Chapitre 7. Houna (Toutes mes copines)

« Tu m'as laissé tomber
Et toutes mes copines me trouvent très très beau
Mais cette fille là ne m'aime que quand elle boit de trop
Houna est bien plus belle, elle est bien pire que toi »

Je vous avais dit qu'Iris me ferait payer mon refus du mardi matin. Et bien il n'a pas fallut attendre longtemps.

Le week-end suivant, Deen et ses enfants ont décidé d'organiser un anniversaire surprise pour Violette. Vous pensez bien que la surprise était moyennement surprenante avec un garçon bavard comme Léo qui n'a cessé de faire des bourdes. Mais comme on dit, c'est l'intention qui compte.

Nous sommes tous réunis dans un restaurant, c'est bruyant, il y a des enfants partout et des quadragénaires à moitié bourrés, on slalome entre les blagues de cul des darons et les soupirs des daronnes. C'est toujours comme ça quand ils se retrouvent tous ensemble. J'ai l'habitude, on a tous l'habitude.

On est à la « table des jeunes » comme dirait mon père. (C'est le moment où vous levez les yeux au ciel.) Je suis évidemment avec mes deux acolytes de toujours. Amir est sur les nerfs parce qu'il s'est fait recaler par une fille, Arthur est dans les nuages. À côté de nous, ma sœur, Jade et Aby s'amusent à faire croire n'importe quoi à Léo. Romy et Nejma nous ont abandonnés pour les genoux de leurs pères sur lesquels elles se sont endormies. Honnêtement je ne sais pas comment elles font, ils ricanent comme des ânes sans vraiment se soucier de la pré ado fatiguée qui encombre leurs mouvements.

À l'autre bout de la table, Iris et Ilyes tirent la tronche avec beaucoup d'entrain. Les deux sont punis depuis des jours et on sent que ça commence à peser. Ken a pris les choses en main chez les Samaras et a décidé d'emmener et d'aller chercher sa fille tous les jours au lycée. Elle a déjà essayé de feinter plusieurs fois, mais comme il a mis le CPE au courant, Iris est coincée.

Mais je ne suis pas dupe, ça ne va pas durer. Tôt ou tard elle va faire le mur et trouver un moyen de se tailler, soit pour sécher les cours, soit pour sortir un soir.

En tout cas je suis plutôt content, ça fait longtemps qu'on a pas tous été réunis de cette façon, même Ken et Clem ont l'air de bonne humeur.

— Ça fait plaisir cette ambiance, on sent que c'est l'anniversaire de Violette, dis-je à Arthur.

Celui-ci fixe justement sa marraine qui rit avec mes parents un peu plus loin. J'aimerais tellement rencontrer une femme comme elle, elle est belle, physiquement, mais surtout elle a une belle âme, et ça se voit dans sa capacité à rendre les gens heureux autour d'elle.

— Je me suis toujours demandé comment elle faisait ça, me répond-t-il.

— Quoi ? demande Amir qui n'a pas suivi.

Arthur la pointe du doigt, puis montre toutes les personnes assises autour d'elle.

— C'est pire qu'un radiateur dans une salle de cours en plein hiver, fait-il, ou un rayon de soleil à travers une vitre. Elle réchauffe tous ceux qui l'approchent et tout le monde veut être près d'elle.

Je me fais la réflexion que ce n'est pas plus mal qu'elle se soit mariée avec Deen, il avait sans doute bien besoin d'être réchauffé.

— Sneazz faisait ça aussi, souffle Amir, enfin pas de la même façon mais... En étant chiant il arrivait toujours à les faire rire, même Iris.

Ma gorge se serre un peu, ce sujet revient beaucoup en ce moment. Peut-être parce que ça fait deux ans, et que le temps qui passe rend l'absence moins taboue.

Un regard à Iris, ses yeux sont perdus dans le vague, elle a horreur de ces réunions de famille. Elle pourrait échanger chacun de nous contre deux minutes avec Mohammed. C'est sans doute pour cela qu'elle nous déteste autant.

— Ça n'excuse rien, fait Arthur comme s'il m'avait entendu penser, Il détesterait la voir comme ça et elle le sait.

Mais Arthur ne connait qu'une infime partie de ce qu'il s'est passé et c'est la raison pour laquelle il ne comprend pas sa sœur.

