A.M.B.I.T.I.O.N. / Souvenir (1/4)

Achlys, ville de Carthage / Lodart

*Le narrateur est le vieil homme*

— Je dois l'avouer, je ne saurai te donner de meilleurs détails que ce qui se dessinera sur mes lèvres, entendu jeune fille ?

Je prononçais ces mots avec perplexité, agacé du fait de me retrouver là, m'apprêtant à expliquer ce qui allait se tramer, séance tenante, à l'intérieur de la cage du forgeur.

La petite acquiesça et se remit à suivre la scène, le sourire aux lèvres.

C'est un souvenir assez mémorable de mon séjour à Achlys, l'une des cités de Carthage. Un spectacle se mettait en place. Il serait sensé de chercher des yeux les acteurs de la scène. Mais cette fois-là, l'honneur de l'action revenait à des créatures uniques et stupéfiantes.

Nous étions trois niveaux plus haut que le pavé du toit du percepteur d'impôt qui devait être à cet instant, fort heureux de cet attroupement car, qui disait spectacle, évoquait de quoi faire vibrer les doigts.

Nous devions être entrain d'entamer la nuit, me semblait-il. Les lumières luisaient à présent de tous côtés et des bars flamboyaient aux sons des verres croisés, détenus par les ouvriers de la journée, fort heureux de laisser leur harassant labeur.

Le forgeur ayant dévoilé sa cage argentée, le public ne pouvait plus qu'abandonner les petites causeries tout attrayantes pour se laisser porter par ce qui régit la vie de Lodart, les émotions.

À cet instant, toutes les lumières des étages environnants, furent éteintes, plaçant le toit du percepteur sous le feu des âmes populaires.

À l'initial, rien ne s'y passait. Il n'y avait que de la terre visiblement, emplissant tout l'intérieur de la cage en plexiglas qui mesurait dix mètres de haut, de mon point de vue. Pas facile d'estimer à cette hauteur pour un non-initié, ce qui n'est pas le cas de votre fin serviteur.

Puis jaillirent de la poussière, les premières créatures. On pourrait les confondre à s'y méprendre à des bébés humains avec leur face grise, quelque peu recouverte de terre et leur silhouette en tout point similaire d'un même gris acier. On les voyait briller avec leurs petites oreilles en pointe, leur queue minuscule et leur visage fort serein. Ils dormaient tous, la joue sur une main, ras le sol.

Soudain, l'un d'entre eux se leva, se mit à considérer ses compagnons endormis, puis la prison. Ses limites semblaient lointaines, inaccessibles, il ne pouvait se douter du nombre de vie le scrutant au travers de cet infini horizon qui composait son propre univers.

De la poussière lui tomba du crâne. Il leva la tête, il contempla ce qui constituait son ciel. Qu'est-ce qu'il était loin, ce noir pur qui formait un rond complet, son firmament. Il se mit longuement à regarder ce lointain paysage sans étoile. D'un bond, l'enfant était debout, le ventre en avant, les pupilles jugeant cette étendue.

Apparue alors une étoile au centre. Pour nous, les spectateurs de la scène, il s'agissait d'un grain de poussière lumineux provenant des mains du forgeur. Mais pour notre petit, c'était autre chose, une chose qui ne pouvait s'expliquer avec des mots, mais qui ne faisait que susciter son intérêt pour son monde.

Alors, qu'est-ce que ceci veut dire ? me demandait la gamine, les yeux grands ouverts.
— Eh bien ! commençais-je tout en me flanquant un verre. Eh bien ! Jusque-là, rien... rien d'extraordinaire à signaler.

Vous n'avez pas l'air de vous y connaître ?! dit-elle.
— Je n'accepterai pas qu'une bleusaille puisse ainsi douter de mes compétences. Suis et attends !

En même temps, la petitesse, dressée sur ses pattes, commençait à s'enivrer de son ciel, au point de ne pas faire attention à ses semblables qui s'éveillaient et s'affairaient à se passer le visage, les uns aux autres.

La contemplation fit place à l'action. Il levait ses mains raides cherchant à atteindre quelque chose, mais n'y arrivait pas. Il reprit le mouvement plus d'une fois sans succès. Pour l'instant, aucun de ses frères ne tenait compte de l'action.

Brusquement, le premier des frères arrêta ses premières gesticulations et se mit à fléchir ses genoux, sautillant, puis sautant subitement. Revenu à son point initial, il reprit le mouvement avec plus d'ardeur.

Il se retrouva, flottant dans la cage de-ci de-là. Content de sa première expérience. Mais très vite, il se rendit compte qu'il n'était plus seul dans ce paradis éphémère. Deux autres confrères se retrouvaient dans son sillage. Eux aussi, avaient trouvé comment faire. Bientôt, c'était une vingtaine de ses semblables qui allaient et venaient, ce qui ne plaisait pas beaucoup au premier.

