✨Chapitre 10✨Partie 3✨

La porte grinça derrière lui, mais il n'y prêta pas la moindre once d'attention. Il était focalisé sur l'artiste qui s'éveillait face à lui. À ce moment-ci, ç'aurait très bien pu être le vigile qui venait pour l'expulser, il n'aurait pas bougé d'un pouce pour lui échapper. Sans un bruit, comme eux aussi happés dans cette tranche musicale, ses amis vinrent se poster à ses côtés. Calixte était en nage, et ses cheveux bouclés qu'il avait tenté de discipliner avant d'entrer ne ressemblaient plus qu'à un amas informe de mèches éparses. Flora n'était pas loin d'être dans le même état, quand à Kara, une fois de plus, elle semblait fraîche comme une rose. À croire qu'elle était entrée dans les règles. Elle avait les yeux qui brillaient, et Filipin se souvint soudain qu'elle avait fait partie du club musique, qu'elle était une vraie mélomane. Elle balançait très doucement ses mains au rythme des accords, et elle était sans doute de leur groupe celle qui comprenait et appréciait le mieux la musique savante. Ça se lisait sur son visage, elle ne croyait pas être là pour de vrai, on aurait presque pu parler de rêve qui se réalisait. Voir un concert à l'opéra Garnier.

Une fois de plus, Filipin la trouva vraiment jolie. Il prenait d'ailleurs conscience à ce moment-là, qu'il n'était pas obligé de tomber amoureux de tout ce qu'il trouvait joli, pas amoureux dans le sens qu'il avait cru du moins. Bien sûr la beauté de son amie le fascinait, et le fait qu'elle soit à la fois douce, charmante et intelligente exacerbait ce sentiment. Mais dans sa vie, il y aurait un milliard de choses et de personnes qu'il trouverait belles, et peut-être qu'il en tomberait amoureux, mais il avait comprit grace à elle que toute relation est une forme d'amour, simplement on a trop souvent facile de l'oublier, en ne reléguant l'amour qu'à sa forme couplée au désir sexuel, on confondait les attirances sexuelles et romantiques depuis toujours, pourtant l'amour se retrouve en chaque chose, dans chaque fleur, chaque brindille, chaque nuage qui passe qu'il soit blanc comme les neiges de printemps ou noir de pluies et de brouillard. L'amour simple, pur et désintéressé, dans sa forme la plus simple, voilà ce que l'on ne considérait pas assez, ce que l'on reléguait au second plan alors qu'il était l'essence même de la vie.

A la fin du premier mouvement, Filipin, subjugué, s'apprêta à applaudir, comme il l'aurait fait à n'importe quel concert, mais Kara l'en empêcha.

« Non ! C'est un concerto pour contrebasse et orchestre, on applaudit à la fin du morceau, pas à la pause entre les mouvements. »

Il fronça les sourcils.

« Un concerto est une pièce musicale conçue en trois mouvements distincts, l'un est lent, le second modéré et le troisième est rapide. Il est d'usage de ne pas applaudir avant la fin des trois mouvements, pour ne pas perturber la cohérence de l'œuvre. »

Flora chuchota :

« Elle vient de te sauver d'une honte certaine, tout le monde se serait tourné vers toi, et puis je crois qu'on s'est assez faits remarquer pour ce soir. On devrait faire profil bas. Pas applaudir n'importe quand. »

Il n'eut pas le loisir de répondre à sa petite pique que déjà la musique reprenait, et comme l'avait dit Kara, le tempo s'accélérait doucement.

La représentation, bien que très longue, sembla passer en un éclair, et bientôt ce fut le temps de l'entracte. Toujours selon les dires de Kara, celui-ci devait durer une vingtaine de minutes. Soit de quoi aller avoir une petite discussion avec la musicienne. Filipin était finalement content de ne pas avoir pu lui parler avant, la musique l'avait aidé à se détendre, et à porter un regard neuf sur cette femme, il avait prit conscience de ne pas la connaître et de pourtant l'avoir déjà jugée, peut-être trop sévèrement. Après tout, peut-être qu'elle ignorait même avoir une aventure avec un homme déjà en couple. Son père était peut-être le seul connard de l'histoire. Il pensa à Sam, Joey et Charline, qui lui avaient ouvert les yeux sur d'autres formes d'amour. Peut-être que ses parents étaient finalement dans une sorte de relation libre sans qu'il n'en sache rien. Tant d'interrogations se bousculaient dans sa tête, et il n'y avait qu'une seule personne pour les faire taire. Alors il prit son courage à deux mains, et frappa contre la porte de la loge.

Une voix cristalline lui répondit.

« Oui, entrez ? »

La jeune femme, oui, jeune, de plus près elle semblait en fait qu'un tout petit peu plus âgée que Filipin, peut-être d'une dizaine d'années, pas plus, -que son père et elle aient pu avoir une liaison dégoûta encore plus le châtain- était tout sourire au moment de son entrée, mais son visage se teinta bien vite d'imcomphrension.

« Vous êtes ? »

C'était là. Maintenant. Le moment pour lequel il avait fait tout ce chemin. Et pourtant il se retrouvait sans voix, pantelant.

« Excusez-moi, mais j'attends mon mari, alors si vous n'avez rien à me dire, je vous conseille de regagner la salle. L'entracte est court et je ne voudrais pas perdre le peu de temps que j'ai encore. »

Rien dans sa voix n'exprimait la colère, seulement un genre de lassitude, comme si elle agit épuisée.

« Votre mari ? »

C'est tout ce que Filipin avait retenu. Sa mère n'était pas la seule victime de l'histoire. Il y avait un autre homme.

