Chapitre 9. Peur d'être père

« Je réserve une balle pour celui
Qui en aide jamais ne te viendra
J'ferai le ménage, j'vais nettoyer celui
Qui entre nous se tiendra »

La nouvelle BMW de mon oncle est garée devant l'immeuble quand j'arrive. Je serre les dents d'avance.

Ils vont tout casser.

J'ai un vague espoir que Deen et mon père réussissent à calmer le jeu mais... Je connais Ken, je connais Hakim.

Ma sœur m'a envoyé le code de l'immeuble, je me dépêche de monter et d'atteindre le deuxième étage où ils sont. La porte de l'appartement est entrouverte, je la pousse aussitôt.

À peine ai-je eu le temps d'entrer qu'une tornade brune se jette sur moi.

— Naël ! Je t'en supplie sors moi de là !

Je baisse les yeux vers Iris qui vient de se cramponner à mon polo. Inconsciemment je pose ma main sur son dos et constate avec surprise que celui-ci est dénudé.

Elle n'a plus que sa jupe noire et son soutien-gorge.

Bon...

— Iris, fait la voix de Ken derrière elle, Il ne t'emmènera nulle part, tu restes ici tant que j'ai pas dit qu'on partait. Et tu t'habilles.

Je relève les yeux vers son père, ça fait longtemps que je n'ai pas vu une telle colère dans son regard.

Hakim est à côté de lui et tient Ilyes par l'oreille. Je cherche mon père et Deen.

— Ils essaient de calmer ta sœur, indique mon oncle d'une voix glaciale, elle est en pleine crise d'angoisse ou j'sais pas quoi.

Comme mon regard se déplace dans la pièce, je vois qu'un type est allongé par terre, le nez en sang et qu'un autre gars, qui doit avoir au moins trente ou trente-cinq ans, gît en caleçon sur le canapé, le visage tuméfié.

Un coup d'œil aux phalanges de Ken et je comprends aussitôt pourquoi Iris est à moitié nue et pourquoi le gars est méconnaissable.

J'ai envie de vomir rien qu'à l'idée qu'elle laisse des hommes de ce genre toucher son corps. Cet appart est miteux, rien ne va, ça sent l'herbe à plein nez, il y a un bang sur la table basse, les lumières sont glauques, le sol est jonché de mégots et de capsules de bières.

Je n'ai plus aucun remords d'avoir prévenu nos darons, je n'arrive pas à croire qu'Iris ait pu ramener ma sœur dans un tel environnement.

Sa présence contre moi me dégoûte subitement et je la repousse aussitôt.

— Comment t'as pu faire ça à Ania ?

— Je ne voulais pas qu'elle vienne je te jure ! C'est elle qui a voulu nous suivre... Naël s'il te plaît on s'en va...

Je n'entends même pas ce qu'elle me dit. Je suis beaucoup trop en colère contre elle, ma compassion a des limites.

— Tu restes avec ton père, tu ne me touches pas et tu ne me parles pas.

Elle lève des yeux plein de désespoir vers moi, mais je ne craquerai pas cette fois. Elle m'avait promis de ne pas entraîner Ania.

— Habille toi.

Comme elle ne bouge pas, je la contourne et son père en profite pour attraper son poignet et la ramener vers lui.

Ilyes est tétanisé, visiblement il est complètement stone, je me demande même s'il ressent la prise de son père sur son oreille.

— Il n'y avait que ces deux mecs ? je demande à mon oncle.

— Ouais, celui-là, il montre celui qui est par terre, Il faisait fumer ta reus et celui-là, il montre celui qui est sur le canapé, Il déshabillait Iris.

J'ignore les protestations d'Iris qui hurle que c'est son mec, qu'elle a dix-huit ans et qu'elle se tape qui elle veut, j'entends alors le bruit d'une claque et comprend que Ken n'a pas su se maîtriser. Je ne veux pas savoir ce qu'il se passe ensuite, je fonce dans l'autre pièce voir comment va ma sœur.

Elle est assise sur le lit, en larmes, mon père est assis à côté d'elle, il serre les dents mais s'efforce d'être doux. Deen est accroupi devant elle et lui intime de se calmer et de respirer.

— Naël ! lance-t-elle aussitôt en me voyant.

En quelques secondes elle s'est jetée dans mes bras.

— Je suis désolée j'aurais dû t'écouter... t'avais raison sur toute la ligne... Je te promets je recommencerai plus jamais...

C'est là que je réalise.

C'est à mon père qu'elle devrait dire ça.

J'ignore si c'est moi qui aie pris une place qui n'était pas la mienne ou si mes parents ont un peu trop compté sur moi pour veiller sur Ania.

