Chapitre 2 : Hors ligne

Vendredi 11 septembre 2020, aux environs de deux heures du matin. Freeze Corleone venait enfin d'appuyer sur le bouton pour mettre en ligne ses dix-sept morceaux, tous aussi polémiques les uns que les autres. Ce projet reflétait le travail acharné de l'artiste, entre une implication totale dans ses créations, des déclarations éristiques et une écriture soignée.

Issa Lorenzo Diakhaté s'était affirmé dans son rôle de Freeze Corleone, également surnommé Chen Zen, en référence au personnage éponyme, Prof Chen, le célèbre scientifique Pokémon, Phillip Lin, et aussi Tom Elvis. Ce maître des ténèbres évoluait dans l'univers magique d'Harry Potter et toutes ces références culturelles prouvaient que Lorenzo demeurait intéressé par des sphères spécifiques.

Cependant, Lorenzo avait souffert ces deux dernières années. Il s'était concentré dans l'aboutissement de son œuvre tout en restant malheureusement coincé dans le trafic de drogue, l'addiction naturelle aux joints et à la lean, et par extension à la rue. Une jeunesse abandonnée survivait par ses propres moyens et ressentait donc une certaine fascination pour les complots et scandales. Ils se retrouvaient dans la dénonciation de sujets tabous, par exemple la négrophobie et la pédophilie fustigés par Freeze Corleone.

Il regarda d'ailleurs son entourage de frères. La musique sauvait les consciences et Freeze avait naturellement fondé ses collectifs 667, la Ligue des Ombres ou encore le Mangemort Squad.

Caca marron comme un Wookie. Cette référence était bien l'une des seules à la trilogie de La Guerre des étoiles que Freeze avait choisi de placer dans son album. Il adorait Star Wars et son intelligence divaguait pendant qu'il écoutait ses amis lisant les premiers avis du public sur les réseaux sociaux. Il les remerciait intérieurement d'avoir attendu son retour et se savait alors heureux du mixage de tous les sentiments et toutes les émotions, sensations et saveurs qu'il ressentait.

Il souhaitait maintenant les partager avec son grand-père, resté dans sa ville natale de Dakar, au Sénégal. Lorenzo connaissait très bien cette capitale parce qu'il y avait passé une partie de son adolescence, notamment au lycée français où sa mère enseignait l'histoire et la géographie. Ses souvenirs étant intacts, ses décisions d'investir son argent dans des projets liés à l'urbanisme, l'éducation et l'immobilier s'étaient imposées d'elles-mêmes. Il souhaitait en effet donner à cette métropole tout ce qu'elle lui a appris. Il rendait également des visites mensuelles d'environ une semaine à son aïeul.

Ces bonnes nouvelles auraient pu combler sa vie... Sauf que Lorenzo n'avait jamais cessé de penser à Giovanna durant ces sept cent trente derniers jours. Cette situation ne semblait pourtant pas le déranger puisqu'il n'était pas non plus allé lui parler afin de la connaître. Elle demeurait encore une inconnue... Il tentait en réalité de se persuader que cette lâcheté ressemblait à de la timidité. Il connaissait la plupart de ses habitudes grâce à son équipe qui l'informait hebdomadairement des faits et gestes de Giovanna. Elle fêterait bientôt ses vingt-neuf ans sans présence spéciale dans son petit pavillon acheté à la suite à des années de labeur et surtout un héritage non-négligeable. Sa personnalité semblait solitaire car elle ne possédait même pas d'animal de compagnie. Elle sortait de sa maisonnette uniquement pour se réapprovisionner en toutes sortes de fournitures et se détendre lors de sorties culturelles.

Lorenzo rassemblait ses pièces du puzzle alors qu'il tendait quelques billets au chauffeur du taxi l'ayant tout juste déposé devant l'entrée de cette fameuse banlieue périphérique. Le conducteur redémarra avec entrain et laissa donc Lorenzo face à cette nuit noire. Cette dernière le rassurait néanmoins, il préférait le silence et la beauté de la nuit à la précipitation et l'anxiété du jour. Il remonta une dernière fois sur l'une de ses épaules son sac d'entraînement de basket-ball et marcha.

