Chap III : Le Talent D'un Aventurier (2/3)
Une émotion résulte d'une information se présentant face à l'homme. Étant une réaction immédiate, il faut se rattacher aux sentiments qui sont une compilation d'émotion se renforçant au fil des jours, des mois, même des années. Ces derniers définissent en partie le comportement humain.
Les e-motios dévoreurs sont sensibles à cette force naturelle. Mais ces émotions ne leur appartenant pas, il est de mon devoir de remonter à la source pour orienter, voire affaiblir l'intensité de l'émotion. Dans le pire des cas, il me faudra réagir impartialement.
L'e-motio se met en mouvement. Mais il n'a pas eu le temps de réagir que je commence à me connecter au canal d'émotion du titulaire de ses sentiments. L'animal bondit en avant, brandissant une main rougeoyante. Je n'y prête plus attention et lance l'opération.
— Calme-toi ! lancé-je le visage serein, le fixant profondément dans ces orbites noirs.
Il retombe dans la boue, désappointé. Ces mots l'ont certainement fait le coup d'un tintamarre cervical. Il cherche à retrouver ses esprits.
— Bien, calme-toi. Tout va bien se passer... tu m'entends ?
La créature fait mine de me regarder, tournant difficilement la tête comme prise d'une violente fièvre.
Le temps ralenti semble s'arrêter progressivement. Les arbres ne se balancent plus dans tous les sens, les gouttes de pluie sont figées dans l'espace, plaçant le décor sous une infinité de point transparent. Une seule chose demeure pourtant : le froid.
Je me retrouve sur terre, au milieu de trois personnes. Non, d'un peu plus que ça. Devant moi, un homme masqué, tenant un couteau suédois. Vu la position et l'enchaînement qu'il prend — jambe gauche en avant, main droite en recul formant un angle avec le coude, bouche entrouverte, yeux bleus pétillants de rage — c'est un cambriolage.
Je suis dans une ruelle. La pluie bat son plein aussi ici. Il n'y a pas d'autres personnages — Ah, si ! — Un jeune homme sous son imperméable, empruntant déjà un autre chemin de l'autre côté de la ruelle. Il est trop éloigné pour entendre quoi que ce soit.
Les deux personnes derrière moi — l'homme en avant et le jeune garçon en arrière — n'en réchapperont pas par une contre-attaque. Il a l'air seul. Non, j'aperçois une alpina rouge pas loin. Une femme au volant, témoin épanouie de la scène. Ces traits sont tirés, preuve de plusieurs heures d'intoxication et d'un manque cruel de sommeil.
J'en conclus que la source de l'émotion est cet agresseur, avide du peu de bien entre les mains de la dame. Les sauver m'est impossible physiquement, n'ayant aucune incidence directe sur ce monde, si éloigné du mien.
Mais tuer cette femme ne fera qu'accroître ses désirs, ne me facilitant pas la tâche. Je ne peux non plus le supprimer, vu le peu d'impact m'étant permis — je suis l'observatrice — cependant, mon travail me permet de briser certaines restrictions — Je n'ai pas le choix.
Je dirige mon regard vers l'enfant accolé à sa mère. La peau rose précisant une venue de larmes à grands flots sur ces petits points lui dessinant les joues. Le fixant, j'arrive à repérer dans ses souvenirs, un grain de son identité.
— Eric ! Ce soir, ta mère sera gravement blessée. Tu l'as perdras si tu ne fais rien... Tu as le choix... Arrête cet homme !
Le décor en suspens laisse place à un retour au front. L'e-motio flanque brusquement sa tête dans la vase paraissant chercher à contenir ses crises répétées. Sans même avoir déterré sa face, il me fonce dessus. Je détache mon arc en fer noir et me met en position de tir. Non, je me dois de changer de tactique. Il est trop petit pour lui perforer le corps sans qu'il ne puisse trépasser. Je me décide à lui faire face.
Je peux sentir le vent frôler ma peau et m'obliger à produire un frisson bref, mais saisissant, qui me permet toutefois de détecter un violent crochet du pied m'étant destiné. J'esquive en voyant passer au-dessus de ma tête une longue jambe parcourue de graves cicatrices noires. Je ne prends pas la peine de répliquer que la créature est sur moi, ouvrant sa gueule. Il allonge de fines, mais dangereuses dents allongées.
— À genoux ! tonné-je avec écho.
La bête, forte de sa vitesse, se retrouve à nouveau sous le joug de ses maux de tête. Alors qu'il chute de mon corps, une bourrasque me projette de quelques mètres, m'envoyant éclater en plein une grande flaque d'eau. Je me relève sans attendre, crachant au sol le peu de terre dans ma bouche.
— La carcasse ! murmuré-je à mon intention.
