Je n'oublie rien !


Elle ouvrit les yeux faiblement. Elle se sentait si épuisée. Pourtant la panique renaissait en elle au fur et à mesure que la conscience revenait. Elle réalisa alors qu'elle était allongée sur son propre lit, dans sa chambre. Un chirurgien approcha de son chevet.

— Majesté comment vous sentez-vous ?

— Les sorcières...

— Majesté c'est fini, vous êtes en sécurité. Maintenant nous devons savoir comment vous vous portez.

— Mes filles ! Mes petites filles.... paniqua-t-elle.

— Majesté nous avons vraiment besoin de savoir comment vous vous portez.

— Je veux voir mes enfants et mon époux ! hurla-t-elle du peu de force qu'elle avait.

Le chirurgien la dévisagea en silence. Elle se calma alors.

— Je suis juste fatiguée, s'excusa-t-elle.

— Alors reposez-vous ! Quand vous irez mieux vous aurez des nouvelles de votre famille.

Elle s'enfonça sur son coussin, ferma les yeux le cœur serré. Elle nota alors qu'il l'avait appelez Majesté et non pas Altesse comme il aurait dû.



Quelques heures après elle se sentait mieux, elle demandait sans cesse aux domestiques qui passait des nouvelles de ses filles mais on ne lui fournissait aucune réponse. Enfin le Grand Chambellan arriva avec le chirurgien.

— Votre Majesté vous semblez en bien meilleure forme.

— Comment vont mes filles ? Et pourquoi m'appelez-vous ainsi ?

Les deux hommes échangèrent un regard qui lui serra le cœur. Faites qu'elles aillent bien.

— De quoi vous souvenez-vous ?

— Les sorciers et les magiciens ont attaqué le palais...

Sa voix se brisa. Elle se souvenait.

La peur.

Les cris.

Les morts.

La destruction.

Ils avaient tenté de s'échapper, de fuir. Elle sentait encore le corps léger de sa petite dernière dans ses bras tandis qu'elle courrait dans les couloirs. Ses petites boucles blondes qui caressaient son visage. Et cette sorcière qui s'était jeté sur eux. Son époux avait lâché leur ainé pour se placer entre l'assaillante et elles. Elle avait agrippé l'épaule de son autre fille, l'avait attirée contre elle quand un sort l'avait frappé dans le dos.

Elle ne voulait pas revivre ça. Elle ne pouvait pas. Elle dévisagea les deux hommes.

— Ils ont été arrêtés ?

— L'armée a finit par réussir à les repousser, lui apprit le chambellan. Mais nos pertes sont considérables. Surtout parmi votre famille.

Elle comprit alors le Majesté. Son père ! Son frère ! Sa sœur ! C'était un cauchemar !

— Qui ? dut-elle quand même demander des larmes dans la voix.

— Majesté vous et votre belle-sœur êtes les seules survivante. Ils ont dû vous prendre pour morte alors que vous n'étiez qu'assommée. Votre oncle est encore envie aussi mais ses blessures sont trop importantes, il ne passera pas la nuit.

Comment décrire le gouffre de désespoir qui s'empara d'elle. Elle étouffa. Elle ne parvenait plus à respirer correctement, submergée par le chagrin. Sa famille tout entière était morte. Les larmes se mirent à couler sur ses joues. Elle se recroquevilla en hurlant. Ses propres filles, ses bébés qu'elle avait porté en elle, qu'elle aimait plus que tout, lui avait été arrachés. Son merveilleux époux qui l'avait toujours fait se sentir si heureuse, si spéciale. Ses parents, sa sœur, son frère, ses neveux et nièces, ses cousins. Ils étaient tous partis.

Elle hurla encore. Elle ne pouvait pas vivre dans ce monde alors qu'ils n'étaient plus là. Alors qu'elle était seule.

— Majesté.... appela-on.

— Non ! hurla-t-elle.

Elle savait pertinemment ce qu'ils voulaient. S'il ne restait plus qu'elle le royaume avait besoin d'elle. Mais elle ne pouvait pas faire ça. Elle n'aurait jamais dû à s'occuper de cela. Elle devait juste être heureuse avec sa famille. Et maintenant qu'on lui avait enlevé tout ce qu'elle aimait on lui demandait d'assumer ce rôle.

