✨Chapitre 10✨Partie 2✨

Au plus ils approchaient de l'opéra, au plus Filipin se sentait stressé. Il s'imaginait tout un tas de scénarios les plus improbables les uns que les autres, et tous l'empêchaient d'aboutir à ce qu'il voulait. Kara, percevant son trouble, se glissa entre deux ou trois personnes qui râlèrent pour la forme, et vint poser sa main sur celle de son ami.

« Ça va aller ? »

Il ne savait pas trop quoi dire, alors elle fit la réponse à sa place, reprenant avec plus de conviction :

« Ça va aller. »

Il acquiesça, pour la forme. Au moment de sortir du métro, il pensait sérieusement à se défiler. Et il l'aurait sûrement fait, s'il avait été seul. Mais là, il aurait trop honte de les avoir traîné dans toutes ses péripéties pour simplement abandonner à deux pas du but, par peur.

Le ciel était voilé, on ne voyait pas les étoiles. Il prit ça comme un signe. Pour une fois, elles ne pouvaient pas le juger, elles étaient comme rendues muettes par les nuages et la pollution lumineuse, et ça lui donna du courage.

« Dites, on a toujours pas regardé ce qui se dit à notre propos sur internet. Vous pensez que c'est vraiment nous, sur les photos qu'a vu le type de la friperie ? »

Il avait fallu un sacré effort à Calixte pour dire cela, parce qu'il appréhendait ce qu'ils découvrirent s'ils regardaient.

« Vu ce qu'il a dit, qu'on a arrêté un train en féline campagne, et cette fille qui à cru nous reconnaître, je doute qu'il y ait erreur sur la personne. » Se désola Flora.

Ni une ni deux, Kara sortit son téléphone, et il ne fallut pas longtemps pour qu'elle trouve ce qu'ils redoutaient tous les quatre. En top Tweet, leurs visages. Et des photos qui ne les mettait pas à leur avantage. Kara reconnut celle que sa mère gardait dans son portefeuille.

Il ne leur nécessita que quelques secondes de plus pour reconstruire l'histoire. Leurs parents avaient prévenu la police, qui ne pouvait rien faire étant donné que l'hypothèse principale était celle d'une fugue, alors démunis, ils avaient fini par se tourner vers un groupe Facebook. Et la magie d'internet avait opéré. Une vidéo devenue virale montrait leurs exploits pour frauder le train, et quelqu'un avait fini par faire le rapprochement. Plus récemment, une description donnée par le vendeur de la friperie les interpella. Dans un Tweet relayé par plus de vingt mille internautes, il exposait leur description et disait avoir prévenu la police qu'ils se trouvaient à Paris. Il était évident qu'il surfait sur la vague du buzz qu'ils avaient créée pour percer, et visiblement ça fonctionnait assez ; mais c'était loin de les enchanter. Ils devraient être d'autant plus vigilants maintenant qu'ils savaient avoir la police à leur trousses.

« On est mal. »

« Je ne te le fais pas dire. »

Ils prenaient seulement conscience de l'ampleur de leur bêtise. Ils étaient recherchés comme des fugitifs, des fraudeurs, des vandales, et des voleurs. Un bien joli palmarès pour eux qui avaient toujours eu une vie tranquille et sans histoire.

« Bon. On aurait pas dû regarder. On s'en tient au plan. Ce qui est écrit-là, on s'en fout. On est venu là pour une chose, on fléchira aux conséquences après, quand on aura eu ce qu'on est venu chercher. On est pas des mauviettes, hein. » Les encouragea Flora en se répétant debout.

Il était 20h21, soit à peu près quarante minutes avant le début du spectacle. Des gens commençaient doucement à arriver à l'opéra. Il était conseillé de se présenter une demi-heure avant l'horaire de spectacle, et en cas de retard, les entrées n'auraient lieu que pour de l'entracte, elle l'avait lu sur le site. Kara se releva et dit :

« C'est maintenant ou jamais, si tu veux avoir le temps de lui parler en coulisse avant le spectacle. Il faut qu'on trouve un moyen d'entrer. »

« Ça tombe bien, je suis une célèbre influenceuse, et j'ai toujours rêvé de pouvoir me donner en spectacle, et faire un énorme caprice de star. »

Sans en dire plus, elle se dirigea les les doubles portes de l'opéra. Là, elle se mit théâtralement à crier, pestant contre une agence d'influence qui n'existe pas, qui aurait égaré son billet -que des incapables- c'était pourtant la soirée à ne pas manquer, et voilà qu'elle en était exclue. Si aussi la sécurité faisait son métier, et avait une liste des invitées, elle aurait pu entrer, mais il fallait qu'elle soit cernée par des cons et des incompétents.

« Mademoiselle, je vais vous demander de vous calmer. » Tempéra doucement le vigile.

Il était maître de lui-même et restait stoïque à ses vociférations, alors elle en rajouta. Elle attirait tous les regards dans sa robe dorée, et profitant de sa diversion, Filipin se glissa à l'intérieur, aussi discrètement que possible. Mais il ne voulait pas affronter cela seul, avec ses amis sur le pas de la porte, alors il même qu'il venait de passer les portes, il fit demi-tour pour saisir la main de Calixte, il était celui le plus proche de lui et il couru dans l'autre sens, vers le couloir des loges.

À la porte, le vigile se détourna de Flora pour leur crier de s'arrêter. Pour la discrétion, ils pourraient repasser.

