Chap XIII : Bordos II (2/3)

— Y a-t-il une recrudescence du nombre d'e-motio ? demandé-je.
— Il y a sans conteste, une chute vertigineuse de cas de rencontre d'e-motio... seulement... Une autre sorte de créature vit dans cette partie de la forêt... Nous allons échanger une bagarre de récré avec les e-motios dévoreurs lambda afin de faire place aux e-motios dévoreurs évolués...

Évolué ? Oui, je me souviens en avoir lu, lors de ma documentation sur le cas de la forêt. Les explorateurs tels Asile ont laissé brièvement des textes sur le sujet.

Ce doit être l'identité de l'inconnu. Il tisse sa toile. Je me souviens qu'il s'était exprimé en « nous ». Ils sont plusieurs. Une gigantesque toile. Devrais-je finalement craindre pour ma vie ? Et si tout ceci ne servait qu'à nous appâter, moi, y compris ? Allaient-ils réellement en laisser un survivre ?

Je me sens porté par les indications de l'e-motio. Je l'entends me murmurer de leur demander de détailler leurs aptitudes au combat. Serait-il dans les environs ?

— Le mieux serait que tu nous montres comment faire, suggère Eskiell.
— Très bien...

Mon tour terminé, Je laisse les autres se dévoiler et lève ma face en direction du ciel. Ce que j'y vois me fige sur place. L'e-motio de la dernière fois nous survole, avec à présent, des pieds humains. Il me fixe de son aspect terne, sans sourire. Au-dessus de sa position, une bande jaune traverse le ciel en ligne droite et un fil transparent descend jusqu'au pied de l'animal et s'y noue. C'est ainsi qu'il se maintient à bonne distance de nous.

L'e-motio me fait signe de la main qu'il ne me faut pas réagir.

— Je... Je suis ici... pour devenir riche...

Cette phrase me ramène sur les yeux de l'aventurier qui me vise avec ferveur.

— J'avais cru... c'était ça, le deal... tu devais nous mener à une réserve de pierres précieuses...
— Et nous y arriverons, ne te fais pas de souci pour cela... réponds-je.

L'imbécile ! Tout le monde y a finalement droit, sauf...

— C'est à toi, Alpha ! soufflé-je.

Cette partie, curiosité m'emporte :

— Je suis Alpha Esta Deviris...

Deviris ? C'est le nom attribué à la caste des conquérants sous les ordres des archanges. Ces parents doivent être de fervents admirateurs de la cité imprenable.

— Je suis aventurière... cela va faire cinq ans... Je n'ai aucune expérience sur le terrain, en dehors des enseignements que j'ai reçus...

Cela me bloque tel un violent mal de tête.

— T'es sérieuse ? s'étonne Eskiell.
— Pas d'expérience... ! prononce Selfor à son tour.

Et moi qui la prenais pour une experte. Je crains qu'elle puisse me réserver quelques surprises, lors de nos prochaines marches.

— Continue, je te prie... lui sommé-je.

Je suis ses explications attentivement. Nsenga finit par intervenir dès qu'elle se penche sur l'e-motio colossal.

— Vous voulez parler de l'e-motio de l'espoir ? interrompé-je la discussion. Ne vous faîtes pas d'illusions... C'est une simple légende... Pourquoi chercher l'e-motio de la flamme d'Atlanta... Tes jours sont comptés ?

— Je regrette... Je ne peux pas répondre à cette question...
— Oh allez, rétorque Eskiell, en fronçant les sourcils. C'n'est pas la fin du...
— Le prochain qui me pose cette question le payera sans attendre.

Cela ne répond pas à toutes mes questions. Aurait-elle choisi de nous cacher ses autres aptitudes ?

— Bien ! lancé-je, en levant la face... Que ceux qui veulent abandonner, lève la main.

Très bien, cela a le mérite d'être clair. Personne ne répond.

— ... Je vous le demande... ceux qui pensent qu'ils peuvent tenter leur expérience une prochaine fois, c'est maintenant... alors ?

