Chap IX : Eskiell (3/4)

J'y pense tout le long du trajet jusqu'à notre nouvel arrêt sur un plateau, toujours foutu de plusieurs arbres. Je rumine cela sans cesse - aucun succès de sortir de ce labyrinthe.

Il y aurait réellement un personnage étranger s'étant glissé près de nos âmes sous les yeux d'un vigile prévenu et sous la présence d'un détenteur de la kerha ?

Et pourtant, rien n'a été dérobé. Pas même le peu de viande séché mise de côté. Juste un trou inachevé. C'est à n'y rien comprendre.

Rien n'est plus plaisant que de savoir cela si je veux continuer mon périple.

Ce qui me trouble le plus, c'est l'absence d'Alpha. Elle traîne et ce Selfor qui l'accuse de désertion. Mais à quel point sa promenade peut-elle durer ? Prend-t-elle goût à faire de moi son avocat par cynisme ? J'espère qu'elle saura être reconnaissante.

- Les gars ! lâche Nsenga, pétrifié sur place et regardant droit devant notre position de par où nous sommes arrivés.

« Vous voyez ce que je vois ? »

Je tourne de la tête et aperçois au loin un rond blanc dont un corps noir le soutient. Qu'est-ce que c'est ? Un autre de ses dévoreurs ? On dirait plutôt un humain.

Ces yeux scintillent d'un rouge vif. Cela n'est pas bon signe. D'expérience, je sais qu'un animal dont les yeux s'illuminent se prépare à attaquer, de quelque manière que ce soit, la créature ou l'objet en face d'elle.

Le prêtre ne prend pas de temps et érige une barrière produisant un bruit de tempête impressionnant.

- Tout le monde... prononce à basse voix le chef. Préparez vos armes... nous n'allons pas dîner ce soir...

Le temps que je me jette sur mon sac pour y retirer mon propulseur et mon bâton, la terre tremble et je reste ébahi face à la barrière de Nsenga. Je dois me calmer. Il n'entrera pas. Le mur de feu est imposant.

Il s'est rapproché.

Je n'arrive pas à me calmer. Je ne sais si cela est une réaction de crainte liée à cette apparition, mais je ne contrôle plus le flot de mes pensées. Je lance un œil inquiet à l'endroit de l'arbre ayant accueilli Alpha. Qu'est-ce qui peut bien la tenir si longtemps ? Combien de temps cette barrière va-t-elle tenir ? Dois-je m'éclipser maintenant ? Se pourrait-il que le terrain soit déjà dominé par ces créatures en tout genre ? Est-ce pour cela qu'elle traîne ? Elle serait, dans la seconde, en proie au danger ?

Des images de prises de décisions contraignantes me traversent, cheminant aux côtés de ses pensées, se chevauchant, ce qui me prive de ma perception du danger. Combien de temps suis-je resté ainsi ? - Encore une question.

Revenu à la réalité par le nouvel ordre de Bordos de nous bouger, je vois la bête de tout à l'heure se débattre pour percer encore un peu plus la barrière de feu.

- Nsenga... t'es sûr que ta barrière, c'est des flammes ? Parce que ce que je vois, c'est du tissu que la bête tente de déchirer...

Je tombe nez à nez avec un de ses yeux perçants lançant des éclairs déstabilisants.

- Ça sent le roussi... préparez-vous à l'abattre, s'égosille le chef.

Je me trouve lourd d'un coup, mais fait fi de mes sensations. Je dois me dépêcher de courir.

Qu'est-ce qu'a ce Selfor ? Pourquoi s'arrête-t-il ?

Je me retourne à mon tour - horreur - ça, ce n'était vraiment pas au programme - On bouge. Le simple fait de voir ses bestioles me liquéfie sur place. Un frisson me traverse et une sorte de poids me prend la tête.

- On bouge !

Je n'ai même pas le temps d'identifier la voix que j'entre immédiatement dans un mode de survie propre à une fin imminente.

Mes sens sont en éveil, comme lors d'une course, les poumons à l'air.

- vivre -

C'est ce moment qui me rappelle à l'ordre de toute chose : survivre.

- Couchez-vous ! vociféré-je, à qui veut encore avoir sa tête.

Nous sommes au sol. Je ne sais comment j'ai pu avoir la présence d'esprit de percevoir l'approche des e-motios alors que mon cerveau semblait se vider de sa matière grise. Les bestioles nous survolent en poussant un cri strident. Je ne pense à rien d'autre. Un spasme me traverse le corps - Nous allons avoir du mal à nous en sortir ainsi.

Je n'entends qu'à demi les recommandations de Bordos. C'est une course de longue haleine qu'il nous suggère. Nous devons nous préparer à foncer. Une petite crainte me prend.

