4 - Visite à l'église Sainte-Anne

Dimanche matin. Après cette première semaine mouvementée, le week-end et le repos étaient enfin arrivés. Ce matin-là, pourtant, Araxie n'avait pas pu faire la grasse matinée. Habillée de sa longue robe rose pâle, les cheveux sagement noués en arrière avec un ruban enroulés autour d'un élastique, elle jeta un dernier regard à ses vêtements dans l'immense glace du salon. En espérant que sa grand-mère trouve cela convenable. Même si elle lui lancerait sûrement seulement un regard désapprobateur si ce n'était pas le cas et le dirait à tout le monde sauf à elle. Elle descendit les 3 étages d'escaliers en remarquant à peine les murs dont la peinture s'écaillait pour retrouver sa grand-mère devant la porte d'entrée, où celle-ci l'attendait.

Tat, avait fait le voyage depuis Erevan où elle avait toujours vécu, la ville d'origine de son père, jusqu'à leur appartement d'Abovyan, pour leur rendre visite, dès la première semaine de leur retour, et elle voulait emmener sa petite-fille assister à la messe de l'église Sainte-Anne dans le centre-ville, pour remercier le Seigneur, "que vous soyez tous sains et sauf". Araxie n'avait pas osé refuser, et c'est comme cela qu'elle se retrouvait debout à 8 heures du matin, à côté de sa grand-mère, dans le train déjà bondé en direction de Kentron.

Après un trajet de 40 minutes, elles débouchèrent enfin dans le centre-ville, dans lequel s'attardait encore quelques touristes tardifs en ce mois de septembre, et où chacun vaquait à ses occupations.
En sortant du bus, Araxie sentit une bouffée d'air chaud lui arriver en plein visage ainsi que le soleil qui lui tapait dans la figure comme un choc.
Elle trottina doucement aux côtés de sa grand-mère qui déglutit soudain, pour la première depuis le début de leur petit voyage, comme si elle y avait longuement réfléchi :

— Ça, c'est bien passé ta rentrée ?

— Oui, répondit Araxie, surprise par la question.

Sa grand-mère, une sexagénaire qui avait ses petites habitudes dans la capitale, depuis son mariage avec le grand-père d'Araxie, était une petite femme aux principes bien arrêtés, d'un sens des traditions à toute épreuve et qui était maniaque par-dessus tout. Son petit chignon serré en arrière, ses sourcils arqués témoignaient d'une autorité donc Araxie essayait tant bien que mal de ne pas faire les frais, au grand dam de Tat, ce qui rendait les rapports entre elles... Compliqués.

Tat et son mari, Pap avaient d'ailleurs été très désappointés quand leur unique fils, Sevan, avait décidé de déménager de chez eux vers Abovyan. Leur fils, ce grand impulsif n'avait d'ailleurs pas trouvé de travail avant de s'installer,. Après un an de recherches, il en avait finalement trouvé un et s'était servi de ses drams pour déménager avec sa petite famille.

Tlosinée, avait douté qu'Agnès avait orchestré cette affaire et depuis, la relation entre elle s'était plus détérioré que jamais, se teintant de méfiance et d'animosités des deux côtés. 

Araxie, perdue entre l'admiration inconditionnelle qu'elle vouait à sa mère et cette grand-mère cordon-bleu, maniaque du ménage, pleine de ressource, mais aussi fière et susceptible comme un pou, ne savait plus sur quel pied danser.

— Araxie, nous allons à l'église Sainte-Anne aujourd'hui.

— Oui, Tat. Comme d'habitude, répondit Araxie.

— Tu insinue que je radote ? s'impatienta la grand-mère.

— Non.

— Et bien tais-toi, coupa-t-elle d'un ton sifflant.

Araxie un peu gênée, se tut, et pensa aux prières qu'elle ferait une fois arrivée.

Elle avait toujours été très croyante et avait une foi ferme en Dieu. Il ne lui était jamais venu à l'esprit que ce qu'elle voyait autour d'elle, les astres, les arbres, les créatures, était le fruit du hasard et de la chance.

Dieu était pour elle un confident, un ami, toujours là, auquel elle se remettait complètement.

En entrant dans la cour de l'église Sainte-Anne, elle vit les trois tours en tuf rouge, avec leurs toits en ombrelles, surmontés de croix. La plus petite tour, la Katoghiké, de couleur plus terne et foncée, était aussi la plus ancienne. Elle remontait au 13e siècle et avait été découverte en 1936 suite à la démolition de l'église du 17e siècle qui la renfermait. Les Soviétiques russes qui avaient colonisé l'Arménie auraient détruit la petite chapelle si des archéologues ne s'y étaient pas opposés. Et pendant des lustres, la petite chapelle ancienne, qui avait vu les invasions turques et mongoles, les combats des Arabes et des Perses, la petite chapelle resta abandonnée entre deux immeubles.

Depuis quelques années, pourtant, cette petite chapelle avait retrouvé de son charme, en contraste avec ses deux nouvelles grandes sœurs qui formait l'église Sainte-Anne, ainsi que la demeure de l'actuel Catholicos, Karenin II, le chef de l'église apostolique arménienne. (Nda: un peu comme le Pape pour les Catholiques) Elle passa devant la chapelle et entra dans l'église où se tenait la messe, le rideau rouge orné d'une croix encore fermé, le chœur de femmes aux têtes couvertes de voiles en dentelles chantant des cantiques.

