Chap V : Les maux de l'humanité (1/4)

 « Le peuple d'Haemmer est un peuple fort, doublement fier de son passé, empli de bravoure et de cœur, mais aussi de regrettables guerres de conquête mettant à mal son récit. Cependant, leur histoire leur a accordé un cadeau qu'ils transmettent perpétuellement. Instauré par le plus puissant homme d'État que tout Lodart n'ait jamais eu, les habitants d'Haemmer cultivent ce qui fait défaut dans multiples administrations : la fraternité immatérielle et la considération d'autrui. »

Cette expédition est certainement d'Haemmer, à moins que...

— Au fait, Alpha ! me lance le chef Bordos devant la troupe, le sac à la main et un brin d'herbe dans la bouche. Tu es de la capitale ?

Notant mon étonnement, il lève la main droite en pointant mon gant en fer noir allégé.

— Ça se vend difficilement dans la capitale, renchérit-il, l'air épuisé.
— En effet, dis-je, cette information ne saurait servir à préciser mes objectifs.

Il doit encore croire que je suis une supposée espionne. Ou peut-être suis-je tombée sur un groupe de malfaiteurs fuyant le courroux de la justice Haemmer.

— Moi, je suis un aventurier, s'empresse de déclarer mon assaillant aux muscles saillants.

Il est à un mètre de plus de moi et pourtant, il semble bien plus proche que cela.

— Le chef est un explorateur. Il a traversé pas mal de contrées... Il est plus à même de nous conduire là où nous désirons aller.

Je ne réagis pas et me mets à fixer le dos du meneur.

Un explorateur est différent d'un aventurier, du point de vue des devoirs professionnels. Un aventurier est un dompteur, un voyageur et un guerrier. Il a pour rôle de contrôler les émotions affluant dans un e-motio, mais aussi de découvrir de nouvelles choses et de nouveaux territoires inexplorés. Ces fonctions vont bien au-delà de ses simples devoirs.

À contrario, un explorateur est juste un chercheur d'éléments nouveaux et non répertoriés dans les livres d'histoire. Il a pour tâche de noter ces nouvelles trouvailles, carrément de les amener avec lui pour laisser la tâche aux experts et aux savants d'en statuer la valeur. Ce n'est pas un soldat à la base. Il peut recevoir une formation ou être débrouillard.

Bordos, lui, dégage toute l'animosité, parée d'un voile, d'un boucher habitué aux sales besognes.

— Fais gaffe, Eskiell ! Elle mord de partout celle-là, s'écrie le balafré à sa droite, quelques centimètres en avant.
— Et vicieusement, je sais... argumente mon voisin de marche, avant de se tourner à nouveau vers moi.
— Comme l'autre l'a dit, je m'appelle Eskiell... Je viens de la province d'Halos*. Et toi ? De quel royaume es-tu ?

Je ne prête pas attention à ces paroles. Plus il s'exprime, moins il m'apparaît être important sur mon échiquier. Nous avons rejoint deux autres membres de l'équipe. Un homme à peau chocolatée, dont les cheveux sont tressés, possédant plusieurs fioles dans un sac kaki. Ce doit être un prêtre sans aucun doute. Il est logique d'en trouver à Haemmer, la terre des détenteurs de sagesse. La question est de savoir pourquoi un prêtre partage sa quête, sans doute plus glorieuse, avec ces roturiers ?

L'autre nouveau venu, est robuste au même titre qu'Eskiell. À la seule différence qu'il porte un masque blanc plat, avec juste deux petits traits pour la vue et deux autres plus invisible pour respirer.

Les deux m'avaient salué sans commenter ma présence, malgré la petite explication que dût fournir le chef.

— On fait une pause de dix minutes, Messieurs ! lance le blond. Et Mademoiselle...

Le groupe pouffe sans plus. Je fais fi de cette plaisanterie et m'assois, en lâchant un soupir de soulagement. Dans la minute qui suit, Eskiell laisse tomber son sac dans la pelouse humide et se met à m'observer, le corps bien droit.

— Ça va ? Tu tiens le coup ? demande-t-il en s'asseyant à ma gauche.
— Pourquoi me colles-tu ?
— Tu ne m'as pas encore dit quelle est ta profession... et surtout qu'est-ce qui te passionne autant pour te plonger dans cette forêt... seule ?
— Je suis une aventurière... Et mes hobbys ne regardent que moi.
— Pourquoi tu n'l'as pas dit dès le début quand je t'ai abordée ?
— Je n'avais aucune raison d'argumenter...

