Chapitre 8. Tellement je t'm

"J'lui dis qu'elle dira des trucs intelligents
Que quand ses phrases commenceront par
"Mon papa m'a dit que, il m'a dit qu'il m'aime"
Tellement je t'aime, tellement je t'aime
Tu veux partir ? Grimpe sur les épaules de ton vieux père
Tu m'fais tellement de peine, tellement de peine
Quand je te vois souffrir de tes amourettes"

Le contrecoup du râteau monumental gentiment administré par Naël se fait sentir dès le lendemain en rentrant chez moi.

Je crois que Papa a vraiment peur quand je fonds en larmes à l'instant où il me demande si ça s'est bien passé.

Il doit même se faire un millier de films en se disant qu'on m'a fait du mal ou je ne sais quelle crainte il peut avoir me concernant.

Impossible de cracher le morceau, je n'arrive plus à m'arrêter de pleurer, Maman me serre dans ses bras longtemps. Jusqu'à ce que mes sanglots s'apaisent.

J'ai l'impression d'être une enfant qui a besoin du parfum de sa mère pour se calmer. Elle me parle doucement en embrassant ma joue, en chassant mes larmes.

Papa reste debout face à nous, l'air vraiment inquiet.

— Ma chérie, murmure ma mère, On ne peut pas t'aider si tu ne nous dit pas ce qui te fait du mal comme ça. Il s'est passé quelque chose avec Amir ?

Je secoue la tête et finis par avouer une partie de ce qui me fait si mal.

— Naël s'est remis avec Sofia.

Un soupir de soulagement leur échappe et même si ça devrait m'agacer, je ne peux pas leur en vouloir. Pour eux ce n'est pas grave, juste une amourette d'adolescente un peu faible qui bientôt passera à autre chose.

Mais moi je vois tous mes espoirs se révéler plus que faux, je me retrouve une nouvelle fois face à la réalité. Naël ne m'aime pas et ne m'aimera jamais.

Maman caresse mes cheveux et Papa s'assoit à côté de nous sur mon lit.

— Jade... Tu te souviens ce que je t'ai dit quand tu m'as parlé de ce que tu ressentais pour Naël ?

— Qu'il fallait que je tue le prince charmant.

Je me souviens bien de cette discussion, il m'avait dit que j'étais davantage amoureuse de ce que Naël représentait pour moi, que de lui en tant que personne.

— Mais Papa... Je suis tellement bête...

Chaque fois que je repense à ce que j'ai fait j'ai envie de creuser un trou et m'y enterrer pour toujours. J'ai rarement eu aussi honte de toute ma vie. C'est si humiliant d'être repoussé au moment où on déclare ses sentiments les plus profonds.

Je relève le nez vers mon père qui m'adresse une moue dubitative un sourcils haussé, l'autre froncé. D'habitude il fait cette tête pour me faire rire quand j'ai dit une bêtise, là ça ne fonctionne pas.

— J'ai essayé de l'embrasser...

Il pâlit aussitôt et Maman porte sa main à sa bouche. Je laisse tomber ma tête dans mon oreiller comme s'il pouvait l'absorber pour toujours.

— Je ne veux plus jamais le voir... C'était horrible.

Je sens la grande main de mon père se poser sur mon épaule.

— Eh, ça me plait pas spécialement que t'embrasses des garçons. Mais au moins t'as porté tes couilles. Y'a aucune honte à avoir, s'il veut pas de toi c'est lui qui perd quelque chose.

Facile à dire...

Oh mon Dieu je ne pourrai plus jamais regarder Naël dans les yeux...

— Qu'est-ce qui s'est passé après ? demande Maman, Vous avez discuté ?

— Pas vraiment, Ilyes a pété un cable et lui a collé son poing dans la figure.

Papa éclate de rire, je suis sûre qu'il est fier de lui. Je me retourne pour voir l'expression surprise de ma mère.

— Pardon ? Mais pourquoi il a fait ça ?

— Parce que c'est le fils de sa mère, chérie.

