Chapitre 9. Every breath you take
« Every breath you take
Every move you make
Every bond you break
Every step you take
I'll be watching you »
Des batteries et des batteries de tests.
Mohammed est soumis depuis une semaine, à une quantité incroyable d'analyses cérébrales, je n'y comprends pas grand chose, mais je crois qu'il y a vraiment de l'espoir.
Ma mère a mis en suspens tout son travail, elle passe ses journées à l'hôpital, mon père l'y rejoint dès qu'il peut et moi aussi. Entre nous, tout est un peu tendu, mais nous ne perdons pas de temps avec nos histoires familiales tout ce qui compte, c'est Mohammed. Et puis Violette est là, elle aussi, dès que son emploi du temps le lui permet. Pourtant nous ne pouvons toujours pas le voir.
Mon esprit est totalement pris par ça, chaque journée de cours est d'une longueur pas possible, je les passe à languir le moment où je vais pouvoir rejoindre mes parents à l'hôpital.
Dans la famille, tout le monde est en attente, beaucoup pensent qu'il s'agit de faux espoirs, Maya en tête. Alpha n'adresse plus la parole à personne tant qu'on n'est pas fixés, je crois qu'il a trop peur.
Le miracle, c'est Antoine, le plus gros cartésien de la bande s'est laissé convaincre, grâce aux pressions de ma mère par l'intermédiaire d'Amanda, le couple passe maintenant presque autant de temps que nous à l'hôpital.
Comme je sors précipitamment du lycée à la sortie, j'entends la voix d'Ilyes résonner dans la rue.
— Wesh Iris tu pars déjà ?!
On ne s'est pas vus de la semaine, mais je n'ai pas vraiment de temps à lui accorder et je me sens mal quand je suis avec lui, parce qu'il ne sait pas que j'ai embrassé son frère. Il serait vraiment capable de m'en vouloir pendant très longtemps s'il l'apprenait.
Je le laisse néanmoins courir pour atteindre ma hauteur, il m'attrape par le bras et me force à me stopper.
— Tu fais quoi ?
— Je vais à l'hôpital.
Ça le saoule, je le vois bien, il n'a jamais compris pourquoi j'étais autant attaché à cet Moh et il a un peu le même point de vue que sa mère sur son état.
— Encore ? demande-t-il, T'y es allé tous les soirs cette semaine, c'est vendredi, on pourrait sortir en scred.
Pour moi c'est absolument hors de question, ma seule obsession, c'est le potentiel réveil de Moh.
— Je ne peux pas Ilyes...
J'interromps ma phrase lorsque son frère jumeau apparaît derrière lui. Ces derniers temps je préfère éviter de croiser Amir, même si c'est compliqué étant donné que mon frère et lui sont assez inséparables et qu'il passe sa vie chez nous.
Il ne prend pas la peine de me saluer et je fuis un peu son regard.
— Ilyes, Maman vient de m'appeler, tu dois récuperer Nej à l'école, fait-il.
La mine de mon meilleur ami s'assombrit aussitôt, je trépigne un peu, ayant vraiment envie de les planter rapidement pour rejoindre l'hopital.
— Pourquoi t'y vas pas toi ? demande Ilyes à son jumeau.
— Parce que j'ai boxe, tu le sais très bien.
Ilyes grogne et nous plante là en laissant échapper quelques jurons, il ne prend pas la peine de me dire au revoir, je crois qu'il est un peu faché contre moi.
Amir lève les yeux au ciel en voyant son frère partir et soudainement semble se rendre compte de ma présence.
— Tu lui as rien dit ?
— Tu me prends pour qui ? réponds-je, J'ai aucune envie de lui faire du mal, d'autant plus qu'il est évident qu'il ne va pas bien du tout en ce moment.
Amir pousse un soupir de soulagement, il se fait du souci pour son frère, ça crève les yeux. Mais comme Ilyes ne se confie jamais à personne, on ne peut pas faire grand chose pour lui.
— Il va repasser en conseil de discipline, je sais pas si tu sais mais il a hagar une baltringue de term ce matin. Les darons sont pas encore au courant, mais ils vont le savoir très vite.
Oui, je suis au courant, je les ai séparés. Il s'est pris la tête avec un pauvre gars de ma classe. Le ton est vite monté et quand le gars lui a lancé un « nique ta mère la pute », Ilyes s'est jeté sur lui. Heureusement qu'Amir n'y était pas d'ailleurs, parce qu'il aurait aidé son frère.
— Tu penses qu'ils vont réagir comment ? je demande.
Mon impatience de voir Moh est un peu calmée par l'inquiétude que je ressens pour mon meilleur ami.
