B.A.T.A.I.L.L.E. / Souvenir (3/4)
À ce moment précis, la créature dépassait ses compères et n'avait plus qu'à tenir cette cadence jusqu'à l'invraisemblable et pourquoi pas, l'impossible.
Mais une poussée inverse s'insurgea sur le chemin de sa destinée, une force le maintenait en suspens.
Cela semblait provenir de son pied. Il se retournait. Trois de ses semblables l'avaient agrippé au talon et à la jambe. Il l'attirait encore et encore vers eux, y mettant les deux mains, à plus forte contribution, tous les muscles du corps. Le mouvement s'accélérait, produisant une douleur à son membre, rendant amères ces instants. Il voyait s'éloigner au loin son rêve, son utopie. Mais il se devait de capituler - ou pas - Le brave primordial se mit à gesticuler, envoyant des coups répétés de son pied droit à ses trouble-fêtes. Son second pied finit par être capturé, octroyant une nouvelle ouverture à leur odieuse action.
— Mais pourquoi ? Pourquoi font-ils cela ? Il ne leur a rien fait, lançait la petite fille, outrée.
— Vois-tu mon enfant, il existe des centaines de sentiments partagés et l'être humain en accumule des biens sombres.
« Il lui arrive même de les mélanger, produisant l'horreur dans sa plus belle tunique. Lorsque notre héros a pris de l'élan vers son utopie, ses frères l'ont vu s'élever, se dresser au-dessus d'eux, étincelant, et déterminé ; ils ont voulu le garder avec eux, à leur niveau. Qu'ils restent tous ainsi ».
— Mais pourquoi ? Cela ne les regarde en rien.
— Dans leur émotion se mélange un bon nombre d'autres sentiments qui se syntonisent et ne peuvent pousser qu'à cette action.
« L'orgueil se défendant à la barre grâce à l'éloquence de l'égoïsme, s'insinuant dans l'un, puis dans l'autre, curieusement dans un troisième jusqu'à former une masse, la plèbe maîtresse du mouvement en avant ».
— Comment appelle-t-on ce sentiment ? me questionnait l'enfant.
— L'envie, ma petite... Eh oui ! L'envie, souvent confondue avec sa sœur, la jalousie - une couronne d'épines - C'est elle qui inflige une bonne part des maux humains. Tout ce qu'elle détient comme acquis, elle le doit à sa reine...
— Sa reine ?
— Oui, mon enfant ! L'orgueil... Voilà pourquoi je l'ai associé à sa complice, l'arrogance. Ces trois afflictions n'ont jamais été bonnes pour les rêveurs.
« Et souvent, ils finissent dans le même état que notre brave. Ces sentiments éveillent alors de telles émotions conduisant à cette honteuse action. Regarde-le, ramené à la communauté. Ses espoirs fracassés par d'autres. Ces simples d'esprit qui se meurent de contempler un tel exploit possible. Beaucoup d'humains finissent, comme lui, par dégringoler des cieux pour atterrir la face dans cette poussière, d'où jadis, il en fût sorti ».
Le temps se liquéfiait, notre protagoniste tenta une première fois de se dresser sur ses jambes, qui lui renvoyèrent la somme amère de son entreprise. Ses mains ne pouvaient non plus supporter son poids, la douleur le faisant chuter. Il puise tout de même un peu dans ses dernières flammes afin de se renverser, le regard pointant le vaste noir.
Il était là, ne gesticulant plus, ne réagissant presque pas. Ses yeux fixait le point lumineux, là, plus loin que cette ruée de vautours. Il reprenait peu à peu sa respiration. Son esprit commençait à se vider. Mais une goutte de larme vint brouiller ses yeux. Son rêve était encore trop loin. Il avait si mal dans le corps et dans l'âme. Il lui fallait renoncer. Ce n'était pas son destin.
— Les dés sont jetés ! m'écriais-je.
« Il n'a plus que deux options : Ou il accepte son sort et vole comme ses frères... ou... »
— Ou ?
— Ou, il... et cela serait fâcheux, laisse l'émotion l'embraser.
Elle ouvrit grand ses yeux et je devinai qu'elle n'y comprenait pas grand-chose.
— Eh bien, eh bien ! Sache qu'un e-motio est un être-vivant pouvant capter et emmagasiner les émotions dans tout son être.
« Cette accumulation rend ces êtres instables, ils doivent dégager ce que l'émotion exprime et cela par tout ce théâtre. Mais il arrive que ses créatures n'arrivent plus à maîtriser le flux d'émotion. Un sentiment plutôt inquiétant peut alors se manifester ».
— Il va devenir méchant ?
— On peut résumer les choses ainsi, en effet.
