Chapitre 6. Heartbeats Accelerating

« Will you come on a Saturday
Maybe then the time will be right
Love, love, where can you be
Love, I am waiting
Heartbeats accelerating »

— Bon, je vais pas passer par quatre chemin, Nora était une belle salope. C'est tout sauf une victime dans cette histoire.

Je peux voir d'ici les sourcils de Clémence se hausser au moment où Mohamed prononce cette phrase.

— Je vais me répéter Jade, mais faut que t'en parles à tes darons.

— Ouais bah te répète pas, elle fait c'qu'elle veut.

Moh fixe alors Ilyes avec un air à la fois étonné et amusé. Puis son regard passe de lui à moi, puis de moi à lui.

— Vous passez beaucoup de temps ensemble vous deux non ?

Je rougis, Ilyes hausse les épaules.

— Tu peux parler, Clémence elle est là H24.

Le sourire de notre oncle s'élargit. Je pousse un soupir, Ilyes n'a vraiment pas choisi la bonne comparaison.

— Donc toi et Jade c'est comme Clémence et oim ?

Je dois être plus rouge qu'une tomate, je déteste qu'on me prête des relations ou sentiments. Léonard fait ça tout le temps et ça me met toujours dans un profond état de malaise. Je jette un regard dans la direction d'Ilyes, il n'a pas l'air de se démonter, lui.

— Je sais pas, y'a quoi entre vous ?

— Bon ! s'exclame la principale concernée, Si vous vous concentriez sur le sujet principal ?

Le jeune homme ricane pendant que Sneazz jette un regard beaucoup trop tendre à Clémence pour qu'il ne trahisse pas quelque chose. Je ne sais même pas pourquoi ils s'évertuent à ne rien annoncer officiellement. Tout le monde le sait, ils ne se cachent pratiquement pas et effectivement, même si elle ne travaille plus pour lui, elle est tout le temps là.

— Ouais, fait Moh, J'disais quoi déjà ? Ah ouais Nora, salope. On l'appelait Norapute dans la bande. Elle a fait que des crasses à ton père, puis elle se faisait passer pour une victime sur les réseaux. Je peux pas tout te dire, ton père a été con aussi, mais je peux te jurer que ta mère est tout sauf coupable. En fait, tu sais quoi de l'histoire de tes parents?

Je réfléchis rapidement à tout ce qu'ils nous ont raconté depuis qu'on est enfant, les difficultés liées à la différence d'âge, la famille pourrie de ma mère, mon père qui n'arrivait pas à faire les bons choix. Je sais aussi que Papa aimait Clémentine avant d'aimer Maman, il me l'a dit le jour où j'ai avoué pour Naël.

— Au début Maman croyait qu'il l'utilisait pour oublier quelqu'un d'autre, du coup il se sont séparés, puis il a écrit Codéine et Ken a pété un câble. Après ils ont plus été ensemble pendant au moins un ou deux ans mais ils s'aimaient toujours. Puis ils se sont remis ensemble, mais Papa arrivait pas trop à se stabiliser donc il est parti au Brésil. Et quand il est revenu je crois que tout est allé assez vite, Maman est tombée enceinte, ils se sont mariés juste après ma naissance... Et voilà.

Sneazz hoche la tête.

— Donc tu vois, ta mère était là avant Nora. Ton père a essayé de faire sans elle, et il s'est rendu compte que c'était pas possible. Et ça Nora l'a pas digéré.

— Mais... le bébé...

Mohamed laisse échapper un soupir.

— Jade. Avant de voir ton daron comme un connard qui a abandonné un gosse, faut que tu te poses les bonnes questions. Tu crois qu'à trente piges, ton père savait pas comment éviter de mettre sa copine enceinte ?

Je rougis un peu. Mais reste dubitative, je sais très bien que je suis moi-même arrivée par surprise dans la vie de mes parents.

Comme Naël.

— Il y des salopes qui sont prêtes à mentir pour obtenir ce qu'elles veulent. Qui sont prêtes aussi à faire un gamin à leur mec sans leur demander leur avis et à faire passer ça pour un accident.