— Bah... Pour le fait qu'il ait frappé un tarba qui a insulté ma mère, le daron va dire qu'il a eu raison, mais pour le reste... Ça va gueuler.
Évidemment.
— Amir, est-ce que tu peux me tenir au courant ? Ilyes me dira pas s'il a des problèmes.
L'adolescent fixe ses yeux clairs sur moi et hoche la tête, l'air perdu dans ses pensées.
— J'ai vraiment peur qu'ils finissent par le foutre dehors.
Hakim en serait capable, je n'ai absolument aucun doute là-dessus. Le problème, c'est qu'Ilyes serait trop fier pour demander de l'aide à qui que ce soit.
— Il va falloir que j'y aille, fait finalement son frère, T'as des nouvelles de mon cousin ?
Ils sont en froid depuis l'anniversaire de Naël, en grosse partie à cause de moi. Je sais que ça va vite s'arranger, mais ce n'est pas facile à vivre pour l'un comme pour l'autre. Ils sont normalement inséparables.
— Vite fait, réponds-je, Il prépare ses oraux. Il est tout le temps avec Sofia.
Amir m'adresse un sombre signe de tête, cette discussion est vraiment déprimante.
— Bon bah... À plus tard, finit-il par dire.
— Ouais, oublie pas de me tenir au courant.
****
Depuis le début de la semaine, nous n'avons pas pu réellement voir Moh, les médecins étant prudents. Mais ce soir c'est le bilan, nous attendons impatiemment le neurologue qui doit nous recevoir.
Ma mère dort sur l'épaule de mon père, je ne sais pas comment elle fait, non seulement le stress m'empêche de tenir en place, mais mon père nous broie la main à chacune.
— Papa, lui dis-je en grimaçant, Tu me fais mal.
Il me lâche et je masse mes phalanges douloureuses.
— Désolé, souffle-t-il.
Je me lève et commence à faire les cent pas dans la salle d'attente, tout en les observant. Antoine se ronge les ongles, Amanda lui attrape le poignet toutes les deux secondes pour l'en empêcher, Violette tripote sa montre tout en regardant fréquemment son portable, Deen doit nous rejoindre mais n'est toujours pas là.
Ambiance ultra tendue.
— Iris assieds-toi tu me stresses, grogne Antoine.
— J'arrive pas à rester assise.
En fait, je commence à avoir peur, non pas d'apprendre que c'était un faux espoir, mais qu'il se soit réveillé. Parce que si ça se trouve, il va m'en vouloir, il va me haïr.
Mon estomac commence à vraiment se nouer dans tous les sens, je crois que je ne suis pas prête. Je n'aurais pas dû venir.
Mon pouls s'accélère, entraînant ma respiration avec lui.
— Iris ? Ça ne va pas ? demande Violette.
Je ne réponds pas, parce que rien ne sort de ma bouche, que mon souffle saccadé et les sanglots qui me serrent la gorge.
Exactement le même état que lorsque je me réveille d'un cauchemar.
Un bras fin se pose sur mes épaules et me pousse dehors avec douceur. Je reconnais l'odeur de Violette.
L'angoisse continue de me tordre les entrailles et la voix douce de ma tante me chuchote de me calmer.
— On va prendre l'air, ma belle, t'as besoin de respirer.
Je veux m'en aller.
Pendant plus de dix minutes elle me demande de se concentrer sur sa voix, de respirer, de penser à des belles choses.
Des belles choses ?
— Il y a forcément eu un moment agréable dans ta vie il n'y a pas si longtemps, concentre toi là-dessus, repense aux sensations que ça t'a procuré. Pense à quelque chose qui te réconforte habituellement.
Naël.
C'est l'évidence même.
Le seul à calmer mes angoisses et mes peurs, le seul à les connaître et les comprendre.
Je pense à ses bras autour de moi, à sa voix ferme et douce à la fois, à son visage délicat, à tout ce qu'il a déjà fait pour moi. Je le revois enfant, me tenir la main dans la rue, je le revois ado, me découvrir à moitié morte.
Les bras de Violette entourent mon cou et elle caresse doucement mes cheveux, elle est très affectueuse, mais elle sait aussi rester à sa place, sa douceur m'apaise.
— Oh putain. Ne me dites pas que...
La voix de Deen nous fait toutes les deux sursauter, je me détache de sa femme et écarquille les yeux en voyant qu'il est avec Naël.
Mon cœur fait un sursaut dans ma poitrine, j'ai envie de me jeter dans ses bras, il a l'air terrifié.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demande-t-il, Il y a eu un problème ?
Violette répond pour moi alors que je tente de récupérer mon souffle.
