Chap VII : Ce Qui Définit Nos Choix (2/4)
Nous avons suivi notre guide insolite à travers une sorte de crevasse. Il fait nuit noire dedans, mais à partir du souffle de l'animal, nous arrivons à nous repérer. Au pire, il nous suffit d'allumer une torche pour nous orienter.
La crevasse débouche finalement sur une clairière emplie de paille déjà battue. On se concerte d'un regard avant de sortir chacun notre arme de prédilection.
Je scrute les environs à la recherche d'une quelconque fumée. L'odeur environnante ne dégage rien d'anodin.
— Ça sent la forêt... tout simplement, déclaré-je tout en m'avançant d'un pas assuré.
— Il n'y a pas de trace de feu de camp ou de terre retournée... étudie Bordos, tâtant le sol de la main.
« Selfor ! Fais le tour et vérifie s'il y a des traces de coupes dans les environs... Vois aussi si tu trouves une trace de feu produite dernièrement... Et sois prudent... »
Il enlève le bras qu'il vient de lever pour attirer l'attention de Selfor sur sa dernière phrase.
— Eskiell ! reprend-t-il, en se levant.
« Coupes déjà du bois pour que nous n'en manquions pas à la tombée de la nuit. Cet endroit semble avoir été fréquenté... Nsenga, revois où nous sommes exactement et si notre itinéraire ne s'en trouve pas chamboulé... Et Alpha... »
Je lève ma main pour pousser l'animal à partir et coupe abruptement Bordos.
— Il n'y a personne ici. Inutile de vous fatiguer...
Le groupe me dévisage, les yeux écarquillés.
— Cette paille a été placée pour recevoir des œufs...
— Tu veux dire que c'est un nid ? s'étonne Nsenga.
— Probablement... commente Bordos, en me visant des yeux.
« La question est de savoir à quel animal il est destiné... »
— Était destiné... rétorqué-je, la face suivant le départ du tvarak.
Je reprends mon propos en restant à ainsi, perdue à une ou deux images me traversant l'esprit.
— Un tvarak ailé... elle devait laisser ses petits à cet endroit avant de se précipiter dans la forêt à la recherche de proie.
— Devait ?! Cela veut dire qu'elle a changé d'emplacement ? demande Bordos, dubitatif.
— C'est fort probable... intervient Nsenga.
« Au temple sud de Benedictus, il y a des études menées exclusivement sur les créatures ailées et celle-ci y figure. C'est un tvarak ailé acéré... Ils se développent naturellement au point d'envahir une majeure partie de l'emplacement où ils se trouvent... Ils sont inoffensifs aux animaux qu'ils rencontrent après être repus... Le tout serait de savoir si elle reviendra ou si... »
— Elle est morte, dis-je, d'un ton sec.
— Comment tu... s'étonne le prêtre
— Et il n'y a aucune bête dans les environs.
— Comment peux-tu en être aussi sûr ? D'où tires-tu tes informations ?
— C'est le tvarak de tout à l'heure...
Le groupe entier me regarde avec stupéfaction. Soudain, ils éclatent de rire.
— Tu parles maintenant aux tvaraks ? me lance Eskiell, en se tenant l'abdomen.
— Je sais que cela n'est pas impossible pour notre monde, mais de là à posséder autant de capacité pour un aventurier... tu dois avouer que...
Les paroles de Bordos glissent sur moi comme de la pluie. S'il savait que la meilleure éducation se trouve derrière les murs de la cité d'Éris et s'ils pouvaient se figurer, tous, de la chance qu'ils ont. Je n'ai point envie de discuter là-dessus.
— Mes félicitations, tu es en pleine forme, cela se voit... jeune... mais où vas-tu ? me demande Bordos.
— Préparer mon coin pour la nuit... La route sera longue...
— Attends... C'est à moi de dire ça, normalement... Allez, tout le monde, on s'active... La petite nous a sauvé d'un mal de crâne... remercions-là comme il se doit avec un bon festin.
Je me mets sur une touffe de paille en baragouinant quelques mots avant de décider de revoir mon armement : « et je ne suis pas petite ».
