Chapitre 9. Génération assassin
"Vive... Vivement l'été pourvu qu'il neige"
Les yeux de Naël s'écarquillent un peu quand il voit son cousin planté au milieu du salon. Il a un bleu à l'endroit où le poing d'Ilyes s'est écrasé sur son visage. J'ai rarement été plus mal à l'aise.
Je trouve Papa un poil plus froid que d'habitude quand il le salue, et Léo se charge de mettre les pieds dans le plat.
— T'as quoi au visage ? Tu t'es battu comme Ilyes ?
J'entends un petit ricanement et vois ma mère donner un coup de coude discret dans les côtes de mon père.
Ça commence mal.
Naël ignore la remarque de Léo et me fait la bise. Je dois être écarlate. Comme d'habitude Ilyes et lui s'ignorent.
Pendant que Maman pose des questions à Naël sur ses études et que tout le monde s'installe à table, je m'acharne sur mes ongles et la main d'Ilyes vient trouver mon poignet pour les éloigner de mes dents.
— Khlass, fait-il.
— Désolée.
— Pas besoin de t'excuser.
Je sais pas si je suis soulagée qu'il soit là parce que ça m'empêche de me focaliser sur ma gêne par rapport à Naël, ou si j'ai encore plus peur que la situation tourne mal.
Stressée, je me dépêche d'aller aider Papa dans la cuisine. Il a fait un mafé mais rien que l'odeur de la nourriture m'écoeure. Je ne comprends vraiment pas pourquoi l'idée de manger me rebute autant en ce moment.
— Ça va pas ma puce ?
— Si si mais...
Je jette un regard en direction de la salle à manger et pousse un soupir.
— Eh, t'as vu la gueule qu'il tire Naël, il est plus mal que toi, crois moi. Ilyes a bien fait de se ramener.
Manque total d'objectivité.
Mais je l'aime quand même.
Il me pousse affectueusement vers la table en me murmurant que je suis une guerrière. Ça, il n'y a que lui qui le pense. Ils se sont mis à table et Ilyes est à la place qu'il occupait quand il était à la maison, entre Léo et moi.
— Tom m'a appelée aujourd'hui, est en train de dire Maman, Il m'a demandé de tes nouvelles Ilyes.
— Il faut que je passe au garage, répond-il, Je pense que je vais pouvoir reprendre bientôt. J'attends que le médecin me dise que c'est bon.
Elle lui sourit affectueusement pendant que je dépose le plat sur la table avant de gagner ma place.
— Il a dit que tu prenais le temps dont tu avais besoin.
Bon, le sujet est neutre, ça ne devrait pas forcément tourner au drame. La conversation tourne beaucoup autour d'Ilyes, Léo profitant de l'avoir à la maison pour lui raconter absolument toute sa vie palpitante.
— Et même que la maîtresse elle a appelé Papa la semaine dernière.
— Pourquoi ?
— Parce que j'ai chanté une chanson qu'il met tout le temps dans la voiture.
Ilyes hausse un sourcil, j'ai déjà entendu cette histoire trois fois. Et honnêtement je comprends la maîtresse.
— Léo si tu répètes ça encore une fois, ça va mal se passer, prévient Maman.
Mais trop tard il est lancé :
— J't'allume ta mère de la tourelle, si t'as un gros cul t'as tout c'que j'aime, si t'as un gros cul t'as tout c'que j'aime, tu ne baises pas la première-fois ? Moi je ne baise pas la...
Le regard furieux de notre mère l'empêche de finir sa phrase. Papa est à deux doigts d'exploser de rire, Naël a l'air à la fois choqué et amusé. Ilyes se marre. Romy roule les yeux.
Le pire c'est qu'elle la connait par coeur elle aussi. Dès que Maman n'est pas dans la voiture Papa s'en donne à coeur joie pour mettre sa playlist préférée en nous disant que le rap c'était mieux avant.
— Vroum vroum... J'fais des roues arrières dans...
— Léo ! tu arrêtes ! s'énerve ma mère, Et tu mettras cinq euros dans le pot à gros mots.
— J'ai plus d'argent...
Mon père finit par craquer et rigoler, Léonard va vraiment avoir des problèmes à l'école s'il continue à lui apprendre n'importe quoi. Alors c'est contre lui qu'elle se retourne :
— T'es fier de toi ? Un jour on va voir les services sociaux se pointer hein ! C'est toi qui mettras l'argent pour la peine, et vingt euros.
Je crois que pour voir son fils sortir des couplets de Booba, Papa serait prêt à payer bien plus cher que vingt balles. J'imagine même qu'il se délecte de savoir qu'il les répète à l'école.
