Chapitre 3 : Leurs avis truculents
Sa canne comme appui nécessaire, le vieil homme qu'il était rentra dans le baraquement en face de lui. Identique aux autres mais pourtant différent, c'était dans celui-ci qu'il avait vécu, survécu plutôt pendant trois longs mois.
L'intérieur n'avait pas tellement changé, seulement ne s'y trouvaient plus les cadavres entassés dans un coin où encore couchés auprès des vivants avec lesquels on les confondait. Les bruits, les cris d'agonie avaient eux aussi disparus. Il n'y restait plus âme qui vive, Jack ne pouvait qu'en être heureux. Ne restait ici que ce qu'on pouvait appeler du purement matériel, soit, ces espaces de lits indécemment grands qui n'avaient de lit que le nom.
Le Horns préférait les nommer « des cimetières prématurés ». Il faut dire que ni le lieu ni le mobilier ne ressemblaient à une chambre, pas avec ces lits qui n'étaient que planches de bois brut montées sur trois étages avec à peine un peu de paille pour les rendre moins désagréables. Les couettes étaient ici un plus, une rareté et ne parlons pas de l'hygiène ni de l'intimité ; ils étaient « abonnés absents » dès l'entrée dans ce camp. Enfin, Jack savait la chance qu'il avait eu tout de même de toujours pouvoir profiter des lits tout en haut, la meilleure place. Étant les plus en hauteur, les prisonniers ayant ce privilège échappaient aux défections des étages supérieurs dues à la famine et à la malnutrition. Les plus mal en point étaient priés de coucher tout en bas, toujours six par étage mais ils évitaient ainsi d'infecter ceux qui avaient encore une chance de survie.
Voilà où en était réduit les prisonniers ; tout faire pour espérer survivre dans une crainte et souffrance constantes. Mal-être intense qui ne s'arrêtait que lorsque la faux de la mort n'était qu'à deux pas, lorsque le détenu était tellement squelettique qu'il se souillait de ses excréments et qu'il subissait des délires mentaux portés sur la nourriture qui lui faisait défaut. Le contrôle du tronc, le maintien de la stature et les déplacements devenaient alors impossibles et le condamné laissait alors la mort due à la faim faire la course avec les kapos qui le battraient au petit matin s'il ne se levait pas. Dans tous les cas, il s'éteignait et n'avait souvent même plus la résistance d'essayer de survivre, son corps ne pouvait décidément plus rien faire et son mental était déjà brisé.
Jack n'avait heureusement jamais vécu cette horrible mort, la preuve étant qu'il était toujours vivant mais il n'était pas passé si loin que ça de cette fin tragique. Cependant, le vieil homme alors jeune l'avait vue nombres de fois, dès son premier réveil d'ailleurs, moment même où il avait fait la rencontre de Dan.
Le Horns se souvint.
Ce matin-là, le premier dans ce camp, dans cet enfer terrestre, Jack s'était réveillé en sursaut à quatre heures du matin sous les cris. Les kapos étaient venus réveiller les détenus pour la première étape de la matinée ; le rangement des paillasses. Ce n'était pourtant pas bien compliqué comme corvée mais si injuste à la fois... La paille qu'avaient les détenus était bien trop irrégulière pour être bien étendue comme demandé sur les lattes de bois plein que formaient les lits. Même rengaine pour les rares couettes présentes, impossible de bien les aligner avec les bords. Les coups pleuvaient alors, autant sur ceux qui se démenaient pour essayer de répondre aux consignes que ceux qui s'étaient éteints dans la nuit. Jack ne les avait vus qu'une fois qu'ils avaient déjà été battus à mort, si tant est qu'ils ne l'étaient pas déjà avant. Frapper des cadavres, même cette barbarie fétide ne l'avait pas étonné, simplement dégoûté et profondément marqué. La surprise n'avait déjà plus sa place dans son esprit conditionné dès lors à être préparé aux pires visions, aux pires traitements, seuls la haine et le désespoir lui restaient, ponctués par un espoir peut être illusoire de survie.
Jack avait vomi ce matin-là sous l'odeur infâme qui habitait alors le baraquement. Il ne fut d'ailleurs pas le seul. Rapidement suivi par une dizaine d'autres personnes, la senteur pestilentielle de la mort faisait régurgiter le maigre repas de la veille au soir. C'était tous des nouveaux arrivants comme lui pour qui l'habitude ne primait pas encore sur l'horreur du lieu. Ça n'allait pas tarder.
