Chapitre 5. U turn (lili)
"Lili, take another walk out of your fake world
Please put all the drugs out of your hand
You'll see that you can breathe without no back up
So much stuff you got to understand "
Je me gare non loin de l'endroit indiqué par Iris, sors de la voiture, mais ne la trouve nulle part.
Je sens mal cette histoire.
Alors que j'essaie de la rappeler, je reconnais sa voix qui me parvient de quelques mètres plus loin.
— Putain mais lâche moi gros fils de pute !
Je me précipite et voit qu'un type d'une trentaine d'année, l'a plaquée contre un mur et tente de l'embrasser alors qu'elle l'esquive et essaie de le repousser.
Iris a longtemps fait de la self défense, sur ordre de son père, mais visiblement, elle est beaucoup trop défoncée pour avoir les bons réflexes. Le gars ne m'a pas vu, je ne sais pas vraiment me battre, mais j'ai une grande pratique de la balayette, avec des cousins comme Amir et Ilyes, c'est un art que je me devais d'apprendre.
Le gars s'effondre brusquement, je saisis Iris par l'épaule et la pousse sans douceur en direction de la voiture. Elle titube, arrive à peine à marcher, et tremble comme une feuille. J'ouvre en vitesse la portière, bascule la jeune fille à l'intérieur, referme rapidement et me dépêche de rejoindre le volant.
Quelques secondes plus tard je démarre en vitesse.
Cette fois, j'ai décidé de ne pas lui adresser la parole, je reste de marbre, ignorant les tremblements qui la secouent. Vu comment elle est habillée, ce n'est pas étonnant qu'elle ait froid. Ses collants sont déchirés, sa jupe est minuscule comme d'habitude et son blouson en cuir ne recouvre que ses bras.
Je l'observe du coin de l'oeil en conduisant, elle ramène ses longs cheveux au sommet de son crâne pour les attacher, ses mouvements sont flous, tout comme sa vue probablement. Elle sort de son minuscule sac à main une boite de médicaments.
Qu'est-ce que c'est que ça encore ?
— T'es sérieuse ? Du Lexomil ? Iris putain !
Impossible de garder le silence, je me gare brutalement, lui arrache la boite des mains et la fourre dans ma poche.
— Hééé... t'as pas le droit c'est à moi.
— C'est à toi de rien du tout, réponds-je, T'as une ordonnance ? Qui t'a donné ça ?
Je savais qu'elle prenait des truc de merde, mais surement pas des anxiolytiques détournés de leur usage principal.
— Ça me calme... J'en ai besoin...
Mon estomac se noue, je sais qu'elle a besoin d'oublier ses angoisses, mais à ce point...
— T'as eu ça où ?
Elle griffe fébrilement son avant bras en se tortillant sur son siège. Je connais trop bien cette attitude.
— Arrête ça, ordonné-je, je supporte pas quand tu fais ça.
À ma grande surprise, elle obéit et se passe une main fiévreuse sur le visage. C'est fou ce que je peux la détester. Elle n'a pas le droit de se détruire comme ça, on sait tous les deux à quel point la vie est précieuse. Je redémarre en secouant la tête de dépit.
— Réponds moi, Iris. Je suis venu te chercher alors que j'étais occupé, j'ai cours demain et je vais pas assumer, alors la moindre des choses c'est que tu coopères.
Ses yeux noisettes se tournent vers moi, j'ai rejoint le XVème, on arrive bientôt.
— J'ai un pote à l'hosto il me fait des ordonnances, répond-elle.
"Un pote" tu parles, je suis sûr qu'elle couche avec lui.
Va falloir que je retrouve ce mec et que je le menace de le balancer s'il recommence.
— Comment tu vas faire demain au lycée ? T'as vu ton état ?
Elle rigole, puis s'effondre sur moi. Super pratique pour conduire. Et puis je n'aime pas quand elle me colle, elle est trop belle et trop dangereuse, et moi je ne suis qu'un gamin, pas assez fort pour ne pas être attiré par son corps de femme.
— J'irai pas... C'est tous des cons.
Tellement facile de dire que tout le monde est con, ça évite de se dire que c'est toi le problème.
— Je vais pas chez moi Naël, c'est mort, fait-elle en voyant qu'on atteint notre destination.
— Si. Tu rentres. Et tu vas faire un effort et parler à tes parents, pas à moi. Ils attendent que ça.
Iris secoue la tête sur mon épaule et s'agrippe à mon bras. Ça va devenir dangereux si elle continue. Je me gare de nouveau, préférant éviter un accident.
— Je veux pas leur parler, je les hais.
Je ferme brièvement les yeux, ça me fait mal de l'entendre dire ça, parce que ce n'est pas comme quand ma soeur dit "je hais papa", Iris le pense et ça me rend dingue. Parce que même si Ken et Clem sont maladroits, ils l'aiment profondément et feraient n'importe quoi pour réparer leurs erreurs.
— Tu me hais aussi, réponds-je.
— C'est toi qui me hais Naël.