Elle est debout, le ventre ouvert, les bras coupés, la face de dos, preuve que le crâne s'est détaché de la colonne vertébrale. Le cerveau du corps sans vie se relève, ayant plus ou moins récupéré ses esprits et me lançant un regard haineux, sourcils froncés, rides accentuées, mâchoires mordant dans le vide et les mains crochues, prêt à en découdre.
Je cligne des yeux, me ramenant sur terre, dans une petite salle. L'assaillant est face à deux hommes. Je fouille dans leur esprit — Des inspecteurs — Alors, c'est à cela que ressemble un inspecteur dans ce siècle sur terre? Malheureusement, il me faudra du temps pour en savoir plus, mais le temps me tenaille. Je me tourne vers le petit bandit, voulant vérifier le déroulement des événements en mon absence.
— Monsieur Joe Desimer... Vous avez grandi sur Aspen Grove Santa Fe Drive Sud dans le Westminster, Colorado... Vous avez fait partie du club de volleyball The Edge, jusqu'à l'âge de dix-sept ans... enchainé des petits boulots avant de vous retrouver ici, à New-York. D'après nos informations, vous vivez seul sur Nostrand Avenue non loin de la Junior high school à Brooklyn. Est-ce exact ?
— Ouais, c'est ça...
C'est totalement faux. La femme dans l'alpina rouge vit avec lui, indéniablement.
— Je note que l'appartement n'est pas payé sous votre nom, mais sous le nom D'Helen Price. Une amie ? Vous êtes sans emploi fixe et vivez en vendant des pizzas sur un périmètre de deux kilomètres avec commission à l'appui. Confirmez-vous cela ?
L'interrogatoire tourne sur sa personne. Après quelques échanges, l'homme fait une déposition et est accusé de sept autres exactions commises ces derniers mois, dont il se défend énergiquement de n'en être pas l'auteur. J'ai beau en savoir long, il n'est pas de mon ressort d'en informer quiconque.
Il se retrouve en ce moment, dans une des cellules du parquet, juste à côté d'un autre inculpé. Ivrognerie sur la voie publique, je puis lire en continu dans ses souvenirs. Le teint pâle, la barbe se blanchissant tout en dévorant le visage, des traits démontrant la fatigue. Curieusement, un parfum chic émane de lui sans trop de prétention — Je peux me servir de lui — Le fameux Joe n'a pas changé d'un iota. Ses motivations sont doublement plus viscérales. Il désire et désire encore. Qu'importe à qui appartiendrait ces trésors. On ne lui avait pas tendu la main sur son trajet, alors ce n'est pas maintenant qu'il va s'arrêter — Pas le choix — Je plaque mes yeux sur l'homme chancelant de sommeil.
— Dis, petit ! T'aurais pas du feu sur toi ? Ces salauds me l'ont arraché en me plaquant contre leur véhicule...
— Cause un autre jour, Papy ! J'n'ai pas les nerfs pour te supporter.
— Toi, t'as l'air d'en baver... C'est ta première fois au trou ?
— Et c'est la dernière, figure-toi... Mais si tu me cherches, je crois bien que j'y resterais un peu plus...
Un silence s'impose. Le vieil homme s'occupe les mains en tournant un bout de papier resté cloîtré dans sa veste noire délavée avec une grosse tâche en plein sur la droite. Joe cesse de faire des va-et-vient dans sa cellule et finit par s'assoir.
— C'est pour une fille ?
— Fiche-moi la paix, le vieux !
— Méfie-toi ! Ils n'valent pas grand-chose, les types qui se refusent à avouer leur dévouement à un être cher.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Ta tête de boudeur de maternelle... Tu fais les gros durs, mais une rage folle te rappelle qu'elle existe et que tu dois sortir pour elle.
— Tu sais qui je suis, vieil homme ? Je suis Joe le bestial et personne ne m'empêchera d'atteindre les sommets.
— Elle doit être contente de t'entendre piailler comme ça toute la journée. Elle est enceinte ?
L'inculpé se lève. Et se rapproche de la grille de son interlocuteur.
— Fais gaffe, l'ivrogne. Qu'est-ce que tu sais sur moi et ma réalité ? Toi qui n'en a même pas, de vie. Personne ne s'occupe de toi... et tu n'as à t'occuper de personne... Tu passes ton temps sur ton parquet à gueuler comme une donzelle des bas quartiers.
L'homme ne répond pas et contemple le jeune homme s'éloigner en levant la tête.
— Quatre jours ! C'était tout ce qui me restait pour reconstruire ma société, commence le sexagénaire.
« Quatre foutus jours de merde... pour voir naître l'acharnement de toute ma vie. Mais ce soir-là, les bourses chutèrent... Les actionnaires firent marche arrière... Ma fille disparut dans l'heure, je ne sais où... »
Le jeune Joe tourne la tête, fixant l'homme.