Alors que ces mots sortaient de ma bouche, je remarquais que le petit cherchait à bouger. Il levait une main, puis l'autre. On aurait dit qu'il tentait d'attraper quelque chose. Soudain, il tomba. On le voyait puiser à nouveau dans ses ressources pour lever ses deux mains.
— Ou bien... baragouinais-je.
Oui, c'était presque certain maintenant.
— Il va se lever, disais-je, avec un sourire sur le visage tandis que l'enfant me fixait pour déceler le fond de ces quelques mots.
Au moment où ses deux mains tentèrent de capturer le halo, l'e-motio baissa subitement les bras. Il restait là, à contempler son ciel. Plus aucune réaction n'émanait de cet être exténué.
Dans la foule, des exclamations s'accompagnaient déjà d'illustrations. Il était clair que l'affaire était pliée. On ne pouvait rien en tirer. Malgré ce dénouement, le public en avait pour son compte. Ceci en apprenait assez sur l'ambition — Une pierre lambda ne peut décemment se changer en diamant — La fille tourna ses yeux dans ma direction l'air d'espérer un changement de position de ma part.
À cet instant, une main vint toucher le bras droit du protagoniste. Ce dernier tourna de peu la tête. C'était l'e-motio de la dernière fois. Pour la créature, rien n'avait changé, elle était toujours à sa forme de naissance ; pas plus que ces congénères d'ailleurs, voltigeant dans l'espace. L'e-motio resta quelques secondes agrippé à la main du héros, le fixant droit dans les yeux. Il lâcha le bout du membre pour se placer près du visage du malheureux. Il leva sa paume droite, la passa sur le front de son aîné. Puis sur ses joues. Il leva alors les yeux vers ce ciel, accueillant de nouveaux occupants à chaque minute qui passait. Il distingua alors la fameuse lumière qui avait poussé son frère à braver le monde.
L'e-motio ramenait sa main vers lui, se dressait à son tour sur ses deux pieds, le regard plongé dans celui de son aîné. Puis, une considération pour le point lumineux.
Sous les yeux de l'assemblée, ne perdant pas une miette de la scène, le jeune e-motio grandissait à son tour à vue d'œil, atteignant une morphologie digne d'un adolescent de quinze ans.
D'un mouvement, il se retourna en direction des autres e-motios encore dans la poussière. Il ne fallut pas longtemps. Toutes les têtes recroquevillées sur elles, se découvraient, se rassemblaient, formant un tas, une foule se serrant tout en se frayant un chemin jusqu'à leur mobilisateur.
Sans mot dire, ils levèrent le protagoniste, l'un après l'autre. Le transportant de toute leur force. Ceux s'étant découvert la capacité de voler à leur tour, se mirent à l'entraîner. Tous, firent bloc pour tenir jusqu'où ils pouvaient aller.
En une fraction de seconde, ils atteignaient la hauteur des autres, perplexes face à cette approche mouvementée. L'essaim se densifia formant une barrière vivante. Les parvenus n'en démordaient point, visaient droit devant eux et collision avérée ne pouvait s'en dérober, la scène s'étalait telle une fleur, éparpillant les âmes en tous sens.
Les e-motios étaient partout, à foison, pataugeant dans l'espace. L'instant ne dura pas, et le retour vers le centre névralgique du mal, était suggéré. Au milieu, le coup avait bien été ressenti par les deux partis.
Tout était à l'arrêt. On se cherchait un appui, on se rattachait à une jambe, un autre, un talon, plus loin une gorge. Des particules électriques faisaient leur apparition, se faufilaient à travers corps, s'amplifiaient, se chevauchaient et disparaissaient. Un spectacle luisant pour les prunelles, détournant les regards du principal.
Notre premier e-motio, qui avait été protégé par son camarade, se retrouvait seul, flottant. Ces compagnons d'arme voltigeaient çà et là.
Au loin, les e-motios déconcertés, se rassemblaient et faisaient machine arrière. Il voyait tout cela d'un œil absent. L'air de chercher quelque chose de particulier, mais ne le trouvant pas. Il tourne la tête en direction de sa lumière, brillant sans interruption, insensible aux événements temporels pas plus que physique. Pauvres petites choses, devait-elle se dire. La banalité de l'existence lui apparaissait si flagrante, si irrationnel devait être ce tas si loin de lui. La question qu'elle aurait pu se poser aurait été : « pourquoi ? »
« Pourquoi » était justement l'adverbe que j'aurai voulu lancé à ce petit rien, qui s'était hasardé à rêver si grand, si loin, si je n'avais pas déjà la réponse.
Les pupilles restés un soupçon d'existence plus long, accrochés à cette question réveillèrent notre rêveur. Flottant encore, il quitta sa position horizontale, se mit à la verticale, baissa ses yeux tout en se recroquevillant telle une grenouille. Se serrant fortement jusqu'à atteindre ses cuisses.
