3. Malaki

Je courais. Comme si quelque chose me poursuivait, tout en sachant que c'était dans ma tête. Mon ombre me talonnait, remplie de souvenirs et quand bien même il y en avait des bons, des doux, les autres les dévoraient. Couche après couche, jusqu'à me prendre Adela.

Quand j'aurais dû ressentir de la fatigue, je n'expérimentais que le besoin de pousser plus loin. On m'avait appris à courir très jeune. À tenir, à me dépasser. Pas pour entretenir une quelconque forme physique, cela aurait été une promenade de santé à mon sens. Mais pour apprendre à lutter. À fuir ? Peut-être, mais n'était-ce pas un exercice bien idiot lorsqu'il s'agissait de distancier un loup en pleine chasse ? J'avais été une proie bien trop de fois pour les compter . Les marques de crocs sur mes mollets et chevilles en attestaient plus que les mots ne le feraient jamais. Échapper aux gradés – les rangs les plus puissants d'une meute – sous leur forme humaine, ça, c'était quelque chose que j'avais appris et maîtrisé très jeune. Trop ? D'où je venais, l'âge n'excusait rien, surtout pas la faiblesse ou l'innocence.

Aujourd'hui, il n'était plus question de fuir pour survivre, seulement pour éloigner les échos de mon passé. Pas des fantômes, mais une emprise qui m'enserrait encore maintenant et dont je ne parviendrais jamais à me défaire, qu'importait Dyklan ou notre lien.

Mais même les kilomètres qui défilaient sous mes pieds ne changeaient rien à ce qui se passait dans ma tête. Un champ miné, létal. Peut-être que si je poussais plus encore, peut-être que si j'atteignais mes limites, alors...

J'inspirai une goulée maîtrisée, bifurquai sur la droite pour pénétrer dans une longue impasse. Le son dans mes oreilles aurait pu effacer le fracas d'un accident. Je cherchais à me couper de tout, du reste du monde surtout. Lorsque je courais de la sorte, rien ne devait venir interférer, ni le monde qui m'entourait ni ce qui pouvait s'y passer.

Mes foulées se firent plus espacées et sachant ce qui m'attendait au bout de ce cul-de-sac, je me préparais à passer à la partie amusante de mon parcours. Cette ville était la nôtre, j'en connaissais tous les recoins. J'aimais particulièrement ce côté-ci parce qu'aucun membre de la meute ne venait faire jogging dans le coin, ainsi, j'étais en paix. Pour un temps.

Au rythme , mon pied appuya contre une vieille caisse en bois et je me projetai en l'air pour atteindre le rebord des vieux escaliers de secours qui grinçaient d'une manière jamais très rassurante. Mes paumes glissèrent à peine sur le métal, ce qui me permit de me hisser sans aucun mal. Ne m'arrêtant pas dans une si bonne lancée, je survolai les marches pour me retrouver au niveau du toit. Là, une vue dégagée des pâtés de maisons alentour. Shreveport touchait la frontière avec le Texas et possédait une personnalité cadienne aux fortes influences texanes. Troisième plus grande ville de l'État, nous étions bordés de forêts et de champs de coton, ce qui rendait la vie ici agréable. Je comprenais le choix de Dyklan, son envie de rester dans un coin de nature, même si la ville respirait la technologie et l'effervescence perpétuelle.

Je pris un instant pour observer, pour me rappeler que maintenant, c'était chez moi. Parce que là où Dyklan était, je suivais.

J'aurais pu sauter pour rejoindre la rue principale en contrebas, mais pas aujourd'hui. Je reculai de quelques pas avant de m'élancer sur le toit juste en face.

Un instant, l'apesanteur. La liberté. L'oubli. Une sensation incroyable qui, comme tout le reste, ne dura pas. Mes genoux amortirent le et je repartis, plus rapide de seconde en seconde.

Mon cœur se fracassait contre mes côtes, un rythme constant, rappel d'une mortalité qui résonnait comme une faiblesse.

Éprouver, c'était échouer.

Éprouver, c'était mourir un peu plus chaque jour.

Je calmais mes battements, reprenant le contrôle de mon corps. J'aurais aimé croire que je n'avais rien appris de là où je venais, mais j'aurais menti.

Mon loup se manifesta, d'abord un effleurement à l'intérieur, telle une réflexion parasitaire qui vous venait d'un seul coup. Et puis, l'écho de ses pensées se mêla aux miennes, nous amenant à ne raisonner que comme un.

Il avait senti une présence.

D'où je me tenais, je baissai les yeux sur la rue en contrebas. aurait pu être mon ombre si je n'avais pas été aussi haut. Mais non, c'était quelqu'un.

