Chap V : La Cérémonie (2/2)

Soudain, le vaisseau est secoué. Une détonation se fait entendre. Quelques miettes insignifiantes du plafond tombent sur le sol de la pièce.

Le prêtre principal s'affole. Le visage sévère, il vocifère quelques mots sonnant telle une épée :

— Qu'est-ce qui se passe ? Qui ose déranger une cérémonie d'une telle ampleur ?

Une deuxième détonation, suivie d'une troisième. Puis, une explosion au loin. Les adeptes dans le fond, crient de terreur et de douleur. Il y a déjà des blessés.

— Calmez-vous, adeptes... Nos frères à l'extérieur doivent certainement livrer bataille contre des chiens de l'enfer qui tentent de pénétrer dans notre sanctuaire. Ne vous inquiétez...

Le prêtre est en blanc avec des motifs de méduses décapitées, paré d'une tignasse sur la tête et d'un collier en or autour du cou, alors qu'une grosse boussole danse sur sa poitrine. Il ne se figure pas devoir se déplacer pour des broutilles. Quand bien même, l'armée du monde était à leur porte.

Il n'a même pas le temps de finir sa phrase qu'une suite d'impact a vite fait d'abattre le mur du compartiment. Cette action a pour conséquence de fragiliser le tiers de l'étage. On assiste déjà à un effondrement bluffant à droite et des cris qui s'en suivent.

— Mais qu'est-ce que ?... balbutie le prêtre supérieur.
— Maître, il vous faut partir. Il doit s'agir de l'armée d'Haemmer. Ils doivent avoir été mis au courant de notre présence sur leur territoire aérien.

Le prêtre venant de prononcer ces paroles, fait déjà signe aux soldats se rapprochant, de venir entourer leur supérieur.

— Sornettes ! s'exclame le chef, ils ne peuvent pas avoir eu le temps de se préparer aussi vite. De plus, nos hommes sont largement capables de tenir tête à un peloton complet. Il faut rajouter que...

Il tourne son regard en direction de l'e-motio derrière lui.

— ...le colossal est avec nous... si nous lui offrons plus de vie, il saura faire diversion de son corps.

De nouvelles plaintes s'élèvent. Ils pivotent tous vers le point d'entrée, dont curieusement, seul le chemin tapissé de bleu est resté intact.

Une silhouette s'avance. Fort de son effet de surprise, il marche rapidement tout en démontant un à un, les gardiens lui faisant obstacle. Les adeptes les plus braves enlèvent leur masque et viennent tenter leur chance de supprimer l'étranger. Mais l'implacable ne tremble pas.

D'un pas pressé, mais assuré, il marche. Il lève une jambe pour renverser un prétentieux par-ci, accordé une baffe sèche par-là. Il s'accroupit pour mieux soulever un misérable, avant de lui accorder un violent coup de pied pour l'immobiliser au sol. Cette prestation renouvelée tandis qu'une suite de fidèle se rue vers la porte à l'autre bout, encore fermée. Cette dernière menant à la porte du soleil bleu.

Mais une vive douleur se fait sentir parmi les coureurs. Plusieurs tombent sur l'effet, la main au ventre, un autre, à la tête. La seconde d'après, des têtes explosent au milieu de cris assourdissants. C'est un théâtre d'horreur pour ces croyants. On distingue dans la foule, des yeux s'échangeant une supplique, se demandant s'ils ne sont pas les prochains.

Une nouvelle intonation. Le vaisseau tangue à présent, de gauche à droite, pendant au moins une demi-heure. Ce laps de temps est suffisant pour constater les visages paniqués des prêtres, hélant à l'intention des derniers gardiens, de se replier vers leur position, afin de former un bouclier plus solide et réactif :

— L'e-motio de la mort, nous protégera...

L'ordre est entendu. Les hommes reculent progressivement. On voit apparaître la vengeance sous une épaisse fumée. Il lève de suite, sa main, produisant une vive plainte de la part d'un survivant près de lui. Un insecte sort du corps de l'adapte alors qu'il s'effondre raide mort au sol.

C'est une infinité de petites bêtes de ce genre qui sortent des cadavres de ses humains et viennent tourner autour de Tisiphone. Son regard froid et presque de mauvaise humeur, décourage un dernier audacieux, non loin de lui.

La porte fermée s'ouvre enfin. Une ribambelle de disciples effrayés tente de se frayer un passage avant de soudain s'arrêter dans leur élan, écrasant leurs semblables au sol. Ce qui les fige sur place suffit à leur donner l'envie de rentrer sagement à l'intérieur sans commentaire. C'est ce qu'ils font étrangement.

Les fuyards se reprennent. D'un pas lent sautent les morts, la mine emplie d'angoisse. Ils vont se placer sur une même ligne, comme lors de la cérémonie et gardent la tête inclinée, attendant la fin.