Une attente sèche me rappelle la présence de l'e-motio au-dessus de nos têtes.

— Je reste... déclare Selfor.
— Vous connaissez ma réponse, lance Eskiell.
— J'y suis, j'y reste... Je dois encore vous aider, se prononce Nsenga.

Tiens ! La grande guerrière n'a encore rien dit.

— Alpha ? prononcé-je, avec douceur.
— Je suis venue seule... Je sais ce qui m'attend.

Rapide et un tantinet insolent.

— Dans ce cas... prenez vos restes... La marche sera longue... Nous allons pénétrer plus profondément dans la Toile.

Cet ordre me produit l'effet d'un gloussement étriqué. Ils vont droit vers leur mort et pourtant, je tente de les mettre en garde.

Je me demande bien de quelle manière l'assaut se réalisera. Je sais qu'ils nous surveillent. Habituellement, c'est moi qui épie mes cibles et cela à leur insu. Je suis presque dégoûté. L'impression d'être le berger qui mène ses brebis à l'abattoir. Tout en étant soi-même, une de ces probables bêtes crédules.

Je ne peux que m'étonner de la maîtrise de ces créatures dans le domaine de la furtivité. Aucune présence perceptible. Pas même un souffle émanant des arbres nous entourant.

Ah, non ! J'en aperçois un, reclus sous une feuille. Des orbites en pointe, un museau à peine visible, caché parmi les buissons à huit mètres. Nul temps de m'exclamer qu'à mon battement de cil, il n'est plus là.

Les e-motios sont des êtres dotés de capacité furtive, d'après mes connaissances. Je ne veux pas les presser, mais le fait de voir la face de celui-là ne m'a plu guère. Je suis à peu près sûr que le sens de l'honneur doit posséder une moindre connotation à ses oreilles. En a-t-il ? Oui, deux pavillons pointus, si ma mémoire ne me joue pas des tours.

— Ne les effrayez pas... prévient le guide. Ce sont les spectres des décédés. Ils errent à travers la Toile cherchant une âme pouvant les nourrir. Ils sont silencieux dans certaines zones de la forêt.

À ce moment, je remarque des espèces de spectre, en effet. On dirait des toiles d'araignée accumulées, destinées à la formation d'un corps étrange. Leur visage est d'une paire d'orbite vide et coulant presque comme de la cire, sous l'effet d'une vive chaleur. La bouche se dilate bien plus encore, offrant un spectacle de poupée macabre et hideux. D'autres sont presque squelettiques, leurs iris d'un rond blanc sont noircis au bord.

Plus loin, nous nous retrouvons devant une vingtaine de corps. Cela confirme les détails des textes dans les livres d'exploration : « ceux dont les âmes ont été arrachés par la rage et les griffes », page deux cents soixante-sept, récit du voyage de Bennet Felch. Nous ne sommes pas les premiers à nous aventurer ici. Les armures qu'arborent ces carcasses ne sont pas celles des soldats d'Haemmer. Encore moins celles des royaumes à travers Lodart. Il m'est difficile de distinguer les symboles dessus. La rouille et la mousse proliférant sur leur reste, rendent illisibles les traces du passé.

— Ça, c'était pas prévu... lâché-je, en ne prêtant attention qu'aux armures.

L'idée d'en ramener une dans mon royaume me turlupine, un instant.

— Tout ça... Tout ça, c'est ta faute...

L'aventurier me serre de ses mains.

— Tout ça, c'est toi, hein ? vocifère-t-il.
— Calme-toi, voyons... m'énervé-je, tout en essayant de le repousser.
— C'est toi qui nous a conduit dans ce trou où t'as sûrement prévu de nous y laisser crever, pas vrai ?
— Arrêtes... pauvre fou... Tu m'étouffe...
— Tu sais de quoi je parle, n'est-ce pas ? C'est toi... toi et ton misérable prêtre qui avez préparé ce coup en nous menant ici... Allez, réponds !