« Oui, mon mari. Écoutes, je te l'ai déjà dit, mais je n'ai pas de temps à perdre. Si tu veux un autographe... »

« Je suis pas là pour un autographe. Je veux une explication. » Son ton était monocorde, comme s'il ne ressentait rien sur le moment que de la résignation, mais en réalité il bouillonnait, il ne savait juste pas quelle émotion laisser s'exprimer.

« Mais une explication à quel sujet ? »

Il sortit la lettre de sa poche et la posa brutalement devant elle, sur la table face au miroir de coiffure.

« À propos de ça. »

Ce fut à son tour de froncer les sourcils. Elle sortit la lettre de l'enveloppe, et n'eut pas même besoin de la lire pour comprendre de quoi il s'agissait.

« Où l'as-tu eue ? »

« C'était à mon père. » Répondit-il sèchement.

Il pensait que la révélation allait lui arracher une quelconque expression de surprise, mais elle resta stoïque. Non, à vrai dire, elle avait même l'air de mieux comprendre la situation.

« Je vois. Tu dois être Filipin alors. »

Il n'y croyait pas. Son père lui avait parlé de lui, elle savait qu'en plus de détruire un couple, elle détruisait une famille, la vie d'un petit garçon, parce que c'est ce qu'il était à l'époque des premières lettres, et ça ne l'avait pas empêché.

« Je comprends. Tu dois avoir pas mal de questions. Je te propose qu'y répondre demain, autour d'un café, mon vol n'est prévu qu'en après-midi. »

Elle se foutait de lui ? Un café ? Comme si cette situation était tout à fait normale ! Alors il explose. Et toute la musique du monde n'aurait pu l'en empêcher, le calmer.

« Non ! Je veux des explications maintenant. Je veux savoir pourquoi mon père trompait ma mère ! Putain et vous saviez qu'il avait une famille, pourtant vous avez quand même couché avec lui, c'est degeulasse ! »

« Grand dieu mais je n'ai jamais couché avec Tom ! »

Entre dire le prénom de son pere entre les lèvres de cette femme lui fit plus mal que ce qu'il n'aurait cru, si bien qu'il mit un moment à analyser ce qu'elle venait de dire.

« Alors, vous n'êtes pas sa maîtresse ? »

Elle eut une mine non pas choquée par ces allégations, mais profondément dégoûtée.

« Ok. C'est mieux si on en parle maintenant. Effectivement. Tu te traines de fausses idées dans la tête. »

Elle prit une grande inspiration avant d'avouer :

« Je sais que ça va te paraître étrange à entendre, mais Tom est mon père. Je suis ta demi-sœur. »

« Quoi ? »

S'il y avait bien une éventualité qu'il n'avait pas envisagée, c'était bien celle-là. Sa demi-sœur ?

« Si tu ne me crois pas, tu peux demander à ta mère. Elle est au courant de tout. Depuis longtemps. »

« Mais mon père l'a quand même trompée. »

Il l'avait trompé et avait eut un enfant avec une autre femme.

« Non. C'était avant qu'il la rencontre. Ma mère avait seize ans quand elle est venue en France. Elle était jeune fille au pair pendant les vacances d'été, et elle a rencontré Tom. La famille chez qui elle travaillait lui laissait pas mal de libertés et de temps libre, alors ils se sont vus, se sont plus, et se sont revus pendant toutes les vacances. Il l'amenait à des soirées, que des amis à lui organisait, ma mère n'en parle pas souvent, parce qu'elle n'en est pas fière, mais je crois que malgré tout, malgré les regrets qui ont suivi ça reste les meilleures vacances de sa vie. Tom avait 24 ans, alors pour lui plaire, et ne pas passer pour une enfant, ce qu'elle était, elle lui a menti, elle a dit qu'elle avait 18 ans. Et ils ont couché ensemble. Moi je suis l'accident, le préservatif qui craque... »

« Et mon père s'est barré comme un connard. »

« Non. Je ne sais pas pourquoi tu t'emploies avec tant de force à vouloir le détester. »

Parce qu'il fallait bien qu'il se raccroche à quelque chose pour l'empêcher de disparaître, voilà tout.

« C'est ma mère qui a fui, sans rien dire. Elle est montée dans le premier hovercraft pour retraverser la Manche et rentrer chez elle. Elle n'a jamais dit à mes grands-parents qui était le père. Ils avaient été tant en colère en apprenant sa grossesse qu'elle craignait qu'ils le poursuivent pour détournement de mineur. Alors elle a choisi d'assumer seule ses erreurs. Ton père n'a appris mon existence qu'à ma majorité. Ma mère m'a donné ses coordonnées, et je lui ai envoyé une lettre. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y réponde, mais il l'a fait. Et on est en quelque sorte devenus amis. Il n'a jamais été comme un père pour moi. Un père j'en ai eu un, ma mère s'est mariée quand j'avais quatre ans, et son mari m'a adopté comme sa propre fille, mais j'ai continué d'écrire à Tom. »

« Mais... pourquoi il ne m'en a jamais parlé ? »

Elle prit délicatement sa main, et il comprit que ce qu'elle s'apprêtait à lui dire allait lui faire du mal.

« Il voulait le faire Filipin. A son retour de mission. Il n'en a juste pas eu le temps. »

Ça ne manqua pas. Ses yeux s'embuèrent et il renifla disgracieusement. Au même moment, un technicien, le même qui avait emmené Filipin dans la salle, ouvrit la porte pour signifier à Assa que l'entracte était sur le point de s'achever et qu'elle devait être prête à remonter en scène.

Tout le reste se fit très vite, et Filipin agit mécaniquement et, se laissant porter, sans emmagasiner aucune information. Il ressassait encore ce qu'il venait d'apprendre. Assa les quitta, servant une dernière fois sa main, presque affreusement, puis ils sortirent de la loge.

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