Chapitre 8. Oyasumi

« Est-ce que tu m'sens ?
Est-ce que tu m'sens ?
Est-ce que tu m'sens ?

Hey hey, on vadrouille jusqu'à l'infini
On vadrouille jusqu'à l'infini
Mon esprit se calme
Posé d'où je suis
Je vois le monde sans filtre
Oh mon cœur est calme
Mes démons se calment »

— Je suis vraiment l'elfe de maison de cette famille.

Mon frère grogne depuis vingt minutes. Notre père a eu le malheur de lui demander passer un coup de serpillère dans l'appartement. « Parce que ça fera plaisir à Maman quand elle rentrera ».

Nous avons une femme de ménage.

Il est tellement content que je sois revenu à la maison, même s'il se garde bien de le dire trop fort. Ce soir nous devons impérativement dîner tous les quatre « pour fêter mon retour ».

Comme si mon retour était une fête.

Regardez bien la tête d'Arthur, vous comprendrez que pour lui c'est plus une mauvaise nouvelle qu'autre chose.

— Ton implication dans les tâches ménagères reste assez limitée de manière générale, lui réponds-je, Je ne t'avais pas vu tenir un balais depuis l'âge de dix ans quand tu te mettais à cheval dessus pour vérifier que tu n'étais pas un sorcier né moldu.

— Vas-y ferme ta gueule, tu pourrais m'aider au lieu de me regarder, Iris la mangemort. En plus je sais très bien que tu essaies de m'humilier en inventant des choses sur mon enfance obscure.

« Enfance obscure » pour parler d'un gamin toujours dans la lune qui partait à l'école sans son cartable et racontait des histoires farfelues à sa maîtresse quand elle lui demandait où il l'avait laissé. Faut pas déconner.

— Pour une fois, ce que ta sœur raconte est absolument vrai. Je me souviens très bien de cette période où tu étais persuadé d'être un sorcier.

Mon père a levé les yeux de son ordinateur, derrière lequel il travaille, et fixe Arthur d'un regard amusé.

Sa phrase aurait pu être anodine, voire plaisante. S'il ne l'avait pas commencée par « pour une fois ».

Je sais bien qu'il ne l'a pas fait exprès, mais je lui en veux quand même, parce que si ça sort malgré lui, c'est qu'il le pense.

— Mais sérieux, répond mon frère, Pourquoi elle fait rien pendant ce temps ? Tu vas recommencer à lui passer tous ses caprices de princesse ?

Quel plaisir de rentrer chez soi.

Je repense encore à la mine déçue de Naël lorsque que je lui ai dit qu'il était vraiment temps que je parte.

Mais après avoir appris qu'ils étaient admissibles à l'ENS, il a ramené Sofia pour dîner chez ses parents. J'ai passé une soirée épouvantable. Elle était mal à l'aise, je l'étais tout autant.

Je crois que Naël commence à l'aimer. Il n'a plus du tout l'air de se forcer, comme l'avait fait remarquer Amir.

Et puis j'ai eu peur du jour où il aller la ramener pour dormir, même s'il dit qu'il ne veut pas, parce que ça le gêne trop vis à vis de ses parents.

Au fond je crois que j'ai toujours un peu rêvé d'être la « première fois » de Naël. Comme si nous nous éduquions l'un l'autre, en fonction de nos expériences respectives.

— Eh Bellatrix Lestrange ! On te parle !

La voix de mon frère me sort de mes sombres pensées. Je n'ai plus vraiment envie de discuter avec eux, même si je suis revenue en me jurant de faire des efforts.

— Papa a dit que ce serait sympa que tu nous cuisines quelque chose. Maman rentre dans une heure.

— Il peut le faire lui-même.

Je me lève du canapé dans lequel je suis assise et commence à prendre la direction de ma chambre.

— Ah voilà, je me disais bien que t'étais trop sympa pour que ce soit normal, grogne Arthur.

Mais avant que je n'aie pu finir, la voix un peu cassée de mon père claque brusquement.

— Iris ! Tu restes là !

Il a fait une cure d'autorité pendant que je n'étais pas là ou quoi ? La seule personne à laquelle je l'ai vu s'adresser avec un ton aussi impératif, c'est Violette. Il fait plus le daron avec elle qu'avec nous.

— Qu'est-ce qui te prend ? je demande un peu interloquée

— Il me prend que j'ai décidé que tu faisais à manger. D'ailleurs, on va le faire ensemble.

Il se lève, ferme son ordinateur et avec un regard autoritaire, pointe la direction de la cuisine.