Oh.

— Naaan ! La Nora là, elle était pas d'accord qu'il retourne avec Vio alors elle lui a fait un gosse ? Oh la pute ! Sah moi je me serais tiré direct et je l'aurais laissée se démerder.

Ah ben super. Si vous êtes une femme et que vous voulez sortir avec Ilyes un jour, pensez bien à ne surtout jamais tomber enceinte.

— Mais ? Elle est où maintenant ?

Sneazz hausse les épaules.

— Personne le sait. Ton père était prêt à prendre ses responsabilité, même en quittant Nora il voulait pas laisser tomber la môme. Mais un jour elle a fait cramer l'appart de Deen et Vio et elle a complètement disparu. Après elle a dit qu'elle avait abandonné la petite aux services sociaux, mais on l'a jamais retrouvée. Voilà. Je crois que j'ai bien trahi la promesse que j'ai fait à ta mère de rien dire mais... Je pense qu'elle préfère que tu sois au courant de trucs vrais que de conneries.

Oh mon Dieu pauvre Papa... et pauvre Maman.

Même si je suis toujours blessée qu'ils nous aient caché tout ça, je ne peux que compatir en pensant à toutes les épreuves par lesquelles ils sont passés.

— Tu penses qu'on peut la retrouver la gosse ? demande soudainement Ilyes, Elle a quel âge ?

— Deen a remué ciel et terre pour la trouver, il a jamais réussi. Ta mère l'a pas mal aidé je crois. Je sais pas quel âge elle a... elle doit être un peu plus jeune que toi il me semble que t'avais même pas un an quand elle est née. Vous êtes nés en mai 2021 ton frère et toi ?

— Ouais, le 12.

— Bah elle a dû naître en mars 22 ou un bail du genre.

J'ai donc une soeur qui a un an et demi de plus que moi et que je ne rencontrerai probablement jamais.

Peut-être que je n'ai pas du tout envie de la rencontrer à vrai dire.

Mais je donnerais cher pour savoir où elle est, à quoi elle ressemble.

— Si ça se trouve Norapute a gardé sa fille et elle attend tranquillement que ton père cane pour demander de la maille.

Cette femme me fait peur maintenant. Je ne sais presque rien d'elle, mais le simple fait qu'elle ait voulu nuire au bonheur de mes parents m'emplit d'un profond sentiment de haine. Et si sa fille était comme elle ? Si plus tard elle voulait se venger et venger sa mère ?

Un millier de questionnements tournent dans ma tête.

J'ai bien fait de ne pas en parler à mes parents, visiblement cette histoire est beaucoup trop complexe et douloureuse pour être déterrée maintenant.

— Je sais que c'est cile-fa de dire ça mais essaie de pas trop leur en vouloir, votre famille c'est une putain de revanche sur toutes les galères qu'ils ont eu. Et puis tu verras quand tu seras adulte, tous les couples ont leurs secrets.

Mohamed marque une pause pendant qu'un sourire qui n'augure rien de bon étire ses lèvres.

— Même vous deux, vous en aurez.

— Vas-y ferme ta gueule.

Notre oncle éclate de rire, je ne sais plus vraiment où j'en suis. J'aimerais rentrer à la maison et prendre mes parents dans mes bras. Et en même temps, l'idée que ce secret va rester enfoui encore des années, peut-être jusqu'à ce que Romy ou Léonard le découvre à son tour, me fait du mal.

Je me suis murée dans le silence depuis presque une demi-heure, écoutant d'une oreille distraite les chamaillerie d'Ilyes et Mohamed. Ils ne font plus vraiment attention à moi. Juste Clémence qui me donne quelques conseils, elle a connu des déboires familiaux elle aussi. Mais je ne l'entends presque pas non plus.

Installée dans l'angle du canapé, j'ai ramenée mes jambes contre moi. Je pense à Naël soudainement, qu'est-ce qu'il peut bien faire ? Lundi, quand il est venu dîner il ne cessait de me jeter des regards inquiets.

