Chap II : Ce Qui Tue Les Hommes (1/3)
« Un innocent s'est étalé devant moi. Alors, j'ai hurlé de colère. La terre appartient à la vie. Toutes les guerres, laissez-les-moi. Je vous en conjure, vivez ! »
La dernière allocution du puissant empereur du continent éternel fut à jamais gravée dans le cœur des soldats heureux de jeter à bas leurs armes tachetées de sang.
La guerre, ce poison insolent et sans pitié. Après quatre-vingt-douze ans de sang versé et d'assujettissement à la violence. Un homme, mieux qu'un humain, c'était un monarque, le symbole.
Symbole de justice et de paix, il se tenait là, levant le poing, l'abaissant de tout son poids, de toute sa rage sur ce qui fut il y a encore si peu, son armure l'ayant protégé jour et nuit, partagé son corps et imposé sa renommée de fléaux des mondes.
Le nouveau seigneur assénait des coups d'une violence effroyable sur la cuirasse dorée, provoquant des jets de sang tout autour de lui, touchant le prêtre de cérémonie du couronnement. Tous ces guerriers, en rang, par centaine de milliers, venus des extrémités du royaume, assistaient sous l'ardeur du soleil à la bourrasque enragée ; tétanisés, cherchant à entrevoir le message derrière cet acte empli d'allégorie.
Un autre coup était porté, suivi d'un autre impact. Il n'osait s'arrêter. Des frissons traversaient le corps des soldats, se lançant des regards interrogateurs. Personne, dans l'entourage du grand général n'ose l'interrompre, prenant un air froid, comme déjà préparé à la scène. Pourtant, en chacun de ses aides de camp brûle un feu ardent de renouveau.
— C'est le grand jour, se dit intérieurement le plus ancien des généraux à la tête d'une légion du leader.
Le vacarme n'est plus. On cligne de l'œil. Est-ce fini ? L'armure est en pièce, plaquée sur la pierre dont on entend les quelques morceaux de cailloux s'en détacher. Méconnaissable trésor de guerre aux multiples rouge le parsemant.
Qui pourra oublier cette scène ?
Le roi se tint raide, le buste en avant, le poing droit s'accrochant à la poitrine. Il ne tremblait pas, sa main baignée de ce rouge quotidien avait l'air d'appartenir à un dieu, tellement elle se contractait aisément pour pointer le peuple entier rassemblé aux confins de l'horizon, partageant la teinte de cette main levée.
« Soyez frères ! En ce jour, que le riche élève le pauvre ! Que le roi devienne un exemple, et que le ciel ne s'imprègne plus jamais de la couleur du sang de mes enfants, de mes aînés, de mes innocents.
Las de ces mensonges, las de ces limites, las de ces rejetons à terre.
Rage de vie, je jetterai mes armes dans le feu ;
Rage de paix, je cultiverai la terre ;
Rage de justice, je mélangerai les couleurs de ce peuple afin de hurler à l'univers ma plus grande faiblesse, Haemmer ! »
Haemmer, royaume naturel aux mille légendes. Si nous devions l'observer de vol, nous remarquerions ses plateaux escarpés, coupés de verdoyantes vallées, variant les couleurs au gré des saisons sur une terre propice à l'agriculture.
Fier de sa haute montagne, le relief d'Haemmer peut s'enorgueillir de ses impressionnantes chutes dévalant toute la côte-Est du continent, le traversant en une bande s'allongeant en ramification pour le bonheur des innombrables créatures et végétaux peuplant ce paradis.
Du tourisme aurait été une bonne idée, mais ce qui ne peut que m'interpeller, est la première et vaste forêt tropicale d'Haemmer : « la toile ».
Actuellement, je suis à son insondable lisière. Le vent provenant de l'intérieur me produit un frisson, laissant mon esprit nager dans une rivière de question. Le ciel orageux me précise l'inéluctable. Le temps ne me sera point clément si je m'éternise ici. J'abaisse le regard sur la forêt me faisant face.