Romy est silencieuse depuis trop longtemps, c'est mauvais signe. Et quand notre père se défend en disant que de toutes façons Léo finira par connaître tous ces mots, elle s'emporte une bonne fois pour toutes :
— Il a huit ans ! s'exclame-t-elle, Il n'a pas le recul pour savoir qu'on ne répète pas ce genre de phrases de façon aléatoire. Attends un peu qu'il se mette à parler aux femmes comme Booba le fait dans ses chansons.
— Je suis pas débile hein ! Papa il a dit que ça marchait pas pour pécho ! Il a dit il faut être "scuptible".
— Subtil, corrige l'intéressé, C'est "subtil" le mot mon fils.
Si d'un côté je suis contente que la conversation tourne autour de Léo, j'aimerais assez que Romy et mon père se calment, parce que ça finit toujours en "Tu prends ton assiette et tu vas finir de manger dans ta chambre" et après tout le monde est tendu. Pourquoi faut-il toujours que mon frère fasse son intéressant quand il y a du monde ?
Et dix minutes plus tard, évidemment, ça ne loupe pas on a droit à la grande scène théâtrale et dramatique de ma soeur, pauvre dissidente condamnée à subir le fascisme parental.
Je l'adore, mais vraiment elle est trop passionnée par moment.
— Ouais, bah tu sais quoi, si c'est la dictature ici, tu files dans ta chambre. Au goulag, lui répond mon père.
Elle s'en va furieusement et je pousse un soupir. Les parents sont énervés, Naël a l'air gêné et Ilyes un peu amusé.
— C'est quoi le goulag ? demande Léo.
Naël lui explique gentiment et je laisse tomber ma tête contre ma main, complètement blasée par cette soirée.
— T'as rien mangé, me dit Ilyes.
Il ne va pas s'y mettre.
— C'est vrai, l'appuie mon père, T'as presque rien pris.
Sans que je ne puisse protester, je vois mon assiette se remplir une deuxième fois. J'ai déjà eu tellement de mal à manger la première...
— Papa... J'ai vraiment pas faim.
— C'est nouveau ça, dit alors Naël, Avant tu mangeais presque plus que moi.
Excellent, ils vont tous s'y mettre.
— J'ai pris un gros gouter, dis-je en m'efforçant de sourire.
Maman me fixe avec inquiétude, elle sait bien que c'est comme ça depuis deux semaines, elle m'a dit que j'avais l'air fatiguée ces derniers temps.
— Chérie tu étais à la maison tout l'après-midi et je ne t'ai pas vu sortir de ta chambre. Tu n'as rien mangé ce matin en partant au lycée et je ne suis même pas sûr que tu aies déjeuné à midi.
Je regarde mon père avec des yeux suppliants, il a absolument raison, le peu que j'ai mangé ce soir est la seule chose que j'ai avalé de la journée. Mais je n'ai vraiment aucune envie d'en parler.
Naël me fixe et soudain, j'ai peur qu'il leur dise ce qui me coupe l'appétit depuis quinze jours. Il semble d'ailleurs hésiter.
— S'il vous plait, laissez-moi tranquille...
— À condition que tu manges ce qu'il y a dans ton assiette, ordonne mon père.
Vu le regard un peu sévère qu'il lance à Naël, je comprends qu'il pense que c'est à cause de lui que je suis dans cet état. Mais ce n'est pas le cas, ou du moins ce n'est pas la raison principale.
— Je crois que tu devrais apprendre à exprimer les choses quand ça ne va pas Jadou, me dit gentiment ce dernier, C'est parce que tu gardes tout que tu perds l'appétit.
— Elle a pas besoin de tes leçons de morale.
Ah, le chien de garde s'est réveillé.
Je me sens encore plus mal.
— Ilyes s'il te plaît...
Mon père ne dit rien parce que je crois qu'il est un peu d'accord avec lui, encore une fois il ne connait pas toute la vérité et ça m'agace qu'il prenne partie. En plus Maman est partie à la cuisine et ne peut pas défendre Naël.
— Je disais simplement ça par gentillesse, se défend-il, Juste un conseil.
— Ouais bah garde ta gentillesse, elle a fait assez de mal comme ça.
Je ferme les yeux, Léo racle bruyamment son assiette, comme d'habitude. Mes mains se mettent à trembler sur mes couverts.
— Tu devrais te mêler de tes affaires.
Naël garde un ton parfaitement calme mais je sens qu'il est à la fois mal à l'aise et agacé. Ilyes m'énerve aussi.
Ilyes ricane et Maman réapparait.