Les prêtres et les nombreux soldats ne peuvent détacher leur regard de ce spectacle troublant. Eux, qui descendaient déjà les marches, se sont arrêtés net face à la réponse des disciples.

Des pas se font entendre. Tous restent happés par l'instant. Les différents cris dans les coins laissent place à un silence annonciateur d'une tempête. Une silhouette se dessine enfin à travers la fumée. Elle s'avance jusqu'à atteindre tranquillement, dansant presque, au rythme d'une musique qu'elle seule connaît la cadence.

Le prêtre supérieur, voyant en elle, une menace plus importante, ne peut s'empêcher de craindre pour sa vie :

— Tuez-la, ordonne-t-il.

Ces hommes s'exécutent. Les lames dégainées et placées derrière la hanche, ils s'avancent. Pourtant, à peine ont-ils parcouru sept mètres en avant, qu'ils stoppent leur geste. Leur mine assurée de remporter la victoire, se transforment en une expression de désolation. Ils jettent à bas leurs armes et sans mot dire, se rangent à leur tour à la place des centaines de morts jonchant le sol.

— Qu'est-ce que vous faîtes ? s'écrie l'un des prêtres. On vous a dit de la tuer !

Aucune réponse. Les soldats encore à leur côté, font office de barrière. La jeune aventurière s'avance. Elle finit par atteindre le centre. D'un œil dispersé, elle considère Mégaira et Tisiphone ayant arrêté leur avancée, ne le trouvant plus nécessaire.

Le prêtre supérieur, plus pâle que jamais, balbutie quelques mots dans le vide avant de s'écrier :

— Ne t'approche pas ! N'ose pas faire un pas de plus. Ici, demeure Nix, l'étoile suprême de la nuit. Et toi, tu n'as aucun droit sur...

Il s'arrête dans son discours en assistant à l'effondrement de leurs protecteurs. L'un des prêtres s'agenouille pour tâter le pouls d'un des soldats. Lorsqu'il lève son regard vers son supérieur, on distingue une peur viscérale le dévorer la face. Les prêtres devant cette démonstration changent d'attitude. Ils quittent d'eux-même, les escaliers pour laisser passer la guerrière sans qu'elle n'ait prononcé un mot.

Elle se rapproche de la lumière, gravit peu à peu les marches, provoquant une plus forte panique dans le corps du prêtre supérieur. Mais ce dernier tente de le dissimuler, restant bien droit et ferme, en homme d'église qu'il est.

— Vous n'êtes pas chez vous, ici. L'e-motio de la mort ne vous a point fait mander. Rentrez donc chez vous, bave des états !

Alpha est à deux marches du point de l'homme. Elle le fixe intensément de ses yeux bleus déconcertant. Le chef lui laisse la place tout en se raclant la gorge. Près de lui, elle le soutient du regard, au point de le rendre blême.

L'homme dégouline de sueur. Son assurance s'est estompée. La peur dévorant la pensée qui lui offre la pleine soumission. Le prêtre baisse la tête, s'agenouille à même les marches et fait révérence à l'aventurière. Alpha ne le considère plus et continue son ascension. L'homme, tremblant de peur, considère une lame à ses côtés. D'un geste, les larmes dessinant son visage, il s'ôte la vie sans attendre.

Ce geste provoque un murmure parmi les adeptes agenouillés et les récidivistes. Tous, la mine triste, d'autres, les larmes dégoulinant sur leur joue, craignent pour leur vie.

Les évolués assistent à la scène, ne prononçant mot. Au loin, près de la porte, on aperçoit Nsenga tenant à la main une boule noire, contenant de la poudre. Le feu d'artifice qu'il a réalisé l'a quelque peu rendu sourd.

Alpha commence par incliner la tête, en signe de respect à l'égard du colossal. Elle le relève ensuite avec sa face habituelle.

L'e-motio de la mort, lui, n'a pas bougé d'un poil. Tout s'est déroulé sous ses yeux. Il n'a pas sourit, n'a pas commenter une seule fois. C'est seulement à l'entrée d'Alpha que ses yeux se sont posées vers la porte. Au geste d'Alpha, il ne peut cependant pas se taire :

— Je te félicite, mon enfant... tu as eu le bon réflexe.

Alpha le fixe de façon évasive tandis qu'elle répond calmement :

— Je n'ai pas envie de mourir.

L'e-motio sourit et répond sans attendre :

— Si tu avais eu l'audace de faire un pas de plus, je t'aurais tranchée la tête dans la seconde... comme j'allais le faire pour ces misérables.

L'animal pose un regard amusé sur le reste des adeptes pleurnichant dans leur coin. Il finit par reporter son regard sur la petite.

— Que tu as changé, mon enfant...

Alpha fait fi de ses propos et enchaîne avec la question qui lui turlupine la tête depuis un moment.

