✨Chapitre 4✨Partie 3✨
Assis contre le mur, à même le sol, Filipin tourna les yeux vers Kara, présente à ses côtés. Penchée au dessus d'un buisson, la jeune fille vomissait tout l'excédent d'alcool qu'elle avait pu ingurgiter. Le garçon se demanda un moment s'il devait se lever pour lui tenir les cheveux ou lui caresser le dos, mais il préféra lui laisser un peu d'espace pour reprendre ses esprits. En plus il n'était pas certain d'avoir assez d'équilibre pour aller jusqu'à elle. Lui aussi avait un peu abusé sur l'alcool. Au bout que quelques minutes, elle se tourna vers lui et alla s'asseoir à sa droite.
« Ça va mieux ? »
« Ouais. Désolée que tu aies vu ça. Mais bon, les filles ne sont pas des princesses, et quand on vomi, c'est ni des paillettes, ni des arc-en-ciel. C'est tout aussi dégueu que vous, les garçons. »
Elle s'essuya la bouche sur la manche de son chemisier à col bateau, et Filipin lui tendit un verre. Elle le sentit, c'était du jus de pomme, et descendit son contenu d'une traite.
« Pour avoir suivit quelques cours sur la biologie humaine, j'dois te dire que je m'en doutais un peu. Il n'y a pas d'organe appelé usine à paillette dans le corps de la femme. »
Il lui arracha un petit rire cristallin. Et comme ça, dans le naturel d'une discussion rendue honnête par les effluves d'alcool qui leur couraient dans le sang, il se dit qu'il la trouvait vraiment magnifique, et il lui fit part de ces pensés.
« Je sais que le moment n'est peut-être pas le mieux choisi, ni l'endroit, on est quand même à deux pas de ton vomi, que tu as craché sur un buisson au lieu d'en dessous... Mais je voulais te dire que tu es belle. Genre vraiment. »
Elle sourit.
« Toi aussi Filipin, t'es une belle personne. Même si tu as l'air de tout faire pour que le monde ne s'en rende pas compte. »
Elle replaça une mèche des ses cheveux blonds bouclés derrière son oreille ornée de multiples bijoux. Ses yeux bleus semblaient plus clairs qu'à l'accoutumé et son mascara avait un peu coulé, mais ça la rendait d'autant plus charmante. Ses lèvres pleines et roses tremblèrent un peu alors qu'elle était prise d'un frisson.
« Tu veux qu'on rentre ? »
« Non. Je crois que j'ai encore un peu besoin d'air pur avant d'y retourner. La maison est complètement enfumée à cause de la chicha et ça me donne mal à la tête. »
« Ok. Alors prends mon pull. »
Filipin retira sa veste, puis son pull qu'il passa à la jeune fille avant de ré enfiler son manteau par dessus sa chemise. Kara saisit son sweat et l'enfila. Il était trop grand pour elle, tant et si bien qu'il était presque aussi long que sa jupe plissée. Elle repassa ses multiples collier par dessus le col mais en revanche elle laissa ses cheveux bouclés à l'intérieur. Seules les quelques mèches plus courtes qui encadraient son visage en ressortaient.
Filipin était conscient de son charme depuis le premier jour, même s'il avait souvent essayé de se persuader qu'il n'en était rien, mais jamais elle ne lui avait semblé si belle qu'à cet instant. Alors, enhardi par les quelques trop nombreux verres qu'il avait descendu, il prit son courage à deux mains et lui dit :
« Kara, je crois que je suis en train de tomber amoureux de toi. »
C'était quelques mots simples, murmurés dans la nuit, qui pourtant voulaient tout dire.
Elle eut l'air surprise. Comme si elle n'en avait rien remarqué de ces regards dérobés qu'il lui jetait sans cesse. Et dans le fond c'était un peu le cas. Kara était vraie, vivante, et si elle avait conscience de ses charmes, elle ne cherchait pas à les utiliser sur les garçons qu'elle côtoyait, ni même sur qui que ce soit, mais elle cherchait encore moins à les restreindre. Ce n'était pas parce qu'elle était jolie qu'elle aurait dû s'empêcher de traîner avec le sexe opposé, d'être qui elle était, tactile et proche des autres. S'ils en venaient à se faire des idées, ce n'était en rien sa faute. Parce que c'était simplement comme cela qu'elle était avec ses amis. Ce n'était pas parce qu'elle se faisait belle qu'elle essayait de les aguicher, ce n'était pas parce qu'elle traînait avec des garçons qu'elle espérait quoi que ce soit d'autre qu'une amitié sincère et fusionnelle. Pourtant certaines personnes avaient encore du mal à concevoir cette amitié fille/garçon, comme s'ils étaient restés coincés à l'âge du bronze, voire même l'âge de pierre. Kara ne comprenait pas comment certains adultes, ou même certaines personnes de son âge pouvaient penser aussi archaïquement.
