2. Raphaelle
Los Angeles, Californie
2026
Je roulai sur flanc pour attraper mon portable sur ma table de chevet. Avec la nuit que nous avions eue, mon corps tout entier était courbaturé.
Une super représentation, mais bon sang, j'avais peut-être un peu trop tiré, comme toujours lorsque j'étais à ce point investie dans ma performance. J'allumais mon pour voir que la conversation partagée avec les filles du cabaret explosait. Elles étaient toutes contentes de notre show et certaines semblaient ne pas avoir dormi de la nuit. Un coup d'œil à l'heure qu'il était. Ouep. Je n'avais somnolé que trois heures et demie.
Je redressai mon corps, assise dans mon lit avec seulement une culotte sur les fesses. Mes rideaux avaient été mal tirés, le soleil heurtait donc ma peau au niveau de mes cuisses. Je les massai un peu avant de ramener mes pieds vers moi. Cette partie-là n'était pas la plus belle et les miens n'échappaient pas à la règle. Je grognai de satisfaction quand mon pouce s'enfonça dans ma voûte plantaire avec fermeté. Porter des talons tout en dansant était un art de vie d'après moi.
Mes yeux se posèrent sur le bordel que formaient mes fringues étalées par terre. Je n'avais pas eu la force de tout ranger à mon retour. Je n'étais pas une personne très organisée de base, alors quand on commençait les semaines complètes de représentations, je l'étais encore moins. Je m'étirai une dernière fois avant de rouler en dehors de mon lit. Je récupérai un débardeur que j'enfilai sans trop réfléchir, puis me dirigeai vers la fenêtre de ma chambre pour ouvrir une bonne fois pour toutes les rideaux.
Je grimaçai quand le soleil heurta mes yeux fatigués. Devant moi, un immense jardin avec une piscine et quelques transats éparpillés. On était dans un quartier sécurisé de Los Angeles, légèrement en périphérie du centre pour éviter trop de vis-à-vis. Je pouvais à peine apercevoir le jardin d'à côté entre les cyprès et les palmiers qui s'enchaînaient pour créer des couvertures naturelles.
L'habitation que je partageais avec une autre louve de ma meute était assez grande pour deux. En fait, on aurait pu avoir une troisième personne, mais je gardais la dernière chambre pour les membres qui voulaient venir se poser un peu ici. Le foyer de la meute, là où vivait notre Alpha, était à plus de trente minutes de Los Angeles, là où les stars vivaient éloignées sur des parcelles entières de verdure avec une villa au centre, bien e des paparazzis. Mon Alpha était quelqu'un de connu sur la scène de la mode et du mannequinat, ce qui avait été à la fois un avantage et un inconvénient quand les loups avaient été révélés au monde des humains.
Los Angeles n'était pas la pire ville en termes de radicaux nous concernant, que ce soit pour nos droits ou nos libertés. Il y avait bien pire.
Je me détournai de la fenêtre pour tenter de ranger un minimum le capharnaüm qu'était devenu mon antre. Je balançai les fringues sales dans mon panier, pliai les quelques vêtements que je n'avais finalement pas utilisés. Les tenues de danses restaient au cabaret, donc pas d'inquiétude là-dessus.
Mon panier à linge sale calé sur la hanche, je passai dans le couloir, direction l'immense salle de bains accolée à une pièce qui faisait office de buanderie. À hauteur, il y avait deux machines à laver ainsi que deux sèche-linges. La démesure de mon Alpha frôlait parfois l'hystérie.
Je ne me leurrais pas. Les investissements de notre meute, ainsi que notre longévité, faisaient que nous vivions dans un confort bien installé. D'autres meutes n'étaient pas aussi riches, ou chanceuses sur ce plan-là. Certaines vivaient dans une pauvreté qui était de loin un problème dans une société inégalitaire comme la nôtre.
Je lançai un programme court avant de m'aventurer au rez-de-chaussée, là où je ma colocataire.
Notre pièce à vivre était ouverte, pas de murs particuliers hormis ceux qui donnaient sur le jardin. Les baies vitrées allaient du sol au plafond et laissaient rentrer la lumière et la chaleur. L'espace était divisé plus ou moins en trois parties. La salle à manger au fond, près des baies vitrées, le salon face au jardin, et la cuisine contre le mur opposé. Le bar immense qui divisait l'espace était dans un marbre très doux que j'adorais.