Une brève pause s'impose durant laquelle Eskiell se tourne pour croiser le regard méfiant de l'enrobé. Moi, je suis affairée à cerner l'explorateur qui détache ses manches trop serrées à son goût, il me semble. Il est clairement le plus âgé de toute l'équipe. Mais il dégage une expression que je n'arrive pas à identifier.

— Je suis un aventurier au flambeau noir, engagé pour leur servir de bouclier contre les e-motios. En gros, c'est moi qui les dégomme...

Il tient à tout vider, cela saute aux yeux. À moins qu'il ait eu pour ordre de me faire cracher mes motivations — Serait-ce le cas ? — Sous cet angle, le mieux serait de retirer le plus d'informations possibles.

Il existe trois catégories d'aventurier : les aventuriers d'État, mandatés par le gouvernement ou le roi en personne afin de découvrir de quelconques éléments susceptibles d'enorgueillir la cour ; les aventuriers au flambeau noir, mandatés pour chercher une personne ciblée par de tierces clients et cela demande de l'expérience ; et les aventuriers d'argent ou aventuriers classiques qui travaillent à leur propre compte.

Le dernier point est mon cas. Nous ne sommes donc pas dans la même catégorie. Son but doit alors être plus qu'une simple recherche de richesse.

— Et toi ? Tu viens d'où ?
— De partout et nulle part à la fois... Je ne saurais pas expliquer avec de simples mots... Tout ce que je sais... C'est que quelque chose me donnera les réponses que je cherche.
— Quelque chose ? Qu'...
— Ohé ! Les deux tourtereaux, il est temps de s'y remettre, s'écrie Bordos, son sac à la main.

Nous reprenons la marche. Nous entrons à présent dans une clairière à ma grande surprise, avec d'insignifiantes herbes et des arbres, à cinquante mètres. Alors que l'on fonce droit vers l'amas de végétation, des petits insectes luisants tournoient autour de nos têtes.

— Ah ! s'écrie l'un d'entre nous à l'arrière.

Le cri est si perçant que j'identifie instinctivement une douleur effroyable.

Je me retourne en même temps qu'Eskiell. C'est le prêtre qui s'effondre, la main sur son cou, pendant que l'enrobé se précipite pour le soutenir. Nous nous précipitons. Les insectes au-dessus de notre tête se mettent à bourdonner si fort que l'on perd de vue, qu'une quantité incommensurable se rapproche depuis notre flanc droit.

— Tout le monde dans la forêt, maintenant ! hurle le chef.

Sans attendre, nous abandonnons toutes pensées et filons telles des antilopes à travers la clairière. Le masqué et Eskiell transportent le touché. Bordos est en avant et me donne presque l'impression de voler, tellement ses bonds se font de plus en plus grand.

Nous avons beau courir, les arbres m'ont l'air si éloignés — Nous n'y arriverons pas — Et ceux, si personne ne se décide d'appâter ces bestioles.

— Continuez ! Je vais les distraire, s'écrie le gros, essoufflé, haletant sévèrement.

Il se retourne sans chercher un quelconque aval, décroche une grenade de sa poche. Elle ressemble à une mini-carafe noire avec une barre faisant le tour de l'arme et s'illumine d'un bleu clair. D'une brutale secousse, l'arme brille plus intensément. Notre homme se met en position de lancer, avant de l'envoyer tel un ballon de rugby.

L'arme brille dans le ciel avant d'exploser en plusieurs particules de lumières, déstabilisant toute la horde.

— Veitri* ! En plein dans le mille ! s'exclame le lanceur, la joie au rendez-vous.

Un nouvel arrivage se dégage de la lumière et emplit à nouveau le ciel. Le héros ne demande pas son reste et se remet en fuite, après avoir lâché un juron.

La course effrénée épuise les dernières forces de l'équipe. Plus le temps passe, plus la charge devient insoutenable.

— Laissez-moi ici, s'égosille le prêtre alors que le groupe s'affale dans l'herbe.

*Halos : province influente d'Haemmer.

*Veitri : oui - en dialecte Carthage.

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