Chap XIV : Ce Qui Donne La Force De Continuer I (1/2)

Je fais en sorte de m'adresser à tous les titulaires sans exceptions qui gangrènent son corps.

— On dit souvent qu'il est normal d'avoir peur, n'est-ce pas ? Mais qu'est-ce que ces gens en savent réellement ? Ils ne sont pas à ma place, c'est ce que tu te dis, pas vrai ? Ils ne savent ce que ça fait d'avoir mal... d'être torturé, blessé, abandonné, exclu... eux, ils ont confiance en leur personne... il leur suffit de lever le bras et le courage les emporte... comment résister lorsque votre propre esprit que vous devez faire quelque chose, mais que votre corps ne répond pas à cet élan ? Que devenez-vous ? C'est là que je découvre une vérité que je voulais toujours taire : je suis faible, je suis vraiment une vermine dans ce monde. Les forts, eux, gagnent toujours. Nous, les faibles, nous devons nous affaisser et idolâtrer la face de ceux qui attirent gloires et bénédictions, juste en arborant un sourire.

Je pose ma main sur la poitrine de l'e-motio de la peur. Ce dernier grince des dents et je perçois un grognement.

— Et bien laisse-moi te dire une bonne chose. C'est vrai, oui. T'es vraiment la merde qu'ils décrivent, on n'va pas se le cacher. Mais cela ne te fout pas les boules de te savoir être né et d'avoir grandi pour ressembler à ce que tu n'avais jamais souhaité ressembler ? À quoi joues-tu ? Sais-tu au moins combien de temps, il te reste à vivre ? Tu veux mourir ? Très bien ! Tu veux changer de corps et de vie ? Très bien ! Mais avant de tenter de quitter ce monde, prouve-toi que tu peux être tout ce que tu rêves d'être ! Sois ton propre héros, car l'autre ne viendra pas sans cesse te sortir de ton trou. Personne ne viendra s'inquiéter. Et oui, c'est cela, le monde cruel dans lequel tu vis...

J'applique une pression sur son sternum, en essayant de toucher le cœur même du canal d'émotion, s'effritant peu à peu.

— Tu as peur ? Parfait ! Maintenant, dis-moi, tu crois que tu peux crever sans avoir mangé une dernière tarte ? Tu crois te permettre de t'en aller sans avoir pu obtenir cette voiture qui te faisait rêver depuis des années ? Tu crois que tu peux partir sans avoir au moins pu prendre ce foutu avion que tu espérais prendre un jour ? Si le jeu dans lequel tu te trouves ne te plait pas, change les règles. Dis-toi qu'à partir de maintenant, c'est toi qui prendra la part de tarte. Tu veux que quelqu'un te tienne la main ? Va chercher cette personne et arrête de penser qu'il est inaccessible.

« Tu as décidé d'en finir, non ? Eh bien, va au moins achever le rêve en serrant sa main, en lui demandant cette affection que tu désirais tant. Et s'il refuse ? Mais tu insistes. C'est trop dur pour toi ? Oui. Mais ce sera les plus belle seconde de ton changement. Tu veux réussir. Couche tes idées sur le papier et bouge à la seconde avec tout ce que tu possèdes. On te martyrise où tu te trouves ? Serre les dents et traverse le feu, car c'est le dernier jour. Cet épilogue où tu dois partir, n'est-ce pas ? »

Soudain, j'entends une voix provenant du canal que je crois reconnaître : Emy. Sa peur s'est amplifiée et elle n'a toujours rien fait pour répondre à la douleur.

— Mais moi, j'n'ai pas envie de mourir. J'ai peur de mourir.

C'est elle. Il n'y a aucun doute. Elle a la vue qui se brouille. Je l'entends continuer :

— Je... J'ai tout essayé, Alpha. Tout... mais, j'ai raté certaines répétitions, j'ai lu mon texte en retard... tous les autres ont l'air tellement sûrs d'eux... et moi, je suis... Non, Alpha... je ne peux pas... J'ai peur... Tu ne les a pas vus comme moi. Ils sont des milliers. Je ne vais pas y arriver, non... Je vais me ridiculiser à vie...

