Chapitre 8. Humain
(N'oubliez pas le 7 avant ❤️)
"J'veux le monde, j'veux ma part
Elle aime personne sauf ses enfants
De la haine un peu plus qu'avant
Plus monnaie que passionné, j'entends pénave sonner
Je sors pour charbonner"
— Bon, on a bien rigolé, fait Deen après avoir envoyé tous les enfants au lit, Mais il serait temps de voir ce qu'on fait de toi.
Un peu l'impression d'être un animal abandonné. Il me fait signe de m'assoir sur le canapé, je ne rechigne pas.
Violette nous rejoint après avoir couché Léo et s'installe en tailleur à côté de moi.
Le couple échange un regard et c'est elle qui se met à parler :
— Nous sommes prêts à t'accueillir autant de temps qu'il faut pour que ça s'arrange avec ton père, ou même que tu prennes ton indépendance de façon honnête. On te prendra comme notre fils, tu seras logé à la même enseigne que les trois autres. Ce qui veut dire que : personne ne sera sur ton dos h24 pour te demander de penser à ce que tu dois faire, mais tu auras un certain nombres d'engagements à tenir.
Elle me parle doucement mais j'ai pas l'impression qu'elle cherche à être gentille, au contraire sa façon de parler est plutôt ferme.
— La première chose, ce sera de dire la vérité. On préfère largement que tu nous dises « J'ai besoin de sortir pour fumer un joint » ou « Je dors chez une fille », plutôt qu'inventer une excuse moisie pour qu'on découvre ensuite que tu as menti. On sait bien que tu ne vas pas devenir un enfant de choeur, mais on a besoin de savoir où tu es, et plus ou moins ce que tu fais, pour gérer plus facilement une crise s'il doit y en avoir.
— Après ça veut pas dire que si tu te barres tous les soirs, on va te laisser sortir pour autant hein. Mais disons qu'on sera plus cool si t'es honnête, ajoute Deen.
Ça me fait bizarre, après avoir été soumis à aucune règle pendant quinze jours, qu'on commence à poser un cadre autour de moi. J'ai pas prévu de rester longtemps t'façon, une semaine maximum, pour rassurer ma mère, et puis je retourne prouver à mon daron que je peux m'en sortir dans la ur.
— Deuxième chose, reprends Violette, tu seras nourri et logé, si tu as besoin d'acheter quelque chose, on verra ce qu'on peut faire. Mais, il n'y a aucun moyen que tu te remettes à vendre ou à acheter du shit. Si tu ne peux vraiment pas arrêter de fumer pour l'instant, ce qu'on peut comprendre, c'est Deen qui te donnera ce dont tu as besoin, vous en discuterez ensemble.
Attends quoi ? Deen est prêt à me laisser fumer ? Mais pourquoi ? Ma mère va le buter.
— Ouais, ça peut paraître chelou, dit-il, Mais Ilyes, on va pas se mentir, si on te dit de pas bédave, tu vas bédave quand même et nous balancer un vieux mytho pour le cacher. Si on veut que ça marche, il faut que tout le monde soit honnête. Je critique pas l'éducation de tes darons, mais là faut essayer autre chose.
Je sais pas du tout si j'aime cette façon de penser, j'ai l'impression qu'ils me laissent faire plein de trucs pour me la mettre à l'envers ensuite. Mais bon, c'est que pour une semaine.
— Troisième chose, reprend Violette, Est-ce que tu peux nous dire honnêtement, ce que tu penses de ton lycée et de la filière que tu as choisi ?
Alors là, la réponse n'est pas compliqué.
— C'est de la merde.
Deen a un petit sourire, Violette aussi, puis ils hochent la tête en même temps.
— Bien, je pense que ça sert à rien de persister non ? Mauvaises fréquentations, distance, cours inintéressants, c'est pas ce qui va t'aider à t'accomplir.
C'est de plus en plus chelou, ils vont pas me forcer à aller au lycée ? Mon père va les buter. Enfin non, il s'en branle maintenant.
— Qu'est-ce qui t'intéresse dans la vie Ilyes ?
