Chap VII : Ce Qui Définit Nos Choix (1/4)

Nous sommes entrés dans un marais et ici, le dernier soupçon de lumière que nous offrait le soleil, nous a été privé par les encombrants arbres aux branches se chevauchant. Des lianes et des plantes rampantes se distinguent. Il y en a dans tous les coins.

Notre prêtre a éteint la torche à cause des créatures tapies dans cette partie de la Toile, susceptible selon ses mots, de nous faire disparaître au moindre caprice de leur part.

— Je peux te parler un moment ?

Eskiell — Celui-là, depuis notre rencontre, me colle de plus en plus. Est-ce parce que je suis la seule femme du groupe ou est-ce le fait que je sois la seule qui n'a pas rencontré Bordos dès le début de la quête ?

Quoiqu'il en soit, je n'ai aucune envie de lui servir de coussin. Je vais l'éviter le plus longtemps possible.

— Tu sais, je tiens à m'excuser... t'es une fille sympa et c'est grâce à toi que je suis encore en vie... tu sais... face à l'e-motio de la jalousie... Je n'ai pas encore eu la chance de te remercier... alors, merci...
— Je vois...

Je ne sais pas comment il l'a interprété, toujours est-il qu'il se rapproche de moi, l'air de vouloir me causer, ce qui me plaît de moins en moins. Pourtant, je ne ressens aucune animosité envers lui, malgré mon manque restreint de sentiment.

— Écoute... Je soupçonne le chef de vouloir nous mener droit vers un piège...
— Tes preuves ? demandé-je, sans motivation, mais prenant ses inventions d'un certain point — Je l'ai dit, ma curiosité.
— Je te fais confiance, alors j'espère que tu n'iras pas me trahir... en fait... lorsque nous avons accepté ce voyage, Bordos avait assuré qu'il était certain de l'endroit où pouvait se trouver le trésor, mais il a avoué n'être sûr de rien... Lors de nos batailles, Bordos n'a pas une seule fois utilisé ses aptitudes magiques. Pour ma part, je suis certain qu'il s'est entendu avec Nsenga pour nous conduire jusque dans un guet-apens, c'est certain.
— Et ce sont les seules preuves que tu possèdes ?
— Ça a l'air difficile à croire, mais je n'le sens pas...

Je ne commenterai pas ces suppositions. J'ai été fortement attirée par Bordos dès le premier regard, mais l'imaginer nous mener dans une embuscade préparée par ces faits, je ne me figure pas cela.

Le groupe marche dans un silence accusateur. Une sorte de surveillance individuelle s'est placée entre les membres. Selfor reste dans son coin et ferme la marche. Encore heureux qu'il ne soit pas trop sanguin, voire de mon point de vue, trop « dans le tas ». Mais cela a un désavantage pour moi, car cela restreint mes connaissances à son sujet.

Même si je ne peux voir son visage, ses yeux par contre, sont perceptibles. On peut ressentir le poids de son regard et je m'imagine le type d'entraînement qu'il a reçu.

Le prêtre continue à échanger avec Selfor sur le chemin à prendre. Je les vois lever la carte et détailler les différents emplacements de la forêt. Je me demande comment ils voient ces pages alors qu'il fait aussi sombre ?

Et moi, je me coltine un guerrier fort collant — la classe — Je me dois de me concentrer si je ne veux pas lui boucler ce clapier.

Nous nous retrouvons face à un cul de sac. Les deux guides tournent de la tête et pointent droit devant.

— Mais il n'y a pas de passage ! commente Eskiell.
— Nous n'avons pas le choix... Il nous faut grimper sur ces branches, conclut Bordos.

L'explorateur se met à serrer son poids sur son dos.

— Je vous conseille de bien agripper vos affaires à votre corps... laissez tout ce qui vous semble superflu.

Dans mon cas, j'ai déjà abandonné mon attirail dès ma première nuit dans cette forêt.

Nous finissons par en venir à bout. Les branches et les lianes sont une aubaine. J'aperçois Bordos passer en premier en nous encourageant à continuer. J'accélère mon ascension et dépasse Selfor de justesse. Eskiell suit avec quelques secondes de retard.

Le paysage s'étalant à nos yeux se compose de bleu, de vert foncé et d'une ligne lumineuse attirant le regard. C'est le fleuve Dytos. Le deuxième plus long fleuve de tout Lodart après celui de l'empire des anges.

Je n'ai jamais été dans l'empire, mais de belles images sont prônées par plusieurs archanges revenant de là. Un souvenir plutôt enchanté pour certains, un voyage inoubliable pour d'autres. Mais il est certain que personne ne pourra en juger en dehors d'eux. Il est formellement interdit aux non angéliques de pénétrer l'empire. On a beau être le plus déterminé ou le plus proche des archanges, rien n'y fait. Personne n'y a jamais eu accès.

Pourtant, une légende raconte que trois êtres ont eu un jour ce privilège. Ils furent déclarés assez dignes pour entrer et assez dignes pour en revenir. On raconte que ces trois personnages vivraient encore.

— Eh ! Tout le monde ! Mettez-vous en position, déclare le meneur, affichant ce regard noir de la première fois.
— Qu'est-ce que...

Cette question, stoppée en plein me fait réagir. Ce qui se présente face à nous, n'est pas un e-motio : c'est un tvarak, un animal de grande taille. Avec des canines et des os sortant du corps. Ses poils d'un gris fort prisé laissaient apparaître des stigmates mauves tout le long de sa carcasse.