Quelqu'un qui semblait vouloir jouer avec moi, avec nous. Et il n'existait qu'une seule personne assez folle pour ça à des kilomètres à la ronde. Un sourire étira ma bouche. Un petit défi pour terminer ? Pourquoi pas. J'étais de bonne humeur après tout.

Ralentissant, je me concentrais sur mon environnement. Mon adversaire aussi. Autant dire que ça risquait d'être intéressant.

Je rejoignis l'autre côté du toit et cette fois, me laissai tomber sur plusieurs mètres. Là, je m'engouffrai dans un immeuble désaffecté. Un léger rire me parvint et une fois à l'intérieur, je sprintai. Prenant appui sur une ancienne poutre pas très stable, je me hissai pour atteindre le niveau supérieur. J'évitai les quelques obstacles, aperçu la vieille verrière brisée et coulai mon corps à travers l'un des carreaux. Une fenêtre ouverte donnait pile sur sa jumelle, du bâtiment suivant. La longueur qui m'en séparait aurait pu me faire douter. Nous avions beau être des loups, nous n'étions pas immortels non plus. Une mauvaise impulsion, un mauvais atterrissage et je pouvais finir immobilisé un long moment. Est-ce que mon loup pourrait éviter l'accident ? La pensée le fit ricaner, au creux de moi. Pour lui, ce n'était qu'un jeu, mais il était mauvais perdant, Pas question. Surtout pas face à un adversaire aussi doué et parfois arrogant. Celui-ci avait autant l'esprit de compétition que nous, ce qui nous avait déjà posé quelques soucis.

Sans douter, sans m'inquiéter, je sautai pour atterrir de l'autre côté sans une seule égratignure.

Bien joué, bonhomme.

Je secouai la tête, amusé. Je quittai ce bâtiment squatté par quelques jeunes pour me retrouver dans une autre rue, plus étroite que l'impasse de tout à l'heure. Cette fois, c'était lui sur le toit et non plus moi. Cet enfoiré, il savait ce qu'il faisait ! Mais hors de question que je lui laisse ne serait-ce qu'une minute d'avance sur moi. J'avais l'impression d'être un gamin, mais parfois, l'insouciance était un mal que j'acceptais.

Déboulant dans la rue principale comme un dératé, je débouchai sur la longue avenue et évitai de justesse une voiture qui me klaxonna. Je sentis l'attention des passants sur moi au moment où je retirai mes écouteurs, le souffle court et complètement en nage, cette fois. Je relevai mon regard sur Dyklan, de l'autre côté de la route, un peu transpirant lui aussi. Son t-shirt lui collait au torse et il affichait un sourire qui signifiait beaucoup. Comme si j'avais dit mon dernier mot. Idiot d'Alpha.

Je fourrai mes écouteurs dans ma poche. Du coin de l'œil, je repérai un skateur approcher sur sa planche. Parce qu'il dut sentir le truc foireux, Dyklan fit un pas, mais un camion passa pile à ce moment-là et nous bloqua la vue à tous les deux. Je me plaçai devant le type, qui fut forcé de s'arrêter. Il faillit s'étaler.

— Hé ! Fais gaffe, man !

— Je t'emprunte ça.

Sans lui laisser le temps de réagir ou de répliquer, je me saisis de sa planche avant de détaler pour remonter la rue. Je sautai sur le skate, content de la vitesse, pour slalomer entre les différentes voitures. Du bon côté du trafic, mes doigts agrippèrent le cul d'une voiture, pour être bien équilibré. Le cri de Dyklan résonna dans ma tête face à ma petite triche et j'éclatai d'un rire tonitruant.

Qui avait dit qu'il fallait être fair-play au juste ?

Bien sûr, Dyk ne fut pas en reste et il débarqua plus rapidement que je ne prévu. , je reprenais tout juste mon souffle lorsqu'il déboula, une moue collée au visage. Je m'amusais avec la planche, la laissai tomber juste avant qu'il ne shoote dedans.

— T'es vraiment qu'un mauvais perdant, Swayne.

Je croisai les bras sur mon torse, haussai haut mon sourcil.

— Je crois que mon Alpha est de ce genre aussi, c'est pour ça qu'on s'entend si bien, rétorquai-je, amusé.

Il chercha à m'attraper, mais j'esquivai avec habilité.

— Par contre, tes coins pour courir ?

Il frotta l'arrière de son bras.

— Je suis sûr d'y avoir laissé des morceaux de moi.

Je réagis avec instinct ; ma puissance convergea vers lui, inspecta son corps dans sa globalité pour ne trouver que des éraflures.

Dyk haussa un sourcil et je sentis la connerie arriver.

— Tu sais que ça me rend tout chose quand tu me fais ça ?

Je roulai des yeux, habitué avec lui.