Je me rappelle alors que demain il y a cette soirée qu'organise Amir, Naël sera là surement. J'espère. Peut-être qu'on pourra parler tous les deux. Il faudra que je lui raconte tout ce que je sais maintenant.

— Eh ! Jade on t'parle !

Je relève le nez vers Ilyes.

— On y va ? demande-t-il.

En regardant ma montre, je me rends compte qu'il est déjà plus de dix-huit heures, j'ai prévenu les parents que je voyais Ilyes après les cours, ils ne doivent pas s'inquiéter.

Quand on sort, le jeune homme me propose de venir chez eux, mais je préfère rentrer, encore une fois je crois que j'ai besoin d'être seule.

— Merci pour ce que tu as fais, lui dis-je en regagnant la station de métro.

— C'est rien.

— On se voit demain ?

Il hausse les épaules, j'ignore s'il est vraiment intéressé par les soirées organisées par son frère. Ils n'ont que peu d'amis en commun.

— J'pense que je resterai dans ma chambre, mais si tu te fais chier tu pourras toujours monter.

On se retrouve comme deux idiots à plus savoir comment se séparer, Ilyes me tend la main mais je me suis déjà hissée sur la pointe des pieds pour lui faire la bise. Il y a un instant de flottement avant qu'il ne colle sa joue contre la mienne.

******

Pour une fois je me trouve plutôt jolie quand je me regarde dans le miroir une dernière fois avant de partir. J'ai bouclé mes cheveux blonds et une fois n'est pas coutume, j'ai maquillé mes yeux. Robe chasuble moutarde sur un col roulé noir, j'aime bien ma tenue.

Quelques coups sont frappés contre la porte de ma chambre.

— Oui.

— T'es prête ? Oh oh t'es un peu trop jolie non ? Je vais mettre la batte de baseball dans le coffre de la gov'.

Je souris à mon père qui me détaille d'un oeil mi inquiet mi impressionné. Je sais qu'il ne m'empêchera pas d'y aller comme ça, mais dans le fond ça l'inquiète un peu. C'est lui qui m'emmène chez les Akrour, j'aime bien les trajets en voiture, on peut toujours discuter.

Je passe embrasser ma mère qui lit dans le salon, elle me félicite pour ma tenue et me rappelle les règles sur l'alcool. Uniquement quelques bières et si je peux éviter c'est aussi bien.

Dans la voiture je jette des regards à mon père en me rappelant ce que j'ai appris hier chez Mohamed. C'est comme si maintenant je comprenais ces moments où son visage s'assombrit, où il semble un peu ailleurs, comme s'il attendait quelque chose ou quelqu'un.

— Papa.

— Oui ma fille.

— Si tu devais me donner un seul conseil pour toute ma vie, ce serait quoi ?

Il détourne la tête vers moi et me fixe avec étonnement.

— Eh bah, t'es d'humeur solennelle. Je sais pas chérie, faut que j'y réfléchisse tu me prends de court.

L'une de ses mains lâche le volant pour frotter sa barbe.

— Je pourrais te répondre tout de suite, mais sûrement que dans une heure j'aurais une autre idée tu vois.

— Je préfère une réponse spontanée qu'un truc réfléchi. C'est pas grave si dans un mois tu m'en donne un autre.

Quand on pense trop ce genre de chose, je trouve qu'on perd en sincérité.

— Ce que tu veux c'est le genre de conseil que j'aurais aimé qu'on me donne quand j'avais ton âge ?

J'acquiesce. C'est fou comme je le vois différemment depuis que je sais la vérité.

— Tu sais je crois que les expériences de vie sont bien plus efficaces que les conseils des vieux cons de mon genre. Mais je peux quand même te dire de jamais enfouir qui tu es vraiment pour entrer dans une case. Y'a des choses tu vois, on les sent, on sait qu'on pourra jamais être heureux sans ça. Bah ça il faut surtout pas l'ignorer pour se conformer à tel ou tel truc qu'on attend de toi. Sinon tu vas faire que des conneries et non seulement tu vas te rendre malheureuse, mais tu vas aussi rendre les autres malheureux. Voilà...

