Chap I : Ce Qui Leur Est Arrivé (2/2)

Le forgeur s'avance, tête fixant le pavé. Il commence par fredonner le même air qui ne cesse de monter.

Les deux êtres se lèvent, les yeux fermés. Pris par le même état que précédemment, Ils lèvent leurs mains et entament les premiers pas sautés. Un ballet et les deux danseurs se rapprochent pas à pas.

Le forgeur se met à chanter produisant une accélération des deux âmes :

'Célébration durant, ils s'étaient rencontrés ;
Heurtés le jour filant, ils s'étaient appréciés ;
Ils marchaient ensemble ;
Ils filaient ensemble ;
Ils criaient ensemble'

Les deux personnages se rapprochent, s'enlacent tout en exécutant un tour complet, la joue l'une sur l'autre. Prestation s'étalant, leurs yeux ne se sont encore pas ouverts. Pas une seule fois. Tels des nymphes au panthéon des glorieux, ils s'élancent d'un côté puis d'un autre. Ils ne se détachent pas.

Leur mouvement, à ma grande surprise affiche une décélération rythmée. Les pas deviennent lents, les corps restent stoïques, puis s'abaissent, suivis des bras. Ils se touchent le visage et forment un cercle.

Une vive chaleur émane de leur position et me traverse. C'est une sensation douce et affectueuse, rendant le moment enviable. Les deux cœurs, l'un reflétant l'autre, ne cherchant rien de plus agréable.

'Oh ! Qu'ils vibraient !
Fort de leur frémissement ;
Temps d'un battement de cil, plus intensément ;
Leurs âmes s'étaient liées plus que leur chair'

Les êtres reprennent, se déplacent vers l'autre amas de conscience, subjugué par l'action. Un nouveau tour sur soi, ils se lâchent, se collent dos à dos, puis lèvent les bras dans une cadence de prestance déroutante.

'Ce fut le cœur étoilé ;
Incontrôlable séquence hors du temps et de la raison ;
Raison leur fut donnée ;
En ses cadeaux fragiles, la séquence se reflétait'

Sans crier gare, ils se séparent.

'Mais que s'est-il passé ?
Où s'était évadée cette orgie céleste ?
Comment s'était évadée la complicité enviée ?'

Les acteurs dansent à présent d'un pas éloigné, chacun d'un côté.

Elle, s'élance sur l'autre flanc, tête haute, zigzaguant, tournant trois fois sur elle.

Lui, devenant fourbe, cache son visage, se remue çà et là, s'accroupit soudain, étend sa main vers le sol, l'air de chercher quelque chose. Il se déplace de surcroît, stimulant en nous ainsi un sérieux intérêt pour ce comportement.

'Un matin, des objets fracassés ;
Des sentiments étouffés ;
Ces mensonges absurdes ;
Interruptions à n'en plus finir'

Les places s'échangent. Les deux contrariés se croisent en ne daignant même pas lancer un regard à son partenaire.

'Pas même un mot doux ?
N'est-il plus possible une simple caresse ?'

D'un mouvement, la cadence s'accélère à nouveau. Cette fois, je ressens un boom au cœur. Des frissons me parcourent le corps. Une pression, là, dans ma poitrine comme si elle tentait d'étouffer son précieux trésor. J'y porte une main, tentant d'apaiser la sensation. La sensation ? Oui je sens ma respiration me manquer. Je porte un regard autour de moi. Le même choc se distingue parmi la foule au teint blafard.

C'est l'émotion.

Ce type d'e-motio est capable de telles afflictions ? Un homme chancelle à mes côtés. Costume trois pièces, monocle à l'œil gauche, moustache et barbe soignée, approchant la soixantaine. Une femme réagit et le relève alors qu'il s'appuie sur elle.

Il l'a certainement ressenti plus que son âge peut en supporter. Le coup a beau être barbare, il n'est pas alarmant. Personne, dans les villes n'a jamais émis l'hypothèse de placer des limites aux forgeurs quant à l'usage de leurs talents.

Plus il y a d'émotions, plus la population peut admirer les méandres des civilisations au-delà des portails. Personne ne voudrait être privé de cela, ici. Si jamais quelqu'un devait avoir un malaise grave, cela serait de sa faute, d'après les coutumes Carthage. C'est ainsi et jamais plainte n'a été émise.

Malgré la douleur, j'arrive à tenir sur mes jambes. Je l'assimile même à un de mes frénétiques entraînements à Éris.