— T'es vraiment pas net comme type, grommelai-je sans pour autant sourire moins. Va bosser maintenant, que ça t'occupe un peu.

— On se voit plus tard, va pas te défiler, Second !

Je levai la main, déjà sur le départ, pour lui signifier que je l'avais entendu.

* * *

Après un passage éclair à mon appartement, je me retrouvai dans un des établissements dont j'étais le propriétaire. En plein jour, le Vortex ne dégageait pas la même allure qu'en soirée.

Je possédais ainsi pas moins de cinq boîtes entre ici et Bossier City, et chaque boîte brassaient des en une soirée.

Lorsque j'arrivai au niveau du long bar, je trouvai Damian ainsi que d'autres membres du staff. Damian était le premier Dominant, ce qui le plaçait en haut dans la hiérarchie. Il venait de la meute de naissance de Dyklan et . Il travaillait pour moi, s'occupait principalement de la sécurité de mes établissements et il était excellent dans son domaine, un As dans mon jeu. Je l'appréciais parce que Damian était professionnel et qu'il n'attendait rien de particulier de ma part, à l'inverse d'autre. C'était un bon élément, en même temps, il était fils de Lieutenant alors dès son plus jeune âge, on lui avait inculqué les valeurs d'une meute. Dyklan avait su s'entourer de membres puissants et loyaux.

— Malaki, me salua-t-il, sans m'offrir sa nuque, mais son alter ego brilla dans ses yeux, preuve de son respect.

L'humaine avec qui il parlait jusque-là m'offrit un sourire timide. Eléa était intelligente et elle aussi faisait bien son boulot, voilà pourquoi elle travaillait ici depuis plus de trois ans. Je n'aimais pas m'encombrer d'incapables, je jouissais d'une réputation qui faisait de moi un patron dur, mais juste.

Je passai devant eux pour rejoindre les escaliers qui menaient à une passerelle, celle-ci reliée à un bureau entouré de vitres, surplombant le cœur de la boîte. Ainsi, je pouvais tout voir, tout observer et si j'avais besoin d'être plus discret, les vitres s'opacifiaient sans aucun mal.

Sur mon ordinateur portable fermé, je trouvai un dossier, déposé là par une assistante qui savait être discrète. Je découvris un contrat concernant une soirée qui serait organisée d'ici plusieurs semaines. Un défilé pour un évènement, de quoi attirer une nouvelle clientèle. Si certains de mes établissements offraient des services particuliers – entendez une transaction sexuelle et charnelle – le Vortex se voulait être un simple night-club. Je devais répondre aux besoins de clients différents, qui ne cherchaient pas tous la même chose. Ce qui impliquait pas mal de possibilités. Rien n'était illégal, enfin, en théorie.

Je gérais tout ça de nuit ou de jour, lorsque ce n'était pas les affaires de la meute qui demandaient mon attention.

Dyklan était un jeune Alpha et il avait beau être dans l'État le plus sûr pour les loups, sa hiérarchie encore précaire le rendait faible aux yeux de certains.

Ma main trouva la télécommande et j'allumai l'écran sur la chaîne nationale des informations. Là, sans surprise, une conférence de presse d'Auxann Brock, grand loup parmi les Alphas de ce pays. Son Second était le père de Dyklan et ainsi, la meute de naissance de mon Alpha était un joyau de puissance.

Chacun des cinquante États possédait un Alpha à sa tête, ce que chez nous nous appelions très simplement un Alpha d'État. Auxann était celui de la Louisiane et son foyer se trouvait à La Nouvelle-Orléans. Il avait un poids politique non négligeable et avait surtout pour devoir de veiller sur les meutes de son État. Certains, comme lui, prenaient ça très à cœur. D'autres ? Absolument pas. Rien n'était juste ou bien équilibré dans notre monde même avant notre coming-out. Tous les cinq ans, les grands Alphas se réunissaient lors d'un sommet tenu bien souvent secret. Nous restions une cible pour les extrémistes, pour ceux qui dédiaient leur vie à la chasse aux loups. Et il y en avait partout. Dans chaque recoin, avec des villes plus dangereuses que d'autres.

Je coupai le son, me concentrai sur la lecture du contrat. Une agence proposait une dizaine de mannequins, la plupart de Californie. Je pris soin de regarder les clauses, par signer, ne trouvant rien à y redire. Je proposais une très belle somme à chaque mannequin et danseuse, de quoi rendre l'expérience intéressante et lucrative. Je refermai le dossier, prêt à ouvrir mon pc.

Sur le coin de mon bureau, mon téléphone vibra, annonçant l'arrivée d'un nouveau message. Un numéro inconnu avec un seul mot.

[Urgent.]

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