Chapitre 7. Les amours dévouées

« Si je dois moi-même tendre
La carte d'une dévouée
Personne n'a l'emprise que tu as sur moi
Sur mon souffle qui reste saccadé »

— Tu es très jolie ce soir, murmure Naël.

Je sens mon coeur dégringoler dans mon estomac. Plus rien n'existe autour de moi, j'ai l'impression de ne jamais avoir été plus amoureuse de lui qu'à cet instant précis.

— Me-merci.

J'ai envie de lui répondre qu'il est magnifique mais comme d'habitude, les mots restent bien au chaud dans ma gorge.

Il y a un moment de flottement et poussée par un soudain courage, j'appuie ma tête contre son cou.

Un milliers de films se jouent dans mon cerveau, je le vois déjà m'embrasser, me dire qu'il a été bête de ne pas se rendre compte que j'étais là à l'aimer depuis le début. En plus il a vraiment l'air d'aller mieux depuis quelques jours. Peut-être qu'il passe enfin à autre chose. Peut-être qu'"autre chose" c'est moi.

— Naël ?

— Oui.

Les mots se bousculent contre mes lèvres qui me démangent mais ne parviennent pas à s'ouvrir pour les laisser passer.

Comme je ne dis rien il s'écarte un peu de moi pour me regarder dans les yeux.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Ça ne va pas ?

Mon coeur tambourine si fort contre ma poitrine que je me demande si ma cage thoracique a les moyens de supporter de tels assauts.

Son sourire, ses cheveux, ce regard...

Je l'aime, je l'aime, je l'aime...

— Jade ?

Il parait presque inquiet et je ne parviens toujours pas à m'exprimer.

— Naël... Je... enfin.. Je

Et puis merde.

Je colle mes lèvres sur les siennes.

Quoi ? Non ! Qu'est-ce que je fais ?

Mon Dieu j'embrasse Naël.

Mon Dieu Naël se laisse faire.

Enfin je crois. À moins qu'il soit juste surpris.

Mon cerveau ne répond plus je ne sais plus vraiment ce qu'il se passe jusqu'à ce que je sente deux mains se poser sur mes épaules pour me reculer.

— Jade arrête, qu'est-ce que tu fais, arrête.

Je rouvre les yeux face au visage complètement ahuri de Naël.

— Pardon je...

Jamais de toute ma vie je ne me suis sentie aussi honteuse. Mais qu'est-ce qui m'a pris.

Je me lève brusquement et traverse le jardin puis la pièce en courant pour rejoindre les escaliers. Les larmes dévalent mes joues et je n'ai pas le temps de frapper que la porte d'Ilyes s'ouvre à la volée.

— J'vais lui niquer sa putain de race.

Il m'en faut pas plus pour comprendre qu'il nous a vu par la fenêtre. Et aussi que ça va mal tourner si je le laisse descendre.

— Ilyes s'il te plaît non.

J'ai attrapé son bras et tente de le retenir, mais malgré le poids qu'il a perdu et mes propres muscles, il reste plus fort que moi. Je dois le poursuivre en courant dans les escaliers tandis qu'il court dans le jardin.

Putain non.

Je m'égosille pour tenter de l'empêcher d'agir mais il est déjà trop tard et je vois un Ilyes que je n'avais pas vu depuis bien longtemps. En moins de trois secondes il a saisi Naël par le col et l'a coincé contre le mur pour lui mettre un coup de poing dans le nez.

Je hurle et tente de m'interposer, heureusement Amir rapplique à son tour et s'immisce entre son frère et son cousin vociférant des mots dans une langue que je ne saurais réellement identifier.

Un attroupement s'est formé dehors et toutes les personnes présentes commentent la scène, cherchant à savoir ce qu'il s'est passé pour que la racaille de la famille s'en prenne à Naël.

Ilyes est toujours hors de lui et ses yeux me font l'effet de deux lames de glaces prêtes à découper quiconque défiera son regard.