Ashanti, ma colocataire, commençait déjà à préparer des pancakes. Elle allait démarrer sa journée plus rapidement que moi puisqu'elle bossait en tant que vétérinaire dans une clinique réputée du coin. Ça aidait parfois d'avoir des sens plus aiguisés que les humains.
J'avais quelques années de plus que ma coloc, mais ça ne nous avait jamais empêchées de nous entendre, au contraire.
— Toi, tu dois avoir faim si tu es déjà debout,
Elle retourna quelques pancakes avant de retirer l'écouteur qui se trouvait dans son oreille droite. Elle déposa son sur une station. La musique se mit à résonner dans le reste de la pièce. Ashanti était déjà en tenue pour aller travailler, dans sa blouse bleu flashy. Elle avait quelques formes autour de ses hanches et de ses cuisses. Une silhouette qu'elle avait grâce à sa physionomie naturelle, mais aussi au sport qu'elle pratiquait régulièrement. Ses cheveux bruns étaient tressés sur le côté de sa tête, ses yeux légèrement en amande trahissaient son héritage du côté maternel de sa famille. Ashanti était la fille d'un des membres de notre meute.
— Je suis affamée, ronchonnai-je. Les filles ont tout donné hier, c'était incroyable comme show.
— J'en doute pas une seule seconde, vous faites des envieux sur la toile.
Elle me montra toutes les photos qui circulaient sur internet. Aucune ne s'intéressait à la représentation en elle-même, mais on y voyait le cabaret ou encore les backstages. Toutes étaient sur les réseaux sociaux et dégainaient leur Instagram plus vite que n'importe quoi d'autre. Dans le cabaret, certaines faisaient partie de la meute, d'autres étaient humaines. C'était un mixte qui nous permettait de rappeler que les deux espèces pouvaient cohabiter simplement.
— Les critiques sont toujours aussi incroyables, s'extasia Ashanti.
— Tous les shows sont déjà complets jusqu'à la fin de la semaine, ajoutai-je.
Beatriz, notre directrice artistique, disait que la vente s'était faite à une vitesse encore plus folle que l'année passée. J'étais très fière et heureuse de participer à cette aventure.
— Ça ne m'étonne pas, vous êtes des bombes,
Elle me tendit un bout de banane que j'avalai tout rond.
— Tu es encore de garde ce week-end ? m'enquis-je en mettant la table pour nous deux.
Ashanti bascula tous les pancakes dans une assiette avant de me rejoindre de l'autre côté du bar pour qu'on s'y installe. Elle me déposa un verre de jus d'orange, un bol de fruits fraîchement découpés, ainsi qu'un yaourt fait maison par ses soins. Quand elle n'était pas à la clinique vétérinaire, elle cuisinait ici, chez nous, tout ce qu'elle pouvait.
— Oui, après repos pour une semaine, soupira-t-elle. J'ai hâte. C'est la folie en ce moment.
— Pas de nouveaux débiles qui sont venus vous emmerder, n'est-ce pas ? m'inquiétai-je, une cuillère de fruits devant ma bouche, en suspens.
Ashanti soupira avant de hausser épaules.
— Je ne vais pas me battre contre ce genre de personnes, Elle. S'ils ont envie de faire les idiots, qu'ils le fassent. Nous serons toujours là pour protéger et soigner tous les animaux qu'on nous amène. Marshall a été clair là-dessus. Si une seule remarque est faite, nous dirigerons les personnes en question vers d'autres cliniques.
La semaine dernière, des mecs s'étaient pointés dans la clinique d'Ashanti avec leur chien blessé. Elle avait prodigué des soins à l'animal, jusqu'à ce que les deux humains se rendent compte qu'ils avaient affaire à une louve. Ils avaient commencé à faire un scandale et l'un des deux avait carrément poussé Ashanti. Marshall Dogmes, le directeur de la clinique, un humain très ouvert et qui connaissait Ashanti depuis longtemps, avait appelé la police et gentiment congédié les deux idiots. Néanmoins, je savais que ça avait troublé mon amie. Qu'elle y pensait encore maintenant. C'était une personne entière, qui n'aimait pas la violence. Heureusement que Marshall avait été clair avec son personnel sur la protection qu'il accordait.
Je savais aussi qu'Ashanti était accompagnée pour aller au travail maintenant, par l'un des membres de la meute. Notre Alpha ne laissait aucun d'entre nous sans surveillance.