J'observe mes parents, l'un hilare, l'autre un peu contrariée. Maman adore Naël et je ne crois pas que ça l'enchante qu'il se soit fait frapper par son cousin.

— Je sais pas vraiment, il dit que Naël n'a pas été clair avec moi, et qu'il méritait qu'il le remette à sa place... Enfin Ilyes quoi... Faut pas chercher à comprendre je crois.

Volontairement je ne parle pas de ce qu'a dit Amir, je n'ai pas envie qu'ils commencent à s'inquiéter de ma relation avec Ilyes. Ça me fait du bien de passer du temps avec lui et il m'aide beaucoup. Je ne voudrais pas que les parents pensent qu'il y a plus et commencent à mettre des limites.

— Et après vous n'avez pas pu discuter ?

— Non j'ai...

Je ne termine pas ma phrase, ce n'est pas utile de leur dire pour mon petit malaise. Ce n'était rien de plus qu'une faiblesse passagère. J'en ai déjà fait à l'athlétisme.

— Après Naël est parti et... J'avoue que je l'ai un peu fui.

Ils hochent la tête d'un même mouvement puis la voix de Léo qui s'égosille dans le salon fait lever les yeux au ciel de Maman.

— Maaamaaaan ! Snoop a vomi ! C'est dégueuuuu !

Snoop c'est notre chat, il a effectivement une fâcheuse tendance à vomir sur le tapis du salon.

— Tu veux que j'y aille ? demande mon père.

Mais elle s'est déjà levée et secoue la tête. On sait tous très bien que c'est le genre proposition que Papa fait en espérant qu'on lui réponde par la négative.

Quand ma mère referme la porte j'ai de nouveau droit au mouvement de sourcils.

— Papa arrête, c'est pas drôle ! Comment je vais faire pour éviter Naël maintenant ?

— Tu ne vas pas l'éviter.

Bien sûr que si. Il est hors de question que je me retrouve dans la même pièce que lui avant au moins dix ans.

— Jadou chérie, plus tu vas le voir, plus ta gêne va disparaître. C'es pas grave d'aimer quelqu'un, faut pas avoir honte. T'as juste à assumer, ouais tu kiffais Naël et il te kiffait pas. Et alors ? C'est pas ta faute s'il a pas de goûts. Tant pis pour lui ! Tu verras je suis sûr que demain soir ça ira déjà mieux.

Oh non pas demain soir. En plus à tout les coups Papa va faire des allusions gênantes et je vais avoir envie d'être foudroyée sur place plutôt que de continuer à dîner avec ma famille et Naël.

— Je vais dîner chez les Akrour demain.

— Non.

C'est rare qu'il utilise ce ton implacable et presque froid avec moi. Normalement c'est réservé à Léo ou parfois Romy quand elle dépasse les bornes.

— Tu seras là demain. Et tu sais pourquoi ? me demande-t-il.

— Non ?

— Parce que ma fille n'est pas une faiblarde qui s'incline devant un gamin de vingt ans. Tu va me tourner cette page Naël rapidement et arrêter de soupirer après lui. Sérieux, t'as besoin de quel homme à part ton père pour avancer dans la vie ? Et surtout, qui peut t'empêcher de passer ton lundi soir en famille comme tu l'as toujours fait ? Sûrement pas Naël. Oh faut se battre là ! C'est toi qui décides ! Pas lui !

Il est tellement passionné quand il parle, j'ai envie de rire. Et j'ai envie de me moquer de lui un peu aussi.

Je me redresse pour poser mon menton sur son épaule.

— Dis Papa, si c'est moi qui décide et si personne doit m'empêcher de dîner où je veux, pourquoi je peux pas aller chez les Akrour ?

— Parce que comme tous les parents, j'aime bien me contredire quand il faut imposer ma dictature.

Il m'embrasse sur le front et je n'insiste pas, sachant très bien qu'il ne changera pas d'avis. Après tout il a raison, je n'ai pas fui devant les filles qui me faisaient du mal à l'athlétisme, pourquoi je fuirais devant Naël...

