Chapitre 6. 1500

"Mille cinq cent par jour, mille cinq cent discrètement comme les p'tits fours
Mille cinq cent par jour, mille cinq cent comme chaque matin chez Difool
Mille cinq cent par jour, mille cinq cent comme les n***** dans Paid in Full
Mille cinq cent, mille cinq cent, mille cinq cent, mille cinq cent"

Je viens de passer la nuit dehors, c'est pas la première fois que ça m'arrive, mais c'est la première fois que je l'ai pas choisi. Il fait froid et j'ai la dalle.

Impossible pour moi de retourner en cours, faut que je trouve l'argent. Cinq cent balle, c'est pas grand chose, mais quand on a rien pour faire de l'oseille, c'est compliqué.

Si Iris était encore là, si j'étais encore pote avec elle, elle me les aurait prêtés sans hésiter et j'aurais eu tout le temps pour la rembourser. Mais c'était la seule à qui je pouvais demander un truc pareil. Parce qu'elle connaissait mes merdes, et elle pensait pas que j'étais faible pour autant.

Je crois qu'elle me manque.

Mon reuf pourrait m'aider, c'est clair, mais par rapport à mes darons je peux pas faire ça, mon père me méprisera encore plus.

J'ai la dalle, mais bon, ça je sais comment le régler, voler dans les magasins avec Nabil c'était notre spécialité au collège. De toutes façons c'est pas le plus urgent du tout, il faut que je fasse du blé.

Comment on fait de l'argent rapidement, quand on a rien à vendre et qu'on a pas non plus de travail ?

On dépouille des putains de touristes ou des parisiens pas très vigilants.

Problème n°1 : J'ai fait ça que rarement pour m'acheter du shit et j'ai pas forcément beaucoup de pratique.

Problème n°2 : Je peux pas courir, si je me fait choper je risque gros. Et c'est pas en garde à vue que je vais trouver le fric que je dois à Cheikh.

Je décide quand même de décaler vers Montparnasse, à la gare il fait chaud, y'a des prises pour recharger mon portable, je peux m'assoir dans un coin et réfléchir.

Soudain, affalé sur le sol froid de la gare, je me rends compte que j'ai bel et bien quelque chose à vendre.

Cinq cent balles, c'est même pas les trois quart du prix du téléphone que m'ont volé Moussa et ses gars.

Si je trouve un moyen de vendre celui que j'ai, je peux peut-être récupérer deux cents. Il me reste donc à trouver trois cent. Je réfléchis vite fait à ce que je peux vendre d'autre.

Chez moi j'ai plein de trucs, je pourrais récupérer trois fois le prix rien qu'en vendant mes fringues ou mes pompes, mais justement, c'est plus chez moi. Et encore une une fois je veux rien demander à mon reuf.

Il me suffirait de voler un autre portable, peut-être deux comme ça je garde le mien. Antho m'a montré comment les réinitialiser pour pas qu'ils soient pistés ni éteins.

Alors je me mets à scruter les gens. Les caméras, les endroits où ils font le moins attention. Et je décide d'attendre l'heure de pointe, on est vendredi, à dix-huit heures ça va être un delbor pas possible, je pourrai facilement me faufiler entre les gens pour récupérer ce qu'il y a dans leurs poches.

Encore une fois la journée est très longue, j'ai vraiment vraiment faim. Mais au moins je suis au chaud et je peux m'occuper un peu en trainant sur internet.

Evidemment, dès la fin d'aprem' la gare se remplit et les gens vont et viennent, pressés d'avoir leur train. C'est le moment de passer à l'attaque.

Une femme un peu perdue qui rage parce que son TGV a du retard, un mec crevé qui dort à moitié sur son café à emporter. Un gars concentré sur son ordinateur.

Bingo, trois téléphones.

Je dégage en vitesse de la gare après les avoir éteint, j'ai récupéré vingt balles dans la poche du mec sur son ordi, alors je file au fond d'un grec pour manger et reconditionner les téléphones.

Ouais, je sais ce que vous pensez, voler les téléphones des gens qui bossent, c'est un truc de baltringue, mais là je vois pas d'autre issue.

L'estomac enfin rempli, ma mission effectuée, je regarde vite-fait sur internet où je peux revendre mes téléphones. Evidemment tout est fermé, il faudra que j'attende le lendemain pour avoir enfin mon bif.