— Elle se sent coupable... je murmure presque pour moi même.

À vrai dire, elle a des raisons de se sentir coupable, mais elle avait seize ans... Elle était déjà instable, perturbée par la maladie de sa mère et le manque d'attention de son père. Mohammed a toujours su la comprendre, elle s'est peut-être un peu trop appuyée sur lui.

— Qu'est-ce que t'as à me mater le coincé ?

Les yeux noisettes d'Iris viennent de capter les miens. Je connais ce regard, elle a besoin de se défouler. Et nous savons tous que je suis la victime idéale de ses sautes d'humeur.

Ilyes me jette un regard dédaigneux que j'ignore soigneusement.

Ma sœur ricane et Iris la prend aussitôt à partie.

— C'est pas trop chiant d'avoir un Monsieur Jesaistout comme ça pour grand frère ? Tu dois pas être libre de faire grand chose.

Ania est avide d'attention, particulièrement de celles de filles « populaires » comme Iris. Autant vous dire que si cracher sur moi peut lui permettre d'être dans les bonnes grâces de la pimbêche, elle ne va pas se gêner.

— M'en parle pas c'est un vrai rabat-joie, il est toujours du côté des parents, il surveille tout ce que je fais. C'est la Gestapo à la maison, répond-t-elle.

Je suis surpris qu'elle sache ce qu'est la Gestapo, mais après tout, peut-être qu'elle se contente de répéter une expression entendue dans la bouche de quelqu'un d'autre.

Iris rigole bêtement, Ilyes aussi. Ils me fatiguent.

— Tu exagères un peu, tente Jade.

— Arrête de le défendre tout le temps, s'exaspère ma sœur, ça se voit que tu vis pas avec lui au quotidien.

Jade rougit violemment quand je la fixe quelques secondes et Iris éclate de rire.

— Oh c'est trop mignon, Naël je crois que tu as conquis le cœur de la timide petite Jade.

— Assez ! je lâche aussitôt, Arrête ça Iris, t'es ridicule.

Il est hors de question que je la laisse martyriser Jade pour régler ses comptes avec moi.

— Ania, tu ferais bien de la fermer, parce que tu fais moins la maligne quand tu viens pleurer pour que je plaide ta cause auprès des parents. Compte pas sur moi la prochaine fois, dis-je d'un ton sec à ma sœur qui se renfrogne.

Iris me défie du regard et passe son bras sur les épaules d'Ania.

— Faut pas te laisser faire comme ça, il pense que parce qu'il est un garçon et qu'il est plus âgé, il sait ce qui est bon pour toi. Rebelle toi ma petite Ania, personne ne doit te dire ce que tu dois faire.

Je lève les yeux au ciel.

— C'est sûr que si tu veux finir comme elle, il ne faut surtout pas que tu m'écoutes, réponds-je, Vraiment ça fait rêver : pas de vrais amis,  que des gens intéressés qui parlent dans ton dos, des mecs qui profitent de ton corps comme si t'étais un objet de consommation. Une santé catastrophique parce que tu consommes que de la merde, aucune perspectives d'avenir. Crois moi Ania, tu n'as pas du tout envie d'être en manque de reconnaissance, de dignité et d'amour à ce point.

Je vois que ma sœur est un peu mal à l'aise soudainement. Iris me fixe avec colère, Jade et Aby ont l'air mal aussi.

— Ouais et puis faire la tchoin pour se rendre intéressante, franchement tu vaux mieux que ça, enchérit Amir, T'es une Akrour, respecte toi merde.

Cette fois ma sœur se défend, Amir n'aurait pas dû aller sur ce sujet là.

— Parle pas de respect alors qu'Ilyes et toi vous vous tapez des meufs tous les week-ends. Vous avez vraiment une réputation de connards dans tout le bahut.

Ilyes ricane, j'ai envie de lui coller une baffe.

— Qui te dit qu'on attend le week-end.

Amir ne bronche pas, je le soupçonne de n'être pas vraiment à l'aise avec ses frasques féminines. Je crois qu'il est un peu victime de son succès.

