Chapitre 4 : Cette réponse tardive d'un idylle fâné
Jack avait passé la fin de la journée à vagabonder par ci par là, profitant du paysage et de sa présence ici pour visiter les alentours du camp d'Auschwitz. Il s'était rapidement arrêté manger dans un petit restaurant fort chaleureux puis s'était promené jusqu'à dix-sept heures. Heure à laquelle la navette joignant Cracovie à Auschwitz revenait chercher ceux déposés le matin.
Ainsi, le Horns refit le trajet dans le bus, son vieux dos ayant eu le temps de souffler entre deux. Il profita une nouvelle fois du paysage avant de rejoindre son hôtel à dix-neuf heures passées. Là-bas, il mangea son dîner, une salade composée, avant d'aller faire sa toilette et de partir se coucher.
Son train pour rejoindre la France partait à cinq heures le lendemain, il devait se coucher tôt.
Ainsi, à vingt-et-une heure à peine, Jack dormait déjà, l'esprit encore plein des souvenirs de la journée mais aussi de ceux plus anciens.
Lina avait eu raison, son présent paraissait subitement moins lourd avec un passé revu. Cependant, le Horns n'avait pas encore fini exactement ce qu'il voulait parvenir à faire.
Le trajet de vingt heures le lendemain devrait être bien assez long pour qu'il s'en occupe. Ça lui permettrait de clôturer cet épisode de sa vie et parallèlement, de s'occuper.
Le réveil arriva bien vite.
XXX
À quatre heures, le réveil de Jack sonna pour le prévenir qu'il devait se lever. Le vieil homme ne se fit pas prier et sortit du lit dans la minute. Il partit immédiatement se laver puis s'habiller avant de rassembler ses affaires.
Il en profita pour refaire le lit et tirer les rideaux.
Une fois cela fait, le vieillard descendit au rez-de-chaussée de l'hôtel pour y petit-déjeuner avant de s'en aller dans la nuit encore présente pour rejoindre la gare. Les lampadaires éclairaient sa silhouette dans la nuit alors que Jack arrivait en une dizaine de minutes au lieu-dit.
De là, il ne lui restait plus qu'à attendre son train qui ne devrait pas tarder. Et effectivement, il ne se fit pas attendre.
Le Horns y monta rapidement et y chercha sa place. Cette fois ci, il était dans un wagon au centre du train, toujours siège côté fenêtre cependant. Ça lui allait fort bien.
Il reçut rapidement l'aide de son voisin de rang alors qu'il peinait toujours un peu à monter ses bagages en hauteur avant d'enfin se poser.
Sur sa tablette face à lui, on pouvait voir des feuilles vierges et un crayon.
C'était l'heure pour Jack de débuter ce qu'il devait absolument faire ; conclure cette histoire.
Pour ce faire, il devait revenir une fois encore sur son passé.
Il inspira un grand coup avant de laisser à son esprit toute la place.
Il pensa.
Il se revit, encore.
Il recentra le "problème", il pointa la chose qui l'avait véritablement poussé à revenir ; son homosexualité.
Son triangle rose l'avait détruit, avait enfui au fond de lui ce qu'il était vraiment, avait déchiré ses goûts, ses droits. Sa particularité, sa différence l'avait réduit à l'état d'esclave, de souffre-douleur et l'avait presque tué.
Même l'homme tout à fait pacifiste qu'il était ne pouvait l'accepter.
Il savait que la divergence d'avis existe, la soutenait fort bien d'ailleurs puisque c'était à son sens la clef même de la diversification et donc de la beauté de la nature. Cependant, en quoi telle ou telle différence devenait-t-elle un problème ?
Jack était persuadé que tant que la particularité de l'un n'ébranlait pas celle d'un autre, le problème n'existait pas.
Pourtant, il semblerait que certains voient le souci là où il n'y en a pas.
Le Horns l'avait particulièrement expérimenté. Et au fond de lui, il savait qu'il n'avait pas simplement perdu trois mois de sa vie en enfer.
Le triangle rose avait gagné, son homosexualité n'était plus que pour Jack le fruit de sa souffrance.
L'homme d'aujourd'hui, ce rescapé, ce survivant d'Auschwitz savait que les choses devaient changer.
L'homme d'hier avait vécu le changement dans le mauvais sens.