« Hé, revenez, vous pouvez pas rentrer sans billet ! »

Alors que l'homme en costume noir lançait à son collègue de prendre sa place, et qu'il s'élançait à la poursuite de Calixte et Filipin, les deux filles profitèrent du laps de temps de roulement pour entrer à leur tour. C'était pas prévu, mais comme Filipin et Calixte n'avaient pas respecté le plan, elles n'avaient aucune raison de rester sur le pas de la porte.

Ils ne s'attardèrent pas sur le décor somptueux de l'édifice, se contentant d'aller à l'essentiel. Filipin poussa la porte des loges et chercha la pièce sur laquelle le nom d'Assa Cuninnghan serait inscrit. Dans sa poche, il serrait son poing sur la dernière des lettres. Il l'avait emporté avec lui, résistant depuis bien trop longtemps à ses pulsions qui lui disait de la réduire en cendres et d'oublier tout cela. Dans son autre main, c'était celle de Calixte qu'il serrait, et ça lui donnait de la force. Dans son dos, il avait entendu la voix du vigile s'élever contre ses amis, avant de se mettre à leur poursuite. Il espérait que personne n'aurait d'ennuis par sa faute, mais il ne laissa pas cela le détourner de sa recherche. Il devait faire vite, à tout moment le vigile pouvait les rattraper, ou même appeler des renforts pour juguler leur présence indésirable dans les loges et les jeter dehors, comme des malpropres. Plus vite ils trouveraient la loge d'Assa Cuninnghan, moins ils auraient de chances d'être pris.

« Fili, avec le vigile à nos trousses, jamais on pourra y arriver. Et en plus je te ralentis. »

Calixte lui lâcha la main.

« Tu fais quoi ? C'est pas le moment de perdre du temps ! »

« Vas-y, moi je fais diversion. »

Il n'avait pas le temps d'y réfléchir, alors il fit simplement ce que Calixte disait, se remettant à courir. Le bouclé bifurqua, entraînant le vigile à sa suite.

Il avait vu que Kara et Flora étaient elles aussi entrées, mais elles n'avaient pas eut l'impression qu'elles avaient suivi dans les loges. Au bout du couloir, il vit le panonceau au nom qu'il cherchait, il se précipita et frappa à la porte. Une fois, puis deux, sans obtenir aucune réponse. Alors il clencha, sans plus de succès. Il sortit son téléphone pour vérifier l'heure. 20h46. Le concert n'avait pas encore commencé, elle devrait donc être dans sa loge, non ? Filipin commençait à désespérer, et il savait que frapper sur la porte comme un forcené ne l'aiderait à rien si ce n'était de se faire remarquer.

Un technicien qui passait par là, bien que pressé, s'arrêta à sa hauteur.

« Vous avez besoin d'aide ? »

« Oh, et bien je venais pour voir Assa... » Jusque là, ce n'était pas un mensonge, mais serait-ce suffisant ?

« Je vois, vous devez être de la famille, elle nous a prévenu qu'elle aurait de la visite. Elle est déjà en coulisses, mais vous pourrez la voir après la représentation. Je vais vous montrer le chemin jusqu'à la salle.

« Merci, c'est super aimable. »

Il se sentait comme un imposteur, mais il savait que s'il ne rentrait pas dans le jeu, le technicien se douterait qu'il y avait méprise sur la personne, et il ne lui resterait plus qu'a avouer ce qu'il faisait réellement là.

Il le suivit dans le dédale de couloirs, silencieux, alors que le technicien parlait à quelqu'un par son casque micro. Filipin etait un tout petit peu excité de voir l'envers du décor de ce genre de grands show, même s'il n'en avait jamais vraiment vu l'endroit non plus.

Il poussa une porte et Filipin se retrouva à une place privilégiée, proche de la fosse. La salle était bondée, et tous attendaient dans un silence irréprochable. Il était bien loin des concerts de thrash métal qu'il allait voir habituellement. Ça avait un petit quelque chose d'angoissant, il ne se sentait pas à sa place. Du coin de l'œil, il vit le vigile de l'entrée passer dans la salle, talkie-walkie à la main. Il parcourut l'assemblée des yeux, et Filipin se fit tout petit, priant pour passer inaperçu. Quand l'homme vit demi tour, grognant dans son talkie qu'il venait d'inspecter la salle et toujours aucune trace de ces gosses à la con.

Filipin en déduit deux choses, premièrement, il était un gosse à la con, et deuxièmement, ses amis devaient toujours errer quelque part dans le bâtiment.

Il leur envoya sa position par message, et entrouvrit la porte qui menait vers le couloir d'où il était venu, pour qu'ils puissent entrer. Le concert débuta. Même pour lui qui n'y connaissait strictement rien à la musique classique, il était évident que cette Assa Cuninnghan jouait avec une virtuosité impressionnante. Ses mouvements sûrs, vifs sur le manche de sa contrebasse, la cambrure de son poignet, la main serré sur le bois de l'archet, n'avaient d'égal que les notes aériennes jouées en pizzicato juste après.

Filipin, qui avait depuis son départ concentré toute sa colère sur cette femme se trouvait en un instant incapable de la détester davantage. Sa haine refluait et il ne restait bientôt plus que cette admiration sourde, face à un talent qui le transcendait complètement. Elle semblait dans un autre monde, alors que, les yeux fermés, elle hochait la tête au rythme frénétique de ses coups d'archet lors d'un crescendo maîtrisé.

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