— Laissez-moi, gémit-elle entre deux sanglots.

— Nous allons vous laisser un moment Majesté, que vous vous remettiez, mais à notre retour vous devrez vous occuper du royaume, lui dit le chambellan.

Et on la laissa seule avec son chagrin.




 Combien de temps resta-t-elle prostrée sur son lit, elle l'ignora. Même une fois les larmes tarie elle fut incapable de bouger. Elle n'avait plus aucune force. Le monde n'avait plus aucun sens. Ils auraient dû la tuer aussi. Les médecins auraient dû la tuer dans son sommeil. Car sans sa famille à quoi bon vivre encore ?

Quand des domestiques la forcèrent à se redresser, réarrangèrent sa coiffure, son allure, elle les laissa faire. Elle se sentait incapable de bouger ou de parler de toute manière. Cette fois le chirurgien ne vint pas avec seulement le Chambellan, mais l'entièreté du conseil.

Ils s'inclinèrent devant elle.

— Majesté !

Elle ne répondit pas, ne réagit même pas.

— Il va falloir vous couronner le plus rapidement possible. Probablement tout de suite après la cérémonie funèbre.

L'idée qu'on allait enterrer ses bébés, les lui enlever à jamais et qu'elle devrait y assister sans verser une larme lui donnait envie de s'effondrer.

— Je ne peux pas faire ça !

— Majesté les sorciers et magiciens ont été mis en fuite mais ils sont encore dans ce royaume et nous menacent. Il faut quelqu'un pour les arrêter et il ne reste que vous.

Elle dévisagea tous ces hommes en silence. On attendait un ordre de sa part. Une décision. Mais elle se sentait juste submergée par le chagrin. Comment réfléchir dans cet état ?

— Je ne dois pas être la seule. Toute la famille n'était pas à la cour.

— Votre jeune cousin était en effet au nord, on a envoyé des messagers le ramener. Néanmoins il passe après vous dans l'ordre de succession.

— Quand aux autres ce sont des cousins issus de germains Majesté, des intrigants, que votre famille a toujours éloigné du pouvoir.

— Je veux voir mon oncle !

On l'amena à la chambre du mourant, sa belle-sœur se tenait à son chevet les yeux gonflés de larmes. A son arrivée elle se leva et l'étreignit.

— On est dans la même situation toutes les deux désormais.

Pour la reine ce n'était pas du tout le cas. Oui elles avaient perdu toutes les deux leurs précieux enfants. Oui elles étaient désormais veuves, mais cette femme était veuve d'un homme qu'elle n'avait pas choisi et encore moins aimé, quand elle, avait perdu le seul homme qu'elle n'ait jamais aimé. Sa belle-sœur ne se retrouvait propulsée avec d'énormes responsabilités en plein deuil et elle avait une famille qui viendrait la soutenir.

Elle se dégagea de ses bras pour s'assoir aux côtés de son oncle. Sa respiration était sifflante, son teint bien trop pâle et ses yeux voilés. Son torse était également traversé de balafres d'où s'échappait une fumée noire. Elle serra sa main avec amour. Il avait toujours était un homme si doux, si cultivé. Il n'aurait jamais fait de mal à une mouche. Comment avait-on pu s'en prendre à lui ? Comment avait-on pu tuer des enfants ? Des êtres si innocents ?

Tout cela ne pouvait être qu'un affreux cauchemar.




Elle resta à ses côtés jusqu'à sa mort. Puis elle rejoignit ses conseillers, écouta le décompte des pertes, donna les ordres de reconstruction. On planifia également la cérémonie funéraire et son couronnement, choisissant les invités. Elle insista pour que soit conviés les familles de toutes les victimes, qu'ils soient de nobles naissances ou simple domestique. Elle promit un discours pour son couronnement et des décisions importantes à venir. Que chacun puisse venir la voir se faire couronner et entende ce qu'elle avait à dire. Évidemment elle ordonna que soit poursuivi et arrêté les sorciers et magiciens qui avaient organisé cette attaque.

— Il faut aussi statuer du sort de votre belle-sœur. Sa famille va sans doute vouloir son retour. Il va falloir organiser son rapatriement pour qu'il soit le moins désagréable possible. On ne peut se permettre de tel coût avec tous les travaux à venir. Peut-être peut-on négocier une période de deuil pour retarder son départ ?