——————La-peur——————

Elle restreint le corps et laisse la mémoire jouer en boucle des scènes vouées à défendre l'intégrité physique du titulaire. Elle joue sa mélodie, lors d'événements comme celui-ci. Son élément déclencheur : l'inconnu. Tant qu'elle ruminera sans cesse, dans son esprit, ces souvenirs lui portant un complexe d'infériorité, elle restera dans cette position.

À croire que la peur dans sa définition la plus limpide se rapporte à cette immuable destinée : la mort.

Je reprends assurance. Cela fonctionne tout de même. Elle me parle, c'est déjà l'essentiel.

— Alors, nais de nouveau... décide d'être meilleur. Quitte ce coin de déchets, prends assurance que maintenant... Emy... le pas que tu t'apprêtes à réaliser est le premier. Tu n'es pas surveiller, car c'est toi qui décide... Si tu peux t'effondrer, c'est que tu es capable de vaincre aussi...
— Mais j'ai peur de tout cela. Moi, je n'ai pas de frère, j'ai des tas de problèmes. La famille se brise. Il faut réussir où c'est la fin.

Cette voix est celle d'un adolescent. Le canal me répond sans que j'aie à m'y connecter. Une autre voix se fait entendre, celle d'une jeune femme en sanglots :

— Qu'est-ce que je fais-moi s'il me tape ? Il revient tous les soirs, me reluque, me frappe... je vis un enfer, que dois-je faire ?

Cela se suit d'une autre plainte, cette fois d'un petit garçon :

— Nous sommes sous les balles. Tout le monde tremble. Ils arrivent avec des armes, ils vont nous retrouver. Les bombes vont encore faire tomber le toit de cette nouvelle maison.

Je prends le temps d'écouter en un éclair ces questions, ces réclamations, ces cris du cœur. Je ne connais pas ce sentiment qui m'étreint. Comme si j'ai toujours eu une connexion avec tous ces titulaires — Si nombreux et si déchirés — la peur, déesse de l'horreur.

— Alors faites un geste... un seul... chaque jour... tentez le petit effort... qui fera toute la différence... la seconde d'après, un petit mot... la minute d'après, un geste... l'heure d'après, sauter... le jour d'après,... vivez encore...

Je réponds avec une telle lenteur, comme si je voudrai ancrer cela dans mon propre esprit. Je ne sais pas quoi leur dire... et pourtant, mes lèvres bougent d'elle-même, comme inspirées.

— Tu ne veux pas souffrir ? Alors tends la main et fais ce premier pas. Sauve-toi... et à l'instant, tu pourras rire de tout ton cœur.

Je ne sais combien de temps s'est écoulé depuis que j'ai prononcé ces dernières paroles. Toujours est-il que je reviens à moi. Je distingue à temps, l'arme en cercle de pleine lune.

J'ai juste le réflexe adéquat pour l'éviter de la tête. Ils ont réussi à s'adapter à la douleur des capsules. Je pivote du pied droit, observant au passage l'e-motio, continuant sa marche comme si jamais nous ne nous étions rencontrés.

Je cours en forçant sur mes jambes. La neige est difficilement praticable. Je dois faire appel à deux fois plus d'énergie que lors d'une course sur un terrain plat. Je les entends se donner la peine de suivre mon rythme. Je sais qu'ils n'ont plus de flèches pour leurs arbalètes. Ils ont dû user de leurs munitions face aux dévoreurs de l'antre.

Je respire en laissant s'échapper de la fumée blanche. Cela me rappelle que je ne tiendrai pas longtemps avec toutes mes blessures apparentes. J'essaie encore de lever ma main pour atteindre l'arc — peine perdue — Je devrai me contenter du corps-à-corps.