Mais c'était alors que les baraquements étaient vidés pour l'appel matinal que Jack, sonné par le peu de chose qui restait dans son estomac, fut interpellé par un léger contact sur son épaule. Ça avait été très discret, très fluet mais le jeune homme l'avait senti. Il ne put cependant rien faire alors qu'il allait se ranger dans l'allée entre les baraquements à la place qu'on lui avait attribuée la veille. Et ainsi, il reproduisit les ordres une nouvelle fois durant les deux heures d'appels, se demandant, pour occuper son esprit craintif des coups qui pleuvaient de tous côtés, qui avait bien pu l'interpeller.
Son interrogation lui permit de se concentrer sur autre chose que les morts traînés par les détenus qui avaient été choisis pour s'en occuper. Les cadavres formaient déjà une pile devant chaque baraquement alors que l'appel se terminait enfin. C'était maintenant l'heure du petit-déjeuner et Jack se précipita dans la file pour éviter de sauter le repas comme au midi précédent. Il retrouva une place au milieu de la queue que formaient les détenus les uns derrière les autres et dès qu'il eut son bouillon pâle dans son bol, il s'échappa pour aller le boire aux côtés des français avec lesquels il pouvait discuter. C'était peut-être bien un grand mot lorsqu'ils ne faisaient en fait que "manger" en silence, gardant le plus de force possible pour la journée qui s'annonçait. Enfin, la compagnie de personnes à ses côtés était déjà un grand plus pour le Horns et jamais il ne se permit de se plaindre de cette absence de conversation. Pourtant, ça paraissait bien contradictoire alors qu'à la seconde d'après, un homme seulement âgé de quelques années de plus que lui, l'interpella !
Un brun, assez petit, yeux vifs d'un marron noisette, sûrement dans le début de la vingtaine et fin mais pas encore trop. Jack estima l'arrivée de ce personnage dans ce camp à peut-être quelques jours, une semaine ou deux au maximum mais certainement pas plus. Son état général était encore trop passable pour un laps de temps plus important.
- "Bonjour !"
C'était sa rencontre avec Dan, un britannique que l'accent poursuivait même lorsqu'il s'exprimait en français, langue de sa mère morte au début de la seconde guerre mondiale. Bilingue anglais-français, ce charmant bonhomme était originaire du Royaume-Uni. Fils d'un britannique venu combattre lors de la guerre de quatorze-dix-huit, ce soldat était éperdument tombé amoureux d'une femme de la campagne qu'il avait rencontrée en rentrant dans son pays, l'armistice signé. Coup de chance, ça avait été réciproque et le couple était parti s'installer dans un village en Angleterre jusqu'à ce que sonnent les clairons de l'apocalypse annonçant une nouvelle tuerie sanglante. Le père de Dan avait été de nouveau appelé au front et sa mère avait décidé de le suivre en France avec leur enfant alors âgé de seize ans. Puis, à peine la terre de France foulée, tout était allé très vite. Sa génitrice avait été prise dans un échange de balles entre les nazis arrivant et l'armée de France tentant de résister. Le paternel et Dan avaient juste eu le temps de fuir vers le Sud pour échapper aux coups de feu. Mais après avoir passé quatre ans à rester tapis en attendant que tout cela cesse, ils s'étaient fait repérer et pris pour des résistants. Ainsi, son père avait été fusillé sur place alors que lui avait été sans réelle raison envoyé ici.
Dan avait toujours pensé que s'il avait fini ici en tant que prisonnier de guerre c'était qu'il restait quelques places dans le convoi partant vers Auschwitz dans lequel il avait été embarqué. Les nazis voulaient sûrement rentabiliser au maximum leurs trajets et en conséquence de cause, le britannique avait foulé fin novembre 1944 le terrible sol du camp de Pologne.
Jack en sourit alors qu'il s'approchait d'un de ces lits à l'allure imposante et rustique pour le toucher de la pulpe de ses doigts. Ce que Dan avait pu lui être d'un soutien infaillible durant cet enfer, jamais le Horns ne pourrait le remercier assez, n'avait pu le faire. Son grand ami britannique était d'ailleurs le seul à connaître les détails de la raison de sa présence à lui à Auschwitz Birkenau. Jack avait cédé sous la curiosité non dissimulée de son camarade de galère comme ils s'étaient appelés.
C'était alors qu'il avait raconté.