— C'est golri que tu dises ça alors que tu passes ton temps à faire le daron avec nous tous, zahma tu considères Jade comme ta petite soeur mais tu lui fais espérer des trucs et après tu fais le mec "gentil".
— Arrête Ilyes. Naël ne m'a rien fait espérer, effectivement il était juste gentil et je me suis fait des films toute seule. Alors c'est clair qu'il a été un peu con de pas voir ce que je ressentais, mais c'est moi qui l'ai embrassé, c'est moi qui ai pensé que j'avais une possibilité. Je suis la coupable numéro un et ça ne sert à rien de m'utiliser pour vos guéguerres de cousins. J'ai pas besoin qu'on me défende, ni qu'on me donne des conseils.
Je veux bien être proche d'Ilyes, mais qu'il ne compte pas sur moi pour dire gratuitement du mal de Naël. Il a toujours été là pour moi et jamais il ne m'aurait fait souffrir consciemment. Je ne peux même pas dire qu'il m'a brisé le coeur, parce que je l'ai fait toute seule.
Mon regard croise celui rempli de fierté de mon père, je crois qu'il aime bien quand je m'affirme un peu. Même si en l'occurrence c'est contre Ilyes que je me suis fâchée.
D'ailleurs, il n'a vraiment pas l'air d'apprécier, sa mâchoire et serrée et il fixe la table sans rien dire.
Tant pis, il peut bouder, je ne veux pas servir sa jalousie et son besoin de s'opposer sans cesse à son cousin.
— T'as embrassé Naël ? Beurk, dégueu. C'est ton amoureux ? Je croyais que c'était Ilyes.
— Tais toi Léo, lui dit Maman.
Naël a l'air très mal, il bredouille quelques excuses et je tente de lui sourire tristement.
Puis d'un mouvement brusque, Ilyes se lève de table et commence à partir.
Est-ce qu'ils ont tous décidé de me jouer un vaudeville à huis clos ?
— Ilyes ! Ne fais pas le gamin !
Je me lève à mon tour pour le suivre sous le regard un peu halluciné de toute la famille.
Il nous rejoue la veille de Noël à Toulon ?
— S'il te plaît ne pars pas comme ça, c'est ridicule.
Je le rejoins en courant dans la cage d'escaliers et le ratrappe par le poignet, il se retourne brusquement face à moi, l'air furieux. Ses yeux m'impressionneront toujours quand ils me fixent avec cette violence.
— Pourquoi tu réagis comme ça avec Naël ? J'étais soulagée que tu sois là ce soir...
Il ne répond pas. Comme d'habitude il préfère se murer dans le silence plutôt que dire ce qu'il ressent réellement. C'est tellement agaçant de sentir qu'il pense des tas de choses qu'il n'exprimera jamais.
— Pour l'amour de Dieu dis quelque chose.
— J'ai rien à te dire. Tu veux continuer de lécher le cul de Naël c'est ton problème.
Je lève les yeux au ciel, ne peut-il pas y avoir un juste milieu entre détester et aduler quelqu'un ?
— J'essaye simplement d'être objective, Naël n'avait rien fait de mal ce soir, tu n'avais aucune raison de lui tomber dessus. Je commence à croire que tu es venu ici simplement pour le plaisir de lui rentrer dedans. Je veux pas être ton prétexte pour régler tes comptes avec lui.
Il me dévisage avec colère, je sais que c'est très compliqué de lui faire entendre raison, il est encore plus borné qu'Amir et quand il a un point de vue sur les choses, il n'en démord pas.
— Je sais pas pourquoi j'suis venu, t'façon tu le défends tout le temps. Il pourrait te traiter comme la pire des merdes tu continuerais de le trouver parfait. Alors que moi je te défends et tu me gueules dessus. Vas-y laisse tomber tu me les brises.
Ok donc Amir avait raison. Ilyes est jaloux.
— Mais t'es pas sérieux, c'est encore ce ridicule concours de taille de zizi avec Naël ?
— Parle pas quand tu sais pas, répond-il.
Mais je sens qu'il est un peu gêné soudainement. Et ma tête s'est remise à tourner.
— Ilyes.
— Allez je me casse.
— Ilyes...
De nouveau des petites étincelles noires parasitent ma vision et je crois qu'il comprend que ça ne va pas car il se rapproche aussitôt de moi pour attraper mon bras.
— Putain, assieds-toi je vais chercher ton père.
— Non... Ça va aller, c'est rien.
Mais je m'écroule littéralement sur lui et j'ai juste le temps de l'entendre appeler mes parents avant de perdre connaissance.
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