Chap XII : Les Agents De La Fin

Des pas écrasent les fines herbes de la forêt d'Eden. Une tête cagoulée lève les yeux vers le paysage coloré de la forêt noire du district de l'antre de la honte.

L'individu vêtu de noir observe attentivement un essaim de lucioles, illuminant leur chemin, à leur droite. Un de ses semblables se rapproche doucement de sa position.

- Je n'ai jamais aimé la lumière... ni ses bestioles, déclare-t-il, en levant son bras droit.

Ce geste a pour conséquence d'éteindre la lumière, virevoltant encore. La seconde d'après, les ténèbres reprirent leur droit en même que la main de l'adepte s'abaisse.

- Nous sommes proches de notre but, prononce un autre, le masque dessinant son crâne.

« Il doit être repu à l'heure qu'il est. »

- Il ne nous a pas été aussi difficile de pénétrer dans ce monde, s'enquit un autre, examinant ses doigts, comme pour chercher une imperfection.
- Les nombreuses vies perdues serviront à l'édification de la déesse, répond un plus élancé et plus baraqué, masqué lui aussi, mais d'une peinture significative.
- Aucun monde ne saurait nous résister, déclare le masqué.
- Il est temps... repris l'élancé.
- Oui, il est temps.

Ceux qui parlent ainsi sont les membres de la secte secrète qui m'aborda, à mes débuts dans la Toile. Les agents de la fin, fidèle à leur précepte. Ils sont entrés dans l'Eden par la force.

Les trois ayant échangé des propos plutôt ambiguës, sont les trois généraux de la secte : Faith le balafré, cachant son visage au travers d'un masque de peinture. Il est le plus élancé des vingt-sept soldats s'étant introduits ; Ulhord l'impitoyable, le plus brutal des trois et chef des armées. Corps d'athlète de combat confirmé, il a été envoyé en personne pour s'assurer de la réussite de la mission ; et enfin, Teths le terrifiant, n'ayant jamais montré de compassion pour un seul être vivant de toute sa vie. Son masque le protège de l'air toxique pour son corps. En effet, l'oxygène accompagné de particules étrangères détruisent sa santé fragile. Il porte en permanence un masque à gaz et voue une adulation aux ténèbres.

Derrière eux, l'un des premiers messagers m'ayant rencontré. Le fameux masqué du centre, a été assigné à nouveau à la mission de récupération de la cible.

Soudain, Teths redresse la tête et contemple ce firmament sans étoiles.

- Ce monde est un paradis... on dirait que Nix descend elle-même sur ces terres afin d'y semer tout son amour habillé de sa plus belle parure... la mort.

Il s'arrête en chemin tel un épouvantail, les bras écartés.

- Le temps... ne me dit rien qui vaille, achève-t-il, le plus sérieusement du monde.

Ulhord lui lance un regard, mais ne répond pas. Il se contente de diriger sa vue droit devant lui, prêt à avancer.

- Ne vous arrêtez pas... en avant, commande-t-il, sans qu'un seul des hommes ne réponde, tous plaçant le pas.

C'est alors qu'en chemin, ledit messager se met à se remémorer son retour sur le vaisseau furtif, néanmoins immense de la secte, siège des agents de la fin.

-Flashback-

Logeant les couloirs de l'immense vaisseau, l'homme revenait lentement, mais sûrement au train de vie mouvementée du domaine. Des dizaines d'adeptes allant et venant, comme poursuivit par les fouets du grand prêtre, forçait l'allure afin d'achever le débarquement d'un important convoi servant à la préparation des futures opérations qui auront lieu d'ici peu.

Le messager venait de faire son rapport à son supérieur sur l'état de la situation dans la forêt, ainsi que du refus de la pupille d'Éris de se joindre à leur projet. Il se dépêchait de rejoindre sa place au haut conseil.

En effet, cette semaine et spécialement pour cette occasion exceptionnelle, l'un des plus éminents hauts prêtres du cercle leur rendait visite et leur dévoilerait la raison de sa visite.