Il se gare devant chez les Akrour et je me sens toute émue parce qu'il vient de dire.

— T'as des exemples ?

Mon père éteint le contact et se tourne vers moi pour opiner de la tête.

— Oui. Y'a un jour où j'ai choisi de tout lâcher pour faire de la musique parce que je savais que c'était la seule chose qui pourrait me permettre de m'épanouir. Et il y a un autre jour où j'ai choisi de fonder une famille avec une femme, parce que j'étais certain qu'aucune autre pourrait révéler autant qu'elle ce qu'il y avait de bon chez moi. Chaque fois c'était des choix risqués, et il y a pas un seul jour où je les regrette.

Je sens ma gorge se serrer, il dit tout ça avec calme et pourtant maintenant que je sais, je me dis que ça doit être extrêmement dur de me dire tout ça.

Il a tout donné pour nous, je me demande comment j'ai pu lui en vouloir.

— Merci Papa, dis-je d'une voix rauque.

— Pas de quoi, fais pas trop la folle et rappelle toi que t'es trop bien pour tous les petits cons qui veulent te tripoter.

Je lève les yeux au ciel, s'il savait que la liste des mecs qui s'intéressent à moi est aussi courte que celle de ceux avec lesquels je suis sortie...

En même temps ça n'aide pas d'être amoureuse du même garçon depuis le collège.

Je pousse un soupir et embrasse la joue paternelle avant de m'extraire de la voiture. J'ai hâte de voir Amir.

— Tu m'appelles s'il faut venir te chercher ! Amuse toi bien et passe le salam à Ilyes, tu lui diras qu'on l'attend de pied ferme à la maison.

Je salue mon père une dernière fois avant de rejoindre la soirée où l'ambiance est plutôt tranquille. Les amis d'Amir sont là, Gabriel, Wassim, Thomas et tous les autres. Arthur aussi et... Naël.

Mon coeur rate un battement. Lui aussi a mis un col roulé noir qui lui va beaucoup trop bien. Ses cheveux bruns tombent devant ses yeux alors qu'il a le nez baissé sur son verre. Puis son visage fin et ses yeux noirs se tournent vers moi pour capter les miens.

Mon Dieu je l'aime tellement...

— Jadou, fait-il en s'approchant, Comment vas-tu ?

Il se penche pour me faire la bise, mes joues me brûlent quand son parfum envahit mes narines. Soudainement j'ai l'impression que tous les efforts que j'ai fait pour être jolie ce soir ne sont vraiment pas à la hauteur. Quelle idiote.

— Ça va... Et toi ? dis-je d'une voix mal assurée.

J'ai envie de me mettre des claques. Les garçons comme Naël aiment les filles qui savent ce qu'elles veulent, qui n'ont pas peur de s'exprimer.

— Tu veux qu'on aille parler un peu dehors ? propose-t-il.

Je m'empresse d'accepter et le suis à l'extérieur.

Il me faut une bonne dizaine de minutes avant de réussir à être suffisamment à l'aise pour lui raconter tout ce que j'ai découvert. Quand enfin j'ai fini il paraît un peu chamboulé lui aussi.

Nous sommes assis contre le mur, dans un coin tranquille, mon coeur bat tellement vite et mon bras est contre celui de Naël, son regard me trouble et je voudrais que le temps s'arrête et qu'on reste ici pour toujours.

— Je me rappelle du moment où ton père est parti au Brésil. Tout le monde disait qu'il ne reviendrait pas. Et ta mère ne désespérait pas. C'est fou toute cette histoire.

— Oui.

— Tu vas faire quoi maintenant ?

Depuis que mon père m'a parlé dans la voiture, j'ai pris une décision. En réalisant tout ce qu'il avait traversé et sacrifié. Je me dis que je dois le lui rendre, d'une certaine façon.

— Essayer de retrouver ma soeur.

Le bras de Naël passe autour de mes épaules et je sens tout mon corps frissonner, pourtant je n'ai pas froid du tout, au contraire.

S'il continue je vais finir par dire des bêtises...

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