J'ai mal partout. J'ai les poumons en feu. J'ai une difficulté à réfléchir clairement sur ma situation et mes prochaines actions. Cette sensation désagréable qui nous rend irascible, au bord des larmes. On ne veut plus de sentir ainsi.

Sur mon passage, je distingue des cadavres d'e-motios, morts avant même d'atteindre le trou. Une flèche noire en bois, dois-je remarquer. Mieux encore, elles sont accompagnées de lances en fer d'où des symboles en langues communes d'Haemmer trahissent de leur origine. Plus loin, j'aperçois deux ou trois e-motios, marchant à la même cadence que l'e-motio de la peur. Leur existence leur paraît pavée de souffrances et de manipulations qu'ils n'envisagent que cette seule perspective. Que leur sombre désir est fort. Au point de tout abandonner pour mourir.

Je me concentre sur mon champ de vision. De la neige, à perte de vue. Tandis que je m'approche de ce qui me paraît être relativement haut, je m'arrête presque tremblante en contrôlant mon corps afin de ne pas m'incliner davantage. Je suis sur une falaise, haute de plusieurs mètres, à mon avis. À juste bien considérer le fond blanc au loin, la chute doit être mémorable.

Je me retourne, certaine de toute manière que je n'en réchapperais pas. Ils sont au moins sept à avoir survécu — la belle affaire.

Je redresse la tête et essaie de ne pas perdre la maîtrise de mes moyens. Je constate que les deux masqués ont survécu. Je crois bien que j'en ai pour mon compte. Dans une autre vie, j'espère ne pas tomber sur une secte prête à fournir le plus d'assassins possibles pour une seule personne. Carrément, tous les fuir comme ma peste.

— Aventurière ! s'écrie leur meneur, ceci conclu ton parcourt. Tu as assez souffert. Pour nous avoir bien fait morfler, je veux bien te donner mon nom... ainsi...

Il se tourne vers ses compagnons prêts à s'élancer vers moi, puis il revient à son point de départ pour me fixer, le regard assassin.

— ...tu mourras avec honneur...

Je soupire, laissant s'échapper une nouvelle couche. Je fais défiler mes iris, pour compter les armes en leur possession : deux lames en cercle entre les mains pour quatre d'entre eux ; un possédant une chaîne en fer avec au bout une hache bien plongée, dans la neige. Les deux derniers portent chacun un outil différent. Le meneur utilise une arbalète avec les symboles de l'interdit. Cela signifie qu'il est doué d'un certain charme. Son acolyte possède une nouvelle arme tel un serpent. Je remarque aussi des fines dagues disséminées dans les poches de leurs pantalons.

— Voici Guelta, il vient de Sylba, à Prisma. Pennet vient d'un bateau pirate. Il a perdu sa famille, lors de l'escarmouche entre les deux grandes puissances. Je ne te le fais pas dire, c'est un dur à cuir, maintenant. Susla, mon partenaire de choc à la marche. Il espère sauver sa sœur d'une terrible maladie. J'espère qu'il aura la chance d'y arriver. Devario, tueur à gage... il aime une jeune danseuse de Carthage, mais n'arrive pas à le lui dire. Le pauvre...

Le concerné se tourne vers son général en boudant presque.

— ...Minos, tu dois le connaître... un jour, il réalisera de grandes choses. Des choses qui changeront la face de Lodart et du monde entier. Et enfin, moi...

Il marque une courte pause comme cherchant ses mots.

— Je m'appelle Teths... et toi... quel est ton nom, aventurière ?

Je le regarde une minute sentant le froid glacial nous frôlant. Le ciel dégagé, offre un soleil à son zénith réchauffant toute la plaine et tout ce beau monde. Un seul mot me traverse l'esprit :

— Approchez ! dis-je, d'un ton si réservé que je me demande si cela s'est fait entendre.
— Tuez-la, lance leur chef.

Je pivote à nouveau. Un dernier effort, un saut dans le vide en me retournant pour contempler les ennemis se ruer sur la falaise, hésitant à sauter à leur tour. Je place mes deux mains en croix pour protéger mon visage de leurs lames. En plus des flèches, ses soldats sont des très bons lanceurs.

