22- Des regards aigre-doux

Le soleil brillait doucement dans la cour de récréation, créant toute sorte de mosaïques parterre à travers le plafond en plastique du préau. Endza, adossée au mur, fixait le sol, mordillant nerveusement ses ongles. Elle ne s'arrêta que quand elle ressentit un picotement au bout de ses doigts : elle saignait. "Tu n'arriveras jamais à avoir des ongles de magazines si tu continues comme ça," se reprocha-t-elle.

Elle s'ennuyait. À vrai dire, elle était nerveuse. La solitude la mettait toujours hors de sa zone de confort. Une angoisse d'être seule l'assaillait, surtout à l'école. Être vue seule, c'était être cataloguée comme faible... Quand elle avait des gens autour d'elles, elle se sentait plus forte. Seule, elle était vulnérable ; face aux autres... Et face à elle-même. Vahrig était occupée avec son petit ami qu'elle ne pouvait pas voir en dehors de l'école et l'avait complètement abandonnée pour le moment.

"Enfin," se réprimanda-t-elle, "elle a le droit de vivre sa vie aussi, elle ne t'a pas abandonnée ? Pourquoi est ce que tu es tellement dépendante ? "

Pourtant, Endza ne pouvait s'empêcher d'être jalouse.

Elle vit Araxie passer, l'air fière et plus sophistiquée qu'elle ne l'avait jamais vu.

Elle l'enviait en quelques sortes, sans vraiment savoir pourquoi. Son air fier, son port altier, le cachet d'élégance qui émanait d'elle. Elle dégageait plus de maturité. Comme si elle n'était plus la petite fille qu'elle s'amusait à embêter au début de l'année.

Elle se leva et décida de s'approcher d'elle.

— Araxie !

L'intéressée tourna la tête, un air hautain sur son visage dissiumulant sa tristesse. 

Endza connaissait ces airs-là. Elles les avaient souvent portées comme un masque sur son propre visage. Savoir qu'elle était la cause de sa souffrance ne lui inspirait pas le moindre remord. Araxie avait plus de chance qu'elle. Il fallait bien qu'elle paye à un moment. Et au moins, si elle était avec elle, aussi puérile qu'elle soit, elle n'était plus seule.

— Alors ma meilleure amie, fit-elle en enlaçant Araxie par les épaules, c'est qu'on est classe aujourd'hui ?

Araxie, qui avait refusé depuis longtemps de comprendre ce qui se passait dans le cerveau d'Endza et préférer rester sur ses gardes, la repoussa.

— Tu ne veux pas être mon amie, dit Endza l'air outragée.

— "Il faut savoir", fit Araxie qui n'était pas d'humeur à discuter. "Un coup, je suis une aguicheuse que tu détestes, un coup, tu prétends que je suis ta meilleure amie."

— Mais c'était avant ça, proclama Endza. Maintenant, nous sommes amies.

Peu convaincue et toujours sur ses gardes, Araxie, qui ne savait pas comment se dépêtre de l'étreinte d'Endza sans avoir de problèmes, décida de rester avec elle : "Qu'est-ce que tu veux ?"

— Moi ? Rien du tout, dit Endza.

— Tu es sûre ?

— Est-ce qu'on pourrait s'asseoir quelque part ? J'aimerais bien te dire quelque chose.

Araxie, qui en voulait toujours à Endza, mis de côté sa rancune alors que sa curiosité était attisée.

Elle en savait si peu sur elle, sa vie. Et même si elle la connaissait mieux... Pourquoi Endza lui demanderait conseil ?

— Tu... Tu as l'air de bien t'entendre avec ta mère, dit soudainement Endza en prenant une grande inspiration.

Araxie la regarda droit dans les yeux, se demandant quel était son motif.

— Oui, mais il y a des hauts et des bas. On ne s'est pas toujours aussi bien entendu.

— Comment fais-tu pour bien t'entendre avec elle ?

Araxie la regarda, surprise. Ce manque d'affection qu'elle avait décelé chez elle était bien réel. Son intuition ne s'était donc pas trompée.

— J'essaie d'être empathique, déclara Araxie après une courte pause. J'essaie de me mettre à sa place et d'imaginer ce qu'elle doit penser. Et elle est comme moi, et je pense que c'est pour ça qu'on s'entend aussi bien.

Endza hocha la tête et resta pensive.

— Est-ce que tu as des problèmes avec ta mère ? demanda doucement Araxie.

Endza détourna le regard avant de lâcher hargneusement : Ma mère me bat.

Araxie la regarda, la prenant soudain en pitié, essayant de lui communiquer tout le soutient qu'elle pouvait dans un regard.

— Est-ce que tu sais... pourquoi ? demanda-t-elle.

— Elle est très bonne à cacher ses sentiments, surtout avec la famille. Mais... Quand elle est seule avec moi, elle est tyrannique. Ce ne sont pas ses gestes, mais ses paroles qui me font le plus de mal. Ses paroles sont plus blessantes et poignantes qu'une balle en plein cœur, affirma-t-elle la voix dégoulinante de reproche.

Elle s'était prise à son propre jeu, en révélant bien plus qu'elle n'aurait voulu. La vérité lui avait échappé sans qu'elle ne s'en rende compte. Comme une voix intérieure qui criait qu'elle voulait être entendue.

— Tu sais Endza, dit Araxie en la fixant droit dans les yeux. Nous avons tous notre série d'épreuves dans cette vie. Cette vie, n'est pas facile. Chacun est testé d'une façon différente.

Certains sont éprouvés par un handicap ou une maladie. D'autres sont orphelins, maltraités ou abusé. Dieu est toujours là, il est toujours là quand tu as besoin de lui, répéta-t-elle. Alors quand tu es au fond du trou rappelle toi que tu n'es jamais seule. Peut-être que jusqu'ici ma vie n'a pas été trop dure. Mais on ne sait jamais qu'est ce que l'avenir nous apporte Endza. Peut-être que ma vie sera nulle et la tienne superbe et nos vies à chacune auront été nos épreuves...

À cet instant, la cloche de la fin de la récréation sonna, interrompant Araxie. Les deux filles se levèrent et Araxie s'éloigna, passant une main dans sa chevelure rousse. Elle n'était plus dupe d'Endza. Au fond, elle était malheureuse, même si elle était vraiment tordue. Elle espérait avoir aidé Endza à voir plus clair, même si elle la pensait honnêtement irrécupérable.

Endza resta plantée au milieu de la récréation, un sourire en coin : "Tu ne te doutais pas que je sois la première cause de vrais problèmes dans ta vie, hein ?"

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