L'homme d'avant-hier n'aurait jamais accepté de renier ainsi une part de lui.
L'homme de demain voulait revenir en symbiose avec celui d'avant-hier, celui qui avait assumé sans mal sa différence qui faisait de lui, simplement « lui ».
Il était hors de question pour Jack qu'il en vienne à rogner son homosexualité, son droit le plus naturel, ce serait donner raison à ceux qui l'avaient torturé. Rien que pour ça, comme à charge de revanche, le vieil homme avait décidé qu'il se devait de redevenir l'homme s'assumant qu'il avait su être.
Il l'avait été, n'avait certes pas eu l'occasion de le montrer mais il n'avait jamais vu de problème. Aurait-il dû ? Son père lui avait assuré que non.
Il n'était tout de même pas naïf non plus, il n'avait jamais pu l'être d'ailleurs vu l'ère à laquelle il était né. Ainsi, il convenait tout à fait que certains pouvaient ne pas aimer les originaux comme lui, seulement, ce qu'il refusait était qu'on lui inflige quoi que ce soit à cause de ça.
Lui n'avait jamais rien fait à ceux qui étaient "normaux". Ceux mêmes qui s'étaient moqués de lui parce qu'il était différent, Jack n'avait jamais rigolé d'eux parce qu'ils étaient tous les mêmes pourtant.
Comme en hommage à celui qui l'avait élevé et accepté, Jack voulait revenir sur les traces lointaines de son passé. S'assumer lui au moins, les autres étaient les autres, il ne pourrait pas les faire changer d'avis, d'autant plus que ce n'était pas son but.
Il voulait redevenir l'homme même qui n'avait jusqu'alors guère vu le moindre problème à aimer une autre personne, le sexe de ce dernier n'étant après tout qu'un plus, qu'un moins pour d'autres.
Ça aurait dû continuer, si seulement les nazis n'étaient pas passés par là. Si seulement la guerre ne l'avait pas rattrapé. Si seulement son droit n'avait pas eu à être bafoué, humilié et ridiculisé. Si seulement l'humain n'avait pas été assez fou pour voir le problème là où il n'y en avait pourtant aucun.
L'homosexualité, qu'est-ce que c'était si ce n'est de l'amour au final ? Une attirance envers quelqu'un d'autre, au même titre que l'hétérosexualité. Quel problème ?
Il aurait fallu le demander aux nazis. Ils auraient probablement répondu que la race hitlérienne ne devait comporter d'originaux comme Jack.
Et Jack aurait pu répliquer qu'il n'était pas original, qu'il était comme eux.
Et eux avaient répliqué simplement : "Auschwitz".
Et lui avait fini là-bas.
Il se souvenait de toutes ces insultes qu'il avait reçues, tous ces coups qu'il avait subis pour seule raison ; sa différence. N'était-ce pas trop ? Était-il donc le seul que ça choquait ? Il aimait à croire que non, sa nouvelle famille à Abondance en tout cas l'avait accepté comme tel. Ça lui avait fait beaucoup de bien après toute cette souffrance amassée dans son existence.
Il avait cependant besoin maintenant d'écrire. Jack voulait répondre, bien que tardivement, à toutes ces critiques et violences qu'il avait subies. Lui qui n'avait jamais pu le faire, muselé et tentant déjà de survivre avec trop de difficultés pour aggraver son cas, était maintenant libre et en capacité de parler, de contredire ou au moins, d'argumenter pour faire réfléchir.
L'homophobie était une phobie à proprement parler, le Horns le convenait mais alors que ce terme devenait tristement populaire, qu'en était-il vraiment ? Jack était persuadé que l'homophobie était maintenant mélangée dans le langage courant avec le rejet et la discrimination des personnes homosexuelles, or, c'était deux choses tout à fait distinctes.
La preuve étant que l'on peut avoir la phobie des araignées, un classique, mais ne pas pour autant vouloir qu'elles disparaissent et ne pas les discriminer. La phobie était une peur irrationnelle de quelque chose dans une situation définie, le rejet et la discrimination sont eux des oppositions formelles, parfois exagérées, à telle ou telle chose.
Le harcèlement était une forme de discrimination, de rejet, pourtant, le harceleur n'a pas de phobie envers la personne harcelée.
