✨Chapitre 10✨Partie 1✨

Corinne prit sa tête entre ses mains, son téléphone posé devant elle. Elle venait d'avoir Macéo au bout du fil. Le garçon avait fait de son mieux pour la rassurer, en vain. Il avait reçu une réponse au message qu'il avait envoyé à Filipin un peu plus tôt. Il assurait qu'il allait bien. C'était au moins cela.

Elle sentit une main sur son épaule. Stéphane. Il avait passé la nuit sur le canapé. C'était la première fois qu'il dormait chez elle depuis qu'ils se côtoyaient, et pour ne pas mentir, elle aurait préféré que cela se fasse dans d'autres conditions même si elle avait trouvé très gentil de sa part de rester pour l'épauler. Elle avait l'impression qu'en un jour et une nuit ils s'étaient plus rapprochés que depuis qu'ils se connaissaient.

« Ça va ? »

« J'ai toujours aucune nouvelle. Enfin aucune nouvelle directe. Macéo a reçu un texto ce matin. Filipin dit qu'il va bien mais toujours pas où il est. »

« Je suis sûr qu'il reviendra bientôt. Les fugues chez les adolescents sont fréquentes mais pas longues. »

« C'est ce que la police dit, mais ça ne va pas m'aider à arrêter de m'en faire. »

« Je sais que c'est dur. Mais tout va s'arranger. »

Elle était heureuse qu'il soit là pour la supporter durant cette épreuve. Elle se rappelait encore des jours après leur première rencontre sous la pluie où elle regardait son téléphone qui restait résolument silencieux. Elle lui avait pourtant laissé un message, un peu bateau c'était vrai mais au moins, comme cela, il avait son numéro. Elle avait un peu honte de l'admettre, mais elle espérait toujours que Stéphane la recontacte. Elle avait trouvé cela bizarre, étrange, mais elle avait beaucoup pensé à lui depuis leur dernière rencontre. Et elle ne voulait pas chercher à savoir ce que ça pouvait bien vouloir dire. Quand son téléphone avait vibré, et qu'elle avait presque sauté dessus comme une accro en manque, elle avait surprit le regard que son fils lui avait lancé, elle avait immédiatement senti une pointe de culpabilité lui étreindre le cœur, comme pouvait-elle attendre l'appel d'un autre homme quand le père de son enfant les avait quitté depuis moins de trois mois ?

Puis il l'avait appelé, ils s'étaient vu autour d'un café et ses doutes s'étaient envolés. Tout lui paraissait si naturel. À ce rendez-vous avait succédé un second, puis un troisième, jusqu'à ce soir-là où il l'avait raccompagnée jusque chez elle, et en la voyant se décomposer au moment de rentrer, il ne laissa pas cela passer sans s'être assuré qu'elle ne risquait rien. Ce n'était pas la première fois qu'elle semblait soucieuse au moment de rejoindre son appartement. Alors il lui avait demandé :

« Corinne, je voudrais qu'on parle de quelque chose avant que tu partes. »

« Oui, quoi donc ? »

« Je vais te raconter une histoire. »

« Une histoire ? Du genre le petit chaperon rouge ou bien les contes de Perrault ? »

« Non. C'est pas une plaisanterie. Je veux te parler de quelque chose de sérieux. »

Elle avait lu dans son regard que ce n'était pas une blague, et elle devait bien avouer que ça lui avait fait un peu peur. Elle avait besoin de tout, sauf d'un autre drame dans sa vie à ce moment-là.

« J'ai été fiancé à une femme, on a été ensemble pendant presque dix ans. Au début, tout était super, on traînait dans le même groupe d'amis alors quand on s'est mis ensemble, on pouvait rester collés l'un à l'autre toute la journée, c'était génial. Puis j'ai changé de cursus. On se voyait moins alors j'ai eu la brillante idée de lui proposer de nous installer ensemble. C'est à partir de là que ça a commencé à déraper. Au début, je pensais qu'elle était juste un petit peu jalouse, après tout, ça faisait déjà un petit moment qu'on sortait ensemble, je me suis dit qu'elle avait peur que la routine nous éloigne. Et je n'ai pas vu à quel moment ça a vraiment basculé. J'étais aveuglé par mes sentiments, et persuadé que... Elle a réussi à me faire croire que tous les problèmes venaient de moi. Et plus j'essayais de changer, plus je semblais la décevoir, peu à peu, je savais même plus qui j'étais vraiment. Elle me descendait pour se mettre en valeur. Enfin voilà, toutes les mécaniques des pervers narcissiques. Avant de m'en rendre compte, de voir à quel point elle me manipulait, j'étais persuadé que ces trucs malsains c'était l'apanage des hommes, et surtout je me croyais trop malin pour tomber dans le panneau. Mais en fait, les choses arrivent si vite qu'on a pas le temps de se rendre compte avant d'être pris dans l'engrenage, et ça peut arriver à tout le monde. Pendant un moment, alors que j'avais pas le courage de la quitter, parce que j'avais fini par assimiler le fait que sans elle, je ne valait rien. Bref, si je te parle de cela, c'est parce que moi aussi pendant un moment, je cherchais par tous les moyens à retarder le moment où je rentrerais chez moi. Ce que je veux dire, c'est que si jamais... merde comment dire... »

Il s'était passé une main sur le visage avec l'impression de s'y prendre comme un manche. Avec ça, qu'il ait vu vrai ou non, jamais elle n'accepterait de se confier.