— J'te revois t'approcher d'elle j'te détruis.

Naël n'en mène pas large, je ne crois pas mentir en disant qu'il ne s'est jamais battu. 

Amir a l'air perdu, ne sachant qui il doit défendre dans cette histoire. À cet instant précis c'est le seul des trois en qui j'ai confiance. Mais le plus urgent c'est de calmer Ilyes.

Ma main se pose sur son bras et la tension que j'y perçois me fait écarquiller les yeux. Il est vraiment comme sa mère quand il est énervé, une vraie boule de nerfs.

— Ilyes viens, je murmure, On va marcher.

Comme il ne réagit pas et continue de fixer Naël avec haine je le pousse de toute mes forces vers le portail. Tout le monde nous regarde.

— Viens s'il te plaît, laisse-le.

J'évite plus que tout de croiser le regard de Naël, j'ai tellement honte. Comment j'ai pu penser une seule seconde qu'il voulait m'embrasser. Je suis sa petite soeur, il ne m'aimera jamais comme je l'aime. Oh mon Dieu quel malaise.

Ilyes finit par me laisser l'entrainer dans la rue, ses poings serrés laissant apparaître les jointures blanches de ses phalanges.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris ?

Il ne répond pas et shoote dans une cannette qui traine dans le caniveau. Ça faisait vraiment longtemps que je n'avais pas vu Ilyes énervé. Il m'impressionne quand même un peu quand il est comme ça.

Alors je me laisse tomber sur le rebord du trottoir et attends patiemment qu'il se décide à parler. 

— J'vous ai vu par la fenêtre, c'est un putain de connard.

De nouveau je sens des larmes chaudes s'échapper de mes yeux et je renifle comme une gamine pendant que la scène passe en boucle dans mon esprit.

— J'ai tellement honte...

Il faut pas deux secondes pour que la main d'Ilyes trouve ma mâchoire et relève mon visage vers lui.

— C'est pas à toi d'avoir honte, c'est à lui.

Le portail s'ouvre derrière nous et Amir et Naël apparaissent, ce dernier a quand même été bien amoché par le poing de son cousin.

— Jade... murmure-t-il, Je suis tellement désolé.

— T'approche pas d'elle, grogne Ilyes.

Pire que son staff celui-là quand il s'y met.

— C'est bon...

Je me lève et sens ma tête tourner un peu, sûrement à cause de la rapidité avec laquelle je me suis redressée.

— C'est moi qui suis désolée Naël...

J'ai honte mais pour une fois j'arrive à parler. Sûrement parce que je n'ai plus rien à perdre.

— Ne t'excu... commence Ilyes.

— Arrête, lui dis-je, Je ne suis pas un bébé.

Il hausse les épaules et enfonce ses poings dans les poches de son jogging. Je jette un coup d'oeil à Amir qui a croisé les bras sur son torse et me regarde avec inquiétude. En fait ma tête tourne encore un peu, c'est bizarre.

— Amir m'a tout dit, fait Naël, J'ai été vraiment un idiot... Jade... Je... Je me suis remis avec Sofia. Je pensais que tu le savais.

Est-ce que ça me fait si mal que ça ?

Oh oui.

J'entends Ilyes laisser échapper une insulte en arabe et le foudroie du regard, je n'ai aucune envie qu'il se mette à agir comme un chien de garde avec moi.

— Bah quoi, s'il a une meuf pourquoi il te colle toute la soirée et il te prend dans ses bras ? fait-il.

J'ai envie de lui rétorquer que lui-même m'a déjà pris dans ses bras quand j'étais mal.

— Parce que Jade c'est comme ma petite sœur et que j'ai envie de la réconforter quand elle souffre. Je savais pas qu'elle...

Amir secoue la tête de droite à gauche. Je me sens de plus en plus faible. Maladroitement je m'appuie sur le bras d'Ilyes.

— C'est pas que tu savais pas, rétorque mon meilleur ami, C'est que tu voulais pas voir. Jade était en kiffe sur toi et c'était grillé à des kilomètres.