Mais très vite, son ciel l'attira, lui rappelant son geste à la genèse. Il se souvint de ce qui l'avait poussé et le poussait encore à se mouvoir.

Alors que tous ses frères continuaient à remplir l'espace au-dessus de sa tête, l'enfant retournait au sol, continuant à scruter le ciel. Alors qu'il ne cessait de regarder dans cette direction, dans sa tête se tramait un scénario ; il réfléchissait. Il ne vouait son temps qu'à cette tâche.

Là maintenant, je peux t'en apprendre plus. Même s'il m'est difficile de croire que tu y comprendras quoi que ce soit à ton âge.

Je raclais à nouveau mon gosier. Puis, fixant la scène, je lui donnais l'explication.

Ma fille, sais-tu ce que c'est que l'ambition ? débutais-je, l'air de regarder ailleurs.
— C'est quand on veut atteindre un objectif qui est loin, presqu'impossible pour les uns, insolent pour d'autres, n'est-ce pas ?
— Où as-tu été pêché cela ?
— Chez le grand ancien...
— Ce vieux bouc ferait mieux de contrôler sa langue... Les enfants grandissent si vite de nos jours...

« Bien... la cage en elle-même, décrit les croyances... La première créature se divise en deux parties, la tête et le reste du corps. La tête représente l'ambition et le reste du corps, le courage. Le ciel définit les opportunités. La lumière dans le ciel précise le but final, ce qui est déjà inscrit quelque part et qui n'attend que son propriétaire. Les mains tendues du petit au début du mouvement symbolisent le désir. Et ses sauts, les premières actions pour étancher cette soif ».

Je reprenais mon verre et jetais un regard vide vers les ténèbres de la nuit qui s'annonçait bien longue.

Tu vois mon enfant, lorsque le premier s'est lancé dans le vide, cela forge le saut dans l'inconnu, poussé par le désir d'atteindre ce ciel et cette lumière.

Mais alors, pourquoi est-il redescendu ? réagissait la petite.

Sa question me prouvait qu'elle me suivait d'une certaine manière.

— Eh bien ! Lorsqu'il avait atteint sa première migration dans son espace, il s'est contenté l'espace d'un souffle, de cette modeste brise qu'était ces premières prouesses.

« Mais il s'est vite rendu compte que ses semblables étaient capables de ses mêmes exploits. Cela l'a mis hors de lui pendant un laps de temps. Il s'est tellement focalisé sur cet espace qu'on se donnait de violer alors qu'il se croyait être le seul méritant, qu'il en a oublié son objectif initial ; cette sensation unique qui l'avait incité à tendre ses deux bras, à sortir ses deux jambes, à les fléchir et à voler. »

Et par hasard, il l'a aperçu, c'est ça ? Et il a décidé d'abandonner...
— Au contraire...

La gamine ne comprenait pas. Tout indiquait que la créature venait de se rendre compte de son erreur. Que pouvait-il faire de plus ?

Regarde de plus près, lui dis-je.

Ce qu'elle fit avec un regard empli d'interrogations. Dans la prison féerique, rien n'avait changé, lui semblait-elle. L'instant tenait en haleine les spectateurs. Pas un bruit ne s'échappait. On pouvait tout de même sentir une légère brise venant de l'Est, du côté de l'océan.

D'un coup, mon interlocutrice le vit. L'objet de nos pensées poussait à vue d'œil. Ses bras et ses jambes s'allongeaient. D'un coup, sa croissance stoppa nette. Il avait l'air d'avoir atteint en une fois sa neuvième année et ce, en restant les yeux plongés dans son ciel qu'il ne cessa pas une seconde de scruter.

Je le vois, il a grandi...
— Et c'est maintenant que s'enclenche son propre destin.
— Vous parlez comme l'ancien, monsieur, me lança-t-elle.
— Regarde-le plutôt... Il s'apprête à l'atteindre.

« Observe ses yeux, son corps droit. Tire attention à son prochain saut. Il prépare le coup, s'abaisse. Il le sait pourtant, son objectif est insensé, presqu'inconcevable. Et pourtant, un feu profond le consume. Il se sent vibré, tout prend sens en lui. Le déclic se produit ».

Un de ses congénères, jonché encore au sol, lui tendit une main, en quête d'assistance, mais il fut trop tard, le premier se lança. Il arrive à la hauteur de ceux en suspens dans l'espace. Sans un regard, il les dépassa, piqua net vers ce noir des prémices. Son étoile, cette cible céleste dont il ne pouvait s'empêcher de rêver. Le désir s'était fait supplanter par l'obsession, qui, à mon avis, ne reflétait ni plus ni moins qu'un certain pas vers quelque chose de bien trivial.

Et qu'est-ce que c'est ? me lançait la petite.

Je la fixais avec un soupçon de malice. L'air de l'effrayer.

Vers la maturité, petite !

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