- survivre -

Est-ce encore possible de nous dégager sans nous faire prendre ?

Soudain, à l'ordre du chef, le prêtre produit une lumière irradiant tout l'espace. Je ne sais comment mes jambes retrouvent la force nécessaire pour s'élancer, mais je sais qu'un seul mot résonne dans ma cervelle : « survis ».

Je ne suis plus que mon souffle.

- Non, non, pas maintenant -

Je ralentis. Je suis à bout de force. Le talent de prestidigitateur de Bordos n'arrange pas les choses. Je me demande quelle sera la prochaine étape ? Il nous faut nous réfugier dans la forêt si nous tenons à gagner ce combat.

- Qu'est-ce que... ? m'étonné-je, levant le bras gauche pour me protéger des rayons lumineux qui agressent mes yeux.
- Éloignez-vous, je vais les repousser... lâche le défenseur sans se retourner.
- Tu crois pouvoir... ? interroge Selfor, tenant son arme, prêt à le rejoindre
- Je suis le guide... Si je dois périr, ce sera en ayant protégé une âme en plus.
- T'essaie de jouer le héros ? demande l'aventurier.
- Dieu soit avec vous... coupe Nsenga, en amplifiant son intensité.

Ce à quoi j'assiste me brise en quelques secondes. C'est fulgurant, cette intensité. La coloration prend au dépourvu ce qui l'entoure. C'est chaud, ma peau réagit en rougeoyant quelque peu. Une aura unique. C'est terrifiant.

Je ne dois pas rester une minute de plus. Il se sacrifie pour nous. À moi de faire mon possible pour ne pas trahir son geste funeste - Nsenga - ton nom sera marqué sur la stèle des dignes combattants d'Haemmer. Rejoins en paix le sanctuaire de la vérité.

Alors que ce discours s'imprègne dans mon esprit en tant qu'évidence, le crépitement des flammes dévorant les plantes alentours, me pousse à me questionner :

- Quel est ce pouvoir ?
- C'est la kerha... Le pouvoir de l'esprit et des astres... répond Bordos.

« Les prêtres de la kerha entraînent leur âme à transcender les limites du métaphysique jusqu'à devenir des étoiles. C'est ainsi que l'énergie, sous-forme de chaleur, se manifeste... à vrai dire, de nous tous, c'est lui qui possède le plus d'énergie. »

À peine avons-nous eu un rapprochement avec la pente visible qu'un lourd fracas nous tétanise sur place. Un éboulement telle une pluie de grêle vient nous fracasser le moral.

- Nsenga... murmuré-je, assistant impuissant à l'enterrement de notre coéquipier.

Je me crois solide, mais il n'en est rien, car une suite de reproche me parcourt le crâne. Je suis un Erelvdard*, un soldat et un enfant d'Haemmer, Et lui aussi. Il partageait cette même terre, ce même air que moi. Ça me fait l'effet d'une douche froide. Un Erelvdard qui laisse un frère mourir, c'est invraisemblable. C'est une honte que mon amour propre n'arrive pas à me le pardonner.

Sans s'y attendre, je distingue une silhouette se détacher progressivement de la couche de poussière voltigeant dans l'air.

- Impossible... lâché-je, laissant de ce fait s'exprimer la petite boule de frayeur qui commence à remonter jusqu'à m'a gorge.

Un nouveau personnage - Oui - Il a l'air bien moins pressé que le premier. On dirait que c'est une fois de plus un visage humain. Je n'arrive pas à distinguer ses traits complets. Le temps de me concentrer est interrompu par l'apparition d'une douzaine de silhouette sur la petite colline formée par l'éboulement.

- Par la lame de Devada... On fout le camp maintenant... m'écrié-je, ne sachant plus quoi faire.

La course se veut plus effrénée. Je suis certain que chacun d'entre nous le visualise - ralentis et tu es un homme mort.

Je trouve un semblant d'énergie à s'élancer de plus belle, sentant nos poursuivants à nos talons. Il se donne la peine de nous envoyer des flèches en pleine course.

Nous voilà dans un terrain plus ou moins adéquat. J'aurai voulu y arriver cinq minutes plus tôt pour pouvoir placer des pièges. Mais la présence de l'eau à cet endroit ne favorise pas cette option.

Je me retourne peu à peu, laissant voguer mon esprit à travers multiples images de ma situation. Ce qui me vient en premier lieu est la tête de la saleté qui nous a toisés sans vergogne. Elle est la plus dangereuse.

« Est-ce à cet endroit que nos destins vont être scellés ? »

* Erelvdard : surnom utilisépar une catégorie bien privilégiée de soldats d'Haemmer ayant juré de protégercette terre.                      

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