Cependant, plusieurs membres avaient déjà compris le véritable but de sa présence à leur côté : ils venaient pour la cérémonie. Celle qui était supposée redorer le blason terni de l'ordre.

Sans crier gare, un adepte se rapproche de lui, le visage paré de bijoux. Il reconnaît presque tout de suite la silhouette féminine qui se présente à lui.

- Léïra, s'étonne-t-il, en ouvrant quelque peu ses yeux sans pupilles.
- Tu es arrivé juste à temps. La réunion va bientôt débuter, s'enquit-elle de le prévenir.

Elle possédait des yeux perçant que l'adepte avait toujours eu du mal à cerner. Non impressionné par ces cheveux bruns dont les parfums des plus belles huiles essentielles de Carthage venaient rajouter un peu plus de féminité et de sensualité, l'homme était surtout épris de l'audace avec laquelle la jeune sindra se donnait de se pavaner ainsi devant lui.

Les femmes dans l'ordre était appelées « sindra » qui signifiait « objet de plaisir. » Elles étaient la propriété des prêtres pour la plupart et ne se donnait seulement aux adeptes que lors de cultes voués à la magie noire dont l'euphorie servait à attiser la présence de Nix.

Elles sont aussi les protectrices d'une malédiction servant de catalyseurs aux prêtres, lors de cérémonies officielles, où l'on initie de nouveaux adeptes à la religion. Pour le reste, elles ont le droit de se promener dans une partie du vaisseau, mais ne sont pas autorisé à approcher les adeptes plus d'une minute.

Leurs vêtements varient selon les circonstances. Les plus importantes couleurs que l'on a coutume de leur voir se parer est le blanc, le noir, le bleu foncé ainsi que le rouge. Ces tenues voilent la sindra des pieds à la tête et empêchent, de ce fait, toutes distractions durant les heures de cultes.

Aujourd'hui, Léïra était en blanc. Elle devait rester certainement à l'écart de la réunion, dans un coin de la pièce et ne pas prononcer mot. Mais les sindras ont une très bonne mémoire et savent rappeler à leurs seigneurs les détails d'une conférence, quelles que soient la longueur du discours prononcé.

- Minos, reprit-elle, tu ferais mieux de rester vigilant si tu tiens à gravir les échelons dans l'ordre. Tu sais mieux que moi qu'il est essentiel que tu atteignes ce rêve qui t'étreint depuis des années.

Léïra savait que Minos était ambitieux et désirait par-dessus tout le pouvoir. Elle avait été deux ou trois nuits dans ses bras et s'était sentie attachée à lui, plus que de coutume. Pas un coup de foudre, mais un attachement imprévu. Aujourd'hui, elle tient plus que tout à atteindre les hautes sphères, où il a juré d'y conduire la jeune sindra.

- Je serai à la hauteur de tes attentes, femme ! déclara-t-il, en se séparant d'elle.

La réunion débuta, à la seconde où la lumière des bougies éclairant la salle fut éteinte en un souffle. La salle fut d'un seul coup, plus sombre encore que lors des cultes quotidiens.

Les adeptes prenaient part au culte, en couvrant leur tête d'une tunique, dont deux trous permettaient la vue. Les membres de la secte portaient tous du bleu nuit en cette occasion. C'était un signe d'une grande nouvelle, mais surtout de la venue d'un être unique.

Une lumière provenant de l'ouverture sur la voûte, au-dessus de leur tête, dessina le pavement où se tenait un homme, d'une cinquantaine d'année, le teint blafard, les joues enflées, le nez écrasé, le regard perçant et la face bien sévère. Il était vêtu d'une robe de cérémonie, toute blanche avec le symbole d'une main gauche dont un énorme clou transperce tandis qu'une vipère minuscule enroule le tout.

L'homme ne dit rien, les premières minutes de son apparition. Il se contentait de tourner des yeux, étudiant toute sa vaste communauté. Les adeptes étaient plus d'une cinquantaine de milliers emplissant le parterre et une ligne blanche juste à sa gauche, représentaient les sindras collées au moindre des syllabes qu'il murmurait derrière ses lèvres visiblement sèches.