Lui, n'était rien de plus que le fils d'un père et d'une mère français et le grand frère d'une sœur. Sa génitrice était morte lorsqu'il n'avait que trois ans lors de l'accouchement de sa cadette alors que cette dernière l'avait quitté lorsqu'il n'en avait que onze, emportée par la maladie. N'étaient restés ensuite que lui et son père sous les balles et les coups de feu de la seconde guerre mondiale commencée. Jack à ce moment-là se savait déjà "différent", pas comme ses amis. Les filles, il ne les aimait pas, pas comme ses copains. Intrigué, il en avait parlé à son père qui dès lors qu'il l'apprit, lui demanda de le garder pour lui. Maintenant empli de doutes, il avait posé des questions à son paternel qui lui avait seulement répondu de son regard inquiet mais pourtant doux que le monde n'allait plus et qu'il s'inquiétait de ce que la guerre et sa folie pourraient répondre à sa demande. Jack n'avait pas tout à fait compris, avait cependant appliqué les consignes demandées sans histoire. Ce ne fut que deux ans plus tard, en 1942 alors que le régime de Vichy battait son plein qu'il saisit enfin. Le journal officiel le disait noir sur blanc.
"Les actes contre nature seront réprimandés".
Jack avait alors dû promettre à son père de taire sa différence et de n'en parler sous aucun prétexte. Le jeune enfant de quatorze ans vivant la guerre, la dictature, le complotisme avait bien compris ce qu'il apercevait dans les iris de son paternel ; une peur immense pour son fils. Lui avait la même chose dans ses prunelles vertes mais à la seule différence que son inquiétude se réalisa malheureusement bien plus vite que celle de son père.
Deux petites semaines plus tard à peine après cette promesse, son paternel était décédé et Jack déplacé chez sa grand-mère au sud-est de la France, à Abondance. Ce n'était qu'une fois après être arrivé là-bas qu'il sut ce qui était arrivé à son père. Bûcheron, Olivier avait été suspecté de faire partie d'un maquis et tout suspect était tué sur le coup. Son paternel était mort par suspicion, et jamais Jack ne saurait si tout ça avait eu lieu, si son père avait été réellement membre d'un maquis. Au fond, ça ne l'étonnerait pas connaissant le personnage mais cette France collaboratrice le révulsait.
Et comme si ça ne suffisait pas, deux ans plus tard, début 1944, ce fut au tour de sa grand-mère de mourir de vieillesse. Jack, âgé de quinze ans ne s'était jamais senti aussi seul qu'à ce moment-là. Toute sa famille y était passée. Il ne lui restait plus que sa personne pour porter le nom des Horns. Heureusement dans son malheur, il savait déjà parfaitement se débrouiller seul et put continuer à subsister à ses besoins. En plus de ça et très rapidement, un bon ami à lui, Joé, qu'il avait rencontré sur place l'avait aidé en l'invitant nombre de fois chez lui et sa famille.
Comme Jack les enviait ; un foyer encore complet et chaleureux malgré ces pluies d'obus qui tombaient. Lui avait presque honte, maltraité par l'existence comme il l'était de s'immiscer parmi eux. Pourtant, c'était ce qui lui avait sauvé la vie. Jusqu'à ce qu'il ne se l'enlève presque tout seul.
C'était le jour de son anniversaire, un nouveau onze-novembre comme il y en avait déjà eu tant lorsque Jack fit ce qu'il regretta pour toujours. Ayant volé des bouteilles d'alcool, lui et Joé s'étaient échappés de la maison pour aller boire dehors. Saoulé comme il l'était et surtout, usé par la vie qui se jouait de son malheur, le Horns avait lâché son plus gros secret. Il n'aimait pas les femmes, il en était sûr. Joé l'avait presque trop bien pris, pourtant, lui n'avait pas bu plus de quelques gorgées. Jack en avait eu les larmes aux yeux en voyant qu'encore sous ces temps horribles, des gens pouvaient l'accepter comme il était.
Non porteur de cette maladie mentale comme le disaient les journaux officiels.
Cette soirée avait été magique pour le Horns qui avait eu réellement l'impression d'être lui-même sans avoir à se cacher pour la première fois depuis tant d'années. Si seulement il avait su que c'était aussi la dernière et surtout, l'élément déclencheur de sa pire souffrance physique et mentale par la suite.