— Je m'entretiendrais avec son père quand il viendra pour la cérémonie, décida-t-elle. Nous déciderons tous les trois de ce qu'il convient de faire.

Il faudrait s'assurer qu'ils restent alliés malgré son retour, mais elle espérait pouvoir laisser le choix à sa belle-sœur de faire ce qu'elle voulait. Après tout ses enfants seraient enterrés ici, elle ne voudrait peut-être pas partir loin de leur tombeau. Elle, elle ne l'aurait jamais supporté.

— Il faut aussi parler de votre remariage Majesté.

Elle ne pouvait pas prétendre que c'était une surprise mais elle avait refusé même de penser à cette éventualité. Ces simples mots firent naitre en elle une grande angoisse.

— Cela peut attendre, chevrota-t-elle.

— Majesté vous n'avez plus d'enfant et seul votre cousin est dans la ligne directe au trône. Il faut que vous vous mariiez au plus vite tous les deux. Si jamais quelque chose vous arrive il faut avoir quelqu'un à couronner et une solution de secours.

L'idée de devoir refaire des enfants la rendait malade. Partager le lit d'un inconnu, le permettre de la toucher, porter ses enfants lui donnait envie de vomir. Elle avait un époux et des enfants déjà. Ils lui avaient été enlevés mais jamais elle ne pourrait les oublier, jamais elle ne pourrait vouloir qui que se soit d'autres à leur place et jamais elle ne pourrait aimer de nouveau quelqu'un comme elle les avait aimé. Pourtant la raison d'état l'exigeait.

— Laissez-moi un peu de temps !

— Majesté organiser un mariage royal prend du temps et nous en manquons déjà cruellement.

Elle ferma ses paupières désespérée. Elle devait faire passer la raison d'état avant ses propres sentiments bien sûr.

— Pendant que je fais mon deuil rien ne vous interdis de sélectionner des prétendants et discuter des modalités avec eux. Je vous fais confiance, mais ne venez pas me parlez de cela avant quelques mois.

Ilss'inclinèrent.



Son cousin arriva au galop moins d'une semaine après son réveil. Elle le vit arriver la mine grave. Il était si jeune, quinze ans peut-être, et voilà qu'il avait tout perdu à son tour.

Il s'inclina devant elle.

— Ma reine je serais ravi de discuter avec vous, néanmoins j'aimerais me recueillir auparavant sur les dépouilles de notre famille si vous me le permettez.

D'un signe de tête elle accepta. Quand il revint quelques heures plus tard les yeux encore humide de larmes elle dû se retenir pour le serrer dans ses bras. C'était son unique famille désormais.

— Je suis à votre service ma reine, qu'attendez-vous de moi ?

— Désormais et jusqu'à que je donne naissance à mon enfant vous serez mon héritier. Et même une fois mes enfants né le rôle de régent peut vous incomber si jamais je meurs avant leur naissance. Il va donc falloir qu'on vous enseigne ce qu'on attend de vous. Vous devrez vivre à la cour également. Et votre vie étant des plus précieuses vous ne pourrez ni partir chasser, ni faire une quelconque activité dangereuse.

Sa tête se fit plus basse mais il accepta.

— Il faudra aussi que vous vous marriez et perpétuer le sang de notre famille.

Il la dévisagea d'un regard terrifié mais s'inclina :

— Je ferais ce qui est nécessaire pour ce royaume.



 Ils n'avaient jamais été particulièrement proche tous les deux, leur différence d'âge et de sexe les empêchant de nouer des liens profonds, mais sa présence à ses côtés pendant ces temps difficile fut un réel soulagement. Quand elle se sentait faiblirent il prenait le relais, accueillant les différents monarques étrangers et les mots de condoléances avec gravité. Quand elle le sentait lui-même particulièrement déprimé elle accaparait l'attention du conseil ou de leurs invités. Ensemble ils traversaient cette épreuve terrible, formant la meilleure équipe possible. Et quand le soir venait, qu'il n'y avait plus rien d'autres à faire que de retrouver le vide de leur appartement où résonnaient les silences de l'absence si durement, ils restaient assis un long moment ensemble, en silence, se préparant pour cette épreuve côte à côte. Parfois ils pleuraient, parfois ils évoquaient des souvenirs des défunts, mais au moins ils savaient qu'ils n'étaient pas seuls à affronter ces démons quand venait le moment de se séparer.