Des larmes se dessinent sur des joues, un sanglot éclate. Je comprends que je ne suis pas touchée par tous les symptômes. J'ai beau avoir mal, qu'à cela ne tienne, je ne ressens pas la moindre émotion. La douleur est là, mais pas la réponse. Je devrais me renseigner sur les autres caractéristiques en observant les spectateurs.

Les personnages de l'autre bord rencontrent des cas similaires. Je note qu'il y a parmi la foule, des soldats de Carthage, pris de court par le spectacle. Leurs hallebardes près du cœur, à même cachées par l'armure d'argent réputée aussi solide que la roche composant Carthage. Ils se passent à l'occasion, une main pour éponger leur front.

Combien sont-ils ? Deux, trois,...sept disséminés. Sauf qu'ils ne sont pas seuls. Un être vêtu d'un manteau noir à capuche en cuir me dévisage. La représentation ne l'intéresse guère. J'aperçois derrière cette sinistre fourberie, un masque en fer d'une noirceur similaire. Ne serait-ce pas un casque ?

Un flash me paralyse l'espace d'une seconde. Des images : Un homme et une femme, un cri assourdissant, la rage enflamme les cœurs, une porte claquée, un enfant au milieu, la tête levée, le son étouffé.

Je n'ai nul besoin de me plonger dans l'émotion. Ces créatures connectent les témoins de la scène mutuellement afin de pouvoir avoir un aperçu de ce qu'ils veulent communiquer.

Les deux se font face. Le mâle lève sa main, le passant en pleine figure. L'autre détourne le regard, hochant les épaules, le corps droit, la main sur la poitrine.

'On tente d'endiguer la conversation ;
Une opportunité de faire mal ;
Le tout, relancé sur l'échiquier'

'A-t-on réellement cherché ?
Origine des maux non-dénoués ;
Les miettes poussent à l'effondrement ;
Ces instants de chaleur se partageront avec d'autres'

'De l'égoïsme ? Non, petite chose ;
Juste que l'une des âmes a perdu son pour quoi ;
Poussant l'autre, incompris, à éparpiller leur héritage'

Les deux créatures se prennent par le cou, l'impression de dérouler l'acte fatal. Les corps continuent à engager le pas, prolongeant le dilemme. Les mains sont retirées, les poitrines se rapprochent, se bravent, se détournent en un mouvement lent, mais synchronisé.

'Les voilà si loin ;
Si loin de leurs battements d'aile ;
Collier serré en poing ;
Satisfaits, ils le sont à plaire ;
Oui, ils le prouvent avec soin ;'

'Et pourtant ;
Et pourtant ;'

'Il manque quelque chose ;
Ils ont oublié quelque chose ;
Quelque chose'

Le son s'estompe progressivement. Un claquement de paume retentit, suivi de bravos doublés d'applaudissements. Le public en est repu. On relève certains, encore secoués.

Je reviens aux deux humbles de cette effervescence. La tête penchée en avant, preuve que la scène ne s'est pas encore totalement achevée. Un dernier détail attire mon attention. Il faut un minimum d'attention pour le voir Deux mains Oui, deux mains se serrant dans cet épilogue, envoient un dernier message.

Quelque chose... murmuré-je. Oui, quelque chose...

Les créatures se lèvent, quittent la voie permettant déjà à une vague d'hommes et de femmes pressée, de reprendre leur course, les e-motios se rapprochent du forgeur, le dépassent sans un mot et se plaquent à nouveau sur le parterre contre le mur du garde-fou.

L'ombre de tout à l'heure a disparu. Je me décide à l'imiter. Le silfer que m'a recommandé la vendeuse ne doit pas être loin.

Jeune étoile ! prononce le forgeur sans daigner me faire face, la tête toujours penchée sous son chapeau.

« Tu as choisi d'être aventurière. C'est une noble profession, mais là où tu vas, il n'y a que ténèbres. Prends garde à toi ! Tu n'es pas la seule à le rechercher. »

Je ne réagis pas tout de suite, cherchant à déchiffrer ses paroles.

J'ai entendu, lancé-je, sans trop savoir pourquoi.

Un dernier passage sur les deux complices qui me renvoient ma curiosité, en ouvrant des yeux d'un vert citron remplissant toute la surface de l'œil. Leurs traits rendent ses sclérotiques longues et fines, avec des cheveux en cône d'un noir profond sur cette peau pâle.

Ils te souhaitent un bon voyage, terrienne ! achève le forgeur.

———
Q.U.E.S.T.I.ON.

Alors, dîtes-moi : « que leur est-il arrivé ? »

Pouvez-vous le décrire en une phrase ou deux ce que vous en avez compris ?

Attention ! La réponse a plus ou moins été donné. Pas la peine de vous triturer, haha.

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