Chap IX : Eskiell (2/4)
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— Bien, Messieurs... Mademoiselle ! Jusqu'ici, nous avons cheminé en suivant les indications de notre guide en pénétrant par le Sud...
Oui, tu sais parfaitement que c'est ton plan de merde qui m'a mis dans cette position.
Je suis au sol. Contempler tous les autres biens droits joue sur mon humeur, je le sens.
— Dans ce sens, je vais demander à chacun d'entre nous de bien vouloir détailler son parcours professionnel et ses aptitudes clés, donner une information concernant certains points pouvant le désavantager durant une bataille ainsi que ces motivations, c'est-à-dire, son pourquoi sur le chemin, dit le chef.
— Le mieux serait que tu nous montres comment faire, suggéré-je, d'un ton qui m'étonne moi-même.
Je ressens un terrible besoin d'exploser, de battre du poing, de m'exprimer. Et cela m'énerve. Je dois pourtant me garder de déblatérer des propos non assurés.
— T'as pris ton temps, Papy !
— À ton tour, l'expert ! relance Bordos.
Je baisse la tête. Je dois tout de même méditer sur mes prochains mots.
— Je suis Eskiell, le maître des ondes... Je suis un aventurier au flambeau noir... J'ai une expérience sur le terrain de près de 8 ans. Je suis capable de réaliser des ondes électromagnétiques produisant des soulèvements de terrains, je suis en état de soulever une masse d'un point assez proche de ma position...
— Quelle distance ? questionne le meneur, réveillant une petite frustration en moi.
— Trois mètres... Tout au plus... Et pas des poids extravagants... juste une mesure entre trente et quarante kilos. Je... Je suis ici... pour devenir riche...
Je lève mes yeux en direction de l'explorateur. Je suis mal à l'aise. J'ai envie de lui prendre au col. Il doit parler.
La suite m'est insoutenable. Il me faut commenter de quelques manières que ce soit. Je commence par de petites critiques, puis je passe au narcissisme. Je discerne de l'exaspération sur certains visages.
Nous traversons le lieu des feuilles rouges. Il nous faut passer par les racines.
Je suis faible. Toutes ces missions pour finir comme un faible face à tous. Je me souviens encore de mes propos assurés à ma mère sur mes aspirations. Je voulais devenir comme l'illustre empereur. Ce vœu a forgé mon parcours. J'ai tenu bon durant les entraînements ou pendant la montée sur les montagnes Virkhusos à la recherche de mes clients.
Je n'aurai jamais imaginé me retrouver à parcourir la Toile, une blessure au côté. Une plaie en appelant une autre beaucoup plus ancrée.
Une douleur me déchire en observant ces squelettes truffés de lames. Je ne me contrôle plus et saute au col de l'explorateur. Il nous mène à l'abattoir. Nous n'allons pas en réchapper ainsi. Il faut que je lui torde le cou à temps.
Cela se retourne contre moi. Je me retrouve au sol. Et qui m'octroie une leçon ? Une novice. N'est-ce pas affligeant ?
« Nofer » — Et il le dit aussi maladroitement à mon intention. De la boisson, des odeurs âcres me montant au nez. Une soirée à l'envers sur un fauteuil, ivre de mon effervescence. C'est ainsi que se finissait mes journées, sous le coup du dé lancé.
Je me dois de me trouver un allié en cas de retournement de situation. Je me tourne vers celle qui me semble étrangère à toute l'affaire.
— Je peux te parler un moment ? commencé-je, tout en la fixant.
Elle ne me considère même pas et ne répond pas.
— Tu sais, je tiens à m'excuser... T'es une fille sympa et c'est grâce à toi que je suis encore en vie... tu sais... face à l'e-motio de la jalousie... Je n'ai pas encore eu la chance de te remercier... alors, merci...
— Je vois... dit-elle, sans me prêter attention.