Euh...
Si je le savais vraiment...
— Bah j'aime bien le foot, trainer avec mes potes, les jeux vidéos...
Je suis un putain de cliché du mec qui a pas d'avenir, c'est abusé. Finalement peut-être que si je veux faire du blé plus tard, y'aura que la bicrave que je saurai faire.
Mais je suis un peu soulagé de lire aucun jugement dans les regards de Deen et Violette.
— Ok, répond cette dernière, Nous, on connait quelqu'un qui aime bien le foot, trainer avec ses potes et les jeux vidéos. Le problème c'est que tous ses potes travaillent et que lui, justement il peut pas travailler pour l'instant. Donc, ce qu'il va se passer, c'est que deux heures par jour, n'importe quand dans la journée, tu vas aller le voir. Juste deux heures pour commencer.
Je fronce les sourcils, elle parle de qui là ?
— Mohamed s'ennuie et vraiment, il commence à déprimer sévèrement, Clémence peut pas non plus être là toute la journée. Iris n'est plus là et Clem fait tout ce qu'elle peut, pareil pour nous tous. Toi tu t'ennuies, lui il s'ennuie, autant que vous vous ennuyiez ensemble.
Hein ? Elle veut que j'aille garder un handicapé deux heures par jour ? Alors là c'est la cerise sur le couscous. C'est mort je fais pas ça.
— Évidemment, tu n'en n'as aucune envie et c'est normal, fait Deen, Sneaz est insupportable. Mais tu n'as pas le choix.
Mais là je suis pas du tout d'accord, j'aime mieux retourner dans la rue.
— Je ferai pas ça. C'est quoi le projet ? Faire un remake d'Intouchables version rebeu ? Tu crois que je vais devenir un mec bien en poussant le fauteuil roulant d'un rappeur à la retraite ?
Deen rigole, mais Violette non.
— Premièrement Moh n'est plus en fauteuil roulant, dit-elle froidement, Il a des cannes. Ensuite on ne te demande pas de lui mettre des bas de contention, simplement de passer du temps avec lui. Et il a pas 80 ans, il ne s'agit pas de faire des parties de belote et de regarder des Chiffres et des Lettres à la télévision. C'est toi qui vois Ilyes, tu as le choix entre ça et retourner au lycée. Surtout qu'il y a autre chose qu'on veut te proposer, parce que ce ne sont pas deux heures par jour qui vont t'occuper. Il faut que tu apprennes à gagner ta vie aussi.
Je ne dis rien, prêt à refuser une nouvelle fois quand elle va me le dire. Sah, garder un handicapé et bosser ? Ils pensent vraiment que c'est comme ça que je vais avoir envie de rester chez eux ?
— Mon meilleur ami, Tom, possède un garage Mercedes, reprend Vio, Je peux l'appeler, il pourra te prendre à l'essai quelques temps si tu veux découvrir la mécanique avec ses garagistes. Evidemment il faudra que tu sois sérieux. Si vraiment tu détestes, on pourra chercher autre chose.
Taffer dans un garage ? Mais en fait comment ils savent que j'aime bien ça ?
— J'ai parlé avec ton père, admet Deen devant ma mine interdite, Il m'a dit qu'il aurait dû te laisser aller en mécanique en quatrième quand tu l'as demandé.
Mon daron ? Admettre qu'il a eu tort sur une décision concernant l'éducation qu'il donne à ses enfants ?
Est-ce qu'ils sont pas en train de m'enfumer depuis le début ?
— Pourquoi tu dis pas que t'aimes les bagnoles ? fait Deen, C'est pas grave hein ? Ok tu accumules un peu les clichés, mais l'important c'est que tu kiffes ta vie. Si ton truc c'est d'avoir les mains dans le cambouis toute la journée, bah faut que tu le fasses. Par contre, faut que tu le fasses à fond, parce qu'il y aura des jours où ce sera plus dur et tu voudras pas y aller, et ce sera ces jours là où il faudra vraiment que tu te forces. Sinon tu vas tout lâcher et retomber dans tes merdes.
