage de Filipin, vers ses pommettes scintillantes. Il avait presque oublié les deux petits coups de pinceaux que Kara y avait appliqué la veille. Calixte, lui, semblait presque envoûté par ce qu'il voyait. Mais avant de n'avoir pu le frôler, le bouclé laissa retrouver sa main. Filipin sentait le fantôme de ce touché inachevé sur sa joue tant il avait été proche. Gêné, il laissa tomber son regard vers le mégot entre ses doigts. Ce qu'il avait prit pour une cigarette était en réalité un joint. Il le détailla un instant. Le voyant hésiter, Calixte ajouta :

« C'est thérapeutique. Et ça coûte moins cher qu'une séance de psy. Enfin je crois. C'est les parents qui payaient le psy, et comme je paye la beuh moi-même au final je suis pas sûr du rendu économique. Bref, je suis défoncé, c'est pour ça que je me prends un peu pour un gourou de l'esprit qui a tout capté au fonctionnement des gens alors que je mets jamais le nez dehors. C'est naze. Quand on s'est rencontré ce soir là, j'étais aussi défoncé, j'crois que c'est pour ça que j'ai pas eut peur de te parler. Et aussi parce que le cul sur le bitume, tu m'as pas parût bien imposant. » Railla Calixte.

Filipin comprenait mieux l'ambivalence dans le comportement de Calixte. Entre les jours où il parlait sans discontinuer et ceux où il était bien plus sur la retenue.

Il avait retrouvé son sourire et ça fit chaud au cœur à Filipin. Il porta le joint à ses lèvres et tira dessus, inhalant la fumée avant de la recracher par le nez.

Finalement si, le voilà en train de fumer un joint, s'empoisonner les poumons. Mais c'était pour la bonne cause. Il était avec Calixte, le ciel se teintait de rose et or à mesure que le soleil se levait, et là, juste après avoir pleuré, il se sentait bien.

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