— Nirvana, pourquoi les avez-vous laissé vous capturer si vous aviez le pouvoir de les annihiler ?
— Parce que je voulais m'amuser... ils désiraient tellement me savoir parmi eux... J'avoue que l'idée de me retrouver hors de mes terres m'a plu sur le champ. Et puis... lorsqu'on est puissant, n'est-il pas grisant de voir les faibles se pendre pour les forts ?
— Qui suis-je pour commenter vos plaisirs, Nirvana... Je reste pourtant sur ma faim, à savoir que je ne sais toujours pas pourquoi ces adeptes sont venus vous chercher ? Quel était leur but ?
— Hum... eh bien, Ils ont émis le souhait de retrouver un bien perdu dans les méandres de l'invisible. Un endroit de l'espace où ils étaient sûrs de le retrouver.
— Ne vous ont-ils pas mis au courant ?
— Une pièce...
— Une pièce ?...
— Quelque chose qui devait changer leur existence à jamais...

Elle marque une courte pause avant de reprendre placidement :

— Vont-ils retrouver ce qu'ils cherchent ?
— Je l'ignore... les ténèbres s'y trouvant sont de trop pour le petit esprit détenant la vie en son sein, mon enfant... mais j'avoue aussi porter un sérieux intérêt à ce secret.

Alpha se retourne pour considérer les survivants encore tremblotant.

— Inutile de chercher la réponse auprès d'eux, ils n'en savent pas plus que moi.
— Vous arrivez à sonder les pensées ?
— Seulement ceux des êtres apeurés... Et puis, cela n'a aucune importance. Ces deux voyageurs doivent être entrain de patauger dans une mer de spectres. Le plus important, ici... c'est toi.

Il se penche soudain vers la jeune fille en la frôlant presqu'au nez.

— Comment se fait-il que tu portes une aura si puissante ?... Pourquoi as-tu sacrifié ta peau d'humaine pour être comme nous ?
— J'avais une dette envers l'e-motio de l'amour... vous, à l'extérieur, l'équilibre de la Toile en serait fortement atteint.
— Hum... tu as fait tout ça, juste parce que tu as récupéré ce qui te revenait de droit ?! Tu te sentais redevable ?! Je ne savais pas les humains capables d'un tel niveau d'empathie. Demande-moi quelque chose, tant que tu le peux encore... attention, je ne t'accorderai qu'un vœu...
— Veuillez m'excuser, Nirvana. Vous savoir en un seul morceau m'assure la survie de la Toile... aussi, je me permets de me retirer.

Et sans rajouter une phrase, elle descend les marches, l'air de placer le plus de distance possible, entre les deux. À quelques mètres, loin du centre, il l'interpelle à nouveau :

— J'aurai aimé être là... lorsque tu as pris cette décision.

Soudain, une détonation vient briser la suite de ses paroles. Au loin, sous une pluie de feu, telle la lave en fusion, Mégaira pénètre dans la pièce et s'arrête à la porte. Il s'est donné un plaisir fou à supprimer tous les êtres vivants dans le vaisseau. Il s'est arrangé pour brûler toutes les pièces susceptibles d'abriter des secrets ou des survivants.

— Pourquoi as-tu réellement décidé de devenir un e-motio ? reprend Nirvana.

Alpha se retourne et répond sans changer son ton :

— Je suis une aventurière et... tous ceux qui touchent à la Toile doivent en payer le prix.

La face de l'e-motio semble presque portée un soupçon de fierté et de joie dissimulée.

— À partir d'aujourd'hui... humaine, tu étais... e-motio, tu es... tu es une fierté pour la Toile... Que tu le veuilles ou non... tu as fait ton choix. Tu seras le pont entre l'espèce humaine et les e-motios...
— Gardez vos titres et vos bons gestes... je n'en veux pas...
— Et pourtant... Autrefois, j'avais levé une armée aussi forte et ferme que toi... les évolués à chiffres uniques... Durant la guerre des lucioles rouges, j'ai perdu l'e-motio portant le chiffre un. Je croyais ne plus le retrouver...

Il laisse planer un silence déroutant avant d'enchaîner avec une voix décidée :

— Aujourd'hui, je sais que c'est toi... la suivante...

Alpha reprend sa marche, tentant d'ignorer les paroles du colossal dans son dos.

— En cet instant... Alpha !... tu deviens... un e-motio dévoreur évolué à chiffre unique... Et ton chiffre... sera... le un...

En entendant cela, les e-motios commencent à se lancer des yeux interrogateurs. Même Nsenga n'en croit pas ses oreilles, alors qu'Alpha est près de lui et n'ose plus faire face à l'e-motio.

— Va, Un ! Il reste un dernier cloporte dans la Toile... Va le débusquer... et nettoie notre terre, mon enfant.

Alpha ne répond pas et place un pas devant l'autre, suivi du prêtre de la kerha.

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