Je sais pas quoi dire. Ça me ferait kiffer à mort de bosser dans un garage. Mais mon père voulait pas, il disait que je pouvais faire mieux que ça. Je sais pas pourquoi il était d'accord pour que mon frère arrête les études quand le rap payerait, et moi... Il disait toujours que la mécanique, c'était mieux que ça reste un moyen de se détendre. Le pire c'est qu'on en a souvent fait ensemble. Je crois que les meilleurs moments que j'ai passé avec mon père, c'était pendant les vacances, quand il venait me chercher pour entretenir la voiture, ou au bled, quand on remontait des vieilles bagnoles.
Un sourire idiot étire mes lèvres quand je le revois poser ses mains toutes noires sur les joues de ma mère pour y laisser une empreinte pas possible. Elle lui avait fait la gueule pendant trois heures.
Je crois qu'en cet instant je donnerais n'importe quoi pour les entendre s'embrouiller dans la pièce à côté.
— Ilyes ?
Violette m'adresse un sourire encourageant.
— Ouais.
— On tente ça alors ? Moh l'aprem et Tom le matin ?
J'hésite... Ils le sentent. J'ai pas envie de leur en dire trop sur moi, mais en même temps faut bien qu'ils comprennent que je vais devoir retourner dans la rue.
— Il faut que je prouve à mon daron que je peux m'en sortir tout seul, si vous me trouvez du taff, si je suis logé et nourri, il va juste continuer de me mépriser.
Deen retire ses lunettes et me regarde comme si j'étais complètement con.
— T'es vraiment à côté de la plaque gamin. Ton père, il veut pas que tu lui prouves que tu sais être un SDF sans crever au bout d'une semaine ! Il veut pas que tu montes un réseau de stup pour lui montrer que tu peux être le roi du crack à Paname ! Il veut juste que tu te bouges le cul et que t'arrêtes de croire que c'est la rue qui te fera devenir un homme. Regarde toi, tu crois vraiment que tu vas aller loin avec tes côtes cassées ?
— Je veux pas qu'on m'aide, réponds-je simplement.
Deen s'emporte :
— Ah ouais ? Tu crois que ton père est arrivé là où il en est tout seul ? Sans que personne l'aide ? Bien sûr que non, il avait des frères pour l'aider, il a eu des opportunités de fou et il a su les saisir. Reconnaitre qu'on a besoin d'aide, c'est pas être faible, c'est être intelligent ! Demande à ta mère, c'est l'exemple même de la nana qui a tout voulu faire toute seule, qui a refusé de reconnaître qu'elle avait des faiblesses, et qui s'est retrouvé à la retraite à 27 ans à cause de ses conneries. Vio a complètement raison, t'es bien le fils de ta mère. En attendant, si elle avait pas eu Hakim, elle serait sans doute une vieille fille aigrie et méchante. Alors, bordel de merde, fais comme elle et accepte que t'es juste un putain d'humain qui a besoin des autres, comme tout le monde.
Putain il m'énerve. Je sais plus où j'en suis.
Deen n'a pas tort, même si ça me rend ouf de l'admettre. Pendant ces dernières semaines dans la rues, si j'avais pas eu l'aide de Nabil et Amir, je sais pas où j'en serais maintenant.
— Et puis ça te coûte quoi d'essayer, fait Deen, Tu préfères dépouiller des pauvres gens à la gare de Lyon ? Tu crois vraiment que c'est comme ça qu'ils vont être fiers, tes parents ? T'as bien plus à prouver en gagnant du fric en bossant, qu'en te tapant avec tous les dealers du coin. Crois moi, ton père il le sait que t'es un guerrier et que t'as pas peur. En revanche, ce que tu dois lui montrer, c'est que t'as pas peur de remonter tes manches quand il s'agit de charbonner pour avoir ce que tu mérites.
La différence majeure entre Deen et mon daron, c'est que mon oncle est bavard. Donc il peut expliquer des trucs que j'ai jamais compris, ou peut-être pas voulu comprendre. Alors que mon père part du principe que si on comprend pas, c'est notre faute et qu'il a pas à s'expliquer.