Naël ferme les yeux, je crois qu'il est vraiment triste de me faire de la peine. Il y a des petits points noirs, comme des petites étoiles qui gênent un peu ma vision. J'ai l'impression que tout mon sang a quitté mon visage.

Et puis soudain.

— Jade !

Le noir total.

*****

Je suis allongée sur le lit d'Amir quand j'ouvre les yeux. Une migraine pas possible et la bouche pâteuse.

— T'as fait un malaise.

Amir s'assoit à côté de moi et me tend un verre d'eau et un doliprane que je prends aussitôt.

— Faut que tu manges un truc Jadou. Sinon tu vas en faire tout le temps des trucs comme aç.

— Ils sont où Ilyes et Naël ?

Le garçon fait claquer sa langue dans sa bouche, agacé.

— Change pas de sujet. Faut que tu manges. Y'a un truc qui te ferait plaisir ?

Je n'ai pas vraiment d'appétit mais... Amir est plus têtu que moi et il ne va pas me lâcher.

— Vous avez encore ces crêpes épaisses là... ?

Il se marre de ma méconnaissance de la culture culinaire maghrébine.

— Ouais, dit-il en riant, des msemmens. Je reviens.

Je réussi à en manger un demi, et Amir finit par rendre les armes en voyant que je ne peux vraiment pas en mettre plus dans mon estomac.

— Ilyes cette crise de jalousie qu'il a tapé, j'étais pas prêt.

— Crise de jalousie ?

Je fronce les sourcils en regardant Amir terminer la fin de mon assiette. Lui pour le coup, il a toujours de l'appétit.

— Bah tu crois quand même pas qu'il a défoncé Naël juste parce qu'il a pas été très clair avec toi ?

— Bah si.

Amir se marre encore une fois. Je me demande combien de verres il a bu ce soir.

— Quand bien même il a un putain d'instinct de protection et tu fais partie des personnes qu'il veut défendre, tu trouves pas que sa réaction était un peu excessive ? me demande-t-il.

— Bah c'est Ilyes quoi, on sait jamais pourquoi l'orage éclate.

Encore une fois il secoue la tête négativement.

— Crois moi on sait toujours pourquoi l'orage éclate. Je connais mon kho. Je sais pas ce qu'il ressent exactement mais là il était jaloux. Possessif en tout cas.

Je crois vraiment qu'Amir à forcé sur l'alcool.

Ilyes jaloux ?

En soi ce serait pas si étonnant dans le sens où il se sent toujours traité de façon un peu inférieure à son cousin. Ça pourrait le faire chier que je lui partage nos découvertes. Mais je ne vois guère plus.

— Il est dans sa chambre ?

— Oui.

— Tu penses que je peux aller le voir ?

Amir acquiesce et avant de quitter la pièce, je le serre dans mes bras quelques secondes.

— Merci d'être intervenu et de m'avoir secourue.

— Pas de souci la reus, mais pense à graille, tu me fais flipper.

Il m'embrasse sur la tempe et je rejoins la chambre voisine en prenant bien soin de toquer avant d'entrer.

— Ouais.

J'ouvre.

— Ah merde c'est toi.

Je vois Ilyes se lever précipitamment pour attraper un t-shirt qui traîne sur sa chaise. Mais trop tard, j'ai le temps de voir les cicatrices sur son abdomen.

Mon cœur se serre et je perds en un instant tous le ressentiment que j'avais à son encontre pour la scène qu'il a fait dans le jardin.

Il se tourne dos à moi pour enfiler son t-shirt et j'ai envie de le prendre dans mes bras.

— Ilyes...

Quand il me fait de nouveau face c'est pour m'assassiner en un coup d'œil.

— Tu me regarde encore comme ça j'te sors.

Cette fierté Akrour vraiment...

Mais je m'efforce de prendre une expression neutre quand je le regarde se rallonger sur son lit et récupérer son portable.