Voilà pour ce qui était la base selon Jack.
De là, il laissa les souvenirs revenir.
"Actes contre nature", lu dans le journal officiel en 1943.
"Tu n'es rien d'autre qu'une erreur de la nature", crié par un kapo français en octobre 1944.
"L'homosexualité n'est pas naturelle", aboyé contre lui par un SS en allemand. Le Horns était malheureusement devenu bien vite bilingue et avait compris.
Le vieil homme attrapa son crayon et commença à écrire.
"Moi, Jack Horns, né le premier octobre 1928 raconte ici mes mémoires. J'ai été, alors que la guerre faisait rage, attrapé par des nazis dans mon village à mes seize ans avec pour cause : ma différence. De là, j'ai voyagé trois jours sans eau ni nourriture dans un wagon bondé d'au moins une cinquantaine de malheureux comme moi. L'arrivée à Auschwitz a été horrible. La sélection s'était terminée dans le même chaos qu'elle avait commencée et alors que j'étais emmené vers le camp de concentration, je voyais ceux partant vers celui d'extermination pour la dernière fois. Je ne savais pas encore où ils allaient. Très vite, je fus tatoué et mon uniforme rayé décoré d'un triangle rose. L'enfer avait commencé.
Je prends ma plume aujourd'hui pour écrire en mon nom, ce qu'il m'a été donné d'entendre sur la raison de ma présence ici. Mon homosexualité était vue en horreur par mes geôliers et voici ce qu'ils m'ont dit."
Jack y écrit alors toutes les insultes portées sur la nature et sa particularité. Il y répondit.
"A mon sens, la nature est ce qui définit tout. Elle est la créatrice du monde qui nous entoure et si une chose est parmi nous, c'est qu'elle doit l'être. De plus, l'amour vient de la nature même. On tombe amoureux, tous, presque. Le contraire est rare. Maintenant, j'aimerais pour poursuivre mon raisonnement, poser une définition de l'homosexualité. Pour moi, cette différence, cette particularité est de l'amour, le même que tout autre, dirigé vers une personne similaire morphologiquement à vous. En somme, un être venant de la même nature mère et du même sexe. Ainsi, ce n'est rien de plus, vous en conviendrez, que de l'amour porté sur autre chose que cette normalité définie par notre société ? Celle dite hétérosexuelle.
Si nous reprenons. L'amour est donc une création de la nature. Si l'hétérosexualité est une forme d'amour envers une personne du sexe opposé, l'homosexualité en est une tout à fait identique dirigée sur un être du même genre. La seule différence donc ? Le sexe du personnage en face. L'amour reste le même, amour qui est naturel, hétérosexualité et homosexualité aussi donc.
Maintenant, venant en à parler de cette maladie mentale qu'est l'homosexualité pour certains.
Je pourrais répondre exactement de la même façon que plus haut, donnant lieu à un "dans ce cas, on est tous des malades mentaux", mais j'ai une autre question d'abord. Si on considère l'homosexualité comme maladie mentale, qu'on cherche à la guérir, n'est-ce pas parce qu'elle effraie au fond. On sait bien que l'homme est peureux, il redoute tout ce qui est nouveau, différent, tout ce qu'il ne comprend pas. Mais est-ce que tout a besoin d'être expliqué, d'être compris parfaitement ?
Ne dit-on pas que « le cœur a ses raisons que la raison ignore » ?
Dans tous les cas, si l'homosexualité est définie un jour de nouveau comme maladie, je souhaiterais ne pas être soigné.
J'ai aussi eu l'occasion durant mon séjour à Auschwitz d'entendre que, je cite, "je ne suis rien de plus qu'un animal dérangé, inférieur incapable de penser parce que, homosexuel."
Sans même partir radoter que l'humain est aussi un animal au même titre que les chiens ou les chats, et que je suis inférieur à d'autres, base du nazisme déjà assez critiqué pour que je n'ai pas à me prononcer dessus, ces propos m'ont choqué.
Je serais donc incapable de penser parce que je suis homosexuel. N'est-ce pas dire que les personnes comme moi n'ont pour avis, politique, social ou autre, que leur attirance sexuelle ? N'est-ce pas gros, vu comme ça ? J'aimerais à croire que si.