« Je voulais que tu saches, que si jamais ce qui t'angoisse au moment de rentrer chez toi c'est quelque chose qui ressemble de près ou de loin à ce que j'ai pu vivre, tu peux m'en parler, et que tu n'as pas à te sentir coupable. »

Elle lui avait offert un petit sourire triste.

« Je suis désolée que tu aies pu vivre cela. Et c'est vraiment génial que tu t'en sois sorti. Je suis bien placée pour savoir ce que peuvent engendrer ce genre de relation toxique. A l'hôpital j'ai déjà vu des cas qui tournaient très mal, que ce soit dans la branche psychiatrique, avec des tentatives de suicide ou encore en soins pour coups et blessures. Mais c'est pas pour ça que j'angoisse quand je rentre. Mon compagnon serait bien en peine de me faire quoi que ce soit. Il... il est décédé il y a quelques mois. Et depuis, ma relation avec mon fils est devenue désastreuse. C'est ce qui me déprime à chaque fois que je dois rentrer. Je suis fatigué du travail et je sais que j'ai encore toutes les corvées qui m'attendent, s'ajoutent à cela les disputes avec mon fils. J'ai à chaque fois l'impression que je vais craquer, mais je sais que je ne peux pas me permettre de craquer devant lui. »

« Je suis désolé. Je voulais pas faire remonter de mauvais souvenirs, je voulais juste... »

« Ne t'en fais pas. Et ce que tu as fait est honorable. Peu de gens osent poser les questions quand ils ont des doutes, ils s'imaginent qu'ils ne sont pas légitimes à le faire, ou ont peur d'avoir honte si jamais ils se trompent. Et en attendant, les victimes se sentent trop mal pour en parler à qui que ce soit. »

« Ouais. Je sais exactement ce que ça fait. Pour ton fils, tu devrais essayer de parler de ça avec lui, posément. »

« Je sais. Et j'ai déjà essayé, mais à chaque fois, il se braque, et se met à crier, alors je m'énerve à mon tour et la seule solution que j'ai trouvé pour éviter ça, c'est tout simplement qu'on se voit le moins possible. En fait, il me reproche de me replier dans la routine, et de faire comme si rien n'était arrivé. Il pense que je me voile la face, comme si j'étais pas prête à... »

Elle n'avait pu retenir son sanglot, pas celui-là. Stéphane avait passé une main dans son dos comme pour la réconforter.

« C'est juste que le quotidien, les petites habitudes et la routine, tout ce que l'on fait presque mécaniquement, moi, c'est ça qui me fait tenir. Je m'y raccroche pour ne pas tomber dans l'abîme. Parce que je sais que si je lâche prise, c'est foutu. Si jamais je ne me lève pas le matin pour préparer le déjeuner, je ne me lèverais pas du tout. Je me laisserais aller à mes larmes au fond de mon lit. Et Filipin n'a pas besoin de ça, c'est déjà assez dur pour lui. Je vois bien qu'il souffre, mais je sais pas comment l'aider. Et ça me tue à l'intérieur. Alors j'essaye de faire comme si tout allait bien, de ne rien laisser paraître. En espérant qu'avec le temps la douleur passe, ne laisse que des cicatrices. Mais lui il ne comprend pas et au fond, je ne sais pas ce qu'il veut que je fasse. J'ai comme l'impression qu'il veut que je me laisse aller au fond de mon canapé à juste pleurer comme la veuve endeuillée que je suis. Mais je ne peux pas me le permettre. Il faut que je continue à travailler, parce qu'il y a les factures à payer, le frigo à remplir et que le monde ne s'est pas arrêté de tourner pour moi... J'ai l'impression d'être une mauvaise mère, je ne suis pas là pour mon bébé. »

Elle s'était laissée aller aux larmes, pour de bon. Parce qu'avouer tout cela à voix haute rendait les choses difficilement réelles.

« Et je ne suis pas certaine que nous deux, ce que l'on développe soit une bonne chose, je ne suis pas sure d'être prête à cela, et encore moins que mon fils y soit préparé. Peut-être qu'on devrait attendre. Mon compagnon nous a quittés... c'est encore si tôt... »

« C'est peut-être pas conventionnel, mais on ne choisit pas de qui, et encore moins quand on commence à s'attacher. C'est loin d'être une chose sur laquelle on exerce un quelconque pouvoir. »

Il avait eu raison cette fois-là. Et plus elle passait de temps avec lui, plus il lui devenait indispensable. Elle avait oublié ce que ça faisait d'avoir une présence à ses côtés. Parce que même lorsque Tom était encore de ce monde, il n'était jamais là physiquement pour l'aider et elle l'acceptait, du moins croyais l'accepter, parce que c'est tout ce qu'elle avait toujours connu et elle l'aimait. Mais la vérité c'est que ça avait toujours été compliqué pour elle, seulement avant elle ne s'en rendait pas tellement compte.

Évidemment quand Filipin avait découvert le pot-aux-roses, il lui en avait voulu. D'ailleurs, il lui en voulait sûrement encore, ce qui pouvait en partie expliquer cette fugue. D'autant plus que par un jeu de hasard assez cruel, il se trouvait que Filipin connaissait déjà Stéphane. Il le connaissait comme M. Fosset, professeur d'histoire-géographie de son lycée. Elle devait avoir une discussion sérieuse avec son fils, depuis un moment déjà. Elle prévoyait de lui parler dès qu'il rentrera

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