*
* *
Lorsque j'ouvre mes yeux, je suis accueillie par un ciel étoilé sans nuage. Une chose attire mon attention dans l'immensité m'étant donnée de contempler : une étoile rouge feu, scintillant près de la constellation de la grande ours. Elle brille si fort que je me demande si cela est possible de se transformer si vite en une boule de lumière perceptible à des milliers d'années lumières. En y pensant, je ressens quelques frayeurs à m'imaginer flotter dans le vide aux griffes de l'univers. C'est tout bonnement effrayant.
La lumière du feu crépitant au loin m'attire des yeux — Une petite fête ce soir, me semble-t-il — bon nombre d'ingrédients viennent chatouiller mes naseaux. Bordos est décidément un fin cuisinier. J'ai l'air d'avoir provoqué l'intérêt, car je vois Nsenga venir vers moi avec quelque chose dans les mains.
— Tu en veux ?
Il s'agit de la viande d'un tvarak inférieur, comparable à du porc. Je me redresse en m'appuyant sur mon coude. Je lève ma main pour tenir la broche qu'il me tend avant de le porter à mes lèvres.
— C'est bon, n'est-ce pas ? C'est notre chef qui l'a encore cuisiné... Il faut croire qu'on passe pour des enfants à côté...
Ces mots me parviennent avec une touche d'ironie. Pour une raison que j'ignore, je préfère discuter avec Nsenga. Il n'est pas bavard, même s'il a tendance à trop suivre les indications de l'explorateur. Nonobstant cela, depuis la dernière fois où il m'a prédit mon avenir, je me sens redevable envers lui. Même sans sentiment d'attachement, je sais montrer un peu d'empathie au fond de moi.
Le concerné, remarquant mes bouchées répétées, se hâte de sourire immédiatement.
— Tu veux venir ? Y en a encore plein...
Je lance un regard vers le groupe qui me dévisage de cela cinq bonnes minutes.
— Oh, mais c'est que notre interprète est réveillée ! s'exclame Bordos, le sourire aux lèvres — plutôt sarcastique à mes yeux.
Je me lève tout de même en acceptant le bras que me tend le guide. Je m'approche progressivement du feu. Ce soir, nous allons un peu souffler après cette marche éreintante. Demain fera son possible à son moment.
*
* *
Je ne sais à quelle heure je me suis endormie. Je me souviens m'être levée et d'avoir quitté le groupe en pleine discussion sans prêter attention aux supplications derrière mon dos.
Mais aujourd'hui, quelque chose me réveille en sursaut. C'est la voix d'Eskiell qui se met à crier tel un monstre. J'ouvre les yeux progressivement, tout en cherchant un repère dans le paysage.
— Comment se fait-il que tous nos vivres aient ainsi disparu ?
Je me lève hâtivement et me rapproche de Nsenga pour m'informer des épisodes ratés.
— Ce qui se passe ? Eh bien, les derniers vivres, les ingrédients et ma trousse de secours ont mystérieusement disparu... Et ce qu'il y a, c'est que notre cher Eskiell a pété un câble et est sûr que le chef y est pour quelque chose...
— Avoue simplement que tu en es responsable... lance Eskiell, serrant les points.
— Comment tu crois pouvoir te faire comprendre en vociférant autant ? rétorque Bordos, les traits apaisés.
Ils sont tous les deux, à côté de leurs armes. Un peu et cela finira en échange de lame — Ou peut-être pas — cela ne m'étonnerait pas de voir la tension baisser d'ici quelques secondes.
— J'ai été de garde, ce soir, il est vrai... mais, je n'ai rien vu d'exceptionnel. C'est un vrai mystère et j'en porte la totale respon...
— N'essaie pas de m'embobiner... Tu dois y être pour quelque chose...
— Eskiell ! Si j'avais voulu vous nuire, il aurait été préférable de le faire quand nous serions plus en aval de notre quête, tu ne crois pas ?
— Il est tout à fait possible que tu ais décidé de t'en prendre à nous bien plutôt, vu qu'on se méfierait vers l'approche de notre but...
— Ça suffit, Eskiell, ordonne Selfor en plaçant sa main entre les deux.