Putain, qu'est-ce que j'ai hâte d'en avoir fini avec cette histoire. J'ai passé ma journée avec l'estomac noué, j'ai trop peur de croiser Cheikh tant que j'ai pas l'oseille. Habituellement j'en aurais un peu rien à foutre. Mais là je peux pas me battre, et ça me donne vraiment la sensation d'être une pauvre créature fragile.

*****

J'ai zoné toute la nuit, marcher, c'était la seule chose qui me permettait de pas avoir trop froid. Même si je marche à deux à l'heure et que j'ai toujours putain de mal, au moins ça me maintenait éveillé et prudent.

Le plus prudent, c'est d'aller dans trois magasin différent pour revendre les téléphones. Sinon le mec va me griller direct et c'est pas ce que je veux.

Je décide d'attendre le soir pour manger, il me reste de l'argent des vingt balles d'hier et dès huit heures du matin, j'entre dans un zingam pour vendre mon premier téléphone. Le mec me demande ma carte d'identité, note mes coordonnées, je suis pas serein, mais j'ai pas le choix, il me faut de l'argent vite.

Les trois fois c'est le même délire, mais à midi, j'ai 800 balles en liquide.

Je fonce directement au lycée.

Tout le monde parait assez surpris de me voir, ça murmure dans tous les coins, je m'en branle, tout ce qui m'intéresse c'est de régler ça.

Dès qu'il me voit, Cheikh me chope par le col et me tire dans un coin, il est vénère de ouf.

— T'as mon blé, fils de pute ?

Par contre il va pas falloir qu'il répète ce mot, même si je suis pas en état de me battre, je vais pas maîtriser ma réponse;

— Ouais, je réponds, lâche moi je te le file.

Il m'écoute et je sors de mon sac l'enveloppe qui contient son argent. Je le regarde recompter les billet, puis relever la tête vers moi.

— Y'a cinq cent cinquante, fait-il.

— Ouais, c'est ce que je te devais.

Il secoue la tête en ricanant, j'ai envie d'attraper ses tresses et de lui éclater la tête contre le mur.

— D'après Moussa, ils t'ont pris mille balles, je veux les mille. Plus cinq cent pour le temps que t'as mis à me rembourser.

Il se fout de ma gueule là ?

— Je te devais cinq cent cinquante, c'est ça ou rien. Sur les mille y'avait cinq cent à moi.

Sa main se referme sur mon cou et il me pousse contre le mur.

— Je crois que t'as pas compris p'tite pute, je veux mille cinq. Sinon tu peux dire Adieu à tes yeux de polak.

La haine fait trembler mes mains, jamais je vais marcher dans un chantage aussi con, il peut crever pour que je lui donne plus.

— Ilyes ! Cheikh !

Le CPE s'interpose entre nous et doit vraiment forcer pour réussir à nous séparer, puis son regard se pose sur mon visage. Et je peux voir un certain effroi quand il constate son état.

— Dans mon bureau, tous les deux.

Pendant une heure et demie, il essaie de nous tirer les vers du nez pour savoir quel est la raison de notre embrouille, aucun de nous ne desserre les dents. Le moins d'adultes impliqués, le moins de problèmes en plus.

Finalement il renvoie Cheikh en perm et je me retrouve seul avec le CPE.

— Qui t'a mis dans cet état ?

Je ne réponds pas.

— C'est Cheikh ?

Je secoue la tête de droite à gauche.

— Ilyes, si tu as des problèmes chez toi, il faut le dire.

Si mes paupières n'étaient pas encore autant abimée, j'écarquillerais les yeux.

— Vous insinuez que mon daron me tape dessus ?

Il a l'air un peu mal à l'aise, pour qui il se prend ce vieux mec, putain je regrette presque Berthier, jamais il aurait sorti un truc pareil.

— Je pose seulement une question, ce sont des choses qui arrivent.

Oreilles tirées, peau du cou, cheveux, une claque ou deux de temps en temps, oui, mais mon père m'aurait jamais hagar de cette façon. À moins que j'aie tué un membre de la famille ou violé une nana. Et encore.

— Bah posez pas cette question, vous insultez mon père.

Il a de la chance que je continue à le vouvoyer parce que déjà que j'ai la haine à mort après ce que m'a sorti Cheikh, je vais pas garder mon calme longtemps.