Son attitude me laisse perplexe. Dois-je réellement me confier à elle ? Cela ne va pas être gai, mais j'en ai vu d'autres. Je me rapproche d'elle doucement en inclinant ma tête.
— Écoute... Je soupçonne le chef de vouloir nous mener droit vers un piège...
— Tes preuves ?
J'essaie de la mettre au parfum de mes doutes. Elle a l'air de ne pas suivre, mais je perçois un certain examen de mes propos. Les prend-t-elles au sérieux ?
Je suis revenu dans mon pays pour prendre des nouvelles de ma famille, mais aussi effectuer le paiement d'une dette qui me pesait sur le cœur auprès d'Illit, une amie très chère qui a contribué à mon évolution grâce à ces humbles conseils. C'est là que j'ai revu mon collègue m'attendant dans un bar. Oyphul me proposa cette quête en me vantant les multiples bénéfices que nous pourrions en tirer. Je n'adhérais pas tout de suite, puis étudiais l'opportunité d'un autre œil.
Ce dernier est mort, maintenant. Suis-je touché ? C'est secondaire. Nous n'étions pas attachés. Ai-je des regrets ? Oui, ça fait mal quelque part... dans un coin de mon cœur.
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* *
— Qu'est-ce que c'est que...
Je me retourne vers notre vigile de cette nuit, tenant à enclencher clairement une dispute — Non, je n'essaie pas — Je veux placer une discorde entre nous, maintenant.
— Eh ! Où as-tu mis mes affaires ?
L'explorateur lève doucement la face pour mieux comprendre.
— Mes babioles étaient près de moi... où les as-tu placés ? vociféré-je, prenant à chaque nouvelle seconde, un ton plus grave et se voulant crieur.
— Seigneur... dit-il en se dressant d'un bond.
Il tourne son regard autour du camp et près des fardeaux de l'ensemble de l'équipe. Je ne me sens plus apte à rester en place et imagine très vite le plus sournois de tous les coups : il l'a caché pour nous laisser sans armes. C'est son premier acte pour se retrouver seul maître de je ne sais quoi.
Je n'ai point le temps d'y réfléchir consciencieusement et laisse libre cours au reste des hypothèses. Je m'approche presqu'en sautant vers lui alors qu'il pivote pour croiser mes pupilles.
— Il n'y a pas que les tiens... me répond-t-il droit dans les yeux, ce menteur.
— Écoute-moi bien, pauvre hypocrite... riposté-je en l'empoignant. Si tu n'me donne pas ce qui m'appartient tout de suite, par Devada, je te refais...
— Calme ton foutu emportement... me sort-il, m'empoignant à son tour au blouson de toutes ses forces...
Je ne trouve pas les mots. Je n'ai aucunement envie d'entendre ses mensonges — Oui, elles en sont — J'ai la rage qui me monte jusqu'au nez. Pourquoi me ment-il ainsi ? Non, je le sais. Il veut tous nous avoir pour nous dicter ces conditions. J'expire avec forte haleine. Je dois découvrir son problème.
— Du calme, soldat... continue le meneur.
« Du sang-froid... garde le contrôle... t'entends ? Maîtrises-toi... Ce n'est pas en se cherchant à la première appréhension que nous allons résoudre le problème... »
— Que se passe-t-il ? intervient le prêtre.
Celui-là, il ferait mieux de ne pas venir m'embrouiller tout de suite.
— Il se trouve que nos charges ont mystérieusement disparu... essaie de voir si tu trouves des traces de pas sur la paille fermement ancrées. Et si tu reconnais les traces des semelles de Bordos, viens sans attendre...
— Allez, on va régler cela... Ce n'est pas moi, enfin... se défend le chef.
— Mais il se trouve que c'est toi qui étais de garde, merde... Tu aurais dû voir quelque chose... Je suis certain qu'il y a un truc de louche. Où... as-tu... mis... mes... affaires ?