— Hermès veut passer, d'ailleurs, grommela Ashanti. Je lui ai déjà dit que ce n'était pas nécessaire et qu'il n'allait pas se pointer dans tous les boulots de ses loups. Il a autre chose à faire.
Je pressai avec douceur l'épaule de mon amie. Hermès était proche de ses loups. Peu importait le rang de ces derniers. C'était une très vieille âme qui avait connu différents âges, différentes vies. Alors, pour lui, la sécurité des siens était primordiale.
— Si ça peut le rassurer, tu devrais le laisser faire.
grimaça.
— Quoi ? Tu ne veux pas qu'il passe pour une autre raison ? Marshall aurait enfin craqué ? m'exclamai-je.
Je haussai un sourcil suggestif. Ma coloc rougit immédiatement, puis éclata de rire malgré elle.
— Cet homme est si frustrant, Elle ! Je te jure que je vais lui écraser les couilles s'il continue à me faire tourner en bourrique.
J'avalai à moitié de travers avant de lever une main.
— Je veux participer ! m'écriai-je une fois ma gorge libérée de toute nourriture.
Ashanti secoua la tête. Marshall et elle se tournaient autour depuis des années. Pire que les feux de l'amour. Je savais qu'elle avait des sentiments profonds pour lui, mais avec tout ce qu'il se passait entre les loups et les humains, elle ne voulait pas porter préjudice à Marshall. Cet idiot partait du principe qu'étant plus vieux qu'elle, et du fait qu'il vivrait moins longtemps, il ne voulait pas qu'elle gâche sa vie avec lui. Bref, c'était compliqué. Comme pour tous les couples mixtes qui tentaient de survivre à la vague de haine qui parfois s'abattait sur notre espèce.
— Je plaisante, évidemment, marmonna-t-elle, un bout de pancake devant sa bouche.
— Roooh, soupirai-je, amusée.
Elle me fit un clin d'œil. Je posai ma main sur son poignet et plongeai mon regard dans le sien.
— Hermès ne serait pas contre.
— Ce n'est pas Hermès le problème, Elle . Si Marshall n'est pas prêt, alors il n'est pas prêt. Et puis, pour être honnête, je n'ai pas envie de me lancer pour l'instant. Avec qui que ce soit. Je grogne, mais quel temps aurais-je à accorder à une relation ? Je suis bien ici, avec toi. Mon boulot me plaît. Et j'ai tout le loisir de cuisiner, de profiter de la vie. C'est assez, tu sais ?
Je déglutis, soudain émue par son discours. Nous n'avions pas beaucoup de temps pour discuter en ce moment, avec mes horaires décalés et ses gardes. Je me tournai sur le siège du bar et ouvris les bras. Elle m'enlaça avec douceur et pressa son nez juste derrière mon oreille, presque contre mon cou. Un salut qu'on pouvait avoir sous notre forme humaine et notre forme animale. Un salut discret qui a une époque avait été utilisé à la barbe des humains pour qu'on se reconnaisse entre nous.
— Tu veux qu'on se fasse une journée Spa bientôt ? minauda Ashanti contre mon cou.
— Le week-end prochain ? proposai-je immédiatement.
Elle se redressa et caressa ma joue.
— Le week-end prochain, acquiesça-t-elle.
On termina notre petit déjeuner en se racontant nos bêtises habituelles. Cette femme était une constante dans ma vie que j'aimais profondément. Elle m'avait donné un espace pour vivre, un espace pour réussir à construire des routines saines. Elle m'avait appris à dire ce que je voulais, quand je le voulais. Et non pas quand on me l'imposait. Elle avait beau être légèrement plus jeune que moi, elle était incroyablement mature.
Je poussai Ashanti à filer lorsqu'elle commença à vouloir tout ranger. C'était à mon tour de faire le ménage, de toute façon. Une fois la porte refermée derrière elle, mon sourire se flétrit un peu. Quand Ashanti quitterait notre colocation, je ne savais pas trop ce que je ferais. Nous vivions ensemble depuis plus de cinq ans maintenant. Ma vie me plaisait, nos habitudes aussi. La routine était quelque chose que j'aimais et que je chérissais.
Vivre ici, à Los Angeles, dans ma meute de naissance.
Avec des loups qui me comprenaient, qui me protégeaient. C'était tout ce dont j'avais besoin. C'était ma famille.
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