— D'accord, fait-il calmement, Je vais appeler ta mère pour qu'elle vienne te chercher, tu ne peux pas rester ici dans cet état.

Là je panique, ma mère peut pas me voir comme ça, c'est hors de question.

— Non s'il vous plaît, appelez pas ma mère, vraiment.

Il fronce les sourcils.

— Pourquoi ?

Mes mains se remettent à trembler, je veux surtout pas que ma daronne apprenne ça, surtout qu'elle va me forcer à lui dire que c'est Moussa, elle va s'en vouloir à mort. En plus je veux lui prouver que j'arrive à m'en sortir tout seul.

— Elle travaille, ça la saoule d'être dérangée, elle va vous gueuler dessus.

Mi mensonge mi vérité, comme toujours.

— Ton père alors ?

Ce serait presque moins pire, mais il va me regarder l'air de dire « Alors, la rue ? ». Je pourrai pas le supporter.

— Il est à l'étranger en ce moment.

Mensonge total.

— Ilyes, je peux pas te laisser repartir sans qu'un adulte vienne te chercher, pas dans cet état.

Je comprends qu'il va pas me lâcher, alors je lui donne le premier nom qui me passe par la tête :

— Appelez mon oncle, Mikael Castelle, il est dans les numéros d'urgence dans mon carnet.

Ça me laisse le temps de réfléchir à comment me barrer avant que Deen arrive.

— Très bien, je téléphone, tu peux aller l'attendre à l'infirmerie.

Parfait.

Ce mec est super con, jamais Berthier m'aurait laissé aller à l'infirmerie tout seul. Evidemment, j'en profite pour me tailler rapidement.

Comme je marche difficilement pour m'éloigner le plus possible, et le plus vite possible de ce bahut de merde, je repense à l'année dernière. Putain Paul Bert c'était bien en fait, j'avais beau rien foutre et faire le con tout le temps, j'avais mes deux meilleurs shab, Iris, je me tapais v'la les meufs bonnes, tout le monde me respectait.

Alors ouais, ma mère gueulait quand elle captait que j'étais foncedé, ouais, mon père me tombait dessus quand je faisais une dinguerie, mais c'était pas pareil.

Je crois que j'en ai pas assez profité.

Ou trop peut-être.

Maintenant je suis comme un con, je sais pas où aller, j'ai plus personne. Enfin si, j'ai du monde mais je veux pas leur demander de l'aide. Faut que je fume.

J'ai trois cent balles de liquides, je devrais arriver à tenir les deux prochaines semaines. Si Cheikh me chope pas, si je me fais pas racketter comme une merde, si je croise pas encore des cons, si je me fais pas choper par des condés.

Voilà, là j'ai un peu peur.

Après avoir capté le mec qui me fournissait en beuh quand j'étais à Paul Bert, acheté de quoi fumer, je quitte le 14. Trop de risques de croiser des têtes connues. Sans trop savoir pourquoi, je décide d'aller finir ma journée à la gare de Lyon. Les gares c'est pratique, y'a du monde, de la bouffe, de l'électricité. Il fait pas froid.

J'ai des centaines de messages sans réponses, mon frère qui s'inquiète, Ilona, putain elle me lâche pas celle-là. Et... ma mère.

Yemma : Ilyes, ton père ne veut pas que je t'écrive, mais si j'écoutais tout ce qu'il dit, ça se saurait. Je suis très en colère contre toi et ne comprends pas pourquoi tu as fait ça, mais je suis inquiète. Je crois que tu devrais revenir en t'excusant, je sais que ce n'est pas facile, mais ton père verra que tu as su prendre sur ta fierté. Je me fais beaucoup de souci pour toi, même si tu es un garçon courageux et solide, la rue, c'est dangereux. J'espère que tu as trouvé un ou une amie chez qui dormir, si jamais, je pense que tes oncles et tantes t'accueilleront sans problème. S'il te plaît envoie moi un petit message juste pour me dire que tu vas bien. Sinon je ne vais plus dormir. Tu peux aussi m'appeler ou passer à l'école de danse. N'oublie pas que ton frère est toujours là pour toi également, fais attention à toi. Maman.

La gorge nouée, j'éteins mon portable en retenant mes larmes, vraiment je pourrais crever pour cette femme.

Il faudrait que je lui réponde, mais pour l'instant, j'ai pas le courage de lui mentir.

