20- La vengeance est...

En rentrant dans le salon, son soulagement fut immense. Si Lévon était là, ils n'allaient sûrement pas parler d'Aram.

— Nous avons discuté avec ta mère et Artoun.

Araxie sentait que cela n'annonçait rien de bon.

— Je voyage ce soir.

— Ah bon, fit Araxie ?

— Je vais au Royaume-Uni.

— Vous avez déjà les billets ?

— Je me suis débrouillé, fit son père l'air contrit.

Araxie baissa les yeux. Cela criait : j'ai emprunté de l'argent. Et beaucoup.

Elle resta là quelques instants, mangea son goûter en silence, puis dit qu'elle était fatiguée et qu'elle allait dormir. Sa mère ne dit rien. D'habitude, elle aurait protesté qu'elle devrait au moins dîner, mais là rien du tout.

Énervée, Araxie rentra dans sa chambre, son havre de paix. Elle soupira longuement, la scène de sa discussion en Aram tournant en boucle dans sa tête. "Je ne m'appelle pas Winston, Julia". Qu'avait-il voulu dire par là ? Qu'il l'aimait, mais qu'il ne pouvait pas ou ne voulait pas être avec elle ? Qu'il n'était pas sûr de ses sentiments ? Pourquoi parlait-il en énigmes ? Ne pouvait-il pas s'exprimer avec des mots clairs ?

Elle décida de faire ses devoirs, se perdant dans l'écriture d'une dissertation.

Elle entendit soudain un toquement à la porte :

— Oui, grommela-t-elle.

Sa mère passa sa tête par la porte et chuchota :

— Je dépose ton père à l'aéroport. Dors, d'accord ? Si tu as faim, il y a des restes dans le frigo. Je reviendrais sans doute tard.

Araxie aquiesca, l'embrassa et lui assura que tout aller bien se passer.

Et voilà que maintenant se rajouter à son désarroi ce nouveau pays où son père voulait emménager. Elle avait le cœur gros. Oublier. Elle voulait tout oublier. Et ne le pouvait pas.

Frustrée, elle chercha un paquet de chewing-gum dans le tiroir de sa table de chevet. La mastication avait le don de la calmer.

Malheureusement, son paquet était terminé. En fouillant dans son tiroir toutefois, elle trouva une petite bouteille et un sachet bleu qu'elle avait acheté sous l'influence de Loucine la dernière fois qu'elles étaient allées chez l'épicier après l'école.

Elle lut l'emballage qui indiquait : décoloration.

Araxie se sentait tout à fait d'humeur à essayer quelque chose de complètement différent ce jour-là.

Elle mit les produits dans sa poche, et doucement, sortit et se dirigea vers la cuisine où elle prit un bol, une vieille brosse à dents et une cuillère ainsi qu'une planche à découper. Elle repartit vers sa chambre essayant de passer le plus doucement possible devant la chambre de Lévon pour ne pas être surprise et s'enferma rapidement dans sa chambre.

Doucement, elle brossa ses cheveux, la pensée qu'Aram l'avait rejetée faisant battre son sang contre ses tempes. Elle ne voulait penser à rien quand elle ouvrit le paquet de poudre décolorante bleue et le mélangea avec le petit flacon d'eau hydrogéné. Évinçant, toute pensée de conséquences de son acte si ses parents la trouvaient le lendemain matin avec des cheveux blonds, elle utilisa la planche à découper en plastique de sa mère pour prendre une mèche à plat dessus et appliquer la pâte du mélange dessus.


Elle avait vu de nombreuses fois la cousine de son père, Hayganouch le faire dans son salon de coiffure et avait même en tête ses conseils: colore toujours par mèche. Si tu appliques une décoloration comme un shampoing, tu finiras avec un effet perruque. Elle maintint la première mèche décolorée avec une barrette et s'attaqua au reste des mèches en laissant les racines pour la fin.

Elle aurait voulu avoir une couleur pour aller avec, mais comme elle n'avait pas assez d'argent, elle allait se limiter à une décoloration.

Elle consulta son téléphone qui annonçait clairement 10. 36 et étouffa un bâillement. Pourtant, elle n'avait absolument aucune envie de dormir, trop occupée à ruminer la scène qu'Aram avait joué devant ses yeux. Elle n'avait absolument plus aucune envie de le revoir. Comment avait-il pu se conduire ainsi ? La laisser sans réponse, comme cela, alors qu'elle lui ouvrait son cœur, révélant sa fragilité et se dévêtant de la carapace d'indifférence qu'elle abordait avec les autres garçons. Comment avait-elle pu s'amouracher d'un garçon comme cela ? Un garçon à qui elle n'importait pas le moins du monde malgré tout ce que Loucine pouvait dire, et qui n'avait pas hésité à se foutre de sa gueule, la laissant sans réponse claire.

Elle secoua la tête : décidément même une décoloration, une expérience toute nouvelle, ne lui permettait pas de se distraire et de sortir Aram de ses pensées.

Elle attendit que le produit décolorant agisse en relisant des passages de 1984 qu'elle piochait au hasard, recherchant particulièrement les scènes entre Julia et Winston. Le dernier chapitre qu'elle prit le temps de lire la rendit triste. Au moins, cela montrait bien qu'aucune relation ne marchait jamais, pensa-t-elle cyniquement en fermant le livre.

Elle décida que c'était sûrement le moment de rincer ses cheveux, se dirigea à pas de loup vers la salle de bain et passa sa tête sous le lavabo. L'eau froide créa un choc thermique avec le sang chaud de son cerveau, lui rafraîchissant un peu les idées. Elle frotta vigoureusement sa tête essayant de se débarasser de tout résidus de produit chimique, puis prit la serviette qui pendait toujours au clou et s'essuya soigneusement les cheveux en évitant que l'eau se répande de partout. En examinant ses cheveux dans le miroir, Araxie fut surprise de ne voir aucune trace de blond.

— Oh non ! chuchota-t-elle. Je n'ai sans doute pas laissé poser assez longtemps.

Sa couleur de cheveux était désespérement foncé. Déçue et un peu en colère que ses efforts pour paraître différente et non-conformiste ne portent pas leurs fruits, elle reposa la serviette à sa place et alla dormir.


(chapitre fortement inspiré par le film Malèna)

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