Je détaille leur main levée, prêt à me viser de leur métal. Curieusement, je préfère cette fin qu'à une autre. Je ne peux malheureusement pas me soustraire à assister à ce lancé, le temps semblant s'être arrêté.

Avant même que je ne touche le sol, comme dans un instant figé sans un son perceptible, je distingue une longue patte poilue, tranchant ses soldats de manière spectaculaire.

J'atterri dans la neige, saine et sauve. Une suite de croisement d'acier me parvient. Un tintamarre des plus stridents me fait comprendre l'intervention d'un tiers personnage. J'entends une déflagration. De la neige est éjectée dans toutes les directions alors que des hommes dégringolent de la falaise en poussant des cris.

Je me lève et recule, le corps encore en état de se dégager du champ de bataille. Soudain, je tombe sur une grosse bête, hurlant sans cesse sur les autres membres, cherchant à l'abattre. Je distingue des lumières rouges et violettes serpentant son corps comme un dévoreur. Je finis par me connecter à son canal sans même l'avoir désiré.

Je vois Émy qui s'avance vers le milieu d'une scène. Elle est face à des milliers de personnes de son établissement, parents et élèves confondus. Elle n'arrive pas à contenir son stress. Elle s'efforce comme je l'ai conseillé. Subitement, je l'entends se répéter les paroles que j'avais prononcé au travers de l'e-motio : Allez, Émy ! Une action après l'autre... un mouvement pour un sourire.

Je l'entends prendre une inspiration avant de sortir ses premières paroles.

J'ai comme des papillons dans le ventre. Comme si ce moment est aussi unique pour moi. Et sans prendre conscience à la minute de mon regard hébété, je lâche une suite de mots qui résonne trois fois en moi :

— Tu as grandi, petite chose !

À la seconde même, trois hommes se détaille au-dessus de la créature. Elle se défend avec ardeur, les empêchant de la maîtriser. Je décide de ne pas rester là et de m'en aller. Je ne m'inquiète pas pour l'e-motio. Il saura s'en sortir — enfin — ce ne sont plus mes affaires.

— Ce ne sont plus mes affaires, répété-je, dans un murmure que seule ma conscience et moi ressentons l'importance des mots générés.

« Non, mais... tu t'entends parler ? Tu t'es introduite dans cette forêt en te disant protectrice des e-motios et pouvant les remettre sur le droit chemin. Tu t'es donnée tout le mal du monde pour gagner la confiance de certains d'entre eux. Tu es au bord du gouffre, tu déblatère des propos enjoué, plein d'espoir, de courage... alors que tu n'en crois pas un mot... »

Sans crier gare, je percute une pierre dissimulée sous la fine couche blanche et ne tarde pas à m'y effondrer. Je me reprends dans la minute. Le corps las, des blessures me susurrant un besoin pressant d'être prise en compte. J'ai un mal de crâne bestial. Je me lève avec peine, essayant de récupérer le plus possible d'air. Soudain, je pense à la mort et à la possible éventualité que je ne puisse tous les abattre.

Ma tête sera certainement acheminée auprès de leur haute sphère. Mon professeur va vite apprendre la nouvelle. Les archanges, les connaissant vont traquer le criminel quelques années plus tard, ne voulant pas se mêler trop vite des affaires hors de leur mur, comme à leur habitude.

Et Adlann ? Que va-t-il en penser ? Que va-t-il faire ?

— Mes émotions... mes états d'âmes... mes blessures... mes convictions... mes habitudes...

Tout en prononçant ses paroles qui provoquent en moi une montée de colère, je force sur mon bras afin d'atteindre mon arc faisant fi de l'incommensurable douleur de bras droit jusqu'à mon omoplate sévèrement touché. Je redresse à chaque mot soufflé mon bras. Je sens déjà le bout du fer prêt à déferler toute ma rage.

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