Chapitre 17
Emrys se mordilla la lèvre, comme il le faisait toujours lorsqu'il réfléchissait. Sous les morsures répétitives, sa bouche acquit un ton rosé semblable à celui d'une grenade entrouverte.
— Tu connais déjà la réponse.
— Je veux l'entendre de ta bouche.
Il se passa lentement une main dans sa chevelure corbeau pour se donner le temps de trouver les mots justes.
— Lorsque Colette découvrit qu'elle était enceinte de toi, elle sut qu'elle ne pourrait pas garder le bébé. Pas si elle continuait à vivre à Urquhart. Tout s'était passé si vite. Pourtant... pourtant à en croire aux lettres adressées à mon grand-père, elle ne regrettait rien. Tu es un enfant de l'amour, n'en doutes jamais. Seulement, tu es née au mauvais moment. La paix n'est qu'un nom. Aujourd'hui, nous n'avons plus la même définition de naguère. Les nouvelles technologies permettent un espionnage discret et des meurtres sans meurtrier. Combien de fois avons-nous combattu pour sauvegarder notre territoire intact ? Pourquoi nos agresseurs n'ont-ils pas été punis ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi... demanda Emrys.
Sa voix était lasse, son corps affaisé. Derrière ses paupières clauses, le seigneur des Kelpies présageait le futur qui attendait son clan. Nébuleux certes, mais funeste. Des murailles humides de sang, des cabosses autour. Et puis, des SAQUA partout. Tantôt pris au piège par l'espoir, tantôt, déchiquetés par la fatalité.
Il rouvrit les yeux, essayant de chasser les bribes de ce cauchemar. Moana l'observait toujours, l'animant de ses grands yeux gris à continuer.
— Quand elle sut qu'elle était enceinte, elle comprit que bientôt, le gouvernement Humain serait au courant. Et qu'il ferait tout pour t'avoir. Ta grand-mère désirait autre chose pour toi qu'être un rat de laboratoire. Alors elle décida de partir. Elle cacha ton existence à Aonghas, elle disparut des radars. Pour tous, elle était morte.
— Je crois qu'Isobel se doutait de quelque chose, interrompit-elle pour la première fois.
Il acquiesça.
— Lorsque Colette disparut, la mère de Yain fut inconsolable. Elle pleurait tellement que le loch monta d'un niveau. Puis un jour, elle reprit son travail de lavandière et participa à la vie du clan. On ne sut jamais ce qui causa ce changement radical de comportement, dit Emrys avec un haussement d'épaules.
— Isobel a dit... elle a dit être heureuse que ma grand-mère leur ait pardonné. (Moana plaça une mèche blonde derrière son oreille). Pardonner quoi ? Ou plutôt, pardonner qui ?
— Je ne sais pas vraiment, répondit-il avant d'ouvrir les bras. Le clan pour avoir été si méfiant à son égard ? Aonghas pour avoir finalement accepté le mariage arrangé que tout le monde le poussait à faire ?
— Un mariage arrangé ? lâcha-t-elle surprise.
— ...oui. Il est coutume pour les familles royales de s'accoupler entre elles afin de perpétuer la pureté de la race.
— Toi aussi ?
Il ne répondit pas. La réponse était évidente.
— Ça ne te dérange pas de coucher avec ta cousine au troisième degré ?
Il fit un petit bruit agacé.
— Ce n'est pas ainsi qu'on voit les choses.
— Mais ce manque de nouveauté peut créer des malformations. Vous n'avez jamais eu de problèmes à ce niveau-là ?
— Non, pas plus que chez les Humains. Notre système de reproduction est plus lent que le vôtre, nous nous accouplons que lors des pleines lunes pour que nos enfants soient bénies par la déesse.
Un étincelle malicieuse naquit dans le regard de la jeune femme.
— Pas de sexe pour le plaisir ? susurra-t-elle.
Il rougit adorablement et lui confirma que c'était une activité dictée par l'instinct, non par le désir. Il ne connaissait pas les us et coutumes des autres SAQUA, mais pour les Kelpies, il était étrange de le faire pour le plaisir. Bien malgré elle, la jeune femme sentit une pointe de déception lorsque Emrys le lui confia. Alors elle changea de sujet.
— L'enclos qui protège les Mackintosh...
— Oui, tu peux passer outre grâce à ton sang.
— Et mamie Colette ? Comment a-t-elle réussi à passer les protections ? Ils ont dû le prévoir avant de l'envoyer à Urquhart.
— Je pense qu'ils savaient qu'elle souffrait d'une maladie incurable.
— L'Alzheimer ne peut pas être détecté si tôt...
— C'était autre chose : une sclorosque.
Moana mit un instant à comprendre avant de porter une main à sa bouche.
— Une sclérose en plaque.
— Étant une maladie incurable, le château n'a pas pensé qu'elle était une menace. L'Alzheimer est une conséquence du lien qu'elle partageait avec Aonghas.
— C'est-à-dire ?
— Lorsque des âme-sœurs sont séparés, ils ne peuvent vivre longtemps l'un sans l'autre.
— Pourtant Aonghas en a épousé une autre, lui dit-elle comme un reproche.
— Il se devait de créer un héritier mais ce ne fut pas facile non plus pour ma mère et mon père. Vivre avec un homme qu'on sait destiner à une autre est horrible. Mais ma mère avait bon cœur, elle n'éprouvait aucune rancune. Ils s'entendaient bien, ça lui suffisait.
— Il y a quelque chose qui m'échappe. Comment est-ce qu'il a pu concevoir ton père ? Il était stérile non ?
— Ah, ça. Nous avons utilisé la méthode humaine ISCI. La technique consiste à déposer un spermatozoïde au sein de l'ovule.
Ils parlèrent encore un peu jusqu'à ce que l'horloge sonne une heure du matin. Emrys l'accompagna à sa chambre, située au bout du couloir. Ils marchèrent lentement, étrangement réticent à se séparer. Ouvrant sa porte, Moana lui posa une dernière question :
— Et la transformation en cheval marin, est-ce que...
— Je ne sais pas. Peut-être, il faudra voir ça à la prochaine pleine lune.
— Quand ? demanda-t-elle, l'impatience transparaissait dans sa voix.
— Dans trois semaines, il te faudra attendre d'ici là.
Elle fit la moue et lui administra une petite tape sur le bras. Emrys dissimula son étonnement. Alors qu'elle entrait, une légère odeur de lavande titilla ses narines. Il examina la chambre par l'entrebâillement. Sur la table à manger, un panier de fruits trônait fièrement. Il savait qu'avant de dormir, elle mangerait une pomme. Et pour la première fois, le laird hésita sur ses actes.
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