Je fronce les sourcils, déboussolée par son attitude. Soit il pense que passer un moment « père-fille » à faire la cuisine comme si tout allait bien, va recréer une complicité qui n'existe plus, soit il veut simplement se donner bonne conscience en passant du temps avec moi, soit il a lu quelque part que ça pouvait canaliser les ados rebelles. Enfin bref, il y a forcément des arrières pensées ridicules.

— T'as trois secondes.

— Sinon quoi ?

Le chantage. Un art de prédilection que je manie à la perfection.

— Sinon je viens te chercher tous les soirs au lycée cette semaine.

Je grimace, aucune envie de revivre ce genre de semaine, entendant encore les réflexions de ces abrutis de lycéens.

« Wesh y a le père à Iris ! » « Guette ça il a la même tête que dans les films » « Son père il est grave beau pour son âge » « C'est son mec ou c'est son daron ? »

Sans répondre, je prends en traînant les pieds, la direction indiquée par mon père qui referme la porte sur nous deux.

— Alors, fait-il, tu veux faire quoi ?

— C'que tu veux, réponds-je sans grande conviction.

Déjà qu'il me force, je ne vais pas en plus être aimable.

Naël me manque.

Nous sommes lundi, il doit dîner chez les Castelle.

La voix paternelle m'oblige à sortir de ma soudaine mélancolie, il a désormais la tête dans le frigidaire et sort des légumes les uns après les autres.

Son sourire satisfait lorsqu'il referme la porte m'indique qu'il sait ce que nous allons faire.

Il fut un temps, j'aimais voir mon père me sourire de cette façon, maintenant c'est douloureux, ça me rappelle que je n'arrive plus à lui faire confiance.

— Tiens, fait-il, Tu me découpes ces tomates.

Lui répondant par un sombre hochement de tête, je le vois de son côté s'affairer dans les placards pour sortir des plats. Je crois qu'il veut faire une tarte tatin à la tomate. C'est l'un des plats préférés d'Arthur. Et de ma mère.

Puis je tire un couteau et entreprend d'accomplir ma mission. Il sifflote joyeusement à côté de moi. C'est juste d'un point de vue de la mélodie, mais ça sonne faux pour l'entrain qu'il y met.

Je ne sais pas s'il fait exprès, mais c'est un très vieux morceau de Moh et lui, je crois qu'il ne s'en rend pas compte. Comme sa joie feinte m'énerve, je décide de le souligner en chantonnant les paroles.

On s'en tape, on s'en tape, on ne peut que monter vu qu'on est venus d'en bas...

Évidemment, il s'interrompt instantanément. Une ombre traverse son visage.

— Putain de sa mère, lâche-t-il.

Eh oui.

Je vois sa mâchoire se serrer et continue de couper les tomates, soulagée qu'il ne fasse plus semblant.

Au bout de quelques minutes, mon père se stoppe soudainement dans la confection de sa pâte à tarte.

— Bordel de merde, j'ai sa voix dans la tête, chuchote-t-il.

Ses yeux brillent.

Je crois qu'il ne s'en remettra jamais.

Encore une fois l'aiguille gigantesque qui brode mon cœur avec de la culpabilité, se plante avec violence dans ma chair. Même si je lui en veux, il n'a pas mérité de perdre son frère à cause de moi.

D'un revers de manche il essuie ses yeux et secoue la tête.

— Il allait comment la dernière fois que tu l'as vu ? demande-t-il, Si je pose la question à ta mère elle va encore me dire qu'il fait des progrès imaginaires.

Je pose une poêle sur le gaz en réfléchissant à ce que je peux lui répondre. Ma gorge se serre rien qu'en pensant à ma dernière visite.

— Euh... Ça me tue d'être d'accord avec elle, mais je ne sais pas... on a passé deux heures à écouter de la musique. J'ai vraiment eu la sensation qu'il réagissait. Je... j'ai peur d'avoir de l'espoir mais... J'ai l'impression qu'il se passe quelque chose.

Mon père me dévisage comme si je lui apprenais quelque chose de complètement fou. Je crois qu'il a toujours préféré penser que ma mère délirait, pour ne pas se faire de faux espoirs, mais venant de moi, c'est différent. J'ai quand même évité d'aller le voir pendant deux ans.

— T'es certaine de ce que tu dis ?

Évidemment que non, peut-être que moi aussi je suis complètement perturbée par des visites trop fréquentes.

Devant mon indécision, il pousse un soupir et frotte son visage d'un air soudainement épuisé.

— Tu crois que c'est mal ce que je fais... ? En refusant d'y aller ?

