✨Chapitre 5✨Partie 3✨

A l'autre bout de la ville, dans l'immeuble en face de celui de Filipin, Calixte ne dormait pas non plus. Debout sur son balcon, il caressait la soie de la cravate entre ses doigts. Il venait d'émerger d'un cauchemar. Un de ceux qui l'avaient empêché de dormir pendant tant de nuits lors de ses années de collège. Sa dispute avec Filipin avait réveillé quelque chose. Comme s'il était retombé dans l'abîme. Une fois encore, il se retrouvait enfermé dans cette boîte noire, la boite noire de ses pensés. Des centaines de paires d'yeux étaient rivés sur lui. Ces yeux toujours accompagnés de sourires mesquins et de rires moqueurs. Puis un poids l'étreignait, juste là, dans la poitrine. Se serrant et se resserrant encore, jusqu'à l'empêcher totalement de respirer. Alors il ne pouvait plus émettre le moindre son, ni cri, ni sanglot. Et tandis qu'il suffoquait, comme s'il se noyait, il apercevait une lumière, vive. Il était convaincu intimement de devoir la rejoindre s'il ne voulait pas lui même se perdre en abîme, disparaître dans le noir. Mais il se retrouvait incapable du moindre mouvement, cloué sur place, comme empêtré dans le flot meurtrier d'une marée noire. Le corps ankylosé, entravé dans ses mouvements, il s'épuisait à tenter de rester à la surface, et surtout, il n'avançait pas. La lumière, elle, aussi vive qu'un bateau ivre, changeait perpétuellement de place, il avait la nausée rien qu'à tenter de la fixer. Et à chaque déplacement, elle s'éloignait encore un peu de lui. C'était comme la vie qui le quittait. Alors avec l'énergie du désespoir, il redoublait d'effort. Puis il buvait la tasse et le mazout lui emplissait la gorge, les poumons et enfin empoissait son cœur. Transformant l'organe palpitant en un bloc solide, dégoulinant de pétrole noir à l'odeur pestilentielle. A son réveil, en sueur, il avait eut la gorge sèche, comme une vallée aride qui contrastait avec ses joues humides de larmes. Il s'était levé pour attraper la bouteille d'eau qu'il gardait à côté de son lit. Il but une gorgée. Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Il comptait les expirations pour tenter de calmer son cœur, mais l'organe n'en faisait qu'à sa tête, refusant de se rendre compte que le cauchemar était terminé. La peur reflua et son rythme cardiaque ne redescendit que quand il prit conscience de ne plus sentir les effluves nauséabondes de fuel. Ses yeux vagabondèrent un instant sur les murs de sa chambre, comme pour s'assurer une dernière fois d'être de retour dans le monde tangible, et quand il aperçut la cravate de Filipin, il ne pu s'empêcher de s'en saisir. Il la fit glisser entre ses doigts. Il s'en voulait d'avoir tout fait foiré avec Filipin. Le garçon commençait à lui manquer. Leurs discussions nocturnes quand il se retrouvaient curieusement sur leur balcons respectifs après une insomnie ou un cauchemar, et son air toujours bougon, tout ça laissait un vide, maintenant qu'il y avait goûté. Moustic aussi lui manquait. Désormais qu'il connaissait un avant goût de ce qu'était réellement l'amitié, la vraie, retrouver son empire de solitude, froid et inhospitalier était d'autant plus ardu, voire impossible, comme tenter de marcher sur l'eau sans passer de l'autre coté du miroir.

D'un geste leste, il avait ouvert la porte fenêtre qui menait sur le balcon, grinçant des dents quand elle émit un craquement -il ne voulait pas réveiller ses parents et que ses derniers prennent conscience que ses cauchemars et terreurs nocturnes étaient en pleine recrudescence, il se faisaient assez de soucis pour lui comme ça- et il était sortit un instant, emmitouflé dans sa couette. Il avait transpiré et ne voulait pas tomber malade en sortant sans rien sur le dos.