— Iris ne se sentait pas très bien, on est simplement allées prendre l'air.
Naël et elle échangent un regard entendu, elle m'embrasse sur le front et attrape la manche de son mari complètement ahuri, pour l'entraîner à l'intérieur.
— Pou-pour-quoi t'es là ? j'articule à l'intention du jeune homme.
— Je pouvais pas te laisser toute seule un soir pareil...
Je crois qu'il se sent un peu coupable de ne pas m'avoir accordé beaucoup de temps depuis deux semaine, il faut dire que je ne lui ai strictement rien demandé.
Peut-être finalement qu'il aime bien quand je l'appelle à l'aide.
— Tu veux bien me prendre dans tes bras ?
— Évidemment.
Un soupir de soulagement m'échappe lorsque je me retrouve contre lui. C'est vraiment mon ange gardien.
— J'ai réussi toute la semaine, je murmure, J'ai presque tenu toute la semaine sans t'appeler et sans craquer... J'ai fait des cauchemars chaque nuit, mais j'ai pas pris de cachets.
Son index décrit des petits cercles sur ma nuque pendant que ma respiration retrouve un rythme à peu près normal.
— Je suis très fier de toi, Iris. Arthur m'a dit qu'il ne te reconnaissait pas. Ta crise là, c'était pour quoi ?
Le simple fait de me remémorer la violente angoisse qui m'a saisie quelques minutes plus tôt, fait repartir mon pouls au quart de tour. Naël sent aussitôt que je panique et me serre un peu plus fort. Je veux qu'il comprenne tout seul...
— T'as peur que ce soit une fausse alerte ? demande-t-il.
Je secoue la tête en écartant mon visage de son épaule. Il chasse délicatement les cheveux qui me tombent devant les yeux.
— T'as peur qu'il se réveille ? Qu'il t'en veuille ?
Je ferme les yeux en étouffant un sanglot, c'est exactement ça.
— Iris, je ne vais pas te le dire cent mille fois. Moh passerait sous un train pour toi. Même si c'est ta faute, il ne t'en voudra jamais. Et s'il s'est réveillé, peut-être qu'une part de la culpabilité que tu ressens, va enfin s'envoler.
Son regard rassurant me fait du bien, je crois qu'il essaie un peu de masquer sa propre angoisse.
— Tu m'as manqué.
J'ai chuchoté, même si le son était à peine audible, il a très bien lu mes paroles sur mes lèvres.
Il y a un léger instant de flottement, comme s'il hésitait à répondre, ne sachant s'il y est autorisé ou non. Puis finalement, Naël pose son menton sur mon crâne en me ramenant plus près de lui.
— Ça fait vide sans toi, chez nous, dit-il.
Nous restons ainsi de longues secondes, jusqu'à ce que la voix d'Amanda nous appelle.
— Naël, Iris, le médecin est là !
Une décharge électrique me parcourt l'organisme, nous échangeons un regard d'enfants paniqués, puis Naël prend une grande inspiration et comme si nous avions encore huit ans, il prend son petit air supérieur et me tend la main. J'y glisse la mienne et nous suivons la petite blonde, tout aussi stressés l'un que l'autre.
Ils sont tous debout dans la pièce, le médecin parle, je vois ses lèvres bouger mais je n'entends rien, mes oreilles bourdonnent, seule la main de Naël semble me rattacher au monde réel. Mon regard s'attarde sur chacun des visages qui m'entourent.
Ma mère. Elle fixe le neurologue en hochant la tête, une force inébranlable semble émaner de son regard, comme si elle s'était blindée comme un bunker dans l'éventualité où tout ceci n'était qu'une fausse alerte. Mais ses mains tremblent un peu, crispées sur le biceps de mon père.
Lui, a cette mine bouleversée que celle que je lui ai vue lorsque Moh a serré ma main, une semaine plus tôt. Ses yeux brillent, je sais que s'il parlait, sa voix serait tellement rauque qu'on n'entendrait presque rien. Je peux lire ce qu'il pense dans son regard. « Quoi qu'il arrive, ma raison de vivre est à mes côtés. »
Violette sourit, Violette sourit toujours, pas de toutes ses dents bien sûr, mais ses lèvres sont finement étirées, pour témoigner de cette confiance infinie qu'elle a dans la vie. Parce que pour elle, quoi qu'il arrive, l'orage finit toujours par passer.
Deen serre les dents, il fixe ses mains avec lesquelles il joue nerveusement, triturant sa chevalière de L'entourage qu'il ne quitte presque jamais. C'est pareil pour lui, il sait que si ça tourne mal, sa principale source de joie est toujours bien présente près de lui.