******

Ce matin en me réveillant, j'ai eu plus que jamais envie de rester couchée. Sûrement l'un des pires lundi de l'année. Programme : Oral blanc de français et dîner avec Naël après le plus gros râteau de ma vie. Vraiment, si on pouvait m'oublier au fond de mon lit.

Pour me réveiller, mon père a ouvert la porte de la chambre au chat qui s'est empressé de sauter sur mon lit, ronronnant et à l'affut d'un coin douillet où dormir.

Je l'ai caressé rapidement avant de me lever en lui jetant un regard envieux. Les chats sont les pires alliés du monde quand il s'agit de partir en cours quand on n'a aucune envie d'y aller. On dirait qu'il vous narguent l'air de dire "Eh oui, tu sais moi je vais rester ici à me prélasser sur ton lit, pendant que tu vas sortir dans le froid pour faire des choses que tu détestes"

Je te hais Snoop.

Impossible d'avaler quoi que ce soit, bien évidemment, le stress me coupe tout appétit la boule dans mon ventre prend trop de place pour y ajouter de la nourriture.

Le bon côté des choses, c'est que grâces aux oraux on n'a pratiquement pas cours aujourd'hui. Mais bon, j'échangerais volontiers ces vingt minutes d'oral contre sept heures de cours.

Amir essaye tant qu'il peut de me détendre, les gars aussi mais vraiment rien n'y fait, je vois venir le moment où je vais être totalement incapable de laisser échapper le moindre mot.

Finalement j'ai réussi à parler, la prof a été assez bienveillante et a tenté de me mettre un peu à l'aise. Mais je ne me fais pas trop d'illusions, j'ai beaucoup beaucoup bafouillé, mes idées n'étaient pas claires, mes explications encore moins. Bref, j'ai foiré mon oral blanc... Espérons que l'écrit rattrape tout ça.

Au moins c'est passé.

Je retrouve Ilham dehors, elle semble tout à fait sereine.

— T'es tombée sur quoi ? me demande-t-elle.

— L'incipit de Madame Bovary.

Et Dieu sait que je connais presque ce texte par coeur... Comment ai-je pu être à ce point esclave de ma timidité...

Nous parlons quelques minutes de nos oraux respectifs jusqu'à ce que le sujet dévie sur la soirée d'Amir.

— J'ai appris qu'Ilyes avait frappé son cousin à cause de toi ? Il s'est passé quoi ?

Je m'apprête à trouver un moyen d'éviter ce sujet qui me rappelle que le soir, Naël se pointe à la maison et que je ne parviendrai pas à croiser son regard, mais Amir apparait comme par magie pour répondre à ma place :

— Mon reuf est un peu possessif. Et mon zinc un peu tactile.

Non mais je rêve ? Il continue de mentir ?

Il m'avait promis de lui dire la vérité ce week-end. Son regard suppliant me fait pousser un soupir, cette histoire va mal finir je le sens.

Pour éviter d'avoir à mentir à mon tour je fais mine d'avoir quelque chose de très important à dire à Gabriel et leur fausse compagnie.

Amir m'énerve vraiment de m'entraîner dans ses mensonges.

Je suis tentée de revenir sur mes pas pour lui demander si je peux squatter chez eux ce soir, mais je me rappelle de la discussion avec mon père et tente de me persuader qu'il a raison et qu'il faut que j'affronte Naël.

Tout ça me fait presque oublier la nouvelle mission que je me suis fixée. Je ne sais même pas par quel bout commencer pour retrouver ma soeur.

Dans le bus, je décide d'appeler Ilyes pour lui proposer un café et chercher des pistes, mais il ne répond pas et j'en suis un peu déçue. Tant pis, je commencerai seule.

Pendant deux heures en rentrant, je tente de reconstruire toute l'histoire, puis de réfléchir à toutes les possibilités.

Mais il y en a tellement, Nora peut avoir réellement abandonné sa fille, ou bien l'avoir gardée. Dans les deux cas, ça reste incroyablement compliqué de la retrouver, en sachant qu'elle est peut-être à des milliers de kilomètres.