Il s'assit à même le sol. Le béton était froid mais il s'y habitua rapidement. Il alluma un joint. Ses parents savaient qu'il lui arrivait de fumer un peu quand, démuni, il se voyait incapable de passer la moindre nuit sans faire de cauchemars. Ils ne cautionnaient pas, mais tant que cela restait occasionnel et sans but récréatif -d'autant plus que Calixte ne conduisait pas, il n'avait même jamais prit la moindre leçon de code- ils fermaient les yeux. Calixte leur en était reconnaissant. Ils n'avaient eut à ce sujet qu'une seule discussion, ses parents avaient tout de même tenu à le mettre en garde, à ce qu'il s'assure que ça ne devienne pas une addiction notamment, mais ils lui faisaient assez confiance pour être assez mature sans avoir besoin de remettre le sujet sur le tapis depuis.

Calixte leva les yeux vers le ciel, dégagé, exempt du moindre nuage, et s'oublia dans la contemplation du cosmos. Ces milliards d'étoiles, boules de gaz incandescentes et instables qui nimbaient le ciel de leur douce lumière chamarrante. Plus que le cannabis, c'était toujours ce qui arrivait à le calmer, à apaiser son esprit. Il se sentait si petit face au vide immense de l'infini, qu'il sentait ses problèmes rapetisser et disparaître avec lui. Bien qu'il les trouve passionnantes et qu'il adorait les contempler, il n'en savait que bien peu sur les étoiles. Il aurait tant apprécié être de ceux qui, d'un seul coup d'œil pouvaient nommer toutes les constellations, mais dommage pour lui, il avait même du mal à repérer la grande ourse. Et il ne comprenait pourquoi tout le monde en parlait comme si c'était une casserole et s'entêtait à l'appeler ourse.

Renommez-la la grande marmite, ce serait plus simple pour tout le monde !

Calixte ne voyait vraiment pas le rapport entre une casserole et un ours.

A part dans le cas du ragoût d'ours pensa-t-il bêtement.

Entre ses mains, il tenait toujours la cravate sushi, un peu à la manière d'un ours en peluche. Oui, un ours, parce qu'une casserole en peluche, ce serait étrange. Un doudou qui le réconforterait, même si c'était un peu stupide à dire. Pourtant il devait se rendre à l'évidence, il serait bien, tôt ou tard, forcé de la rendre à son juste propriétaire. Et plus il tardait, plus ce serait compliqué à faire. Il craignait que Filipin ne lui en veuille encore plus en constatant qu'il l'avait gardé. Après tout, vu sa réaction quand il l'avait surprit à fouiller dans cette boite jaune, Calixte ne doutait pas qu'il s'agissait de quelque chose de sensible pour lui.

Il leva encore les yeux vers le ciel qui n'allait pas trop tarder à s'éclaircir à l'horizon. Calixte savait qu'il ne se rendormirait pas, il était trop trad pour cela. Il n'avait plus qu'a attendre que le jour se lève en observant les étoiles s'éteindre une à une, comme dans un fondu au blanc.

Sous ce même ciel encore sombre, Filipin était sur le départ. Il avait retrouvé Kara et Flora pour leur dire au revoir et s'assurer que tout allait bien pour elles -elles avaient décidé de dormir sur place, n'ayant pas l'énergie pour rentrer, surtout Kara-. Il était déjà 6h20 et Filipin avait pensé un moment faire comme les filles et rester, mais il avait des devoirs en retard et il savait que s'il dormait, il ne se réveillerait pas avant tard dans l'après-midi et qu'il serait décalé pour plusieurs jours. Alors il avait choisi de faire une nuit blanche. Il rentrerait chez lui à pied et il pourrait travailler dès son retour. S'il avançait bien, il pourrait même s'octroyer une sieste dans la matinée.