Abondance était un petit village. Les nouvelles allaient bon train, notamment par le fait des voyeurs et chercheurs d'informations à donner aux nazis pour entrer dans leurs bonnes grâces. Jack avait été l'objet de convoitise ce soir-là. Son histoire n'avait pas fini que dans les oreilles pacifistes de Joé.
Le lendemain matin le confirma bien.
Les deux presque adultes étaient rentrés rapidement la veille au soir pour aller dormir mais furent réveillés par des cris. Même de leur chambre respective, Joé et Jack pouvaient entendre les mots ; "contre nature", "maladie mentale", "contre la loi". Ils ne mirent pas longtemps à comprendre alors que le Horns sortait de sa pièce en même temps que son ami. Il put lire de la détresse mais aussi un mélange d'incompréhension et de terreur chez Joé. Jack savait déjà quoi faire.
Sans laisser ni le temps à son corps de se préparer à la suite ni à son ami pour encaisser, il lui demanda en suppliant de suivre ce qu'il lui demandait. Et ils descendirent alors pour arriver devant les nazis qui forçaient déjà le passage. L'un d'entre eux regarda une affiche qu'il avait dans les mains avant de souffler à l'autre en pointant Jack que : "c'est lui."
Le Horns osa un : "Qu'est-ce que vous faites ici ?"
Ce à quoi les gardes lui répondirent qu'ils avaient été appelés pour suspicion de personne homosexuelle habitant ici.
Et ce fut à Joé de jouer. Il feignit être pris d'effroi en l'apprenant alors qu'il se décalait le plus possible de Jack comme s'il était soudainement un pestiféré. Il s'écria que s'il l'avait su plus tôt, il en aurait averti les autorités lui-même, alors qu'il affublait le Horns des pires insultes.
Les gardes semblèrent conquis par cette scène tandis que les parents de Joé restaient figés.
Le plan de Jack avait marché et alors qu'on lui passait les menottes pour ensuite le tirer hors de la maison qu'il avait tant aimée, il regarda une seconde en arrière. Ses yeux verts se posèrent sur son grand ami à qui il avait demandé d'effectuer la pire besogne pour le garçon sensible qu'il était. Les larmes qui dévalaient de ses iris silencieusement alors que ses muscles étaient tendus, le prouvaient bien. Grâce à l'idée du Horns et au jeu d'acteur de Joé, ils avaient pu sauver les parents et Jack en était plus qu'heureux. Il ne manquerait plus qu'il ose briser ce foyer merveilleux dans lequel il avait eu la chance de passer quelques mois.
Pourtant, ce fut avec un goût amer qu'il le quitta, s'en voulant monstrueusement d'avoir forcé Joé à faire ce qui l'avait certes sauvé mais aussi dégoûté. De son côté, le jeune homme ne le supportait pas et se noyait déjà dans les remords pour avoir écouté Jack. Même s'il n'en pensait pas un mot, il avait dit des mots horribles, jamais il ne se le pardonnerait.
Et effectivement, jamais Joé ne s'était pardonné sa conduite, pas même des mois après lorsque lui et Jack avaient enfin pu se revoir.
Le vieux Horns en rigola doucement avant de quitter ce baraquement qui l'avait vu survivre pendant trois mois, d'octobre 1944 au 27 janvier 1945. Jack n'aimait pas particulièrement l'armée rouge mais bon Dieu ce qu'il leur était reconnaissant pour être venue les délivrer. Lui qui avait su échapper à la marche de la mort d'Auschwitz à Buchenwald et Dachau, ce moment où les nazis avaient senti les soviétiques arriver et avaient pris la décision de faire sauter le plus possible les traces des horreurs qu'ils avaient produites ; les camps de concentration et d'extermination. De là, ils avaient ensuite récupéré une grande partie de leurs détenus pour les faire rapatrier en Allemagne, Jack y avait échappé. Il aurait voulu dire que Dan aussi mais ce ne fut pas le cas. Le temps que l'armée arrive, son ami n'était déjà plus de ce monde et lui maintenu par un faible fil aux bras de la vie.
Le Horns n'aurait pas tenu trois jours de plus.
Lentement mais avec assurance, son sourire toujours mélancolique à son visage, le vieil homme regagna le dehors avant de déambuler dans le site. Lorsqu'il était encore détenu, il n'avait jamais eu l'occasion de voir certains lieux et s'adonna à cette tâche.