— Que fait-il ? s'empressait de questionner la jeune spectatrice.
— Ça, ma très chère enfant... C'est ce qu'on appelle le battement de cœur...
Les petits reprirent leur place d'antan. Les nouveaux venus firent à nouveau bloc pour parer à une attaque. Ils se rassemblaient en pointe dans le but de percer les défenses repositionnées.
Un coup d'œil des e-motios de première génération fut porté à cette boule juste face à eux. Le corps du primordial s'était transformé en un œuf gris et froid. Le parti dominateur s'enquit de fragiliser cette carcasse. Les coups se précipitèrent. Les ennemis se faisaient violence tout en essayant de contenir la rétorque du camp adverse, venu au secours de l'agressé.
Ce fut inutile toutefois. Le corps à même lynché, était aussi dur que la roche. Ne comprenant point ce qui se passait mais tenant à bien défendre leur territoire, les monstres reprirent la confrontation laissant le mystère entier.
3
L'affrontement reprenait de plus belle. Chaque camp n'en démordait pas. Un spectacle rongeant ses petites gens, venues pour assister à une émotion hors du commun, les menant à une scène de guerre que je qualifiais personnellement d'instructif, surtout pour ma compagne.
Je m'étonnais de rencontrer dans ces yeux enfantins, toute une fascination persistante pour l'instant donné.
C'est là que je me rendis soudain compte que je n'avais point prêté attention à sa petite personne. Elle ne dépassait pas ma cuisse et s'appliquait à apprécier toute la scène, forçant sur ses coudes, appuyés sur la rambarde en fer. Elle avait des cheveux blancs qui me rappelaient ce bien bel arbre blanc de Virkhusos, royaume barbare pour ma part — mais quelle âme, nom de Dieu — des perles rares.
Soudain, je fus détaché de mon observation. Une déflagration venait d'être produite. À l'intérieur de la cage, le monde était en branle. Les e-motios étaient en débandade. Tout en eux inspirait la démence. Un échange incontrôlable, à présent, allait en s'enveniment. Des corps se chevauchaient, des mains étaient portées aux mâchoires adverses, des coups de pieds vigoureux ne manquaient d'être notés sous les bruits assourdissants des éclairs parcourant l'aire de combat. Le pugilat ferait bientôt irruption, plaçant le retissant à l'ambiance, en mauvaise posture.
Ces corps autrefois gris acier, jonglaient à la seconde même entre de l'étain et du violet parcourus de lumières rouges et bleues au milieu de la poitrine. Lorsqu'un e-motio était atteint à cet endroit, l'émotion qu'il avait emmagasinée se déstabilisaient et filaient dans toute la chair de la créature jusqu'à trouver un point de sortie produisant alors cette détonation effroyable d'une demi-minute.
Les e-motios s'éparpillaient. Emportés par l'émotion, aucun d'entre eux ne se figurait l'irrationalité de leur bataille. N'était-ce pas à la base, pour que l'espace soit partagé ? À ce rythme, allait-il y avoir une seule vie fière de posséder ce ciel ?
La situation était critique du côté des parvenus. Le corps principal, sacrément malmené, adoptait une position défensive, illustrant la retraite. Le gros des troupes jonchaient déjà le sol. La résistance laissait peu à peu place à l'abattement. Ce qui favorisait l'influence des premiers qui se découvraient encore de la poigne, malgré leurs nombreuses pertes. La victoire leur était presqu'acquise.
Au milieu de cette lutte, une émotion commençait à naître. Au centre de la bataille, cinq guerriers repoussaient les arrivistes, indiquant ainsi leur titre de meneur. Le plus virulent des cinq était sans nul doute celui de droite. Ili venait de croître de plusieurs centimètres. Son émotion provenait de son abnégation à sa fratrie. Ces actions égoïstes, influencées au départ, par le prestige de leur place dans le ciel, s'étaient muées en une fraternité immatérielle, le rendant incorruptible à toute lâcheté.
La même énergie se ressentait sur le flanc droit où l'on distinguait deux gros meneurs, dont l'un venait aussi de croître de quelques centimètres de plus que l'autre. Ce dernier, porté plus par un désir de conquête qu'autre chose.
Du fait de ce déséquilibre, la balance se penchait progressivement en faveur des seigneurs du territoire. Mais si ces généraux avaient pris le temps de porter attention au flanc gauche, ils auraient pu empêcher l'avènement d'une terrible menace.
Alors que tous étaient affairés à la mêlée, un autre, beaucoup plus âgé, venaient de s'éveiller à l'apothéose de la guerre.
En une minute, le regard n'était porté qu'à cette masse déferlant sur les présumés propriétaires du ciel. Le géant forçait le passage parmi les e-motios jusqu'à atteindre les généraux, les écrasant instamment.