Il brancha également son casque audio à son portable afin d'écouter les nouvelles productions qu'il avait déjà entendues sans grande concentration. Lorenzo régla toutefois le son à son minimum pour distinguer les bruits de l'obscurité qui le tranquillisaient. Il se savait chanceux de pouvoir se promener sans ressentir aucune crainte ou appréhension. Il aimait se promener, surtout parce qu'il appréciait le son si spécial des semelles sur le goudron mouillé. Il respira enfin longuement l'air étant composé d'odeurs de bois brûlés dans des cheminées, d'effluves de plats asiatiques provenant du restaurant voisin et... D'un parfum vanille bourbon. Cette senteur était inhabituelle.

Lorenzo s'arrêta au milieu des habitations, tourna sa tête à gauche comme lors d'un ralenti cinématographique et sentit immédiatement son cœur manquer un battement. Giovanna était à ses côtés. Assise sur les trois marches du palier de sa porte d'entrée, elle paraissait soucieuse devant l'écran peu éclairé de son ordinateur. Elle semblait écrire... Son expression perplexe remplissait son visage resté tel intact dans les souvenirs de Lorenzo. Il se souvenait très bien de sa carrure imposante et sa grande taille pour une femme, aux alentours des un mètre soixante-dix. Elle devait aussi peser soixante-dix kilogrammes mais ces spécificités lui permettaient de posséder un charme unique et déroutant.

Giovanna relut ses phrases, soupira d'agacement à cause des répétitions dans les connecteurs logiques et les conjonctions de coordination mais s'arrêta soudainement lorsqu'elle sentit un regard qu'elle n'avait jamais oublié non plus. Lorenzo. Elle pouvait reconnaître son physique juste par ses ombres.

Bonsoir Lorenzo.

Lorenzo se figea à l'entente de son second prénom bien que Giovanna l'avait déjà prononcé lors de leur première rencontre. Il n'était pas coutumier d'être appelé par ce nom de cet antihéros relaté par Alfred de Musset. Comment ses jambes se trouvaient devant le petit portillon blanc ? Pourquoi l'attrait envers cette femme se caractérisait de façon si fortement et presque de manière évidente ? L'inconscient de Lorenzo méditait en vérité trop pour la phrase que ses cordes vocales acceptèrent de prononcer.

Salam.

Giovanna sourit et ses fossettes rebondies déstabilisèrent Lorenzo qui resta bloqué devant la beauté que dégageait l'aura de cette femme. Sa force d'indépendance était incontestable puisqu'elle ne lui proposa pas un accueil de base consistant simplement à se désaltérer. Lorenzo comprit ainsi qu'elle demeurait l'une de ces créatures vivant son quotidien dans un calme absolu et infrangible.

T'as aps froid... Tu fais quoi au fait ?, De quelle façon insistait-il malgré le fait que sa mère lui ait appris de ne pas s'imposer dans la sphère privée de toute personne ? Son approche était intrigante mais instinctive. Il pouvait spontanément expliquer que Giovanna et lui possédaient en commun une activité exceptionnelle... Celle de l'écriture. Il demeurait certain qu'elle lui répondrait.

Non, je suis bien habillée. Ta question est cependant appréciable. J'ai publié comme tous les vendredis soir un de mes chapitres sur Wattpad pour répondre à ta seconde interrogation. Connais-tu cette plate-forme de partage et de lecture ?, Elle cassa inconsciemment la dernière frontière qui la séparait de Lorenzo. Il symbolisait pour Giovanna un homme tolérant, confiant et rassurant. Elle sortit de la poche de son long gilet un briquet, une cigarette et l'alluma en aspirant quelques bouffées. Puis, elle fit tomber grâce à son index les cendres dans un petit cendrier marin en or. Une seule grosse bougie émanait à côté des effluves agréables de roses.

Lorenzo ne se débattit pas face à cette sensation d'être ensorcelé. Il croyait en quelque sorte à la magie. Il posa alors ses avant-bras au-dessus la palissade en métal. Le charme de Giovanna était indéniable. Son regard malicieux transperçait et analysait indubitablement en une seconde le physique et la personnalité de son interlocuteur. Il voulait la connaître afin que... Il remarqua pourtant avec surprise qu'elle acceptait de suite. Ce contexte unique provoquait une ambiance particulière, quasi indescriptible.

T'es écrivaine ?, lui demanda-t-il en s'engageant dans un chemin proprement dallé comme le jardin agréable composé d'une fausse pelouse. Lorenzo analysa chaque lieu dans lequel il se tenait. Le côté droit était donc composé d'une multitude de fleurs empotées et le gauche présentait un joli coin pour se ressourcer avec une petite table, ses deux chaises et un parasol.