Je caresse doucement ses cheveux pendant qu'elle pleure contre mon épaule et lance un regard incrédule à Deen et mon père.

— Qu'est-ce que tu fous là ? me demande ce dernier.

— J'avais peur que ça se termine en bain de sang avec Ken et Hakim.

Deen hoche la tête et je repousse ma sœur pour lui parler.

— C'est avec Papa que tu dois discuter maintenant, pas moi.

— Je suis d'accord, fait Deen, C'est pas à toi de gérer tout ça gamin, faut que tu souffles un coup.

Je serre une dernière fois Ania dans mes bras et la laisse regagner ceux de mon père qui a l'air un peu déboussolé. Il n'a pas l'habitude de ce genre de situation, parce que je n'ai jamais fait de bêtises de ce type, et que c'est la première que fait ma sœur. Et la dernière, je le souhaite.

— Allez on rentre, lâche-t-il en soulevant Ania dans ses bras, On verra avec Maman ce qu'on fait pour toi.

C'est ce que j'apprécie avec lui, il ne prend jamais de décision sans consulter ma mère, surtout nous concernant.

Nous sortons de la pièce, Hakim a lâché l'oreille de son fils mais le retient par la nuque, c'est assez fou de voir que même s'il fait la même taille que lui, Ilyes ne cherche même pas à se débattre. De toutes façons son père est beaucoup plus costaud, c'est Amir le boxeur, Ilyes est plutôt fin.

Je remarque également que mon oncle est désormais en t-shirt et que le pull qu'il portait se trouve sur Iris. Celle-ci fixe un point dans le vague, tandis que son père la tient fermement par les épaules.

— On peut se tirer ? demande-t-il.

Les autre acquiescent et nous rejoignons les voiture.

— Naël tu peux déposer Ken et Iris ? me demande mon père, Je vais rentrer avec Haks, on va poser Deen et récupérer Nej' au passage.

J'aurais préféré les ramener lui et ma sœur mais je crois que l'objectif est d'isoler Iris des autres. J'accepte donc et fait signe à Ken de monter. À ma grande surprise, il pousse sa fille devant à côté de moi, et s'installe à l'arrière.

Démarrant sans un mot, je n'en reviens pas de me retrouver encore au volant avec cette fille sur le siège passager. C'est quand même dingue que quoi qu'il arrive, je me retrouve toujours impliqué.

Je jette un coup d'œil dans le rétroviseur, Ken se frotte les phalanges, les yeux fixés sur Paris qui défile par la fenêtre. Son téléphone se met alors à sonner, et alors que je me reconcentre sur la route, sa voix résonne dans voiture.

— Oui Clem, on rentre. Je suis là dans vingt minutes.

Iris pousse un soupir à côté de moi, je dois retenir un geste réconfortant, oubliant furtivement ce qu'elle a fait à ma sœur ce soir.

— Elle a rien, non t'inquiète. Je t'expliquerai. On a des décisions à prendre, Haks veut plus qu'Ilyes la voit. Fram pense pareil pour Ania.

Ça devait arriver, forcément.

Je jette un coup d'œil à Iris et je vois qu'elle enfonce ses ongles avec force dans son bras, grattant sa peau à l'extrême.

— Arrête, je murmure.

Elle sait que je ne supporte pas quand elle fait ça, les souvenirs que cela me rappelle sont encore trop frais.

Comme elle continue de gratter, je referme brusquement mes doigts autour de son poignet.

— Arrête ça putain.

Un regard dans le rétro, Ken est toujours au téléphone les yeux tournés vers la vitre. Je lâche son poignet, mais avant que je n'aie eu le temps d'éloigner ma main, la jeune fille la saisit. Elle se cramponne à mes doigts et je sens ses ongles s'incruster dans ma paume.

Je comprends qu'elle a envie de craquer, mais qu'elle ne lâchera jamais devant son père.

Pourtant je n'ai aucune envie de la réconforter, je lui laisse ma main, inerte, et fixe la route en conduisant de l'autre. Je regrette presque d'avoir une voiture automatique, ça m'aurait fait une excuse pour me dégager.

— À toute à l'heure ma chérie, oui moi aussi.

Ken raccroche, puis un bref moment de silence emplit l'habitacle.

— Tu sais quoi Naël, arrête toi là, on va marcher.

Je sais que quand il est énervé, Ken a besoin de marcher pour décompresser. Mais si je les laisse à Concorde, ils ont bien quarante minutes de marche jusqu'à Commerce.

— T'es sûr ? En voiture on y est en dix minutes.

Et puis... est-ce vraiment prudent de faire sortir Iris, si elle décide de partir en courant, Ken n'est pas sûr de la rattraper.

— Je crois qu'on a besoin de parler, tous les deux, souffle-t-il.