Elle se tourna vers Filipin avec un sourire doux.
« Fili, t'es un gars super, mais t'es mon pote, et je veux pas gâcher cela. Au fond, on ne se connait pas si bien, et je ne parle pas entre nous, je parle de se connaître soi. On est au lycée, on ignore qui on est réellement, et je veux pas que ça vienne foutre la merde dans notre amitié. Je me sens bien avec toi, et je t'aime beaucoup. Mais je cherche pas à être en couple. Je ne sais même pas si l'idée même du couple m'attirera un jour. Tu sais, en tant que femme, c'est important de savoir se construire seule, sans devoir se reposer sur un homme, sur l'idée d'un couple. Sans être brimé. Je ne dis pas que tous les couples sont des entraves, ni que tous les hommes empêchent leur petite amie d'avancer, mais parfois, c'est la femme elle-même qui s'empêcher de s'épanouir entièrement pour ce qu'elle est parce qu'elle pense trop à son homme avant de penser à elle. Et je ne veux pas alimenter ce schéma. Je veux savoir que je suis forte, indépendante, et capable de me débrouiller par moi même avant d'inclure quelqu'un dans ma vie. Je veux aussi savoir si j'ai envie de cette personne, ou si c'est juste parce que j'ai intégré dans mon inconscient que je devais me mettre en couple, fonder une famille, et répondre aux normes de la société. Pour l'instant, je ne ressens juste pas cette envie, ce besoin de construire quelque chose avec quelqu'un sur cette voie là, les amours platoniques me conviennent parfaitement. »
Les secondes s'égrenèrent avant qu'elle ne reprenne, plongeant son regard dans celui de Filipin, comme si ce qu'elle s'apprêtait à lui dire était d'une importance capitale. Quelque part, ça l'était. Au moins pour elle.
« Tu m'aimes physiquement, peut-être, mais pas pour ce que je suis, car ça, tu l'ignores encore. Comment pourrais-tu le savoir alors que moi-même je ne sais pas qui je pourrais être appelée à devenir ? J'ai dû t'envoyer des signaux contradictoires, parce que j'aime être proche des autres, juste ça, sans chercher à voir au-delà, comme je disais, platoniquement. Merde, je fais ça souvent, sans le vouloir, je rends les gens confus. C'est juste que pour moi, c'est naturel. J'pense pas souvent que les autres ressentent ça autrement, que leur analyse est différente. »
Il la regarda, sans comprendre, alors elle explicita.
« Je ressens pas d'attirance. Et quand je dis ça, je parle pas de toi, je parle de tout le monde. Et personne ne veut le comprendre, on me parle de blocage à cause du divorce de mes parents, de phase, et c'est ridicule, parce que si les gens se sentent aussi concernés quand je leur en parle, je sais que c'est juste parce que je suis jolie. Ils estiment que c'est du gâchis que je reste seule. Et le pire c'est qu'ils se rendent même pas compte d'à quel point leur réflexion est tordue. J'veux dire, je sais pas si je ne ressens pas d'attirance parce que mentalement j'ai l'esprit focalisé sur autre chose, à savoir mon propre développement, ou si j'en ressentirais jamais, du tout. Et oui, peut-être que ça a aussi quelque chose à voir avec le fait que mon père soit un connard qui a fait souffrir ma mère, mais on s'en fout du pourquoi du comment, j'vais bien comme je suis, j'ai pas besoin qu'on me trouve des causes et des traumatismes. Et je dis pas ça pour nier, et pas affronter, juste j'ai pas besoin de savoir, parce que je ne vis pas le fait de ne pas ressentir d'attirance comme un problème. La vie c'est autre chose que se mettre en couple, fonder une famille. Même si pour certains c'est un but admirable, tout le monde ne peut pas avoir les mêmes aspirations, ce serait hyper réducteur. Si on me demande de mettre un terme, je dirais juste que je suis Aroace, et peut-être que ça évoluera, je ne pense pas que la sexualité soit nécessairement figée, parce qu'après tout, c'est une question d'envies, et tout au long de notre vie nos envies évoluent. Donc peut-être que ça changera, ou pas, mais dans les deux cas, c'est bien. C'est cool et personne n'a à penser le contraire. Tout ce que je veux c'est qu'on arrête de chercher un passé traumatique chez quelqu'un qui n'est attiré par personne. C'est pas une maladie merde. On peut être parfaitement sain d'esprit et juste ne pas en avoir envie. Comme on peut ne pas aimer les pommes ou les oranges. »
Tout cela soulevait une autre question dans l'esprit de Filipin.