— Enlève ton bras du chemin... tout de suite... rétorque sèchement Eskiell, en lançant des éclairs au mercenaire.
À ma droite, Nsenga commence à se tenir le menton comme s'il possédait une barbichette à l'endroit.
— Mais c'est curieux... s'exprime-t-il, en observant nos trois personnages.
« Voler un objet, c'est concevable... mais réussir à parcourir tout le cercle sans alerter le chef, cela demande le recours à la magie... seulement, je m'y connais en magie et si jamais pareil être s'était approché ou apparu en plein milieu de notre attroupement, je l'aurai perçu même entièrement endormi... Et si cela n'était point le cas, le matin même, j'aurai décelé le point d'utilisation d'une magie quelconque... »
Je continue à fixer les trois personnages tout en écoutant le prêtre.
— En d'autres termes, commencé-je à appuyer son analyse, le visage placide.
« Notre voleur se serait fait prendre en usant de la magie, ce qui amène à préciser que seul un x personnage aurait tourné de sac en sac pour y retirer les affaires plus ou moins utiles... Et comme Bordos était de garde et qu'il se trouvait assurément face au groupe, faisant son contour, cela amoindrit ses chances d'être disculpé. »
— Tu as bien pensé... me complimente Nsenga sans me regarder, les traits relâchés et la main toujours sur son menton.
« Mais restons sur l'hypothèse qu'il ne s'agisse pas de lui... »
— Tu es aussi d'avis que cela puisse venir d'un x personnage ? m'empressé-je de rétorquer.
— C'est indubitablement cela, mes chers partenaires... s'écrie Bordos tout à coup, ayant été interpellé par notre discussion.
« Prenons de ce fait, la venue d'une cinquième créature durant la nuit... Je tiens à préciser, en premier lieu que je n'ai pas quitté mon poste une seule fois... La dernière personne à s'être couché, c'est Selfor... Et pendant la nuit, un seul d'entre nous s'est levé et est allé se désaltérer pas très loin et c'est encore Selfor... loin de moi l'idée de l'accuser car rien d'anodin ne s'est manifesté dans ces actes. »
— Et tu veux dire quoi ? Que ce sont les oiseaux du ciel qui ont déferlé en silence sur nos affaires ? projette Eskiell, le teint rose à certains points du visage.
— Prenons plutôt le cas d'une créature sans ailes... merci... riposte Bordos en fixant d'un œil noir, l'aventurier.
« Une personne entre dans notre cercle et cela à mon insu. Il parcourt l'emplacement de chaque membre et... »
— L'un d'entre nous l'aurait vu, voire simplement senti... relance l'accusateur, cherchant par tous les moyens à faire porter la faute sur le meneur.
Sauf que là, c'est clairement le chef qui est en tort, quelle que soit la manière dont on prend la chose. Bordos n'a pas été vigilant et cela décrédibilise sa surveillance durant les nuits.
En y repensant, cela relève du divin de voler sans se faire prendre si l'on n'emprunte pas la voie aérienne. Je n'ai malheureusement aucune assurance sur les traces sur la paille devant moi. En effet, des traces du passage du chapardeur sur la paille, seraient bien accueillies. Cependant, un grand nombre de pas s'y dessine dû à l'étang où nous nous trouvions hier. Naturellement, je regarde Nsenga pour lui demander s'ils y avaient pensé. Ce dernier me répond de la tête, prouvant déjà qu'il suivait le fil de ma pensée.
— Le plus important maintenant est de retrouver de quoi remplacer momentanément les quelques éléments disparus... déclare le chef, en tournant déjà sa nuque vers son sac.
— Tu ne vas pas t'en sortir comme ça... reprend Eskiell.
« Où as-tu caché nos affaires, le vieux... Tu es le seul à avoir fait ton possible pour ne rien remarquer... Maintenant, dis-nous où... »
— Selfor ! Rassemble tous les sacs, cela nous aidera à examiner les objets nécessaires sur le temps, ordonne Bordos, sans prendre la peine de faire à nouveau face à son interlocuteur.
Selfor s'exécute machinalement telle une habitude encrée de toujours, en lui.