*****

Depuis trois jours, je commence à prendre mes habitudes dans la rue, quelques vols par-ci-par-là, beaucoup de joints, beaucoup, beaucoup de joints, des heures d'attentes à la gare. Des nuits passées à marcher pour se tenir chaud. Mes jambes vont mieux. Je traine surtout dans le 12ème, je n'y connais personne. Je fuis les keufs qu'en j'en aperçois, parce que j'ai toujours de la cons sur moi. Mais je m'en sors. Tout ce que je veux pas, c'est faire la manche. Cheikh me harcèle de messages de menaces zahma « J'vais t'planté » « J'vais te retrouvé ». Mais maintenant que selon moi, j'ai payé ma dette, j'ai plus rien à lui dire, plus peur de lui. Mais bon, j'évite quand même le secteur et je reste capuché.

Comme mon frère me harcèle de messages et m'insulte de tous les noms depuis que je me suis tiré de chez Nabil, je finis par l'appeler, il décroche direct.

— T'es où, tête de con ? Si tu me dis que t'as quitté Paname je t'éclate la gueule.

J'y ai pensé, mais pour aller où ? Sah je connais pas grand chose de la France, et puis à Paris je peux voler et trainer, être au chaud la journée.

— Je traine dans le 12, trop d'embrouilles dans le 14.

— On peut se voir ? demande Amir.

— Ouais, t'as qu'à venir à gare de Lyon. J'y suis tout le temps.

Mon frère m'annonce qu'il arrive, je sais qu'il va me faire la morale, mais j'ai pas l'intention de l'écouter. Je commence juste à réussir à m'organiser un peu, après je penserai à ce que je peux faire pour m'en sortir véritablement.

Pourtant, c'est pas Amir qui me rejoint au fond du Prêt à Manger, là où je lui avais donné rendez-vous. Deux grandes mains sur lesquelles trônent quelques chevalières se posent sur la table et une voix inimitable me fait relever les yeux.

— Enfin j'te trouve, gamin. Heureusement que ton reuf est plus coopératif que toi.

Lorsqu'il découvre mon visage sous ma casquette, Deen paraît un peu sonné, j'en profite alors pour envoyer balader ma chaise et prendre mes jambes à mon cou.

Malheureusement, Grand-père est encore très sportif et je suis encore très handicapé.

Sa main se referme sur ma nuque, il me pousse en avant en direction de l'esplanade. Je me débats, hors de question de rester avec lui.

— Lâche moi, j'hurle, Dégage !

Je lui lance une ou deux insultes en arabe mais il serre plus fort sur mon cou et plante ses yeux dans les miens.

— Ecoute-moi bien, ta mère panique depuis deux semaines, tu ressembles à Creed quand il se fait laminer par Drago, et visiblement tu manges pas à ta faim et t'enchaines les dingueries. On m'a fait venir dans ton lycée de merde pour m'annoncer que tu t'étais tiré, j'aime pas faire des aller-retour pour rien. Donc tu vas venir avec moi, ou j'envoie une photo de ta gueule à ta daronne.

— Un problème Monsieur ?

On se retourne tous les deux vers un condé qui vient de s'approcher. J'échange un regard avec Deen, mieux vaut lui que l'autre.

— Vous permettez que j'engueule mon fils ? fait-il, Il a essayé de fuguer.

Putain pour une fois il est un peu intelligent, dans une gare, la fugue, c'est crédible.

Le regard du flic passe de lui à moi, puis s'arrête sur mes bleus et contusions.

— C'est vraiment ton père ? C'est pas lui qui t'a fait ça ?

Mais il veut quoi lui ?

— Ouais c'est mon père, et non, j'ai eu un accident en scoot y'a deux semaines.

Deen n'aime pas plus les keufs que moi, il le regarde presque avec défiance. Sah j'ai pas envie de finir au poste avec lui, manquerait plus que ça.

— On peut y aller ? Sa mère est folle d'inquiétude.

Je suis en train de me dire que le mensonge de Deen est quitte ou double, si le flic nous demande nos cartes d'identité on va avoir bien mal.

Mais ce dernier finit par hocher la tête et je n'ai pas d'autre choix que de suivre mon oncle jusqu'à sa caisse, car ce putain de condé nous lâche pas des yeuz.

— Allez, en voiture fiston.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top