Après ce bref silence, il décida enfin à prononcer ses premières phrases :

- Mes enfants... je vous salue par la bonté de Nix.

Tous les participants dans la salle répondirent avec ferveur :

- La face de Nix nous sublime.

Le vieil homme enchaînant sur cette lancée :

- Comme vous le savez, les hautes sphères ont été émues lorsque vous avez émis la possibilité de devenir une organisation à part, au service de la grande famille. Vos efforts, je vous l'assure, donneront de bons fruits. En cela, je suis ici parce que le temps est venu.

« Tous, vous l'avez su et avez compris... que ce monde n'est qu'un simulacre de vieilles mœurs... d'une idéologie fade... dont la lame n'a de cesse de s'émousser. Sommes-nous la vérité ? Non, je ne le pense pas. Ce serait vous tromper que de vous faire croire en quelque chose, dont vous n'avez pas envie de croire. Ils le nomment la lumière, mais ce dernier ne s'est jamais manifesté. »

« Tant de prière agréée à un être inexistants. Les enfants... Êtes-vous si dupes ? Non... vous avez constaté la douleur du monde. Vous avez pris en compte ces humiliations à travers le temps. Quand une créature contemple la disette de son prochain, mais pourtant s'efforce à ne pas le regarder, il l'ignore et passe son chemin... et le soir, c'est ce même être misérable et corrompu qui s'abaisse et demande à l'inexistant de lui accorder vigueur et prospérité. »

« Fadaise ! Ce dieu n'a jamais été vu, même pas ressenti. Pendant que des milliers d'autres, nous ressemblant, s'abaissent sur les parterres des palais d'Holos*, nous... nous savons qu'il existe un être unique qui existe réellement et qui nous accorde pleine puissance. »

Il se retourna en direction d'une autre partie des disciples agréablement perdus dans ses paroles, tout en continuant son discours :

- Ils nous assujettissent, nous, les véritables détenteurs du secret de l'univers : « toute chose provient du néant. Les ténèbres ont répondu et Nix a frappé à nos portes ». Rendez gloire, mes enfants, à votre déesse. Et le jour où nous ne serons plus, sous la domination de la flamme d'Atlanta est assurément entrain d'arriver - Oui - Nous l'avons trouvé : le dernier pion qui nous manquait pour bousculer l'ordre établi ; pour ramener la vraie lumière... l'obscurité.

« Au moment où je vous parle, des hommes viennent de revenir d'un périple sur les terres de la Toile, forêt interdite, souvenir de l'ancien monde. Nos ancêtres ont failli réussir. Nos contemporains ont failli le détenir... nous, nous allons le posséder. Une troupe sera dépêchée pour trouver l'e-motio de la mort... et lorsqu'il sera là, nous tiendrons les premiers morceaux du précieux. »

Il s'arrêta soudain, comme happé par le vide.

- Allez, mes enfants... trouvez la bête, divinité au service de Nix... De mes mains, je présiderai à la cérémonie... Et jusqu'à la toute fin, je serai avec vous. Et lorsque je rentrerai porter la bonne nouvelle à la grande famille, vous... agent de la fin... jeune ramification de notre idéal... vous serez élevé... et récompensé.

C'est sur ces dernières phrases emplies de promesses, que le prêtre leva la tête en demandant où se trouvait la jeune pupille. C'est alors qu'une ombre tout aussi voilée dans la foule se leva pour répondre à la question.

- Qui es-tu, jeune pucill* ?
- Je suis le général Ulhord, intendant au grade de prêtre du septième palier et commandant des troupes furtives.

Un palier désigne le degré de pouvoir des prêtres, dans l'ordre. Mais cela précise aussi le nombre d'interdits sur la tête dudit prêtre. Le septième palier représente un total de sept interdits attribués au concerné.

