Une valse sous le ciel
Cette nuit-là la ville offrait une vue splendide. Le sol et les toits étaient recouverts d'une légère couche de neige immaculée. De fait par un tel froid les rues étaient quasi désertes et des cheminées s'élevaient des volutes de fumées montant vers la voute céleste très sombre, d'un bleu presque noir, percée par des milliers de points lumineux, les étoiles étant très visible cette nuit là.
Le manque d'activité des rues ne les rendaient pourtant ni silencieuses, ni sombres. Des tavernes on entendait s'élever de nombreuses voix, ainsi que des rires couvrant des mélodies entrainantes et la plupart des fenêtres laissaient filtrer la lumière des habitations tout aussi animées. C'était l'hiver et les gens passaient de longues soirées ensemble à se retrouver dans la bonne humeur. Seuls les enfants semblaient endormis dans cette ville. Les portes des tavernes ne cessaient de s'ouvrir recrachant des groupes, en avalant d'autres. La plupart passaient d'une taverne à l'autre, s'échouant en dernier lieu dans une des maisons ou un appartement, continuant la soirée indéfiniment. D'un de ses établissement sortit un groupe de jeunes hommes qui semblaient prêt à continuer la soirée ailleurs, sauf pour l'un d'entre eux qui salua ses camarades et avança seul dans les ruelles étroites.
Il frotta ses mains qui étaient gelées malgré le froid. Pourtant il cheminant lentement. Habituellement il détestait la ville, aimant surtout le calme et les paysages verdoyants de la campagne, mais sous la neige tous les décors semblaient se drapaient d'un charme qui ne le laissait pas insensible. Ainsi il effectuait un détour, avançant vers la place de la fontaine, qui offrait un beau panorama sur la ville pour admirer la nuit enneigée. En s'approchant il fut guidé par les doux accords d'une contrebasse.
C'était une place tranquille de la ville haute, mais néanmoins rarement déserte. A l'époque où il était étudiant il venait souvent s'assoir sur un banc là-bas pour lire à l'air libre. Et puisque ce soir-là était dédié à se replonger dans ce passé à travers des retrouvailles avec des camarades connus sur les bancs de l'université, cela lui semblait presque naturel de ce rendre là-bas avant de retrouver sa campagne.
Il aperçut d'abord la fontaine et sa sculpture majestueuse d'une guerrière qui brandissait son point. Par ce temps elle ne crachait pas d'eau et la neige lui offrait une nouvelle couche de vêtement. A ses pieds il découvrit le musicien qui jouait une valse entrainante à la mélodie délicieuse. C'était un vieil homme à l'imposante moustache blanche, aux habits chics qui absorbé dans sa musique ne semblait même pas percevoir le monde qui l'entourait. Il y avait également quelqu'un d'autre sur cette place, une jeune femme assise sur le muret qui écoutait le musicien les yeux fermés, balançant sa tête en rythme. C'était une jeune femme singulière. Elle ne portait aucun couvre-chef, ce qu'aucun chef de famille du cercle n'aurait toléré, mais portait des gants de soie délicats et une robe ainsi qu'un manteau de fourrure des plus distingués trahissant une origine de bonne famille. De plus elle avait noué ses mains sur son ventre comme seule le faisait les femmes du cercle.
Son regard passa ensuite à son banc habituel, devant la fontaine, désormais recouvert de neige. De toute façon par ce froid l'idée de rester immobile n'était guère tentante. Il s'approcha du muret pour observer le paysage enneigé en contrebas.
La ville basse appartenait aux classes inférieures. Lui, conscient des privilèges que lui garantissait l'aristocratie, ne nourrissait aucun fantasme ou rêve de la vie de ces gens là, comme cela arrivait chez certains, néanmoins l'agencement étrange des ces bâtiments, ces rues si étroites et l'apparent désordre qu'il voyait était si atypique pour lui qu'il prenait presque plaisir à la contempler, surtout quand il se parait des ses beaux habits immaculés.
Il perdit son regard sur ces paysages d'un blanc virginal en écoutant la douce mélodie, sans même s'en rendre compte il finit par frotter ses mains en rythme avec la musique.
— Monsieur ?
II se retourna vers la jeune femme qui l'avait interpellé avec surprise. Elle s'était bien levée et présenté à sa hauteur pour murmurer ce simple mot, comme pour ne pas déranger le musicien. Son visage rougis par le froid était plutôt charmant, il inclina la tête pour lui faire signe de poursuivre.
— Que diriez-vous de valser ?
Il rougit de surprise par une telle proposition.
— Vous semblez avoir aussi froid que moi, cela nous réchauffera en nous permettant de profiter de cette musique, se justifia-t-elle.
Elle lui tendit sa main gantée. Il n'était pas convenable d'accepter. Surtout d'une simple inconnue. Néanmoins il avait bu un peu trop et ce moment avait quelque chose de trop magique pour être raisonnable.