Non, une simple auteure anonyme., soupira Giovanna dont Lorenzo perçut d'ailleurs ses souffles agacés plutôt que déçus. Qu'était-ce cette expression entre la fierté et l'exaspération ?

Lorenzo admirait en secret ces femmes courageuses qui osaient présenter leurs écrits. Il savait qu'un certain engouement et du soutien étaient plaisants afin que les efforts fonctionnent.

T'es la première que j'rencontre. Et tes chiffres, alors ?, Il préférait l'honnêteté aux conversations vides d'intérêts et de sens. Il se rapprocha donc encore plus d'elle.

Les lectures sont en ce moment de 13 410, 1176 votes et 4443 commentaires pour 4 histoires., annonça Giovanna en fermant un joli carnet à la couverture dorée sur laquelle des feuilles exotiques étaient représentées.

Lorenzo ne put s'empêcher de cracher le début de sa gorgée de lean en dépit de sa volonté à se retenir :

Quoi ? Mais c'est énorme ! Waouh, je m'attendais vraiment aps à ces résultats oufs.

Giovanna tendit un mouchoir à Lorenzo avec un visage dénué de sentiments. Elle possédait en réalité cette capacité incroyable à dissimuler les émotions qu'elle ressentait bien que ses sensations intérieures étaient décuplées. Il se pencha vers elle et Giovanna l'invita à se poser auprès d'elle. Il réussit à atteindre du premier coup suite à sa dextérité admirable la poubelle de la chaussée. Elle avait un corps chaud. Il perçut cette qualité intrinsèque en raison de la flamme qui s'alluma au fond de lui.

Je ne suis pas une menteuse Lorenzo alors je t'avoue les imperfections de cette démarche. Ces résultats pourraient me convenir s'ils n'étaient pas basés sur un programme consistant à ce qu'une histoire devienne populaire seulement à partir des dix mille, cinq cent mille voire un million de lectures., Giovanna se confessa d'une telle sincérité qu'elle n'hésita pas à saisir la bouteille de Lorenzo et avaler par une grimace le liquide que cette dernière contenait.

Il n'était pas accoutumé aux aveux, notamment quand ils sortaient des lèvres d'une femme. Lorenzo se sentait toutefois paradoxalement bien et enclin à se confier.

Ouais, j'comprends car oit aussi tu peux voir des sortes de... personnes qui ont quinze mille projets en tête mais sont en vérité incapables d'en travailler un correctement ? Tu connais néanmoins la qualité de ce que tu proposes. J'suis sûr en plus que les maisons d'éditions n'accepteraient même aps... J'sais pas, les trois-quart des histoires juste à cause des fautes d'orthographe au premier paragraphe., Lorenzo fut heureux de voir le sourire de Giovanna apparaître, surtout car il était certain d'avoir raison.

C'est pas faux. Il ne faut pas confondre inspiration et précipitation. Inventer tous les jours n'est pas forcément synonyme de qualité., Giovanna était une amoureuse des mots parce qu'elle maîtrisait la langue française à l'instar d'un rare nombre de passionnés. Elle croisa sur sa poitrine son long gilet... Noir. Lorenzo remarqua que cette teinte composait souvent ses ensembles vestimentaires.

T'es une ouf toi, comme tu balances !, déclara-t-il avec un sourire du coin des lèvres pendant qu'il roulait son joint. Giovanna s'amusait en activant et éteignant la flamme de l'allumoir.

Uniquement les fonctionnements qui me paraissent injustes. Au fait Lorenzo, pardonne-moi pour ce relâchement... Tu n'es pas censé écouter mes tracas., Giovanna s'excusa même si elle réalisait enfin la chance qu'elle vivait. La présence de Freeze Corleone était privilégiée et précieuse.

Je t'assure que y'a aps de mal, cet imprévu de te voir et parler me fait carrément plaiz., La confiance que Lorenzo accordait à Giovanna déconcertait sa méfiance innée. Ce moment se révélait cependant pas le plus opportun pour interroger Giovanna à propos de... « Tu t'es souvenu de oim.

Giovanna dévisagea Lorenzo avec une telle intensité qu'il crut d'abord qu'elle lui reprochait silencieusement de l'avoir interrompu tandis qu'elle désactivait la fonction hors-ligne de son portable jusqu'à ce :

Comment t'oublier Lorenzo Diakhaté ?

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