Je suis à demi concernée. Je n'avais aucun poids avec moi, et je voyagerai pareillement, vivant de la biodiversité alimentaire de la forêt. Mais, serait-il possible que quelqu'un nous file ?
— Bordos ! Viens voir... s'écrie le mercenaire, penché sur un des sacs.
Nous suivons tous le déplacement du chef jusqu'à l'endroit de Selfor, suivi d'Eskiell levant déjà le doigt.
— Eh ! Mais, c'est mon sac ! s'écrie l'aventurier.
Avant qu'on comprenne ce qui se passe, le bras de Selfor lève un grand sac gris que je reconnais être celui de Nsenga, contenant les potions.
— Qu'est-ce que... Enflure ! Tu m'as bien piégé, trombe de dell* !
Sur ces mots, Eskiell se jette sur Bordos et tente de l'achever d'un seul coup porté. L'homme n'a pas le temps de finir sa lancée que l'explorateur met en avant sa tête et percute le menton de l'assaillant. Eskiell cherche à encaisser le coup surprise sans s'attendre qu'un second plus violent que le précédent a vite fait de le mettre sur la paille.
Bordos soupire la seconde qui suit l'impact. Il a l'air assez mal à l'aise de son geste. Il baisse la tête et marche en direction de la tête de l'homme à terre.
— Je t'avais dit de ne pas reproduire la même erreur, si tu tenais à ne pas te retrouver dans cet état ou pire... bien pire... dit-il en fixant le concerné de ses yeux perçants.
« Selfor ! Vas-y, ramène tout ce qu'il y a là-dessous... »
De là où je suis, j'aperçois un trou d'où Selfor sort le reste des objets disparus. Il a l'air d'être assez profond pour cacher le volume d'un sac. Ce trou se trouve être juste à côté de l'endroit où a couché Eskiell et dont son sac se trouve encore.
« L'aurait-il fait ? »
Difficile à croire. Le groupe pose des questions. Tout se passe comme si tout avait été prémédité. Je ne sais pas exactement quoi en penser, mais je suis toujours aussi intéressée d'en savoir plus.
Le chef présente le sac et sillonne les alentours comme pour s'assurer qu'il n'y a rien qui manque. Il baisse soudainement la tête en direction des objets à ses pieds.
— Bien, Messieurs... Mademoiselle, commence-t-il, en revoyant son poignet.
« Avant toute chose, je voudrais préciser un élément... »
— Bordel ! Ce n'est pas moi et tu le sais très bien... Bordos... lance Eskiell saignant à vue d'œil sur un visage transpirant.
— Je disais donc, hausse le chef.
« Je voudrais clarifier un point essentiel... »
Nous restons silencieux, attendant le mot suivant, se faisant prier. Quelle que soit sa décision, je n'ai pas prévu de m'y opposer ni de l'applaudir.
Le meneur nous regarde tour à tour poussant le suspense dans une autre phase du temps propre à l'état de l'être humain : l'exaspération.
— Eskiell n'a pas pu commettre cela...
Nous restons abasourdis face à cette déclaration.
— Co... co... comment ? C'n'est pas lui ? réagit Nsenga, en jetant un regard à l'accusé.
— Non messieurs... répond Bordos, restant tout aussi froid qu'au début de l'affaire.
— Mais alors...
— Je suis ferme sur ce point... pas une seule fois, ce dernier ne s'est levée de sa place pour parcourir le groupe endormi... La preuve en est sous nos yeux... Le trou en face de nous a été creusée assez profondément pour y cacher même ce gros sac... Qui d'ailleurs... tiens, Nsenga...
Le sac revient entre les mains de l'indexé.
— Bien, tout le monde, reprend Bordos.
« Ne prenons pas une minute de plus ici... Il est temps de se bouger les rotules... Nous en discuterons sur le trajet... »
Sur ces paroles, tous se mettent à récupérer leurs affaires et nous reprenons notre marche sans autre sujet que l'individu x.
*trombe de dell : il s'agit d'un serpent propre à Lodart qui a été fusionné avec un singe noir. Cette chimère s'en prenait au bétail des habitants de pallarya, une des provinces d'Haemmer.
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