J'ai presque mal tellement les ongles d'iris s'enfoncent fort dans ma main. Elle ne veut pas y aller.

— Gare toi Naël, s'il te plaît.

J'obéis, parce que je ne sais faire que ça.

— Dès que t'es prête, tu me rejoins dehors Iris, fait-il d'une voix douce en ouvrant sa portière.

Il sort et je le vois aller s'assoir sur l'épaisse rambarde en béton du pont, nous tournant le dos.

— Tu devrais y aller, pour une fois qu'il essaie de faire un effort pour passer du temps avec toi...

Iris secoue la tête, j'ai l'impression de la revoir à huit-dix ans quand elle faisait un caprice.

— C'est trop tard Naël, murmure-t-elle.

Effectivement, c'est un peu tard pour se réveiller, il a fallu qu'il la trouve à moitié nue avec un gars de deux fois son âge, pour se mettre a vraiment réagir.

La joue d'Iris est encore un peu rouge de la gifle que Ken lui a mise. Je suis sûr qu'il s'en veut à mort et que c'est en grosse partie pour ça qu'il veut parler.

— T'es consciente que je ne peux pas juste rester là toute la nuit à attendre que tu te décides Iris. Et puis je sais même pas pourquoi je te parle, tu me dégoûtes.

Elle soupire et je dégage ma main des siennes. Ça suffit je suis trop gentil.

— Allez sors, ou je te sors de force.

— Je pourrais m'enfuir, murmure-t-elle.

Évidemment, c'est d'ailleurs ce qui me fait peur. Je n'ai aucune envie que Ken me rappelle d'ici une demie-heure pour me dire qu'il faut se remettre à chercher sa fille.

Je comprends que face à cette situation bouchée, il va falloir que je donne, encore une fois, de ma personne.

— Écoute Iris, si t'as un minimum de reconnaissance pour tout ce que j'ai fait pour toi depuis dix-huit ans, j'aimerais assez que tu respectes le pacte que je vais te proposer.

Elle pose ses yeux brillants sur les miens. Je sens que j'ai toute son attention.

— Si tu vas avec ton père et que tu rentres chez toi ce soir, je te promets de répondre positivement à ta prochaine demande, à partir du moment où ça n'inclut pas de relation sexuelle, je te vois déjà venir. En dépit du fait que je t'en veux comme jamais pour ce que tu as fait à ma sœur.

Iris papillonne des paupières, détourne le regard vers son père qui nous tourne le dos, toujours assis sur le pont. Au fond je sais qu'elle en meurt d'envie. Elle a toujours été fascinée par lui, quand elle avait treize-quatorze ans, c'était presque de l'idolâtrie. Mais elle a peur, peur de lui ouvrir son cœur et qu'il l'abandonne, comme la dernière fois.

— Tu n'es pas obligée de lui parler, tu peux juste marcher avec lui et l'écouter.

Iris déglutit et pousse un nouveau soupir avant de se tourner vers moi.

— Tout ce que je veux en échange ?

— Tout ce que tu veux. Mais attention, ce ne sera pas possible tant que je ne serais pas sûr que tu seras rentrée chez toi.

Elle hoche la tête, je prends un risque énorme et j'ai un peu peur qu'elle me fasse faire un truc épouvantable.

— D'accord, souffle-t-elle, Je sais ce que je veux en échange.

Je retiens ma respiration, je ne remarque même pas qu'elle a de nouveau saisi ma main.

— Quoi ?

Des larmes perlent à ses yeux, je crois que je commence à comprendre. Jusqu'à maintenant, il a quelque chose que j'ai toujours refusé de faire avec Iris. Parce qu'elle refuse d'y aller sans moi et que je sais que je ne vais pas supporter. Je déteste l'idée de pleurer devant elle.

— Viens le voir avec moi.

Ma gorge se noue automatiquement, pourtant j'y suis allée plein de fois avec mes parents, ou même seul. Mais avec Iris...

Les larmes dévalent maintenant ses joues, je retiens les miennes de justesse.

— Nayel... s'il te plaît.

— Iris...

Un soupir m'échappe, je sais que Ken attend toujours, je me dis que cette discussion peut les aider tous les deux.

— D'accord... mais uniquement si je suis sûr que tu as rempli ta part du contrat.

Elle hoche la tête et avant que je n'aie eu le temps de réagir, attrape mon visage entre ses paumes et colle ses lèvres humides aux miennes.

À peine ai-je réalisé ce qu'il vient de se passer qu'elle est déjà sortie de ma voiture.

Je ravale ma salive, traumatisé par cette dernière action, et la regarde rejoindre son père qui a déjà regagné le trottoir en entendant la portière claquer.

Si vous saviez à quel point je déteste cette fille.

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