Peu à peu, le rideau fut tiré, le prêtre orné de son chapeau noir pointu, fit sa confession, la procession aux dorures et aux couleurs chatoyantes passa d'un côté à l'autre de l'autel, les chants furent chantés. Partout régnait l'odeur de l'encens, et de l'apaisement.

Puis vint le sermon, qui trouva Araxie un peu fatiguée par la longue cérémonie de trois heures auquel sa grand-mère voulait assister entièrement, étouffant un bâillement sous le regard réprobateur de sa grand-mère dont les yeux criaient à l'infamie.

Pourtant, les paroles du sermon firent tendre l'oreille à Araxie. Les sermons avaient toujours le don de l'apaiser.

— " La vie est une épreuve. Sur votre chemin, vous aurez à mener une bataille ruineuse, sans merci, comportant des dénigrements amers, de la destruction étudiée et voulue, de l'humiliation intentionnelle."

Soudain, le prêche l'intéressait, et elle voulait en savoir plus.

" Les personnes effrontées, les idiots, ont insulté le créateur, le fournisseur, par sa grandeur, ils ont injurié celui sans lequel ils n'existeraient pas. À quoi nous attendons-nous, nous pauvres mortels ? Si le Très-Haut a été visé, personne n'est intouchable. Pourtant, celui qui est assis par terre ne risque pas de chuter. Les gens ne bottent pas un chien mort, mais ils seront en colère contre celui qui leur fera perdre un bien de cette vie, que ce soit une connaissance, une fortune ou la vedette. Pour eux, cette personne est coupable. Et elle ne sera pardonnée seulement si elle abandonne ses talents, ces grâces dont Dieu l'a pourvu, si elle se débarrasse de toutes ses qualités, qu'elle se défasse de tous les sens de la noblesse, qu'elle reste bête, vidée, brisée, épuisée. Voilà, ce que ces gens veulent exactement."

À ces mots, ce qu'Endza lui avait fait revint automatiquement à la mémoire d'Araxie. Ces paroles de sagesses résonnaient en elle, et elle se sentit plus forte. Si Endza l'avait insultée, c'était, car elle valait quelque chose. Pas parce qu'elle était réellement nulle. Et cette simple pensée la fit se sentir mieux qu'elle ne l'avait été depuis son retour. Elle continuerait à se battre et à tenir la tête haute, pour lui prouver à quel point elle se trompait ! Elle ne l'avait pas abattue. Endza avait réveillé en elle, la fierté.

"Ces gens-là, continua le prêtre, ne se tairont que si tu empruntes un tunnel sous terre ou que tu uses d'une échelle dans le ciel pour t'échapper. Mais tant que tu seras parmi eux, tu récolteras de leur part, ce qui fera pleurer tes yeux, saigner ton globe oculaire, et t'empêchera de trouver le repos.

Mais résiste, et sois ferme, face à leurs paroles, leur critiques, leur altération et leur mépris. Sois pareil à une pierre silencieuse imposante, sur laquelle se brisent les grains de grêle pour prouver son existence et sa capacité à survivre. C'est ainsi que font les nobles de cœur et d'esprit : ils luttent contre les calamités et terrassent les catastrophes."

Araxie sentit la culpabilité l'envahir. Ce n'était pas exactement ce qu'elle avait. Et maintenant elle regrettait de ne pas avoir gardé son sang-froid et d'avoir continué à insulter Endza. La honte l'envahit.

"En écoutant ces gens et en réagissant à leurs dires, tu exauceras leurs vœux les plus chers de troubler et de déranger ton existence.

Patiente donc, et ta patience ne peut se faire sans le Très-Haut. Sois certain de la délivrance, que ta destinée sera bonne. Demande la récompense, espérant l'absolution de tes péchés, patiente quelle que soit la noirceur du malheur et l'obscurité du chemin, car la victoire vient par la patience, le soulagement arrive après la désolation et le dépit est accompagné d'aise. Pardonne donc de la belle manière, éloigne toi d'eux, ne sois pas opprimé par leurs intrigues.

Leur critique insensée est une traduction respectable en ta faveur, et ce dénigrement artificiel sera proportionnel à ta valeur effective.

En effet, si tu es indulgent et que tu pardonnes, et celle-là, sont de biens grands qualités en vérité pour ceux qui les possèdent, tu obtiendras la gloire de la vie et l'honneur de l'au-delà."

En entendant cela, Araxie s'enfonça encore plus. Elle ne savait pas ce qui se passait dans la vie d'Endza. Elle ne savait pas pourquoi elle était aussi bizarre, mais elle s'était quand même permis de la juger, alors qu'elle aurait dû garder son sang-froid et lui pardonner.

"Le moustique dit au palmier : Tiens-toi bien, je veux m'envoler, et le palmier de répondre: Par Dieu, je n'ai rien ressenti quand tu t'es posé sur moi, comment voudrais tu que je m'aperçois de ton départ ?"

Quand tout le monde se leva en se dirigea à reculons vers la porte pour ne pas tourner le dos à l'autel, Araxie pensait à ce sermon, qui avait laissé une trace marquante dans sa mémoire, et intérieurement elle pensa : Lundi, j'irai voir Endza.




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