✨Chapitre 2✨Partie 1✨
Quand son réveil sonna le lendemain, Filipin n'avait pas beaucoup dormi. Mais pour une fois, ce n'était pas parce qu'il avait passé sa nuit à ruminer. C'était plutôt de la faute d'un petit pensionnaire à la fourrure blanche qui avait passé sa nuit à miauler, sauter sur son bureau, sur son lit, griffer le bas du papier peint.
Le chat.
Filipin tourna le tête vers son horloge. Elle indiquait, en chiffres rouges et angulaires, 6h45. Un quart d'heure. Il avait donné rendez-vous à Calixte un quart d'heure plus tard. Il dû se faire violence pour se lever, chaque matin ça lui semblait plus compliqué, et il ne savait pas s'il devait mettre ça sur le compte de la fatigue physique ou émotionnelle. Il s'habilla rapidement, il n'avait de toute façon jamais porté grand intérêt au choix de ses tenues, tant que c'était confortable, classique, ça lui allait, et descendit dans la cuisine, le petit chat blanc dans les bras.
Avant même d'être en bas des escaliers, il entendit sa mère s'affairer à préparer du café. Le ronronnement de la cafetière, le bruit de la tasse posée un peu trop fort sur le plan de travail -voilà pourquoi la moitié de leur vaisselle était ébréchée-, le grincement caractéristique de la porte de frigo, le ding du grille-pain, tous ces sons horriblement familiers qui donnaient la nausée à Filipin. Il s'était décidé à partir sans rien dire, et sans déjeuner, sans non plus avoir à expliquer la présence d'un chat dans l'appartement, quand sa mère se retourna et lui sourit.
Grillé. Brulé même, comme les tranches de pain fumantes qui dépassaient du toasteur.
« Mon chéri, tu veux quoi pour ton déjeuner ? Il y a de la brioche, des croissants, du... »
« Juste un café. »
« Il faut que tu manges aussi, je te le répète depuis des années : aller à l'école le ventre vide n'est bon ni pour la santé, ni pour l'attention. Comment veux-tu te concentrer en cours si tu as le ventre qui gargouille. Aller, viens t'asseoir. »
Il posa son sac -et le chat- et s'installa à la table de la cuisine en soupirant. Il essayait de ne pas s'énerver en voyant sa mère continuer la même routine que toujours.
« Qu'est-ce qui te fait partir si tôt ce matin ? »
« Lui. »
Il désigna l'animal du menton.
« Un chat ? Mais où est-ce que tu l'as récupéré ? »
« Dehors, sous la pluie. Je dois le déposer chez quelqu'un ce matin. »
Ses réponses étaient concises, presque sèches. Il avait l'impression que plus il parlait, et plus il y avait de chances pour que cette discussion tourne à la dispute.
Sa mère regarda le petit félidé d'un œil dubitatif mais ne posa pas plus de questions. Pour l'heure, l'animal était sage, sans doute avait-il dépensé trop d'énergie cette nuit.
Filipin se servit une tasse de café et prit une tranche de pain à moitié cramé. Sa mère avait toujours eut du mal avec la cuisson des aliments. Aussi, il avait tellement eut l'habitude de manger brulé que le petit goût acre lui manquait presque quand il mangeait ailleurs que chez lui. Il fallait dire que depuis petit, il vivait seul avec sa mère. Il ne se rappelait presque pas de l'époque où son père vivait avec eux. Il travaillait à l'étranger, et sur base spatiale, il faisait partit des rares qui avaient eut la chance de voir la terre depuis l'espace, parmi des étoiles. Et il n'en était jamais revenu. Filipin avait du mal à se faire à l'idée qu'il ne l'appellerait pas pour son anniversaire, qu'il ne le verrait pas rentrer à la maison, un peu vieillit au prochaines vacances, qu'il ne le verrait plus, jamais, à part sur les photos. Et qu'un jour, il serait plus vieux que son propre père. Il ne voulait pas l'intégrer, et en même temps il en avait tellement besoin. Besoin que ça fasse une rupture dans son quotidien, que les choses bougent. Mais elles restaient inchangées. Indubitablement. C'était toujours lui et sa mère, qui vivaient seuls. Qui mangeaient seuls. Qui se débrouillaient seuls. Et le même goût de brulé sur les tartines. Ça le foutait en l'air.
« Et la rentrée, ça s'est bien passé ? »
La question de sa mère le tira de la contemplation du beurre qui fondait sur sa tartine noircie.
« Bof. Comme une rentrée normale. »
« Toujours dans la classe de Macéo ? »
« Ouais. »
« Tu devrais l'inviter à manger un de ces soirs. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. »
Comprenez par là : tu devrais l'inviter, histoire que je sois sûre que tu ne broies pas du noir seul dans ta chambre en te coupant du monde.
N'avait-il donc pas le droit de pleurer la mort de son père ?
« Tu ne trouves pas ? »
Il soupira. Qu'attendait-elle comme réponse ? Qu'il lui dise : oui maman, je vais tâcher de donner l'impression d'aller bien exactement comme tu le fais ? Ou alors : Bien sûr, je m'en vais de ce pas lui proposer de déjeuner avec nous ? Parfois il ne comprenait pas ce que sa mère attendait de lui, et ça avait le don de l'agacer au plus haut point. Il n'avait pas envie de se torturer l'esprit à essayer de la comprendre, ce n'était pas son rôle, surtout pas en ce moment.
« Sérieusement ? T'as que ça comme sujet de conversation ? Ma rentrée et Macéo ? Comme s'il y avait rien de plus grave ou même interessant dans ma vie en ce moment ? »
« Mon chéri, je veux juste... »
Elle avait sa petite voix. Celle qu'elle prenait quand elle essayait de l'adoucir mais qu'elle ne savait pas quoi dire, à part les mêmes phrases toutes faites débordantes de miel et de pseudo philosophie à deux balles. Le genre de phrases comme : c'est au beau milieu de la nuit que les étoiles apparaissent. Dignes d'une citation de publication Instagram d'un jeune pré-ado se pensant au summum du ''swag'' en 2012. Il exagérait à peine. Et puis franchement, il n'avait pas besoin qu'on lui rappelle l'existence des étoiles. Vraiment pas. Il les voyait assez toutes les nuits justement, et ça n'avait rien de réconfortant. Alors il coupa sa mère, ne la laissant pas finir sa phrase.
« Tu veux juste quoi ? Avoir une vie normale comme si rien ne s'était passé ? Mais il s'est passé des choses ! Papa est mort ! Et on l'a pas enterré ! On a enterré un cercueil vide ! Une putain de caisse en bois ! Et ça, ça n'a aucun sens ! Parce que qui irai payer pour enterrer une boite vide ? Je... »
Il sentit ses yeux s'humidifier, les larmes prêtes à dévaler ses joues. Alors il se leva précipitamment, rattrapa ses affaires, le chat qui dormait sur sa veste, et sortit de l'appartement en claquant la porte, laissant sa mère, désemparée, à l'intérieur. Seule, elle se laissa aller aux larmes et au chagrin. Elle avait l'impression de s'éloigner un peu plus de son fils chaque jour depuis la mort de son mari. Comme si une perte n'était pas suffisante, comme si ce n'était pas assez dur. Elle avait l'impression qu'ils ne se comprenaient plus. Eux qui avaient toujours eut une relation saine et sans orages, désormais, c'était comme s'ils étaient incapables d'avoir la moindre discussion sans que ça ne tourne aux cris et au drame.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top