Je me rends compte, à présent, du pourquoi de son délire. Le produit vient de faire effet. Je suis impressionné par le degré d'efficacité. J'ai bien envie d'esquisser un sourire, mais cet audace ne renforcerait que ses soupçons mal fondés et donnerait des idées aux autres.

Mon vieil ami intervient et échange un coup bref avec mon assaillant. Je ressens un relâchement et en profite pour me dégager. L'aventurier est sur une racine, agenouillé et toussotant.

— Mais... mais tu es malade... m'écrié-je, en tâtant mon cou. Tu as failli me tuer... pour des suppositions idiotes ?! Tiens-tu tant que cela à voyager seul ?

Une envie d'abattre Eskiell me vient à l'esprit, mais ce serait stupide vu qu'un autre le fera à ma place.

— Si tu changes d'avis maintenant, je pourrais te pardonner ta stupidité et te laisser prendre ta route. Par contre, si tu décides de continuer ta route avec nous... je te jure que la prochaine fois que tu douteras à nouveau de moi, je te briserai la nuque avec plaisir...

Une suite incongrue d'échange me déplaisant s'insurge. Alpha va jusqu'à obliger le déséquilibré à se taire.

— Quoiqu'il en soit... Examinons la situation... Il est possible qu'en avançant, nous tombions sur un danger plus tétanisant que ces quelques os...

Alors que je réfléchis encore à un moyen de repasser par ce chemin, ultérieurement, afin de récupérer un souvenir, la jeune fille s'avance d'un pas sur les feuilles mortes qui jonchent le sol. Leur rougeur me fait pâlir une seconde. C'est presque comme si tout le sang qui se trouvait dans le corps de ses guerriers s'était déversé sur ces feuilles.

L'e-motio qui se trouve au centre continue de nous fixer. C'est là que je comprends qu'il attire d'une certaine manière l'aventurière. Nous sommes comme bloqués, au niveau de nos pieds, refusant de se détacher de leur point.

Alpha s'avance. Elle place un pas devant l'autre, sans poser un regard au sol, hypnotisée par la créature. Soudain, un frisson me traverse. Des sortes de lame, propre à la bête, barre la route à Alpha. Ces défenses se rapprochent vivement d'elle, alors qu'elle place un unième pas.

C'est le déclic. Nous sautons de nos positions et fonçons vers elle. Je suis aidée d'Eskiell avec qui nous empoignons la brave demoiselle. Nous appuyons sur nos jambes afin de tenir sur les feuilles et filons aussi vite que nous le pouvons. Nous ne sommes heureusement pas suivis par ses lames. Nous nous échouons sur les racines. Je me presse de donner quelques petites tapes à ses joues presque pâles.

Je commence à prononcer son nom en haussant le ton progressivement, inquiet — aucun effet ! Qu'elle est froide ! — J'en suis fiévreusement saisi. Ses cheveux bruns, dont une mèche blanche se distingue sur son crâne, m'incite à imaginer le fait que nous l'avons perdue. Sa respiration se veut moins régulière.

— Alpha !

Elle ouvre subitement ses yeux bleus azur. Je souffle immédiatement. Elle est vivante. Il n'est pas dans mes habitudes de m'occuper de mes coéquipiers, à ce point.

— C'était moins une, petite... pointillé-je, en lui laissant de l'espace.
— Bon sang ! Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ? demande Eskiell.
— Que... s'est-il passé ?
— Tu as essayé de t'approcher de la créature. Tu as marché sur le tas de feuilles sans crainte, jusqu'à ce que la bête ait pointé des sortes de lames sur toi. Nous avons immédiatement réagi... Et ...

Elle se redresse jusqu'au niveau du buste et fixe l'animal au loin. Je me surprends moi-même d'avoir transpirer.

— La Toile est en branle. Il nous faut continuer...

Ses mots déclarés me titillent. Se réfère-t-elle à l'embuscade ? Aurait-elle aperçu un des e-motios, nous surveillant ? Ne serait-ce pas plutôt cet e-motio qui le lui aurait soufflé, par hasard ? Une intuition ? Quoiqu'il en soit, je ne me dois pas de faire attendre l'e-motio.                            

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