Son souffle s'écrase contre la peau de mon cou, ça me déstabilise et elle le sait. Je serre brusquement le volant quand elle m'embrasse sous l'oreille.
— Arrête.
Je la repousse aussitôt, hors de question de la laisser se servir de son corps avec moi. Parce que je sais très bien que s'il se passait quelque chose, je me sentirais aussi sale que tous les mecs qui profitent de sa faiblesse.
— T'es tellement coincé c'est ouf, lâche-t-elle en ricanant.
Inutile de dire que sa réflexion ne me fait ni chaud ni froid.
— Allez, je te ramène chez toi.
— Non.
Elle se détache et sort brutalement de la voiture, titube et s'écrase sur le trottoir.
J'en ai marre.
Je suis vraiment tenté de démarrer et de la laisser là, après tout, elle est à deux rues de chez elle, elle est tellement déchirée qu'elle n'ira pas loin, il me suffit d'appeler Ken pour qu'il vienne la chercher.
Poussant un juron, je frappe dans le volant et sort à mon tour.
Elle essaie de se relever à quatre pattes sur le macadam, c'est vraiment pathétique, j'ai une vision nette de sa culotte en dentelle à travers son collant, mais je n'ai pas le temps d'être gêné.
— Si Moh te voyait... je lâche.
Mes mots ont un effet immédiat. Elle s'effondre aussitôt à plat ventre sur le trottoir et son dos est agité de nouveaux soubresauts. C'est petit de faire ça, mais elle me gave. J'en ai assez de ses conneries.
Je m'assoie par terre à côté d'elle, m'adossant au mur, je n'ai pas envie de la réconforter, ni de l'aider à se relever. Je l'entends pleurer, j'ai envie de pleurer aussi.
Comment je suis censé gérer tout ça moi ? Je ne suis ni un héros, ni même un homme, juste un gamin qui essaie de protéger sa famille comme il peut.
Les yeux fermés, j'attends qu'elle finisse par se redresser, que quelqu'un appelle la police, qu'un passant nous demande ce qu'on fout par terre au beau milieu de la rue, au beau milieu de la nuit.
— À ton avis ? Il dirait quoi s'il me voyait ?
Iris se relève avec difficulté. Je pousse un soupir pendant qu'elle se dirige laborieusement vers moi. Elle me jette un regard interrogateur, je sais ce qu'elle veut. Résigné, j'allonge mes jambes en les écartant pour lui laisser la place de s'installer. Elle se laisse tomber contre moi et colle sa joue pleine de larmes à la mienne.
— Il dirait que tu mérites des claques et il te prendrait dans ses bras en te disant qu'il te laissera pas recommencer.
Iris se remet à sangloter et je craque, refermant mes bras autour d'elle. J'ai vraiment envie de pleurer, il me manque à moi aussi.
— Je n'ai plus que toi Naël.
Non, elle a infiniment plus que moi. Elle a des parents qui donneraient n'importe quoi pour pouvoir l'aider, un parrain et une marraine, des oncles et tantes, des cousins. Tout le monde voudrait la sauver. Mais elle les rejette, et c'est entièrement sa faute.
— Tu sais bien que c'est faux, je souffle en posant mon menton sur son épaule.
Elle a surement plein d'arguments qui vont dans le sens inverse, mais pour une fois elle se tait et j'en suis soulagé.
— Je veux plus que tu prennes des médocs Iris, c'est pas ça qui va le faire revenir. Ça ne crée que des mirages, tu sais comme la redescente est violente.
Ses paupières se ferment et j'admire un instant ses longs cils qui caressent brièvement le haut de sa pommette.
— Oui mais ça soulage... Pendant quelques minutes, j'ai moins mal.
— Je sais... mais tu vois bien que ça ne dure pas. T'es encore plus mal après.
Iris ne dément pas, j'ai du mal à comprendre comment elle peut sacrifier sa santé pour quelques minutes d'oubli.
— Tu sais que c'est ta mère qui comprend le mieux ton manque et ta culpabilité. Pourquoi tu ne veux pas en parler avec elle ?
— Parce que je la hais et tu le sais très bien, ça aurait dû être elle. Ou mon père. Ou n'importe lequel des oncles et tantes. Mais pas lui.
Toujours agréable de savoir qu'elle aurait été capable de sacrifier un de mes parents pour qu'il soit encore là. Mais au fond, je ne peux pas lui en vouloir, ça a toujours été le seul qu'elle aimait.
Mais elle croit aussi être la seule à souffrir, alors que tous, particulièrement ses parents, sont affecté.
Mais l'égoïsme dans la souffrance, c'est un trait de famille chez les Samaras.
— Et moi, je souffle, Vu comme tu agis, il pourrait m'arriver la même chose aujourd'hui. Tu t'en fous ?
Elle se tourne un peu, cache son visage trop maquillé dans mon cou et je me demande encore comment elle peut être aussi différente selon les moments.
— Je mourrai avant, chuchote-t-elle, t'auras plus à t'en faire.
