Ce soir ou jamais
Il observa la brochure épinglé au-dessus de son lit.
Ce soir aurait lieu la dernière audition. Après ce serait fini. Il serait trop âgé pour rejoindre la troupe de musicien itinérant officiel de Zonviland. Il observa son accordéon posé dans un coin de sa chambre, l'angoisse serrant sa gorge.
Il devait essayer ou il le regretterait à jamais.
Sortant de sa chambre il rejoignit la boutique de cordonnerie dans laquelle il travaillait. Toute la journée sous le regard de son maître il travailla le cuir, le modelant en chaussure, en vêtement, en selle en songeant à l'audition de ce soir.
Était-ce vraiment raisonnable ?
Depuis les moqueries de ses camarades à l'école il ne s'était plus jamais produit en public. Dans la cité personne n'aimait les accordéons, tous ces camarades jouaient de la lyre, de la flûte ou de la guitare. Le son de l'instrument que lui adorait les faisait s'esclaffer comme s'il leur avait raconté la meilleure des blagues. Pourtant il n'avait jamais cessé de le chérir lui. C'était original, c'était un instrument complexe à apprivoiser, mais il adorait le rendu des chansons les plus populaires de chez eux qu'il produisait avec.
Il rêvait depuis si longtemps de devenir musicien, son seul plaisir dans la vie était d'assister à des concerts. Après ces représentations il s'imaginait à leur place. Mais chaque année quand venait les auditions il se dégonflait.
Même s'il avait bon espoir que les musiciens sauraient être plus sensibles au son de l'accordéon que les autres lutins il avait toujours peur de se ridiculiser. Si ces gens là se moquaient de lui eux aussi il ne s'en remettrait pas. Alors jamais il n'osait. Il y a deux ans il y était allé pourtant, son accordéon à la main, bien décidé à faire entendre le son de son bel instrument. Mais en arrivant dans la file, en captant les regards moqueurs ou condescendants de ses concitoyens devant son bel instrument il avait abandonné et rebroussé chemin les joues rouges de honte, les yeux noyés de larmes.
En sortant de l'atelier de cordonnerie il reprit le chemin de la maison le cœur lourd. Il voulait y aller. Et avait peur d'y aller aussi. Arrivée chez lui il mit le disque de Sybille Rossi, son morceau favori pour se remonter le moral. Un morceau qui donnait envie de danser, de rire, de vivre. Allongé sur son lit le cœur lourd, il écouta le morceau en observant son accordéon. Il se leva le cœur allégé par la musique, dansa dans sa chambre jusqu'à l'instrument, caressant ses contours. Il le prit alors et joua par-dessus la musique. Il trouva cela si enivrant que son choix était fait.
Il emballa son accordéon, mit sa cape et partit à la salle de spectacle où l'on se réunissait aussi pour les veillées en été. Il y avait une queue immense, comme toujours. On lui offrit des regards condescendants ou amusé tandis qu'il serrait son accordéon. Pas question de repartir cette fois. Pourtant tandis que la queue avançait il ne cesser de penser que ce serait sa plus grande humiliation. Il ne jouait pas si bien que ça en plus à tous les coups. Ou il perdrait ses moyens. La sensation de son instrument contre lui, lui offrit néanmoins le courage nécessaire pour continuer.
Son tour venu il s'assit sur la scène avec son accordéon et des rires retentirent dans le public venu assister aux auditions. Il rougit mais décida que ce soir ils entendraient à quel point un accordéon pouvait être un bel instrument. Peut-être, probablement, ne serait-il pas sélectionné. Mais tous ces gens qui riaient entendraient la beauté de son instrument. Il observa les juges qui eux ne riaient pas. Ils semblaient surpris mais l'observait avec curiosité, certains avaient même des sourires bienveillants.
Alors il joua. Pas pour lui. Pas pour eux. Pas pour ceux qui riait. Mais pour faire honneur à son instrument. Il joua son morceau favori, les yeux fermés, dodelinant de la tête au rythme de la musique. Quand il eut fini si certains riaient et bavardaient d'autres semblaient surpris. Le jury lui s'était levé et applaudissait.
— Merci ! dit l'un d'entre eux. C'était très original. Un vrai changement par rapport à d'habitude.
— Et tu semblais totalement en osmose avec la musique. Tu appréciais être sur cette scène à jouer ton morceau, on ne pouvait que partager ton enthousiasme.
— On avait envie de danser avec toi.
— On te veut absolument dans notre troupe ! Et je suis sûre que dès que tu te produiras devant le roi tout le monde à Zonviland voudra se procurer un accordéon.
— Bienvenue !
Il n'en croyait pas ses oreilles pointues et pourtant...
Il se leva, un immense sourire aux lèvres, le cœur plus heureux que jamais et serra contre lui son accordéon. Enfin des gens s'accordaient sur la beauté de son instrument. Il n'était plus seul au monde. Il avait réalisé son rêve.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top