Ainsi, le vieillard s'amusa assez finalement à jouer les inspecteurs, à combler sa curiosité en passant en premier lieu dans les funestes bâtiments auxquels il avait échappé ; les chambres à gaz et les fours, ces usines à cadavres comme on les appelait à son époque.
Il visita alors les salles où se déshabillaient ceux désignés par la sélection comme inaptes au travail forcé. Puis, il pénétra dans les chambres à gaz dans un silence religieux comme hommage à l'atrocité de qui s'était passé en ces lieux. Jack le savait depuis longtemps déjà, on lui avait vite fait comprendre à son arrivée au camp que la fumée qu'il voyait sans cesse en fond n'était pas le fruit d'une usine de travail lambda. Non, le vieil homme, alors jeune, avait écouté une conversation entre un anglais présent depuis plus longtemps et un nouvel arrivant français qui demandait où étaient ceux qu'ils avaient dû laisser lors de la sélection. Le britannique semblait avoir compris la question et lui répondit dans un mauvais français mais compréhensible : "là," en pointant la fumée qui sortait des fours crématoires au loin.
Même chez Jack, qui avait finalement eu cette chance de n'avoir eu personne à ses côtés à ce moment-là pour les savoir maintenant morts, reçut la nouvelle comme un coup de massue. Il mit bien une journée entière à réellement l'enregistrer, surtout après que les détails lui soient parvenus. Quelle sombre horreur là-bas aussi.
Le Horns partit après avoir rapidement vu les fours crématoires.
Jack avait ensuite continué sa visite en passant voir les baraquements des femmes. Il s'était toujours douté que ce n'était pas mieux que pour les hommes et en eut la confirmation. C'était tout à fait identique avec pour seule différence, ces baraquements réservés aux expériences médicales. Le Horns apprit alors plus en détail ce qu'était cette histoire loufoque et en fut peiné.
Il avait toujours su aussi pour cette facette du camp, il faut dire qu'il avait tout simplement vu un nombre important d'hommes partant un beau matin pour revenir le soir même castré de force. Jack avait toujours espéré pouvoir y échapper et ça avait marché. On ne l'avait pas touché sur le plan médical mais il apprenait aujourd'hui que si eux étaient castrés de force, les femmes étaient stérilisées avec la même barbarie. C'était tout à fait ignoble.
Jack continua son tour en visitant ce qu'il restait des baraques des SS en dehors du camp avant de s'en aller et revenir sur les chemins de fer par lesquels il était arrivé. Il les regarda mélancoliquement alors qu'il s'aidait de sa canne pour marcher le long de ces rails.
Le Horns s'estimait bien heureux d'avoir pu survivre à cet enfer, persuadé que s'il avait pu le faire c'était bien grâce à son changement de kommando. Il était miraculeusement passé du travail forcé en extérieur, à creuser par tous les temps, au poste dit « de Canada ». Ce terme désignait en fait les baraquements où étaient entreposés les affaires volées aux détenus à leur arrivée, que ce soit les affaires qu'ils avaient laissées dans les wagons à bestiaux ou dans les salles de déshabillage avant d'être gazés. Les prisonniers travaillant dans cette section devaient transporter les affaires dans les baraquements de Canada. Ainsi, le travail y était plutôt simple ; pas de longs trajets entre le camp et les chantiers de terrassement où il avait travaillé. Travail majoritairement en intérieur et surtout, poste permettant parfois de mettre la main sur un peu de nourriture.
Jack avait toujours pensé que sa survie était due au fait qu'il avait pu changer de kommando.
Il n'en restait pas moins qu'il devait lui aussi gonfler les joues pour paraître moins maigre, se pincer la peau pour paraître moins pâle, se tenir bien droit pour feindre la bonne forme et dissimuler l'épuisement lorsque survenait la crainte de tous : l'appel du soir et les sélections menées par les SS. Ici, il ne suffisait que d'un doigt pointé sur les détenus pour qu'ils ne soient déjà morts. Ceux considérés comme devenus inaptes au travail étaient directement envoyés aux fours.
Après peut-être trois heures à avoir visité ce lieu plein de mémoire, Jack s'en alla.
S'il avait eu de la chance ?
Non, le Horns ne pouvait décemment pas dire ça. Il n'avait jamais eu de chance, pas en vivant le pire enfer sur terre.
Cependant, il s'accordait de bonne grâce avoir eu de la chance dans son enfer.
C'était toute une nuance, pourtant essentielle. Il ne faudrait pas minimiser les faits.
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