Vous comprenez, des jumeaux, déjà ça attire l'œil. Mais en plus avec leur côté inaccessible et leurs yeux transparents, vous rajoutez un soupçon de « m'en bats les couilles de tout et surtout des cours » un talent pour le rap chez Amir, et pour les conneries chez Ilyes, sans compter un métissage qui les rend « uniques » et voilà. Vous avez les deux prototypes parfait des bourreaux des cœurs pour adolescentes.

— C'est vrai que t'es mal placé pour parler, appuie Iris, on peut pas dire que tu sois aussi sage que ton cousin ou mon frère. C'était qui la petite brune qui avait sa langue au fond de ta bouche à la sortie du lycée la dernière fois ?

Amir la foudroie d'un regard glacé.

— C'était qui le mec d'au moins trente piges qui est venu te chercher en bagnole la semaine dernière ? Chelou, on l'a pas revu cette semaine, faut croire qu'il avait pas trop envie de croiser ton daron.

Iris et les hommes plus âgés, encore un truc qui me faisait vraiment flipper pour elle.

Tout est bon pour combler le manque.

— Vas-y ferme ta gueule de poucave là, lui répond son frère.

Cette discussion commence vraiment à me fatiguer. D'un signe de tête, je fais signe à Amir et Arthur qu'il serait bon de sortir pendre l'air.

Mon cousin coince une cigarette entre ses lèvres, tape sur l'épaule d'Arthur qui n'a rien suivi et qui est encore parti dans une autre dimension de son cerveau.

— Jade tu veux venir ? je demande à la petite qui a toujours l'air incroyablement mal à l'aise.

— C'est bon tu vas pas le suivre comme un caniche ! s'emporte Ania.

Jade hésite, jette un regard incertain à sa meilleure amie et à Iris qui arbore un sourire en coin made in Samaras.

— T'es pas obligée de céder à leurs provocations, si tu veux venir tu viens, si tu veux rester tu restes. T'as un libre arbitre, lui dis-je.

Amir s'impatiente, je sais que Jade a envie de nous suivre, mais je sais aussi que la pression d'Iris est suffisamment forte pour la faire rester.

— C'est fou Naël, t'en es réduit à flirter avec des gamines parce que t'es trop impressionné par les femmes.

— Ta gueule, je réponds à Iris, Personne t'a demandé de l'ouvrir.

Comme si c'était son genre d'attendre qu'on lui donne la parole.

— Bon on se tire ou pas ? s'agace mon cousin.

— Je vais rester, soupire Jade, je ne veux pas faire d'histoire.

Je lui adresse un sourire à la fois déçu et compréhensif.

— Oh trop dommage, même avec elle ça marche pas. Essaie avec Romy la prochaine fois.

Serrant les dents, je me détourne du sourire moqueur d'Iris. Qu'est-ce qu'elle peut être détestable quand elle s'y met.

— Elle est vraiment trop conne c'est pas possible, fais-je une fois dehors.

Arthur me jette un regard bizarre.

— J'ai du mal à comprendre comment ça fonctionne entre vous, elle passe son temps à te tailler, toi aussi. Et l'autre matin j'te vois sortir de sa chambre au calme.

— Hein ? lance Amir, Tu l'as ken ?

Je claque ma langue dans ma bouche, agacé. Flemme d'avoir une nouvelle fois cette discussion.

— Non je n'ai pas couché avec Iris et ça n'arrivera pas. D'ailleurs, tu me verras plus sortir de sa chambre non plus. Elle me gave.

J'ai parlé un peu vite, mais j'aimerais vraiment y croire. Toute ma semaine a été pourrie par cette nuit avec Iris, elle pollue mon esprit et ma vie. Comme dit mon père, on ne peut pas sauver tout le monde.

Et la suite de la soirée me conforte encore dans ma décision. À peine une demie-heure plus tard, Jade nous rejoint.

— Naël...

À sa mine, je comprends aussitôt qu'un scénario similaire à celui de l'anniversaire d'Iris est en train de se jouer.

— Ils sont où ? demande aussitôt Amir.

— Ils sont sortis de l'autre côté. Iris a voulu jouer à cap ou pas cap, Ania a dû profiter du fait que Hugz était complètement pété pour récupérer un pochon de beuh dans la poche de sa veste.

Comment suis-je censé empêcher ma petite sœur de faire des conneries si nos oncles sont un exemple aussi déplorable.