Il lui sourit et se saisit de sa main. Un petit éclair rose s'échappa alors de leur mains jointes et il ressentit une vague de bien-être s'emparer de son être avant de le quitter et de le laisser désappointé. L'inconnue semblait même terrifiée et prête à fuir. Mais son premier geste insensé avait réveillé son audace. Et il plaça son autre main sous son omoplate. Elle leva alors vers lui un regard doux et posa sa main libre sur son épaule. Ils entamèrent alors une valse sur cette place enneigée, seul au milieu de la nuit, guidée par les accords d'un seul contrebassiste.
Dans sa vie il avait dû danser des centaines de valses. Néanmoins il s'était toujours trouvé dans une salle de bal au sol fait pour la danse, avec une partenaire qu'on lui avait préalablement présenté et au son d'un orchestre complet. Pourtant cette valse sur des pavés couverts de neige, dans une nuit froide avec une inconnue et qu'un unique musicien amateur pour les guider fut la plus mémorable qu'il ait jamais vécu. Et pas parce que cette femme semblaient être son âme-sœur au vu de ce qui s'était produit, mais pour ce moment même. Loin de tout ce cérémonial, avec pour seul témoins les étoiles, il se sentit plus libre que jamais. De plus ce musicien était si talentueux qu'il n'avait jamais tant eu l'impression de communion avec les notes, tandis que cette nuit enneigée donnait à la scène quelque chose de doux et beau. Quand à cette femme, qu'il ne sache pas qui elle était donnait à ce moment une saveur particulière. Au fil des pas il avait l'impression de la découvrir un peu plus. Et ce mystère lui donnait le courage de rester accrocher à ce regard qui le contemplait avec sauvagerie, de laisser ses propres yeux dévorer cette partenaire dont il ignorait jusqu'au nom.
Ce fut un instant de communion parfait, l'échange le plus intime qu'il ait jamais vécu avec quelqu'un. Il semblait lire au fond de ses rétines, sentir à ses pas, comprendre à chacun de ses frissons ce qu'elle avait au fond du cœur. Et il savait qu'elle connaissait ses sentiments de la même façon.
Ils auraient pu continuer à valser longtemps encore. Toute la nuit peut-être même. Plongée corps et âmes dans ce moment le temps ne semblait plus importer. Il n'y avait qu'eux d'eux et la musique qui les emportait dans une valse enchantée.
Une parenthèse de douceur dans leur vie.
Puis la mélodie s'acheva.
Ce moment intense s'interrompit de fait. Et ils s'immobilisèrent, sans se séparer, sans rompre ce contact visuel. Peut-être espéraient-ils un autre morceau pour reprendre la danse. Mais le vieil homme semblait ne plus vouloir jouer.
Alors réalisant ce qu'il venait de se passer il se tourna vers leurs mains unies, il pressa les doigts de cette inconnue avec douceur, comme pour recréer la sensation première qui s'était saisi de lui à leur premier toucher.
Cependant elle se dégagea et il se retourna vers elle. En silence elle eut une révérence et lui tourna le dos pour partir. Personne n'avait rien vu, ils pouvaient prétendre que rien ne s'était passé, reprendre leur vie et espérer qu'ils avaient imaginés ces étincelles, qu'un jour d'autres naîtrait avec un cavalier plus approprié.
Pourtant en la voyant s'éloigner il ne pouvait se décider à partir.
Il ne pouvait pas non plus la laisser partir.
Pas après cet instant incroyable.
Jamais il ne pourrait prétendre que ce moment n'avait jamais eu lieu. Jamais il ne pourrait l'oublier.
Alors il courut derrière elle.
— Attendez ! Vous ne pouvez pas partir !
Elle se retourna son visage le dévisageant farouchement.
— Que voulez-vous que nous fassions d'autre ? questionna-t-elle.
— Nos lois sont assez claires, rappela-t-il.
Baissant les yeux vers ses mains elle les observa.
— Peut-être vaut-il mieux rester deux inconnus l'un pour l'autre. Cela n'a pas pu se produire.
— Je ne veux pas que nous restions deux inconnus, révéla-t-il.
Levant son regard vers lui, ils se perdirent à nouveau dans les yeux de l'autre. A nouveau ils ressentaient cette proximité, cette complicité qu'ils avaient partagée pendant la valse.
— Sidonie. J'habite la maison bleue rue du moulin. Je vous attends demain pour dix-heures.
Il lui sourit.
— Je serais là alors.
— Et vous qui ne voulez pas être un inconnu ne m'offrirez-vous pas votre nom ?
— Je vous l'offre bien volontiers. C'est Antonin. Puis-je vous réclamer en échange votre main pour y déposer un baiser d'adieu.
Franchissant les quelques pas qui les séparaient, elle s'approcha et déposa un baiser sur sa joue.
— C'est encore mieux non ? souffla-t-elle avec un regard malicieux.
L'un contre l'autre ils se regardèrent une dernière fois, revivant dans leur tête la danse qui les avait réunis. Puis elle baissa la tête en se reculant.
— A demain alors Antonin.
Elle se retourna et partit. Il attendit le cœur léger qu'elle disparaisse de sa vue pour reprendre son chemin. Il ignorait comment il expliquerait et justifierait cet événement à son père mais cela ne parvenait pas à l'inquiéter, pas après un moment si parfait.
Préquel à Sans Titre 1
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