Je déglutis avec difficulté, je déteste quand elle fait ça. En fait je déteste tout ce qu'elle fait, c'est aussi simple que ça. C'est justement la raison pour laquelle je ne pourrai jamais tomber amoureux de cette fille. Elle détruit mes sentiments avant même qu'ils n'aient eu le temps de naître.
Iris, c'est mon premier amour avorté.
— Tu racontes n'importes quoi.
Elle hausse les épaules, va bien falloir qu'on bouge de là, je ne peux pas passer ma nuit sur un trottoir, je vais être éclaté en cours le lendemain.
J'attends encore un peu, ses tremblements se sont calmés, elle ne pleure plus et sa respiration est régulière contre ma gorge. Bientôt je comprends qu'elle s'est endormie.
Parfait.
Je la soulève tant bien que mal pour la réinstaller dans la voiture, elle gémit un peu mais ne se réveille pas vraiment. Puis je me mets au volant pour reprendre mon chemin jusque chez elle. Elle a vraiment dû boire beaucoup, parce qu'elle ne se réveille pas plus lorsque je la soulève pour rentrer dans l'immeuble et prendre l'ascenseur. Bon sang ce qu'elle pèse lourd. C'est affreux de porter quelqu'un qui ne s'accroche pas.
Je sonne chez les Samaras, Ken vient m'ouvrir à peine cinq secondes plus tard.
— Putain, lâche-t-il, Merci Naël.
Il la récupère dans ses bras et me demande de lui ouvrir la porte de sa chambre. J'obtempère aussitôt et l'observe tandis qu'il dépose délicatement sa fille sur le lit.
Je lui tends alors la boite de Lexomil.
— Faut qu'elle fasse des prises de sang, elle va trop loin, je murmure.
Ken ferme les yeux et se passe la main sur le visage. L'air totalement abattu. Il me fait vraiment de la peine.
Comme quoi, la richesse, la célébrité, l'amour d'une femme magnifique, ne suffisent pas toujours face à la réalité de la vie.
Rien ne trompe la mort, aucune vie n'est parfaite.
Il se penche vers Iris pour caresser ses cheveux et embrasser son front.
— Elle a l'air douce et gentille comme ça, souffle-t-il.
— C'est parce qu'elle n'a plus mal quand elle dort, j'explique, ses secrets dorment avec elle.
Ken me lance un regard pénétrant, à chaque fois que je le vois et qu'on parle d'elle, il est au bord des larmes. Ça fait deux ans que je ne l'ai pas vu sourire pour de vrai. Sauf peut-être une ou deux fois, avec mon père et Hakim, quand ils se remémorent le bon vieux temps.
— Elle était où ? murmure une voix douce derrière moi.
Je me retourne vers Clem, enfermée dans une robe de chambre, elle contemple avec tristesse son mari et sa fille.
— Au fin fond du huitième, elle avait suivi des potes je crois.
Clémentine soupire, je sens qu'elle commence à être blasée par tout ça, comme si elle avait appris à accepter l'inexistence de sa relation mère-fille.
— Merci Naël, murmure-t-elle, Mais t'es pas obligé de faire tout ça pour elle, je sais comment elle te traite...
— Si je le fais pas... Qui va le faire ? Elle est trop fière pour appeler qui que ce soit d'autre.
Ils n'ont pas de réponse, la meilleure chose serait de ne pas la laisser sortir. Mais ils ne peuvent pas non plus l'enfermer de force.
— Si seulement... souffle Clem, Moh...
La fin de sa phrase s'étrangle dans sa gorge et elle fond en larmes, je sais très bien ce qu'elle veut dire. Ken se lève brusquement pour rejoindre sa femme et la prendre dans ses bras.
Je me sens mal à l'aise, comme si je n'avais pas à assister à ça. Le couple quitte la chambre. Iris dort, il est presque trois heures du matin, je pousse un soupir et m'apprête à partir à mon tour.
— Naël, reste s'il te plaît.
J'en étais sûr, il me semblait bien l'avoir vu entrouvrir les yeux quand Ken l'a prise dans ses bras.
— Pourquoi ? je demande faiblement, Pour que tu me traites comme une merde demain ? J'en ai marre de tout ça Iris. Vraiment.
Elle se redresse sur ses coudes et plante ses beaux yeux dans les miens.
— Regarde, il s'est intéressé à moi cinq minutes, elle s'est mise à pleurer et il a oublié mon existence. Toi t'oublies jamais que j'existe.
Je me rapproche et m'assoie sur le lit, à la place que Ken vient de quitter. Comment ne pas la comprendre.
— Change toi, je souffle, reste pas avec ces fringues tu vas mal dormir.
— Tu restes ?
Evidemment.
De toutes façons je me coucherai plus tôt en dormant ici.
— Oui.
Iris pousse un soupir de soulagement, je crois lire de la gratitude dans son regard, mais peut-être que j'y vois ce qui m'arrange.
Pourtant, un peu plus tard, quand elle se blottit contre moi dans son grand lit, je suis quasiment certain que le baiser qu'elle dépose sur ma joue est une façon détournée de me remercier.
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