Je suis vraiment surprise qu'il me pose cette question, c'est assez inédit qu'on me demande à moi de juger si quelque chose est mal.

Alors je repense à la façon dont Naël m'a toujours poussée à affronter ma peur de me confronter à l'état de Sneazz. Pourtant, je crois bien que j'étais plus légitime, étant donné que c'est à cause de moi qu'il est comme ça.

— Je crois que s'il meurt, tu regretteras de ne pas avoir pris au moins le temps de lui dire au revoir. Au début je me disais que je voulais garder une belle image de lui mais... Finalement je me rends compte que pouvoir lui parler, en étant sûre qu'il perçoit mes émotions d'une certaine façon, ça n'a pas de prix. Et puis surtout, je me dis que si sa vie est devenue un enfer, il n'y a que nous qui puissions la rendre plus douce.

Mon père me fixe et sans que je comprenne vraiment, il s'approche de moi. Alors, d'un geste qui me cloue sur place et me fait frissonner, il repousse une mèche de mes cheveux et caresse ma joue avec tendresse.

— Ça va pas te plaire, mais il faut quand même que je te le dise, princesse. C'est fou ce que tu peux ressembler à ta mère quand il s'agit de défendre les intérêts des gens qui comptent pour toi. Tu la rejettes mais... vous êtes si semblables.

Il ne m'a pas appelée ainsi depuis des mois, je suis partagée entre l'envie de lui rentrer dedans, et en même temps...

Et en même temps, s'il trouve que je lui ressemble... C'est que potentiellement il peut m'admirer moi aussi.

Mais voyons n'importe quoi Iris, tu ne seras jamais au niveau de ta mère, me souffle une petite voix que je connais bien, Elle est plus belle, plus douce, elle ne fait souffrir personne. Elle n'aurait jamais mis Moh en danger.

Une violente envie de me jeter dans les bras de mon père et de croire une fois encore que j'ai de l'importance pour lui me taraude les entrailles.

Mais souviens-toi comme tu y as cru, avant qu'il ne te force à avorter.

La douleur me coupe presque la respiration. Face à ce visage que j'idolâtre et déteste en même temps, je manque de perdre mes moyens.

Je reste donc de marbre, ne répondant pas à sa phrase, malgré les larmes qui tentent de forcer le passage et ma gorge qui se serre.

Ne lui fais plus confiance. Il te trahira, encore. Pour elle.

— Est-ce que tu serais d'accord pour que je t'accompagne la prochaine fois ? demande-t-il d'une voix douce que je connais trop bien.

C'est la voix qu'il prenait quand je l'appelais après mes cauchemars d'enfant.

« Qu'est-ce qui va pas princesse ? »

C'est celle qu'il avait quand je me blessais et lui montrais ma plaie

« Regarde ma puce, si tu souffles dessus et que je te fais un bisou en même temps, ça fait beaucoup moins mal. »

Je vais craquer, je vais craquer, il est trop fort.

C'est le plus grand séducteur qui soit, je vais encore tomber dans le panneau, me remettre à passer du temps avec lui, lui donner accès à mes émotions, lui faire confiance. Et il m'oubliera au moment où j'ai le plus besoin de lui.

— Réponds-moi s'il te plaît... je pourrai pas y aller tout seul.

D'une voix éraillée par l'émotion, je finis par répondre, séduite par le tendre sourire et les yeux embués en face de moi :

— Pourquoi avec moi ?

Sous-entendu : Pourquoi pas avec elle ?

— Parce que toi et moi, on est les deux vrais coupables, et que ce sera plus facile de se comprendre.

Il a réussi. Cet homme est trop fort, il a rejoint ma souffrance pile au point où elle est la plus intense : la culpabilité.

S'il admet qu'il la partage, alors elle est un peu moins lourde, alors il est plus proche de moi que de ma mère. Alors je peux encore une fois croire à ses belles paroles.

Et peut-être que cette fois, il ne me trahira pas.

— D'accord... Samedi, je murmure, je veux bien que tu m'accompagnes.

Mon père me sourit encore et m'attire contre lui. Des années que je n'ai plus connu les bras paternels. Je reste tout de même raide, ne voulant trop vite me réhabituer à son affection légendaire.

****

— Tu es venu quand la dernière fois ?

Il hausse les épaules, ça fait visiblement suffisamment longtemps pour qu'il n'en ait plus aucun souvenir.

J'ai prévenu Naël qu'il n'avait pas besoin de m'accompagner cette fois, je crois que ça l'a un peu déçu.