Voilà pourquoi je ne veux pas me mettre avec une fille qui a grandi dans cet environnement. Comment élever des enfants dans le droit chemin si absolument toute ta famille déconstruit ce que tu leur apprends.

Même mon père, il suffit de se pencher deux secondes sur ses textes pour décrédibiliser les interdits qu'il fixe à ma sœur.

Je suis le reste du groupe de l'autre côté de la rue. Et tombe sur ma sœur, Ilyes et Iris, qui s'activent à rouler un pétard.

— Ania, tu rentres direct, tu penses vraiment que les parents ne vont pas s'en rendre compte ?

Ma sœur lève les yeux vers moi, puis les pose sur Jade.

— Putain mais t'es vraiment une grosse balance, viens même plus me parler, lui dit-elle les yeux plein de haine.

— Ania, tu rentres, je répète sur un ton sans réplique.

Elle pousse un soupir commence à se lever, et soudain j'ai une idée.

— Attends, pas si vite. File moi le pochon.

— C'est mort, lui donne pas ! s'énerve aussitôt Iris.

Ania hésite, elle sait très bien que les parents sont à côté.

— Il se passe quoi ici ?

La voix de Deen nous fait tous violemment sursauter, ma sœur pose instantanément le pochon dans ma main. Dommage pour eux, le père de Jade ne boit pas une goutte d'alcool. Il est parfaitement sobre.

— Rien du tout, répond aussitôt Ilyes, on discute.

Mais il n'a pas eu le réflexe de jeter le joint qu'il était en train de rouler.

— Tu discutes avec des slim et des toncar toi ? Naël t'a quoi dans la main ?

Je sais que Deen a confiance en moi, d'un regard je lui fais comprendre que la situation est sous contrôle.

— Jade tu rentres, Ania aussi, fait-il alors.

Aucune d'elles ne songe à protester et ma soeur rentre sans adresser un regard ni à moi ni à Jade, qui le menton tremblant, la suit à l'intérieur.

— Écoutez moi bien vous deux, reprend Deen en fixant Ilyes et Iris, que vous vouliez niquer votre vie et jouer aux petits rebelles, c'est votre problème et celui de vos parents. Mais si je vous revois faire fumer des p'tits, ça va très mal se passer pour vous, compris ?

Iris se contente de sourire à son oncle, comme si elle ne voyait pas du tout de quoi il parle, Ilyes, comme d'habitude, le fixe sans rien dire.

Ils sont vraiment exaspérant et je sens que Deen est au bord de l'explosion.

— Allez, tout le monde à l'intérieur, c'est l'heure des cadeaux.

Dans l'ensemble, tout le monde obéit, bien qu'Iris lève les yeux au ciel. Je la retiens par le bras et fait signe à Deen que je dois lui parler.

— Tu vois là, c'était la connerie de trop, dis-je à la jeune fille, Tu t'approches plus de moi, tu t'approches plus d'Ania, à partir de maintenant compte même pas sur moi pour venir te chercher, t'existe plus. Moh aurait honte de toi.

Je la pousse à l'intérieur sans douceur et sans voir son visage se décomposer. S'il y a bien une chose que je refuse de la laisser faire, c'est entraîner Ania dans sa chute. Nous en avions parlé et elle m'avait promis qu'elle la laisserait tranquille. Maintenant c'est fini pour moi.

Quand je rentre à mon tour, Deen m'intercepte.

— C'est bien gamin, mais le passage sur Sneazz t'aurais pu t'en passer, elle y est pour rien.

Si, elle y est pour quelque chose, on y est tous pour quelque chose.

— Le pochon, ajoute-t-il.

Je lui tend le sachet qu'il enfonce dans sa poche, il en fera meilleur usage que moi. Normalement il ne fume plus. Mais Jade m'a dit qu'une fois en rentrant de vacances chez leur Grand-mère sans leurs parents, elle avait trouvé que ça sentait la beuh dans l'appartement.

Enfin, ça les regarde.

Alors que je veux faire un détour par les toilettes avant de rejoindre tout le monde dans la salle, je tombe justement sur elle, qui sanglote assise par terre dans un coin.

Ma mission d'éducateur n'est jamais finie.

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