Le Touriste - 2/4


Le loup-garou désigné par Maria se leva à son tour et commença la formulation des doléances de sa meute. Quelques minutes plus tard, Maurice, déserté par son adrénaline, luttait contre le sommeil lorsqu'un loup-garou affolé entra dans la pièce en courant. La totalité des alphas se retournèrent vers lui en grognant. Paniqué au-delà de la raison, l'intrus les ignora et se précipita littéralement dans les bras d'Henri de Navarre auquel il expliqua, avec force détail, que les gardes devenaient fous. Ce dernier, visiblement inquiet, fit répéter deux fois l'histoire à son homme. Évidemment, toute la salle entendit aussi. Il était question de trois loups-garous ayant des comportements erratiques. Deux s'étaient en effet jetés des plus hautes fenêtres du château. Évidemment, ils avaient parfaitement encaissé la chute mais erraient maintenant dans les jardins, hagards et malheureux comme les pierres. Un troisième garou venait de percuter plusieurs fois, tête la première, un linteau de pierre. Le linteau avait fini par céder et le loup-garou s'était effondré en larme et rien ne semblait pouvoir le consoler.

Quelques rires étouffés raisonnèrent autour de la table. Henri de Navarre renvoya son loup avec l'ordre de garder en sécurité les trois loups-garous tristes le temps que la session finisse. Maria redonna la parole à la meute qui avait été interrompue. Cependant, l'intervention du loup-garou avait causé une augmentation de la tension globale dans la pièce et Maria coupa rapidement court à la séance d'aujourd'hui, toutes les meutes présentes ayant pu exprimer leurs doléances. Henri de Navarre prit ensuite la parole pour demander qui restait dormir au château. Seul Maurice accepta l'hospitalité de la meute de la Loire. Ce n'était pas vraiment surprenant, trop de loups-garous très dominants au même endroit causait rapidement des problèmes et les alphas avaient donc pris leur disposition pour réserver des hébergements indépendants. Maurice n'étant pas un alpha, une nuit dans un château lui convenait parfaitement, de plus, il pensait y être tranquille puisque tous les autres logeaient ailleurs.

Une fois la pièce vidée des invités, Maurice s'approcha prudemment d'Henri, la tête légèrement baissée, gorge offerte.

« Henri, as-tu besoin d'aide pour tes soucis domestiques ? Je sais qu'en général lors des assemblées, les lieutenants restent auprès de la meute pour veiller sur eux et que seuls quelques loups-garous bien entraînés sont présents sur les lieux du sommet pour assurer la sécurité. J'me suis dit que tu apprécierais l'aide d'un lieutenant expérimenté... À moins que tu aies peur que je te trahisse toi aussi. »

Malgré son inquiétude, Henri sourit à Maurice et lui posa une main amicale sur l'épaule.

« J'accepte ton aide avec plaisir, lieutenant. »

Henri se tourna vers Maria et l'autre oméga qui l'avait rejoint.


« Maria, Armand, vous êtes libres de vous joindre à nous pour que nous réglions... ce souci d'intendance.

— Je vous offre mon aide, répondit Armand.

— Pour ma part, je vais rejoindre ma chambre, la journée m'a épuisée, souffla Maria. »

Henri hocha la tête, acceptant les décisions des deux loups-garous. Il demanda aux deux hommes de le suivre, laissant Maria rejoindre ses appartements par ses propres moyens.

Le petit groupe se dirigea tout d'abord vers les jardins. Dès que Maurice eut posé un pied dehors il prit une grande inspiration, ses épaules se détendirent. Il fourra ses mains dans ses poches et 30 secondes plus tard, il allumait une cigarette qu'il avait tant attendue.

Armand lui jeta un regard dégoûté et murmura :

« Quelle détestable habitude... »

Maurice haussa les épaules, inutile de chercher des ennuis à un oméga. Il tourna son attention vers Henri.

« Combien as-tu d'hommes présents ici pour assurer la sécurité ?

— Huit soldats et les deux omégas. »

Maurice hocha la tête, pensif. Huit soldats, c'était vraiment peu, mais les deux omégas, s'ils maîtrisaient leurs capacités, étaient tout à fait capable de contenir tous les éventuels problèmes pouvant venir des alphas.

Deux omégas dans la même meute, c'était du jamais vu. Cela plaçait Henri de Navarre dans une position de pouvoir insupportable pour les autres meutes. Mais, si Maurice avait bien compris les non-dits, l'oméga mâle, Armand, était issu de la meute de la Forêt Noire. Peut-être était-il seulement accueilli de manière transitoire par la Loire.