Je sens que mon père est vraiment mal au moment où nous arrivons près de la chambre de Mohammed. Curieusement, le fait de devoir être celle qui montre l'exemple me donne une force insoupçonnée.

— Il va être content de te voir, je souffle,

Je m'étrangle mentalement en pensant que je me mets à parler comme ma mère.

N'osant plus rien dire, je laisse mon père me suivre jusqu'à Moh que je serre dans mes bras.

— T'as bonne mine Moh. J'aime beaucoup ce nouveau pull.

Je refuse de lui parler sur le même ton que celui qu'utilisent les infirmières. Enfin celles qui prennent la peine de s'adresser à lui. Elles lui parlent littéralement comme à un attardé ou un enfant de deux ans. Je ne supporte pas ça et préfère agir comme je l'ai toujours fait quand il était valide.

— J'ai ramené du monde, un vieux frère à toi.

Je jurerai voir ses lèvres s'étirer à leur manière. C'est récent ça, mais je sais que ma mère aussi l'a remarqué, je l'ai entendue en parler cette semaine.

Mon père est littéralement tétanisé, je ne sais plus lequel des deux est paraplégique.

— Papa, fais un petit effort, dis-lui au moins bonjour, il ne peut pas le faire à ta place.

C'est comme si une autre Iris, beaucoup plus sûre d'elle, avait pris possession de mon corps.

Mon père pose sa paume sur l'épaule de Sneazz. Il pleure à chaudes larmes, je crois que les miennes ne sont pas loin.

Il y a un long moment de silence, puis les barrières craquent et les mots sortent.

— Je suis désolé de pas venir souvent khoya, j't'avais promis qu'on se lâcherait jamais. Et voilà que je t'abandonne quand t'es au plus mal. Sérieux, j'ai passé ma vie à me plaindre des traitres et je suis bien pire qu'eux.

L'une de mes mains a glissé dans celle de Moh je la serre pour ne pas pleurer et laisse tomber ma tête contre son épaule. Maintenant j'ai besoin de ce moment, au moins une fois par semaine, ou ma culpabilité est à la fois apaisée et confrontée à la réalité.

Il est comme ça par ma faute, tout ce que je peux faire c'est essayer de réparer.

— Propre ton pull, lâche mon père d'une voix enrouée en s'asseyant à son tour, Clem prend soin de toi. T'as vu elle est cent fois mieux que moi.

Évidemment, Moh ne réagit pas, maintenant j'ai l'habitude, les progrès sont infimes. Il faut le voir souvent pour les remarquer. Mais je vois mon père de plus en plus frustré, tendu. Ça le rend dingue.

— Il ne m'entend pas, pas vrai ? Je parle dans le vide.

— S'il ne t'entend pas, il sait que c'est toi et il sent tes émotions. Je te promets.

Ça j'en suis sûre depuis que je l'ai vu pleurer.

— Elles sont folles hein, murmure-t-il, J'ai deux femmes plus courageuses que moi à la maison. Tu l'avais bien compris toi. Elles ont toujours été tes préférées.

Je ne peux pas m'empêcher d'esquisser un sourire. En évitant soigneusement le regard paternel.

— Tu dois être fier d'Iris, elle fait des efforts énormes en ce moment. C'est grâce à toi j'suis sûr. T'as toujours été meilleur que moi avec elle. Je t'avoue que j'étais grave jaloux de votre relation.

Mon Dieu, mais pourquoi lui dit-il tout ça devant moi. Je n'ai jamais entendu ces phrases. Mon cœur va exploser.

— Ça n'a jamais été facile, comme Clem et moi quand on était jeune. Mais toi t'arrivais toujours à les comprendre. L'une comme l'autre. T'es le seul avec qui ça passait. Elles sont perdues sans toi Moh, on l'est tous. Moi encore plus parce que t'es nécessaire au bonheur de ma femme et ma fille, peut-être même plus que moi.

Ça y est les larmes coulent, j'en peux plus de passer mon temps à pleurer. Vous devez en avoir archi marre. Mais là c'est trop. Il ne m'a jamais dit ces choses-là.

C'est alors que je comprends.

Moh est le lien.

J'ose enfin tourner mon visage vers mon père, c'est moi qu'il regarde.

Mais alors que je m'apprête à m'enfuir en courant, comme face à la lettre de ma mère, il se produit quelque chose que je suis certaine de n'avoir jamais vécu auparavant depuis mes visites à Moh.

Sa main, sa main se serre sur mes doigts. C'est presque insensible, je dois vérifier une centaine de fois que c'est bien vrai avant de porter mon autre main à ma bouche, complètement bouleversée.

— Papa, il est là. Je le sens.

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