23 - Ce que les morts laissent aux vivants

Loucine enroula un bras autour du cou d'Endza à la sortie de l'école.

— Alors, comment s'est passée ta journée ? demanda Loucine.

— Bah, on est dans la même classe non, fit Endza

— Oui, mais je ne t'ai pas vu de la journée.

Endza sentit de la rancœur lui monter à la gorge.

— Peut-être parce que t'étais trop occupé avec Araxie.

— Quoi ? dit Loucine. Je n'ai pas le droit d'avoir des amis maintenant.

— Si. Mais ne m'abandonne pas au passage.

— Mais tu saoules en fait. Ta pote, c'est Vahrig. C'est elle qui t'as lâché, pas moi.

— Mais tu es quand même censé me soutenir s'il y a des problèmes, nan ?

Loucine lui jeta un regard désabusé.

— Arrête de faire ta victime Endza. Devoir rester seule le midi n'est pas un problème. Je t'aurais bien dit de venir, mais t'es tellement méchante avec Araxie que je ne peux pas vraiment.

— Moi ? Méchante ?  s'indigna Endza

— Tu es sérieuse ? Tu n'arrêtes pas d'essayer de lui pourrir la vie.

— Ce n'est pas de ma faute, c'est plus fort que moi.

— Comment ça, c'est plus fort que toi ? Ça ne va pas dans ta tête des fois ? Je n'ai rien dit jusqu'ici parce que je ne voulais pas prendre parti, mais là Endza, c'est abusé.

— C'est elle qui t'a remonté contre moi hein ?

Loucine fixa Endza dans les yeux : "Tu ne la connais pas, Endza. Et si tu crois ça de moi, je crois que tu ne me connais pas non plus."

Elle tourna les talons, et traversa la rue changeant de trottoir.

Endza lui jeta un regard empli de rage. C'était de la faute d'Araxie. Après lui avoir enlevé sa propre cousine, maintenant, elle les avait brouillées. Fouteuse de troubles, pensa-t-elle. Je te hais !

Elle continua son chemin, triste, abattue. Il n'y avait personne a la maison. Son père était reparti en Russie et sa mère ne comptait plus comme quelqu'un depuis longtemps. Si seulement Lorik était là, pensa-t-elle.

Elle pensa à Lorik. Où pouvait-il être maintenant ? Au ciel ? Enfoui dans la terre. Tout le monde espérait qu'il était au ciel. Peut-être qu'ils se mentaient tous à eux-mêmes. Que tout ça n'était pas vrai. Que Dieu n'existait même pas.

Dans ces moments, tout ce qu'elle avait toujours cru se retournait dans son cerveau et elle se demandait s'il n'y avait pas une possibilité que tout soit faux. À ce moment-là, une seule question se posait ; qui avait créé tout ce qu'il y avait autour d'elle. Le ciel, qu'elle observait crépusculaire, mélangeant le rouge et l'orange. Les petits nuages cotonneux suspendus. Le hasard ? 

Et là, elle se sentait si petite et si impuissante qu'elle préférait ne plus penser à rien. Continuer de marcher jusqu'à la maison. Oublier. Oublier son frère qui était mort. Oublier sa mère qui n'était pas la même depuis l'accident. Oublier son père, qui l'avait abandonné. Elle essaya de ne pas fondre en larmes, là dans la rue. Elle était si seule désormais. Elle n'avait plus de grand frère pour la protéger. Elle n'avait plus personne.

Elle décida de s'arrêter au parc, d'essuyer ses larmes sur un banc pour s'en remettre, seule, histoire de ne pas rentrer à la maison les yeux rougis. Elle ne voulait pas des questions de sa mère. Elle ne voulait pas lui montrer ses faiblesses. Ni à personne d'ailleurs. Elle voulait rester forte. Pourtant, elle n'y parvenait plus. Elle ne parvenait plus à faire semblant. Elle ne parvenait plus à faire comme si rien ne l'affectait. 

Elle s'assit sur un banc, se réconfortant en se parlant à voix haute, ça va aller, ne t'inquiète pas tout va bien. Elle essaya d'arrêter. Tout le monde la regardait, tout le monde allait la juger, elle en était sûre. Doucement, elle essaya de calmer sa respiration.

Dans sa tête, se rejouait la scène. Son réveil, la tête contre l'épaule de son frère, le visage de son frère endormi, qui ne se réveillerait plus jamais. Les pompiers qui étaient arrivés lui avaient tendu une couverture de survie dorée. L'arrière de la tête de son frère avait cogné contre une des valises qui se trouvaient dans le coffre, assommant d'un coup fatal. Elle avait été protégée des valises par le corps de Lorik et elle était la seule à s'en tirer sans une égratignure. Elle était aussi la seule ne portant pas de ceinture. Lorsque son père avait freiné violemment, pour éviter la voiture devant eux qui avait dérapé, les airbags étaient sortis. 

Elle se rappelait s'être assise sur le bord de la route, les signaux réfléchissant étant déployés par les pompiers pour éviter un autre accident. En relevant la tête, elle remarqua que son père saignait du nez.

Elle ne savait que penser à ce moment, là. Paralysée de corps et d'esprit, elle voyait les événements se dérouler devant ses yeux, ne réalisant nullement que son frère chéri n'était plus de ce monde, se demandant pourquoi il était resté à l'intérieur de la voiture si longtemps, pourquoi les pompiers ne l'avaient pas encore sortis...

Cela était arrivé trois ans plus tôt, pourtant, la plaie restait béante, et ne se cicatrisait pas. 

Sa mère avait toujours reproché à son père depuis, d'avoir emmené Lorik en visite chez ses parents. Une visite qu'elle avait décidé d'éviter, car elle avait toujours été en très mauvaise relation avec eux. Lorik avait un entraînement de football ce jour-là, et n'était pas non plus censé venir. Jusqu'à ce qu'à la dernière minute, Andreï Petrosyan décide que vu l'âge de ses parents et la rareté de leurs visites, il était impératif qu'il vienne.

Finalement, ce fut Lorik qui mourut avant d'avoir pu rendre visite à sa famille. 

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