— Tu sais Ilyes, dit doucement Violette, On ne vit pas pour ses parents. Tu peux vouloir les rendre fier, mais le plus important, c'est de trouver ce qui te correspond. Tu ne leur appartiens pas et tu n'as pas à faire tes choix uniquement en fonction d'eux.
Evidemment je suis pas du tout d'accord avec ça; mais je relève pas.
— Alors ce que je te propose, c'est qu'on fasse un essai pour les trois prochaines semaines. Tu t'engages, vraiment. Donc tu donnes ta parole. Et nous aussi. Si dans trois semaines, tu veux partir tu seras libre. Si ton père veut bien que tu rentres, tu pourras rentrer, si tu veux rester tu pourras rester.
J'avais plutôt pensé une semaine, moi.
— Deux, réponds-je.
— Non, trois semaines c'est le minimum pour avoir un avis objectif. De toutes façons c'est pas négociable.
Violette lâche pas facilement. Je la pensais beaucoup plus fragile. En fait peut-être que c'est d'elle que Jade tient le côté « forceuse ».
— Ok, finis-je par dire.
Au moins ma mère dormira tranquille.
— Parfait, fait Deen l'air satisfait, J'aimerais juste ajouter deux-trois règles : La première, c'est la participation aux tâches ménagères, comme tous le monde ici. Ensuite, personne ne fume à l'intérieur et personne ne manque de respect à Violette. Présence obligatoire à tous les repas cochés « famille » sur le calendrier qui est dans l'entrée. Dernière chose, tu fais du mal à un des enfants, tu t'en souviendras toute ta vie tellement tu vas prendre ton tarif. Et ça marche pour les coups, les humiliations, la méchanceté gratuite et les coeurs brisés.
« Les coeurs brisés », alors là. J'ai autre chose à foutre que de briser le coeur de ses gosses.
— Ah oui, fait-il encore, À partir de dimanche, on aura un chat à l'appart, Vio a craqué. Donc tout ce que je viens de dire pour les gosses, est aussi valable pour le chat. Tu lui brises pas le coeur, compris ?
Je crois qu'il essaie d'être golri ce con. Même Violette ne fait pas l'effort de se marrer.
— On a un deal ? fait-elle en ignorant royalement son mari.
— Ouais, réponds-je.
Ils me font jurer puis je peux enfin me retrouver seul dans la chambre d'amis, qui sera a priori ma chambre pour les trois prochaines semaines.
En consultant mon portable, je vois que j'ai un message de Samir, un des mecs avec qui je trainais au bahut, le pote de Prince et Cheikh.
« Appel moi, je veux t'aidé »
Poussant un soupir, je lance l'appel.
— Ouais, dis-je quand il décroche.
Sans même prendre le temps de me demander quoi que ce soit, il me balance alors une phrase qui me fait un peu trembler. :
— C'est Cheikh qui a dit à Moussa de te démonter la gueule et de prendre ton oseille. Ils ont découvert que tes darons étaient che-ri. Moussa t'a dépouillé et a filé la thune à Cheikh, comme ça il pouvait te faire croire que tu lui en devais encore. Je sais pas pourquoi il a grave la haine contre toi, depuis le début zahma, dès que t'étais pas là il parlait à mort dans ton dos. Maintenant il veut plus te lâcher, ça fait des jours il te cherche, mec il en veut encore, fais belek à toi. Fais comme si je t'avais rien dit, je veux pas d'embrouilles.
Mon sang se glace un peu, je suis soudainement très soulagé de plus être dans la rue. Et en même temps, une haine de malade se diffuse dans mon organisme.
— Les enculés, je lâche, Pourquoi tu m'aides Samir ?
— J'aime pas les lâches, dit-il, Et puis t'es à moitié algérien, on doit être soudés entre DZ.
Sa remarque plairait à mon daron, Tahia Djazair, comme on dit.
Après avoir raccroché une sensation étrange me retourne l'estomac, mélange de colère, de honte et de peur. Je me suis fait avoir comme un con putain.
Un parfait con.
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