Sa présence à ses côtés au moment de la cérémonie funèbre fut d'un grand secours. Jamais elle n'avait vécu pareil épreuve et pourtant elle ne pouvait pas s'effondrer. Elle sentait à ses côtés le chagrin de son cousin si grand, si palpable et qui pourtant restait stoïque. Alors elle restait forte, parce que si lui y arrivait elle le pouvait aussi. Parce que si elle s'effondrerait elle sentait qu'il la suivrait. Et c'est les mêmes sentiments qui permirent de le garder hors de l'eau alors qu'on enterrait leur famille.

Au moment où l'on ensevelissait les tombes néanmoins ils durent se prendre la main pour ne pas succomber au lourd poids du chagrin qui pesait si fort sur leurs épaules, leurs genoux, leurs yeux et leurs cœurs.

Ensuite on la couronna dans une cérémonie interminable. Elle ne trembla pas, le regardant quand elle se sentait submergée par la panique face à ces nouvelles responsabilités et se reprenant aussitôt qu'il lui avait fait un signe de tête encourageant.

Elle avança vers l'assemblée une fois couronnée, déterminée. Il était temps de faire appel à sa haine qu'elle avait refoulée depuis son réveil.

— Mon cher peuple, mes amis, je me tiens désormais devant vous devenu reine par d'horribles circonstances. Cette couronne n'aurait jamais dû être la mienne et pourtant par la faute des mages de ce pays me voilà désormais souveraine. Les larmes que vous versez sont les miennes, comme vous j'ai perdu des proches, j'ai été blessé et jamais je ne pourrai oublier ce triste jour. Le temps des pleurs est néanmoins fini. Désormais la vengeance a sonné. Les mages ont voulut s'accaparer le pouvoir, nous ont assassiné, nous ont arraché nos proches même les plus innocents, ils vont payer pour cela. A partir d'aujourd'hui nous sommes en guerre, chaque sorcier, chaque magicien, chaque enchanteur de ce royaume sera traqué et exécuté sans procès, comme ils ont traqué et exécuté mes enfants et les vôtres. Et parce que je n'oublierais jamais, cette guerre ne se finira que quand il n'en restera plus aucun de vivant. Alors vous mon peuple qui avait tant souffert je vous invite dès aujourd'hui à vous venger si vous le souhaiter. Tuez les créatures qui vous ont arraché ceux qui comptait tant pour vous ! Ou dénoncez-les à l'armée qui s'en chargera ! Quand à vous mes amis qui régnez sur les autres royaumes j'implore votre aide, refusez d'accueillir ceux qui viendront à vos frontières en se prétendant victime d'injustice. Ceux qui ont subis une injustice ce sont tous ces enfants qu'ils ont assassiné. Et je ne peux que souhaitez que vous suiviez mon exemple et nettoyez votre royaume de ce mal qui l'infecte. Je vous le recommande même, si vous ne voulez pas subir ce que j'ai moi-même subi. Si vous ne voulez pas enterrez votre famille au complet, si vous ne voulez pas voir votre trône menacé par ces créatures, alors rejoignez mon combat et nous traquerons ces engeances de l'enfer main dans la main !

Elle jeta un dernier regard au tombeau où reposez désormais sa famille. Ils seraient vengés, elle le promettait. Ces mages lui avait offert pour seule vie l'enfer de la solitude et du chagrin, l'ont forcé à ne pas pouvoir se retirer et pleurer les siens mais à devoir tout reconstruire, tout refaire, se remarier, redonner la vie quand elle ne voulait que porter le deuil des siens. Ils l'avaient propulsé sur le trône au lieu de lui laisser sa vie paisible.

Ils s'en mordraient les doigts.

Parce qu'elle n'oublierait rien. Aucune des douleurs qu'elle ressentait, aucune de ses nuits seule à pleurer, aucune de ses réunions où elle devait se montrer forte quand elle ne voulait que s'effondrer et surtout pas cette cérémonie funèbre où elle avait dû enterrer toute sa famille sans verser une larme. Désormais ils ne murmureraient son nom qu'avec peur.


Prequel à Sans Titre 4

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