Les feuilles soulevées par le vent fort, me faisant un bien fou, laissent entrevoir les ténèbres de cet épais territoire. Des soupçons de lumière tels des points s'allumant, s'éteignant rappelant les lucioles de mon enfance.
— La vie est trop brève pour s'éterniser ici... dis-je, en m'empressant de pénétrer dans l'antre des mythes, mon sac au dos.
Les e-motios, créatures physiques ou spirituelles, captant les émotions et les sentiments en les accumulant dans leur corps.
Je viens de réaliser un long voyage depuis Éris, la province du Saint empire, juste pour me rapprocher de ces êtres exceptionnels. Cependant, il est bien difficile de se vanter d'avoir contrôlé ces pétards de couleurs.
Sur la terre, on considère que nos émotions sont provoquées par nos multiples unités cérébrales permettant ainsi, dans la situation se présentant, de réagir à l'invasion d'informations agréables ou non — C'est un dixième de la vérité, ma foi.
Leurs racines proviennent des e-motios qui ont répandus leur essence à travers l'espace. Apportés aux autres espèces à travers l'univers, les émotions ont évolué et présenté d'innombrables nouvelles caractéristiques.
Une nuit, les créatures de Lodart ont vu des milliers d'étoiles filantes déferler sur toute la surface du globe. Plus tard, les habitants assistèrent à des phénomènes fantastiques noyés de lumière à travers les forêts et les villes. Les e-motios captaient les émotions et sentiments de toutes les vies animales, végétales et microscopiques de l'univers les rendant luminescents et capables de prouesse de transformation abasourdissante. Mais la situation a vite tourné au cauchemar.
Les émotions provenant de certaines régions de l'espace étaient si sombres et si sales qu'elles dépeignirent sur leurs capteurs qui commencèrent à adopter leurs comportements malveillants conduisant au massacre.
Aujourd'hui, il n'existe que deux professions officielles apte à tenir tête à la puissance des e-motios en proie aux émotions: les forgeurs et les aventuriers.
La nuit est telle que je l'imaginais : de la boue, des feuilles mouillées et de larges marres d'eau qui ruissellent sur toute l'allée du chemin pris une heure auparavant. Des bruissements déchaînés, des éclairs lézardant le ciel avec tonnerres et moi, sous ma couverture dans une demeure de sept mètres carrés.
Une maison à deux cents mètres de l'entrée de la forêt comme mentionné par le boucher de Pallarya*. Quatre pièces, dont la plus grande m'abritant : bois d'ébène, charpente soufflant les années de non entretien, toile d'araignée dans tous les recoins cachant les nombreux trous perpétrés par des petites bêtes, à première vue. Un peu de ménage à la façon puriste et cette carcasse rira de tout son éclat.
On m'avait assuré que je risquais de la retrouver en miette. À croire que son propriétaire n'a jamais daigné y remettre les pieds après s'être déplacé pour la campagne. Les murs étaient bâtis du même bois formant des carrés se suivant dans toutes les pièces de mon refuge. Un tissu imperméable comble les vides au milieu de chaque carré, maculé de jaune. Son blanc d'autrefois devait être agréable à admirer. Le tout était conventionnel, rendant mon abri salutaire.
Dans la demeure, pas de meubles, pas d'outils, juste un tapis beige, recouvrant la pièce, taché de noir à certaines extrémités dû à l'humidité, s'étant infiltré. Je dois avouer qu'il m'a fallu quelques bonnes petites minutes pour au moins la détacher du bois afin de me permettre de me reposer.
La pluie bat son plein dehors. Je peux ressentir les fracas des éclairs percutant un point de la forêt. Vu sa fureur, j'en déduis que cela durera toute la nuit.
Je me laisse tranquillement porter par le sommeil. La marche a été longue et éreintante depuis mon arrivée sur le sol du royaume.
Je revois encore la danse des deux e-motios se tenant la main. Ce détail me rappelle sans cesse les mises en garde du forgeur. Je le garde dans un recoin de mon cerveau. Après tout, je rêve de le trouver depuis mon entrée dans ce monde.
*Pallarya : province du royaume d'Haemmer.
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