Je suis peiné honnêtement de voir combien le monde était fou à cette époque et je prie pour qu'il change afin de donner aux générations futures la douceur dont l'homme dispose.
Pas ces monstres, qu'on était apparemment tous devenus, même moi, en tant que détenus. Peut-être est-ce tout-à-fait choquant le fait que je vienne d'utiliser le propos "même moi" pour les éventuelles personnes partisanes de l'idéologie nazie, à la discrimination de l'homosexualité qui pensent que j'ai mérité ce qu'il m'est arrivé mais sachez que j'ai pleuré.
De douleur, de faim, de soif, de désespoir, de la déshumanisation que j'ai subie, de la tristesse qui m'a consumé. J'ai honnêtement tellement pleuré que depuis, je n'ai plus versé une seule larme, comme si je n'en avais plus.
Ma souffrance n'était à mon sens pas méritée, elle ne devrait l'être pour personne d'ailleurs. Suis-je peut être devenu trop gentil avec l'âge mais je reste têtu et persuadé que l'homme est bien plus intelligent qu'il ne le laisse paraître. Il est capable de voler, de nager, de voyager dans l'espace même mais pourtant, il ne cesse d'utiliser la force, la violence et la barbarie pour régner. Nous sommes tellement plus intelligents que ça, j'en suis persuadé."
"Je m'égare encore dis donc.", pensa le Horns.
Jack sourit en levant sa plume quelques secondes. Puis, comme pris d'une euphorie d'écrire, il reprit.
"Je me sais vieil homme devenu presque bête à sourire à tout maintenant, à n'en vouloir à personne comme je le fais. Pas à Adolf Hilter. Pas aux nazis. Pas aux SS. Pas à la guerre. A personne si ce n'est à moi pour m'être remis en cause face à une idéologie basée sur l'inégalité. A partir de là, je ne méritais même pas à mon sens d'en vouloir à qui que ce soit. C'est un des défauts de l'homme ; son besoin d'expérimenter, d'être le plus fort mis en concurrence par rapport à son incapacité à se souvenir.
Mais il faudra encore combien de guerres pour arrêter d'en créer ? Combien d'armes nucléaires pour se penser en sécurité ? Combien de morts pour comprendre sa chance d'être en vie ? Combien de temps pour accepter chacun comme il est ? Combien de temps avant d'à nouveau tout oublier et recommencer ?
J'espère pour les générations futures qu'elles réussiront là où nous avons échoué. Qu'elles vivront en paix, comme je le suis moi-même en cet instant.
Je suis fier de le dire, je suis homosexuel, gagnant contre les nazis qui ont perdu. Même s'ils m'ont pris ma jeunesse, mon assurance et volé à mon genre, aujourd'hui je suis moi, entièrement moi. Je n'ai certes plus le temps de recommencer ma vie, je ne compte qu'essayer de la terminer en beauté et simplement. J'ai encore quelques regrets à me dire que même si j'ai gagné la guerre, Auschwitz a gagné la bataille et mon triangle rose me collera toujours un peu à la peau mais c'est maintenant derrière moi.
Jack Horns."
Le vieil homme posa sa plume. Il laissa ses yeux ridés parcourir ses feuilles maintenant remplies de mots en noir sur blanc avant de les ranger dans son sac de voyage. Il en fit de même pour son crayon alors qu'un magnifique sourire décorait son visage enfin apaisé.
Il n'aura jamais connu l'amour dans cette vie, il laissa cet honneur à quelqu'un d'autre. Si ce n'était pas pour lui, qu'il en soit ainsi.
Le pacifisme de cet homme n'aura pas eu de frontières et il en fit sa plus belle qualité.
En rentrant à Abondance, il livra ses mémoires à Lina, un peu complétées par son quotidien à Auschwitz.
Comme sa nouvelle famille était heureuse de voir à quel point ce voyage avait fait du bien à leur ami. Et, ce fut en relisant ses mémoires quatre ans plus tard, des larmes salées d'un adieu mais heureuses pour le défunt que Jack quitta définitivement la Terre.
Il était mort comblé.
Lina, Williams, Mina et Alice lui avait offert un petit enterrement comme demandé alors que chaque année, au premier octobre, des fleurs venaient orner la tombe d'un certain Jack Horns.
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