— Je l'ai cherché partout... J'étais assailli de coup de téléphone me précisant chaque minute un peu plus la faillite. J'ai fait fi de la tête... La seule chose qui comptait pour moi, était ma fille... vingt-trois ans, toute la vie devant elle. Elle s'était baladée avec qui, me demandais-je. Et tu sais quoi gamin ? J'ai pleuré... Pour la première fois depuis la mort de sa mère, je laissais couler des larmes de désespoir mais surtout de rage... de rage envers moi pour ne pas avoir pris la peine de la prévenir ou même de lui poser une question... Je n'sais pas moi... Est-ce que tu vas bien ? Qu'est-ce que tu voudrais qu'on fasse après mon travail ?
Il arrête de se plonger complètement dans son passé.
— Lorsqu'on l'a retrouvée...
Joe dont l'histoire se mélange avec ses propres désirs de conquête, écoute d'une oreille distraite. Mais à ce début de phrase, son attention se fit plus intense.
— Ma fille... reprend l'homme, le visage s'animant, annonçant des larmes. Elle était vivante... dans un appartement... bourrée de ses saloperies de cachets et de poudres... J'ai décidé lorsque les médecins m'ont annoncé sa stabilisation, que jamais plus je ne la mettrais hors de mon plan de vision. Quand on m'a permis de la voir, je lui ai dit :
« Suzy, écoute... Papa a toujours été ambitieux. Papa voulait te voir aussi comme ça. Mais Papa n'a pas compris la vraie raison de ta naissance, jusqu'à récemment. Tu es née pour me montrer bien mieux que ce que je rêvais. Née pour sauter, pour chanter, pour rêver selon Suzy Jones...
Elle se mit à sourire et je mis ma main sur son genoux et lui dit : « tu vas voir, je vais bien m'occuper de toi, à partir d'aujourd'hui... on sera comme ça »... Et je lui montrais mon pouce pour lui prouver que tout irait bien..« Papa a perdu son travail, ma chérie. Demain, papa se bâtira un nouvel empire avec toi. »
— Tu crois que je vais avaler ton histoire à deux balles juste parce que tu es au bord des larmes ?
— Monsieur Westminster Jones ? Deux personnes sont venues vous libérer, prononce un des gardiens déjà affairés à ouvrir la porte.
— Ah, c'n'est pas trop tôt ! s'empresse-t-il de pouffer à travers sa barbe.
Il se lève en titubant. Un homme pénètre dans la cellule et embrasse le vieil homme chaleureusement.
— Vous nous avez fait peur, West, lance l'homme pendant que le concerné cherche un moyen de réagir à cette affection.
Puis arrive une femme en robe bleue scintillant avec une veste couvrant les épaules et les cheveux en couronne.
— Tu es incorrigible comme à ton habitude, s'écrie-t-elle.
— Oh, pour deux verres, vous n'allez point m'incriminer ?!
— Peu importe, chérie... Nous devons rentrer à la réception. Les invités doivent nous attendre, coupe le nouvel arrivé, bien costumé avec une fleur blanche dessinée sur sa veste noire.
Le vieil homme se retourne vers Joe, l'air heureux.
— Voici ma fille Suzy et voici Carl, son mari. J'avais tout perdu... Aujourd'hui, je gagne bien plus avec cette équipe.
Joe reste sur son lit, observant tout ce petit monde avec des intervalles de détour de tête, comme pour chercher à n'être pas marqué dans les esprits.
Le groupe sort de la cellule. On entend les récriminations de la femme sur la veste misérable que West porte et lui de répondre qu'il l'a troquée au jeu, tout en lançant une dernière question perceptible : « où est Helen ? »
Joe reste seul dans la cellule. Se frottant les mains, les yeux perçants.
— Et alors ? Tu crois que ton histoire de riche est comparable à la mienne ? Connard va !
Joe Desimer, fils d'Allan Denfer et d'Irina Loprice, mais élevé par son père adoptif, Verlon Desimer. Ce dernier fut pour Joe, son vrai père jusqu'à l'âge de douze ans. Après cela, sa mère lui dit la vérité. Il dut côtoyer ce nouveau personnage durant les années qui suivirent la mort de Verlon. Son nouveau père, plutôt ennuyé de porter cette charge, ne transmit qu'une éducation sans principe sous les coups et les humiliations. Le petit, à l'âge de seize ans, n'en pouvant plus, se jeta dans la rue. Un désir le poussait toujours à avancer. Mais cette flamme fut troquée par la voracité du besoin, poussé par le fait qu'il ne trouvait aucune bonne affaire.
Ce soir du 31 Janvier 2003, l'homme s'était énervé contre le vieil homme.
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