Le champ de bataille prenait une autre tournure. Les e-motios étaient désorientés. Le nouveau seigneur n'était point tendre. Il se lançait en avant, évitait un éclair, se plaçait entre les âmes et se déchaînait sans vergogne. Mettant à mal toute lucidité adverse.
Le message s'était fait entendre. Les vagues d'échanges de coup s'apaisaient peu à peu. Les derniers braves se retrouvaient encerclés. L'espace était conquis. Le victorieux restait au milieu de ses confrères.
Si ces êtres avaient été humains, ils auraient certainement célébré ce triomphe. Mais ils se contentaient d'apaiser leur flamme intérieure. Leur coloration violette laissait, à présent place au gris acier de naissance. Les poitrines enflammées, aux ruisseaux rouges et bleues, perdaient de leur illumination. Le flux d'émotion chutait à vue d'œil, se stabilisait, et disparaissait de la vue du public.
Les e-motios survivants, aussi bien alliés ou ennemis, commencèrent brusquement à voler ensemble. Le conflit qui avait à peine existé et mis toutes ces minuscules existences en état d'ivresse, n'était plus dans l'esprit d'un seul d'entre eux.
Le nouveau maître ne réagissait plus du tout, lui aussi, ayant l'air d'avoir effacé ces instants barbares, appréciant de ses yeux le calme de la victoire.
Sa structure corporelle s'était métamorphosée. Il avait mûri de dix ans durant l'affrontement, devenant de plus en plus précis dans ces mouvements et ayant l'avantage de la taille. Son regard était à présent plus fin, plus mature. Sa peau s'était affranchie du gris acier commun, se faisant détrôner par un gris bistre distinctif.
— Eh bien, Quel retournement ! m'exclamais-je. Je te l'avoue petite, je ne l'avais pas vu arriver.
— Et ça veut dire que c'est fini ? me questionnait-elle.
— Je ne saurais le dire... Cependant, ce qui est bien sûr en ce moment, c'est que c'est le laissé-pour-compte qui dirige la communauté, désormais.
« Incroyable ! Mon enfant... je dois te l'avouer, il est presque du domaine de l'impossible de prédire les actions d'une émotion. Elle est incontrôlable et prend plaisir à malmener les âmes qui tentent de prévoir son courant. Dans mon scénario, ce devait être le premier e-motio qui aurait dû réussir un tel exploit. Qui l'aurait cru ! Le variant du début, incapable de se dresser sur ses jambes, se découvrait une volonté sans faille, pour élever son camarade, engager une bataille pour la liberté d'accès au ciel et qui finissaient en aval, à gagner l'aire de combat de ses mains en atteignant sa maturité ».
— Pourquoi ?
— Qu'est-ce donc cela ? Pourquoi quoi ? répliquais-je.
— Pourquoi l'émotion fait-elle cela ?
— Je crois saisir ton souci... Observe attentivement.
Sur ses mots, je levais bien mon verre à la hauteur de mes épaules et posait une question à l'enfant.
— Dis-moi, mon garçon, lançais-je.
— Je suis une fille.
— Oh, je ne voulais pas vous vexer, gente demoiselle, acquiesçais-je. Donne-moi ta réponse, reprenais-je.
« Si je lâchais in extremis ce verre et qu'il se brisait au sol... à ton avis, de quel côté iront les débris ? »
— Hum... Partout ! s'écriait-elle, en écartant les bras.
— Exactement ! Dans tous les sens. Eh bien, c'est dans le même schéma que la majorité des émotions. Pendant un moment, on peaufine sa trajectoire, puis soudain, « patatras ».On ne s'y retrouve plus.
« Les actions poussées par l'émotion, qui, au départ était limpide et traçable, devenant incohérente, sombre et souvent à ma connaissance, effrayante — Un sentiment — Dans notre cas, le guerrier d'aujourd'hui, au début, ne pouvait désirer autre chose que le peu d'aide qu'il recherchait, en tendant sa main vers le premier e-motio. Au retour de ce dernier, notre quémandeur s'apercevait de la peine qui déchirait son ami. Il prit alors en main le rêve de son compagnon, l'aidant à parcourir ce chemin qu'il ne pouvait arpenter seul dans son état. De ce fait, il venait de se forger un sentiment, faisant souvent appel à de grandes et belles émotions ; ce qui lui octroya sa première croissance. Défendant alors son compagnon sur la route, il dût affronter les limites de sa propre loyauté, jusqu'à indiquer son choix au monde. C'est ce qui a achevé sa transformation. Sache-le, mon enfant ! Faire un choix, implique des responsabilités et de ce fait, définit un adulte ».
— Donc, si je fais un choix, je suis grande ?
— Fichtre ! Attention à ne pas confondre, le choix entre de la viande et la danse avec celui d'une carrière professionnelle et d'un voyage à l'autre bout du monde.
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