« Mais si tu ressens pas d'attirance, pourquoi tu es toujours aussi apprêté ? Tu devrais pas juste je sais pas, t'habiller chill, après tout tu n'as personne à qui tu veux plaire. »
« Alors premièrement, le fait de plaire aux autres et le fait que les autres nous plaisent sont deux choses différentes. On peu aimer plaire sans éprouver d'attirance, c'est absolument pas un paradoxe. Et deuxième chose et pas des moindres, une femme ne s'habille pas pour plaire aux hommes. Je sais que tu penses pas à mal, mais ça, c'est une réflexion de violeur. »
Sa remarque estomaqua le jeune homme.
« Quoi ? Mais non ! Je... »
« Te sens pas agressé, écoutes-moi. Je ne vais pas rentrer dans les détails mais le fait même que tu te sentes agressé démontre que tu te penses incapable d'avoir un comportement oppressif, donc que par la même occasion tu n'es jamais amené à te remettre en question sur le sujet, alors même que tu ignores ce qui peut être ressenti comme oppressif. La plus part des gars l'ignorent parce qu'ils n'y sont pas confrontés. Je dis pas ça pour faire passer toutes les femmes pour des victimes et tous les hommes pour de dangereux criminels, j'essaye d'être nuancée car la catégorisation stricte ne mène, je pense, jamais à rien de bon, mais il y a quand même un truc qui est ancré dans la société, qui s'est construite sur le patriarcat et ça, personne n'y échappe. Bien sûr ce n'est pas ta faute en particulier, ni celle d'un tel, ou de cet autre, parce que la société est ainsi depuis toujours, mais il faut comprendre qu'on ne cherche pas de coupable. On essaye juste de faire comprendre aux gens tout à fait normaux qu'il y a des problèmes qu'ils ne voient pas et qu'on a besoin d'eux pour les régler. Parce que pour qu'un comportement cesse, il faut que le monde prenne dans un premier temps conscience de son existence puis dans un second temps qu'on comprenne en quoi c'est un problème. Apres, pour en revenir à ce qui pose problème dans l'idée que les femmes se font belles pour plaire aux hommes, quand tu dis ça, tu penses qu'une femme qui s'habille de manière à être jolie le fait uniquement pour attirer les hommes, donc par extension qu'une fille qui sort le soir avec un jupe un peu courte, si elle se fait violer, c'est que quelque part, elle l'avait cherché, puisque elle s'habillait pour aguicher. C'est exactement le même type de raisonnement. Alors oui, peut-être qu'il y a des connards qui pensent qu'une fille en jupe recherche du cul et que c'est pour cela qu'ils la violent, peut-être que si cette femme était sortie habillée autrement, ce ne serait pas arrivé. Peut-être. Mais il n'en résulte pas moins que le problème vient du gars en chien à qui on a jamais inculqué ne serait-ce qu'une once de respect. Alors il faut arrêter de culpabiliser la victime. Je veux dire, une mère qui dit à sa fille ''sort pas habillée comme ça, c'est dangereux'', bien sûr qu'elle le fait pour protéger son enfant, et elle le fait ainsi parce qu'elle pense qu'elle n'a pas d'autres solutions, et dans les faits, c'est probablement vrai, du moins dans l'immédiat, mais en faisant ça, elle fait inconsciemment passer à sa fille un message comme quoi c'est elle qui doit se méfier, elle qui doit se protéger, au fond, que le problème, c'est elle. Je ne crois pas qu'on dise aux victimes de cambriolages : vous n'aviez qu'a avoir une maison moins jolie, elle n'aurait pas attiré de malandrins. La situation est la même. On ne peut pas demander à une fille de vivre constamment dans la peur parce qu'il y a un risque. Tout ce que l'on peut faire c'est essayer de limiter le risque le plus possible. Et je parle des femmes comme victimes de viol, car leur peur est quelque chose que je comprends, que je ressens, parce que c'est quelque chose que toutes les petites filles intègrent rapidement, j'oublie pas le fait que certains hommes sont aussi victimes de viols, mais je suis juste pas qualifiée pour parler à leur place. Enfin voilà, une femme peut vouloir se sentir belle, sans que ce ne soit forcément au travers du regard d'un homme, ça peut être -ça doit être je dirais même- sous son propre regard. Quand une personne veut être désirable, c'est pas forcément désirée par les autres, ça peut être dans ses propre yeux. Se plaire à soi-même est important. Alors même si je ne me sens pas attirée sexuellement ou romantiquement, j'ai quand même ce besoin de me sentir jolie. »
Filipin enviait son éloquence. Il y avait quelques minutes à peine, elle vomissait dans un buisson, et là, elle lui fait-il un discourt plein de verve et de bon sens sur la condition de la femme.
✨
[j'avais pas fait attention la dernière fois en postant le chapitre 4, et les deux dernières parties ne se sont pas mises en ligne. Les voilà donc, ainsi que le chapitre 5 dès que je l'ai relu ✨]
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