— C'est un tvarak débrailleur* ! s'écrie Nsenga en sortant quelques potions.
— Non, n'essayez pas de le blesser... dis-je sans réfléchir.

Mon habitude de choyer les bêtes plus que les hommes m'étonnera toujours. Le groupe me fixe, stupéfait. Je m'avance doucement. La bête se met à pousser un hurlement tel un phacochère terrien.

— Alpha... intervient Bordos, inquiet. Tu es certain que tu veux gérer cela seule ?
— N'intervenez pas... lancé-je, espérant m'être fait entendre.

Je sors une aiguille de mon sac au bras et prépare ma défense. L'animal gratte de sa patte, prête à me foncer dessus. Je ne me laisse point intimider et lâche ma prise qui atterri à quelques pas de moi. L'animal attaque. Je délie ma langue et prononce fermement le mot-clé nécessaire au déverrouillage de la pièce :

« Impact »

La balle en fer noir s'ouvre subitement et lâche un son strident, arrachant de suite les tympans de tous les membres du groupe qui se mirent à boucher leurs oreilles.

Un hurlement déchire l'action. C'est Bordos qui crie quelques phrases indescriptibles à mon intention. Je ne me retourne pas et fixe l'animal qui s'est arrêté à environ 5 mètres de moi. Son souffle chaud me donne une agréable sensation, même si je n'aurais pas voulu me l'avouer.

Je me rapproche de l'animal. Je me positionne face à sa vue. Le tvarak en est déboussolé. Il tente de me repousser par son museau, mais l'énergie, due à la paralysie, s'en trouve bloquée. Son souffle par contre, parle pour lui. Il est hostile à mon approche — Il a peur — Je ne vais pas plus loin. Une distance d'un mètre et demi par rapport à son museau. Je ne dois pas le provoquer.

Je ne cesse de le regarder. Ces yeux d'un noir profond, forment un trait — Il est stressé — son souffle devient oppressant. Je sens la chaleur me monter. Je n'en reste pas moins calme et bien droite. Nos regards ne se détachent pas une seule seconde. Je le perçois nerveux. De plus en plus frénétique, son museau ne cesse de remuer de même que son corps — Il cherche à se libérer — Je ne bouge toujours pas, me contentant de plonger mes yeux dans les siens, sans aucune hostilité apparente. J'évite aussi d'afficher un visage curieux, des traits trop ouverts ou encore un certain intérêt à son égard.

Ça y est. Son souffle devient régulier. Il semble fatigué. Il décélère à vue d'œil. J'attends encore un peu. Sa tension n'a pas encore complètement chutée.

Sa respiration me parvient par intervalle de deux secondes — C'est favorable — Je me permets de m'approcher tout en scrutant le moindre refus. L'animal a un semblant de crainte. Je brise la limite des un mètre, lève la main droite, touche délicatement son museau un peu humide et arbore un sourire à la bête. Il grogne un moment. Je me rapproche lentement de son pelage avant de m'y coller comme sur l'herbe verte.

Une chaleur attrayante, une sensation de bien-être au toucher provoquant le souvenir d'un lit douillet. Le va-et-viens du cœur battant dans cette poitrine si énorme — agréable — tout simplement fantastique.

Les traces du son lâché se sont estompées. Tout le monde débouche ses oreilles. Je leur lance un regard avant de me recoller contre le tvarak. C'est un moment qui ne se représentera certainement plus dans cette sombre forêt.

L'animal ne se redresse pas. Je le sens placide. Il sait maintenant que je ne suis pas dangereuse.

— Petite ! lance Bordos en se touchant partiellement l'oreille.

« Ne refais plus jamais cela... Nous sommes une équipe et cela aurait endommagé notre ouïe... tu aurais dû nous prévenir... Et s'il y avait eu une créature dans le coin, tu t'imagines ? »

Je ne réponds pas, mais pour briser toutes querelles, j'acquiesce sans attendre. Le tvarak bouge brusquement. Il n'est pas nerveux. Il se redresse, me forçant à reculer. Il vaut sept fois ma taille. Il ne m'adresse pas un regard, ce qui me donne à penser qu'il est pressé. Il tourne vers un angle droit de la forêt et s'apprête à s'engouffrer dans la lugubre broussaille.

Je l'observe un moment avant de me tourner vers mes compagnons entre guillemets.

— Depuis la dernière fois, je voulais savoir... Ces barres... qu'est-ce...
— Vous n'avez pas besoin de le savoir... soyez certains que je vous protégerai du mieux que je pourrais...

Cette réponse lancée à Eskiell était pour clore le débat qui allait sans doute s'engager et en partie, le faire comprendre que je ne supporte pas l'entendre.

— Eh ! me lance Nsenga. Regarde !

Je me tourne vers le point indexé et constate que le tvarak n'est pas encore parti. Il me fixe intensément avec des yeux dilatés.

— Que veut-il ? questionne Bordos.

Je prends quelques minutes avant de donner une quelconque réponse. Je m'avance vers l'animal et d'un coup d'œil à mes compagnons, nous nous dirigeons tous vers le chemin que nous indique notre nouvel allié.

*Un tvarak débrailleur : il s'agit d'une espèce de tvarak, comparable à celle du ruminant de la famille de bovidés, d'une taille quatre fois plus imposante que celle sur terre et d'une masse et d'un poids en adéquation. Il a cependant la tête d'un sanglier.

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