Il ne me dit rien de plus, je sais à peu près dans quel état il est. Il se comportait souvent ainsi quand il était à la maison. « J'aimerais bien que tu restes mais je l'avouerai jamais. »

Mais il va falloir qu'il fasse des efforts pour communiquer un jour quand même.

— Tu veux que je reste ou que je parte ?

Il hausse les épaules.

— Fais c'que tu veux.

Bien ce que je pensais. Je pose ma main sur la poignée de la porte tout en gardant un œil fixé sur lui. Il ne me retiendra pas c'est certain et ce n'est pas ce que j'attends. C'est son regard que je veux.

Et je l'ai.

Il lève les yeux vers moi et la lueur d'inquiétude que j'y lis me convainc aussitôt que j'ai touché juste. Il veut que je reste.

— Tu fais quoi ? demande-t-il.

— Je reste avec toi.

Et je trottine jusqu'à lui pour m'allonger à ses côtés et glisser ma tête sous son bras qui retient son téléphone.

Comme toujours, je le sens se tendre fortement à l'instant où le contact se fait, puis après une trentaine de secondes, il pousse un soupir et ses muscles se relâchent.

— Tu fais chier, Ilyes.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je lui dis ça. Peut-être parce que je ne lui en veux pas d'avoir frappé Naël alors que je devrais. Peut-être parce qu'il n'est pas capable d'exprimer ce qu'il ressent, peut-être parce que je crois un peu à ce qu'a dit Amir tout à l'heure et que ça ne me déplaît pas.

Il ne parle pas pendant un long moment et continue de fixer l'écran de son portable, j'attends patiemment qu'il se décide. Je crois que j'ai un peu sommeil.

— Ça va mieux ?

Je rouvre les yeux, ne sachant s'il me demande ça par rapport à Naël ou mon malaise. Mais je réponds par l'affirmative dans tous les cas.

Alors il me repousse doucement pour se redresser et poser son portable. Puis il s'assoit sur le lit et me détaille de longues secondes.

— Tu dors ici ?

J'ai un léger temps de réaction avant de comprendre que par « ici » il sous-entend « dans ma chambre ».

— D'accord.

J'ai volontairement répondu à sa question comme si elle était une proposition, parce qu'on sait très bien tous les deux que ça l'était.

******

Il doit être presque quatre heure du matin. Je suis réveillée depuis une heure et la décision que j'ai pris la veille me fait cogiter et je n'arrive pas à retrouver le sommeil.

Heureusement que j'ai pensé à prendre des affaires pour dormir, me dis-je.

J'ai prévenu mon père que je dormais sur place, sûrement que ça l'a un peu inquiété, mais il me fait confiance.

À côté de moi la respiration régulière d'Ilyes me rappelle que je ne suis pas seule et c'est rassurant. Il est tourné vers le mur et je ne peux voir que son dos et ses cheveux courts.

Et si je retrouve ma sœur, mais qu'elle me hait ?

Et si c'est moi qui me met à la haïr ?

Est-ce que ce ne serait pas trop dur de voir mon père considérer quelqu'un d'autre comme sa fille aînée ?

Voyons Jade, ne sois pas aussi égoïste, elle a été privée de son père pendant dix-sept ans...

Ilyes se retourne brusquement et sa main attrape mon poignet.

— T'es chiante avec tes ongles, j'ai l'impression de dormir à côté d'un putain de rongeur.

Sa phrase dite avec une voix à la fois grognon et endormie m'arrache un hoquet de rire, qui se coince dans ma gorge et se transforme en sanglot.

— T'as pas intérêt à chialer.

Il m'attire contre lui et je suis toute surprise de sa réaction. Le nez dans son t-shirt, je retiens mes larmes et me laisse apaiser par les battements de son cœur. Sa main lâche mon poignet pour se nouer à la mienne et je me sens mieux.

— Ilyes.

— Ouais.

— Tu vas m'aider à la retrouver ?

— Ouais. 

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