Je ne me contrôle pas et tente de le prendre au cou. Il m'attrape à la tête et me pousse sur sa gauche, avant que je ne ressente un coup de pieds sur mon mollet. Je sens mon pas chanceler, mais j'arrive à lui en coller une sur la joue droite, le déstabilisant quelque peu tandis que je finis sur la paille et me relève en un bond.
— Eh eh ! s'interpose l'autre au masque.
S'il croît m'impressionner avec son sabre dégainé à mon intention, il doit revoir son jugement.
— Ôtes-toi de mon chemin, m'écrié-je, en plaçant un pas en avant.
Son masque tourné vers moi, il bouge de quelques centimètres sa lame.
— Règle ton différend à un autre moment... pour l'heure, je te conseille d'adoucir ton caractère.
— Tu es de mèche, bien-sûr. C'est toi qui as caché le tout, désencracteur...
— Je ne suis pas aussi docile que tu ne le crois, Eskiell. Nous, les désencracteurs sommes capables de bien des fléaux.
Je reprends peu à peu de mon emportement. Je desserre les poings et incline le front pour mieux préparer mon prochain mot.
— Dis-moi, puisque tu te dis... innocent... Qu'est-ce qui a pu te distraire pour ne point remarquer la disparition de gros sacs semblables à d'énormes pierres sur une paille ?
— J'ai fait le tour... lance le guide aux potions.
« Et je n'ai rien trouvé. Mises à part nos traces respectives à l'endroit de nos couchettes, aucune marque de passage étrangère n'est visible. »
Je sais que c'est Bordos le responsable. Il a pensé comme moi, à comment nous manger dans la main. J'avais aussi prévu de m'emparer d'un bien nécessaire à l'équipe afin de les faire pencher en ma faveur, si jamais le moment devrait être critique.
Nous échangeons avec moins d'ardeur qu'au début. J'aperçois Alpha. Elle doit être là depuis quelques minutes ou beaucoup plus. Selfor appelle le chef. Je ne le suis pas. Je dois avoir raison.
— Mais qu'est-ce que... murmuré-je, dans ma barbe naissante.
Les charges sortent d'un trou inconnu juste à côté de mon coin de repos. Qu'est-ce que cela veut-il bien vouloir dire ? Comment ?
— Enflure ! Tu m'as bien piégé, trombe de dell* !
Je ne contrôle plus mes jambes et me reprends à refaire la même crise. Mais avec ma blessure s'étant rouverte, je me retrouve à nouveau sur la paille.
— Bien, Messieurs... Mademoiselle, lâche Bordos, en revoyant son poignet.
« Avant toute chose, je voudrai préciser un élément... »
Je crois comprendre sa stratégie. Il veut m'incriminer le premier pour se débarrasser de moi. Il a les cartes en main.
— Bordel ! Ce n'est pas moi et tu le sais très bien... Bordos... lancé-je, tout en soufflant fortement.
— Je disais donc, hausse le chef. Je voudrais clarifier un point essentiel...
— Eskiell n'a pas pu commettre cela...
À quoi joue-t-il ? Essaie-t-il de se faire passer pour le gentil ?
— Co... co... comment ? C'n'est pas lui ? réagit Nsenga en me jetant un regard étonné.
— Non messieurs... répond Bordos.
— Mais alors... ?
Je n'y comprends plus rien. À quoi rime cette farce enfantine ? Il n'y a pas lieu de cacher un objet, puis de le ressortir pour ne point utiliser un tel atout ! Que peut-il bien se passer dans cette forêt ?
* trombe de dell : tvarak au teint noir ayant la forme d'un éléphant sans ses oreilles, mais étant sept fois plus petit. Il est plus connu pour jouer des farces aux créatures le croisant. Il n'est pas foncièrement méchant, mais il est recommandé de ne pas en faire un compagnon de route. Il est considéré comme un symbole de mal chance.
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