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Sillonner les endroits les plus instagrammables du monde me rappelle à quel point la ville de Marseille est féerique. Entre mer et collines, c'est ici que j'ai grandi, là où il y a le ciel, le soleil et la plage. Et ça m'a tellement manquée. Vous n'avez pas idée à quel point je suis heureuse d'être là !
J'ai quitté l'aéroport il y a une dizaine de minutes. Depuis, j'admire avec des yeux rêveurs ce spectacle dont je ne pourrais jamais me lasser, à travers la vitre teintée du Uber qui me conduit chez mon père. Je ne sais comment aborder nos retrouvailles. Papa n'avait pas l'air ravi quand il a appris que venir vivre chez lui vivre m'étais devenue vitale. Il ne s'est même pas donné la peine de venir me récupérer à l'aéroport. Avant de prendre l'avion, ce matin, j'ai reçu un texto de sa part dans lequel il m'annonçait qu'il m'enverrait un chauffeur. OK...
Et alors qu'il empoigne fermement le volant de sa berline noire pour s'insérer sur l'autoroute, mon portable se met à vibrer. Je l'extirpe de la poche de mon jean et découvre un nouveau message de mon père.
Papa : Ton chauffeur est en route, il ne devrait pas tarder à arriver à l'aéroport.
Comment ça "ton chauffeur est en route, il ne devrait plus tarder" ? Je secoue la tête, confuse. Je m'apprêtais à demander des précisions, je reçois un nouveau texto.
Papa : Voici la plaque d'immatriculation : AA124XZ. C'est une Peugeot 508 blanche.
Mince alors ! Quelle tête en l'air, ce n'est pas possible ! La voiture dans laquelle je me trouve là maintenant ne correspond en aucun cas à cette description.
Paniquée, je lance, en me penchant sur le côté pour détacher ma ceinture de sécurité :
- Monsieur, arrêtez la voiture, s'il vous plaît.
Pas de réponse. Je rêve ou quoi ? Le chauffeur fait comme s'il n'avait rien entendu. Alors je répète ce que j'ai demandé tantôt, les yeux rivés sur le rétroviseur intérieur. Il détourne son regard de la route pour le poser quelques secondes sur moi. Un rictus malfaisant se forme sur ses lèvres. Je comprends, à cet instant précis, qu'il s'agit sûrement d'un traquenard dans lequel je suis tombée, mais que j'aurais pu éviter. Combien de fois j'ai entendu mes parents dire « ne parle pas aux inconnus. » Eh bien là, j'ai fait pire. Tout à l'heure, alors que je sortais de l'aéroport, un 4x4 s'est arrêté à ma hauteur, avec à son bord, ce type au sourire plutôt sympathique. Le bras accoudé à sa portière, il m'a invitée à m'assoir à l'arrière, après m'avoir gentiment saluée. Il connaissait mon prénom, en plus ! Si, si ! J'en suis certaine, il a bien dit : « Salut, Elena." Je me suis donc confortablement installée, sans me poser de question, persuadée d'être à l'intérieur du Uber que mon père a commandé. Oh mon Dieu, mes parents vont me tuer.
- Je vous en prie, laissez-moi partir, je le supplie d'une voix brisée.
Mais rien n'arrête le chauffeur ; ni mes cris, ni l'appel à l'aide que je lance. A coups de poing, je continue vainement d'attirer l'attention des véhicules qui défilent à ma gauche, tandis que la voiture quitte l'autoroute pour emprunter un chemin déserté par les humains. Attendez, mais où est-ce qu'il m'emmène ? Je n'ai vraiment pas envie de mourir. Pas à dix-sept ans. Pas maintenant. Pas dans ces conditions. Alors je m'empare de mon portable, je m'y accroche comme une bouée de sauvetage et décide de demander de l'aide auprès de mon ami d'enfance.
Tom ne savait pas que je venais vivre chez mon père. Je comptais le lui annoncer aujourd'hui, en débarquant chez lui, avec la certitude qu'on finirait par discuter des heures durant. C'est la seule personne qui compte le plus à mes yeux, toujours prêt à m'aider. Quelles que soient les circonstances, je peux compter sur sa présence.
Avec la panique, il me faut bien cinq bonnes minutes pour parvenir à défiler mes contacts jusqu'à ce que j'arrive sur son surnom « Tommy. » Blottis au fond de mon siège, je colle en toute discrétion le téléphone contre mon oreille ; je m'attends à entendre sa voix d'une seconde à l'autre. Mais en fait non, pas de réponse. Purée ! D'habitude, il décroche super vite. Là je tombe sur sa messagerie. Alors c'est ça, « je serai toujours là pour toi », « si tu as le moindre problème, appelle-moi. » Tout cela n'est que du blabla. Il n'a aucune excuse, en plus. Le samedi, son entrainement d'aviron se termine à seize heures, après ça, il est libre.
Ce que je craignais est arrivé. Mon père ne répond pas non plus, du coup, je me retrouve seule, en compagnie de ce détraqué qui m'a piégée. Personne ne peut me secourir. Je ne sais pas si ce que je suis en train de vivre est réel ou irréel. Tout se met à tanguer autour de moi. Ma respiration est rapide. Je suis tétanisée à la vue de la voiture qui s'immobilise en plein milieu de la forêt. Ça y est. Je vais mourir décapitée ! Je jette un regard à travers la vitre ; impossible de savoir où je suis. Le décor dans lequel je m'apprête à crever est lugubre. Privé de soleil. Rasé de toute civilisation. Seule une grange est visible à des kilomètres à la ronde.
Alors, j'agis comme le ferait un animal traqué. Je m'enfuis en courant, après avoir ouvert ma portière brusquement. Je cours, cours et traverse la forêt vallonnée. Une course qui s'étire à n'en plus finir, mais mue par mon instinct de survie, je parviens enfin à atteindre l'immense grange. Et en frappant violemment à la porte, je crie à plein poumons :
- Il y a quelqu'un ?
Des bruits de pas précipités me poussent à regarder derrière moi. Oh non, pas lui ! La silhouette du détraqué apparaît dans la lumière rosée du soleil couchant.
En le voyant s'approcher, je me suis écroulée sur les feuilles mortes qui recouvrent le sol, la tête enfouie dans mes genoux. Cette fois, ça y est, c'est bel et bien terminé... Tremblante de la tete au pieds, j'attends comme un condamné dans le couloir de la mort.
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