Au pied d'un arbre gigantesque se trouvait un petit groupe de cinq hommes. Deux d'entre eux étaient assis par terre, bras autour de leurs genoux, leurs épaules agitées par des sanglots. Maurice leva des sourcils surpris. Il avait déjà vu des loups-garous dans cet état, mais ils venaient de perdre leur compagnon et Henri n'aurait jamais amené des garous en deuil pour assurer la sécurité d'une rencontre de cette importance. Les trois autres garous qui se trouvaient avec eux essayaient de les consoler, apparemment sans le moindre succès. Maurice ralentit son approche de manière à ce que l'oméga se trouve devant lui. La plupart des loups-garous étaient territoriaux et dans cet état de nerfs leur réaction pouvait être violente et imprévisible. Mieux valait que l'oméga soit devant, puisque lui serait probablement capable de les contenir.

Lorsque l'alpha s'accroupit près de ses soldats éplorés, ses derniers se jetèrent dans ses bras, manquant de le renverser, et se mirent à hoqueter des paroles incompréhensibles pour Maurice. Henri ne se démonta pas et durant de longues minutes il leur murmura des paroles apaisantes en leur tapotant le dos. Finalement il se tourna vers Armand et lui chuchota

« Armand, peux-tu endormir celui-ci s'il te plaît ? »

L'oméga acquiesça et vint s'accroupir pour se mettre au niveau d'un grand gaillard au visage rougit et luisant de larmes. Leurs regards se croisèrent et moins de deux respirations plus tard, le soldat dormait profondément.

Henri de son côté s'était concentré sur l'autre garou. Il avait probablement choisi celui-ci car il semblait capable de parler de manière presque cohérente. Au bout de quelques minutes il fit à nouveau signe à Armand qui endormit également ce loup-garou.

L'alpha de la Loire se redressa, l'air circonspect.

« Ils semblent dire qu'ils se sentent indigne du château. Ils l'ont profané et auraient dû mourir de leur infamie. Malheureusement, ils ont ensuite commis l'affront de survivre à leur chute. Incapables de mourir et indignes d'exister, ils sont désespérés... Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui pourrait leur faire ça ? Ils sont vraiment très perturbés. De la drogue ? Un sort ? »

Maurice haussa les épaules, il se sentait totalement désemparé. En plusieurs siècles d'existence, il n'avait jamais vu ça. Armand regardait au loin, perdu dans son monde.

« Peut-être pourrions-nous rendre visite à celui qui a cassé un linteau ? proposa Maurice.

— Ah oui, évidemment. Je n'y pensais plus. Michel ? Peux-tu nous amener à lui ? »

Le dénommé Michel inclina la tête et entraîna le groupe à sa suite dans les étages du château. Les quatre loups-garous, rejoignirent un petit groupe de trois hommes. Un rapide calcul apprit à Maurice qu'il venait de croiser l'intégralité du système de défense d'Henri. Léger, quand même.

Là, au milieu des ruines du linteau qui recouvraient le fond d'un couloir, un garou pleurait bruyamment. Ses deux compagnons accueillirent leur alpha avec espoir. Henri s'installa près de son homme éploré et le prit dans ses bras. Les sanglots redoublèrent d'intensité et de volume. Un peu mal à l'aise, Maurice resta en retrait, se balançant d'un pied sur l'autre. Il observait le passage, un peu perplexe. Le linteau de pierre était bas et encadrait l'accès vers ce qui avait dû être des toilettes, il y a quelques siècles. Pourquoi est-ce que l'homme d'Henri avait voulu rejoindre cet endroit ? Pourquoi avait-il tapé sur ce linteau jusqu'à pouvoir passer sans se baisser ? Rien de tout ça n'avait de sens.

Après quelques minutes, Henri fit signe à Armand de prendre en charge le loup-garou dépressif. Une fois ce dernier endormi il envoya trois de ses hommes ramener les victimes endormies à la maison de la meute, et organisa une ronde dans les jardins avec les deux soldats restants.
Une fois seul avec ses enquêteurs adjoints, Henri les interrogea du regard. Maurice haussa les épaules. Armand ne réagit pas, il regardait fixement le plafond depuis déjà quelques minutes.

Henri lui secoua légèrement l'épaule.

« Fantôme, répondit Armand d'une voix très douce.

— Pardon ?

— Votre problème, c'est un fantôme. »

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