Peut-être même qu'elle est morte.

N'importe quoi Jade, arrête.

Mon téléphone sonne vers dix-neuf heures, affichant le prénom d'Ilyes. Ce n'est pas trop tôt.

— Ouais, fait-il, désolé j'étais en rééducation, t'as essayé de m'appeler ?

Je lui explique mes motivations et il me propose aussitôt de venir chez lui. Poussant un soupir, je me sens obligée de décliner.

— Naël vient dîner ce soir... et Papa me force à être là.

— Hein ?

Quoi hein ? Il sait très bien que c'est le cas tous les lundis soirs, il trouvait toujours un moyen ces dîners quand il était à la maison.

Je veux le lui rappeler mais me rends compte qu'il a raccroché.

Ah ben super, merci.

Une grosse vingtaines de minutes plus tard j'entends la sonnette et ferme les yeux en me disant qu'il est temps d'assumer. Naël est là. Et je n'arriverai jamais à sortir de ma chambre.

— Romy ! Rajoute une assiette ! Ilyes dîne ici ! lance la voix de mon père dans l'appartement.

Pardon ?

Au même moment la porte de ma chambre s'entrouvre sur les yeux polaires du plus vieux des jumeaux.

— Wesh, fait-il.

— Mais qu'est-ce que tu fais là ?

Papa doit être ravi, ça fait deux mois qu'il se plaint que depuis qu'il est parti, Ilyes n'a pas remis les pieds ici.

— Bah t'étais coincée là à cause de l'autre baltringue, donc je suis venu.

Je ferme mon ordinateur et quitte mon lit pour le rejoindre.

— N'appelle pas Naël comme ça. Tu sais qu'on ne va pas pouvoir travailler longtemps, il va arriver et j'ai cours demain, je ne peux pas passer ma nuit à faire des recherches avec toi.

— Mahlich, montre ce que t'as fait déjà.

J'obéis de bonne grâce et lui montre ma liste des possibilités et mes potentielles pistes. La première étape étant de localiser la famille de Nora, par exemple ses parents. D'après ce que j'ai compris Papa la connaissait depuis longtemps. Il y a des chances qu'elle vienne du Sud.

— Je demanderai à Sneazz, me dit Ilyes, je dois le voir demain.

— Merci.

Il hoche la tête et je le détaille avec curiosité. C'est vraiment surprenant de sa part qu'il soit venu sur un coup de tête. Une petite voix me chuchote qu'il n'avait peut-être pas envie que je voie Naël sans qu'il soit dans les parages, mais je la fais taire.

C'est fini de se faire des films pour rien.

J'entends Maman et Léo rentrer des courses, j'en connais un qui va être ravi de voir Ilyes ici.

— Tu viens, dis-je au jeune homme qui est absorbé par l'écran de mon PC, Léo parle que de toi depuis des mois, ça va lui faire plaisir que tu sois là.

Un petit sourire nait sur les lèvres d'Ilyes qui me suit hors de la chambre.

Évidemment ça ne loupe pas, mon petit frère se jette sur lui à l'instant où il le voit.

Maman parait un peu surprise mais très contente de cette arrivée inopinée, elle ne peut s'empêcher de prendre Ilyes dans ses bras et de lui frotter affectueusement les cheveux. À grand renforts de "tu es toujours le bienvenu, c'est chez toi ici."

C'est étrange parce que j'ai habité sous le même toit que lui pendant plusieurs mois, mais c'est comme si je le découvrais pour la première fois dans ces lieux. Peut-être parce qu'on s'est beaucoup rapprochés, j'ai l'impression qu'Ilyes n'est pas tout à fait la même personne qu'avant.

La sonnette retentit pendant que Léonard raconte pourquoi Timéo est une "victime bolosse" qui fait semblant de savoir parler arabe pour se rendre intéressant.

Si on comptait le nombre de choses que mon frère fait semblant de savoir faire pour se rendre intéressant...

— Ah le voilà ! fait Maman, Entre Naël, c'est ouvert.

Je ne suis pas prête du tout pour cette soirée.

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