- Je vous écoute, intendant ! lança le prêtre, pourquoi la jeune aventurière ne vous a-t-elle pas accompagné ?
- Elle a préféré unsloga*, mon seigneur !

Immédiatement, des murmures se firent entendre dans la salle.

- C'est fort regrettable, balbutia le prêtre, visiblement déçu.

Après quelques minutes, attendant que le silence règne à nouveau, l'invité se tourna vers le général avant de lui donner sa réponse qui se voulut être la plus claire possible :

- Retrouvez-la... et abattez-la !

-Fin du flashback-

La marche continue. Les soldats ne sont point fatigués. Ils ont beau avoir eu droit à une brève lutte avant de s'introduire dans l'Eden, ils ont toujours eu envie de devenir très vite violent.

Parmi les entrants, il y a quatre personnes aux visages voilés. Ils transportent avec eux, une sorte de grosse brique qui se trouve être leur bible noire. En tout, quatre volumineux documents s'avancent dans l'antre, devancés par le groupe du général Ulhord.

- Si nous pouvions offrir à notre déesse ce cadeau précieux, alors nous serions aux premières loges lorsque l'étoile renaîtra, déclare le général Ulhord en portant une mine dégoûtée par ce paysage sans vie et totalement désordonné.

Le simple fait qu'il n'y ait pas de lumière permet l'apparition de nombreux phénomènes plus qu'anodins, comme la vue d'une minuscule bête dévorée, non loin d'eux, par une plus grosse, elle-même engloutie par une plus volumineuse.

- Ô Daeva, pardonne tes enfants, lança le général Faith en s'avançant comme si ce spectacle était habituel pour lui.
- Séparons-nous, ordonne le général en chef tandis que ses hommes se tournent vers sa position, la curiosité dessinant leur face.
- En se séparant, nous aurons deux fois plus de chance de tomber sur eux, explique le général Ulhord.
- Et qui s'en va ? demande le général Teths, le ton mielleux.
- Teths, lance le chef, prends douze hommes avec toi... et retrouve l'aventurière.
- Cela commence à me plaire, mais dis-moi, dois-je en faire ma captive ?
- Fais-en ce que tu veux. Nous n'aurons besoin que de sa tête.

Teths augmente l'allure en se dandinant, visiblement heureux.

- Je vais me plaire à ce jeu, déclare-t-il, l'esprit à la rêverie de son passe-temps favori : la mutilation. Minos, reprit-il, en se retournant, choisis quelques-uns de nos frères pour moi.

Ce que ce dernier se dépêche de faire, heureux que son maître lui gratifie d'un tel devoir. Pour gravir les échelons comme le suggérait Léïra, il s'était rapproché d'un des généraux. Ce dernier constatant son habilité à achever une tâche, se décida à le garder près de lui.

- Et au fait, reprit Teths à l'intention d'Ulhord, où nous retrouverons-nous ?
- Au centre de cette forêt, informa ce dernier, surtout... ne perdez pas.

Pour la première fois, le visage du général Teths se renfrogna.

- Je ne perds jamais, finit-t-il par lancer.

C'est alors que les dix choisis sortirent des lames en forme de croissant de lune ainsi que celle de la pleine lune. Le général Teths dégaina une épée forgée tel un serpent se déplaçant. Ils se mirent tous à genoux pour ce moment et levant leurs armes au ciel, se mirent à prier :

« Ô Nix, offre à tes serviteurs la chance de trancher parfaitement leurs ennemis ;
Alors que tes brebis marchent pour punir une hérétique ;
Nous nous offrons à toi. »

À cet instant, les hommes se mirent à trembler littéralement devant leurs camarades, les observant. C'est d'une telle virulence que lorsque le mouvement s'estompe au bout de trois minutes, les corps se redressent comme repus de toute cette concentration.

Le général Teths, debout, se retourne vers ses hommes et leur adresse un premier message :

- Nous avons à chasser, ce soir.

* pucill : terme désignant un disciple de rang inférieur.
* unsloga : terme désignant le refus d'un hérétique à obéir aux préceptes de la secte.

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