Il ferma les boutons de sa veste -il faisait un peu froid dehors et Kara avait toujours son sweat- et il se mit en route. L'air extérieur était frais contre ses joues qui ne tardèrent pas à prendre une teinte rougie, de même que le bout de son nez qu'il sentit couler après quelques pas. Ce qu'il pouvait détester cela ! Évidement, comme toujours, il n'avait pas de mouchoir pour s'essuyer et dû se contenter de sa manche. C'était sale. Il renifla.

Les lampadaires étaient encore allumés, et le seraient sans doute encore pour quelques heures. Filipin aimait bien les voir s'éteindre d'un seul coup de la fenêtre de sa chambre ou du balcon du salon. Ça signifiait que la nuit était finie, le temps des insomnies achevé, et les étoiles éteintes. Il marcha le long de la route, les voitures se faisaient rares à cette heure là, mais il avait toujours la sensation de courant d'air, comme si elles le frôlaient, au moment où elles passaient à côté de lui, puis voyait leur feux arrières rouges disparaître dans la nuit. Parfois, certains fêtards, eux aussi sur le chemin du retour ralentissaient et lui proposaient de le ramener, il déclinait, systématiquement, bien que l'envie d'accepter était parfois forte, quand de grandes bourrasques de vent froid soulevaient les pans de sa veste et le faisaient frissonner. Il se disait aussi que faire un truc un peu fou, complètement inconscient, pourrait l'arracher à son quotidien monotone où rien ne changeait jamais, mais il avait justement peur que ça l'y arrache pour trop longtemps, peut-être pour toujours. Et malgré le mal être qui ne le quittait plus, Filipin n'avait jamais eut de pensés suicidaires, grâce au ciel, parce qu'il ne savait pas comment il aurait pu composer avec, déjà sans il avait l'impression de se noyer. C'était pathétique, comme s'il se trouvait au milieu d'une petite marre, à se débattre, et que chaque fois qu'il tentait d'atteindre le bord, on le repoussait vers le centre. Personne n'essayait à proprement dire de le noyer, simplement, à force de se débattre, il allait finir par mourir d'épuisement. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait déjà bu la tasse. Et paradoxalement, il était persuadé que s'il se redressait, il pouvait avoir pied, mais son esprit était bien trop embrouillé pour s'en rendre compte et son corps, tétanisé refusait de lui obéir. Alors il continuait de se débattre, en vain.

Pour se couper de ses pensés, il sortit son téléphone, démêla ses écouteurs, et lança une playlist un peu au hasard. Empty State of Mind du groupe UnknownPodcasters. Il l'avait découverte récemment, en fait il cherchait Empire state of mind de Jay-z et Alycia Kay, et par un espèce de lapsus à l'écrit assez révélateur, il était tombé sur celle-ci. Mais c'était paradoxalement exactement ce qu'il voulait à ce moment. Se vider l'esprit. Elle durait à peine deux minutes, mais il la mit en boucle, laissant les basses emplir son esprit, il monta le son pour ne plus entendre l'extérieur. Il n'écoutait pas trop de rap habituellment, mais il s'était rendu compte que c'était assez efficace pour le plus penser. En réalité, s'il écoutait les paroles, qu'il se concentrait sur celles-ci, il se rendait compte que ça n'avait pas grand chose à voir avec sa situation, il n'allait pas se mettre à fumer des blunts, à s'empoisonner les poumons, mais l'effet était là, laisser la musique hurler dans ses oreilles l'empêchait d'entendre les cris de son cœur. C'était tout ce qui importait vraiment.

La sensation de marcher alors qu'il était alcoolisé était foncièrement étrange. Il avait l'impression que le temps passait à une vitesse folle, déjà les premiers rayons de soleil commençaient à poindre, mais en même temps, ce qui n'aurait dû être qu'une petite marche de vingt minutes en avait plutôt duré quarante -il fallait dire qu'il n'avait pas non plus prit le chemin le plus court-.

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