Antoine tient sa femme contre lui, il a l'air sensiblement dans le même état que moi, comme s'il était dans une bulle et qu'il n'entendait pas la voix du médecin. Je vois la main d'Amanda aller et venir dans son dos, se voulant rassurante.
Ils sont tous deux.
Ça me saute aux yeux comme une évidence, malgré le bouleversement de chacun, rien n'est vraiment invivable tant qu'ils ont cette ancre qui les retient sur terre, qui leur permet de croire qu'il y aura des jours meilleurs.
Moh, lui, n'a plus son binôme.
— Iris, chuchote la voix de Naël, reviens sur terre.
Autour de moi tout le monde se met à bouger, mon père s'approche de moi et je me trouve dans ses bras.
— C'est grâce à vous, c'est grâce à toi. Je suis tellement fier de toi. Si tu savais comme je t'aime.
Je crois qu'il embrasse ma joue une bonne dizaine de fois. Naël tente de lâcher ma main mais je retiens la sienne.
— On y va, on va le voir.
Je ne comprends rien, tout le monde pleure tout le monde se prend dans les bras.
On me pousse dans tous les sens, je me cramponne aux doigts de Naël.
« Reste avec moi »
Je capte enfin son regard et il comprend aussitôt. Lentement mais fermement il m'extrait du monde qui m'entoure pour me ramener près de lui.
— On arrive, l'entends-je dire aux adultes.
La pièce se vide et les paumes de Naël se collent à mes joues pour relever mon visage vers le sien.
— Eh, fait-il, Je suis là, on y va ensemble. Quand t'es prête.
Ses yeux parcourent mon visage avec inquiétude. J'ai l'impression de me réveiller d'une anesthésie générale.
— Naël, qu'est-ce qui se passe ?
— Moh s'est réveillé, il ne peut pas encore correctement se mouvoir, mais il est conscient. Il peut parler, Iris.
Je ne sais pas si vous savez, mais une vague de dix mètres de haut décharge sur le corps de ceux qui restent à l'intérieur un poids moyen de 400 tonnes.
C'est à peu près le poids de cette nouvelle sur mon cœur.
— Regarde-moi, on y va quand tu es prête. Peu importe s'il te faut deux heures.
Les événements survenus deux ans et demi plus tôt se bousculent dans mon esprit. La dernière fois que j'ai parlé à Moh.
— Tu... Il... Il se souvient ?
Je lis la réponse dans le regard de Naël.
Lui, moi, Moh. Je voulais mourir, ils ont risqué leur vie pour la mienne.
— Je veux pas... avec tout le monde. Juste toi et moi.
Le garçon hoche la tête.
— D'accord, ça va être compliqué de les sortir, mais ils te doivent bien ça. On va leur laisser encore un peu de temps.
Les minutes passent, Naël ne lâche pas mon visage. Il caresse doucement ma joue avec son pouce. J'ai l'impression de recharger mes batteries en force avant les terribles retrouvailles.
— Qu'est-ce que je dois lui dire ? En premier.
— Tu verras ce qui sort, ne te prends pas la tête avec ça. Si ça se trouve c'est lui qui parlera.
Je hoche la tête et mes bras se placent tout seul autour de son cou. J'attire son front contre le mien.
— Tu me laisses pas ?
— Bien sûr que non. Je ne bouge pas tant que tu veux que je sois là.
Son portable vibre de façon répétée dans sa poche, il l'ignore.
Nos visages sont si proches et j'ai envie de l'embrasser. Mais il ne faut pas, même si c'est tout ce sont j'ai besoin.
Je m'approche un tout petit peu pour effleurer simplement ses lèvres avec les miennes, puis dépose un baiser au coin des siennes. Il ne bronche pas. Alors je recommence une fois car c'est toujours ainsi.
Il ferme les yeux et je sens son souffle s'accélérer.
— Iris, chuchote-t-il, S'il te plaît ne fais pas ça.
Alors que je m'apprête à lui désobéir, la voix de Deen me fait violemment sursauter pour la deuxième fois de la journée.
— Les jeunes, il veut vous voir. Tous les deux.
Naël lâche aussitôt mon visage et nous nous écartons, puis sa main attrape la mienne, comme toujours.
— On vient, murmure-t-il, T'es prête ?
Je ne peux qu'hocher la tête. Deen disparaît, Naël m'entraîne vers le couloir, mais au moment où nous nous apprêtons à sortir, il se stoppe.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Il ne répond pas, attrape mon menton dans sa main, me fait reculer et ses lèvres percutent les miennes au moment où mon dos rencontre le mur.
Deux vagues en moins d'une heure, ça fait beaucoup pour mon cœur cabossé.
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