Chapitre 5. Excuses ou mensonges

"J'ai des mensonges tellement beaux, tu voudras plus jamais croire la vérité
J'ai des excuses tellement belles, tu voudras qu'j'te trahisse pour les écouter
J'ai des mensonges tellement beaux, tu voudras plus jamais croire la vérité
J'ai des excuses tellement belles, tu voudras qu'j'te trahisse pour les écouter, dis-moi"

À la fin du cours de Géo, Madame Hoang, ma prof principale me demande de rester quelques minutes de plus.

Amir me dit qu'il m'attend dans le couloir et je m'approche du bureau de la prof qui semble bien décidée à comprendre ce qui m'arrive depuis quelques jours.

— Tu as toujours été un peu dans la lune, me dit-elle, Mais là je te trouve complètement ailleurs. On m'a dit que tu ne mangeais rien à la cantine et tu t'es endormie pendant le cours de Monsieur Martial.

Comme d'habitude quand un adulte dont je ne suis pas particulièrement proche me parle, je rougis violemment et cherche mes mots pour tenter de faire une phrase construite.

— Je euh... Je suis désolée Madame. Ça ne se reproduira plus.

Elle secoue la tête de droite à gauche. Madame Hoang est clairement l'une des meilleures profs que j'ai eu de ma vie. Presque toute la classe l'adore, elle est exigeante mais cherche avant tout l'épanouissement de chaque élève. Les garçons sont un peu tous amoureux d'elle, mais elle sait se faire respecter.

— Je n'ai pas besoin que tu t'excuses Jade, je m'inquiète simplement pour toi. Tu fais partie des élèves qui tirent cette classe vers le haut. Je suis toujours impressionnée par les efforts fournis par Amir depuis qu'il te côtoie. Je veux juste m'assurer que tu vas bien.

Je bredouille un "Je vais bien, vous inquiétez pas" et elle me fixe de longues secondes avant de finir par m'autoriser à sortir.

Amir n'a pas bougé, adossé au mur il a le nez dans son portable et le relève quand je sors de la classe.

— Elle voulait quoi ?

— Savoir si j'allais bien.

Il incline la tête avec son mouvement de bouche habituel et passe son bras sur mes épaules pour rejoindre la cour.

— Tu finis à quelle heure ? demande-t-il, Ça me casse les couilles la prof d'espagnol a déplacé son cours à 16h.

Je ne suis pas concerné, je fais allemand. Je l'informe que je finis plus tôt et il râle pendant que nous arrivons à la hauteur de Wassim et Gabriel, deux des membres de la bande un peu lourde mais sympathique d'Amir.

Amir a vraiment beaucoup, beaucoup de potes, tout le monde le connait et il est invité à toutes les soirées. Pour beaucoup de filles "faire la bise à Amir" c'est vu comme un truc stylé.

C'est bien pour ça que personne n'a jamais compris pourquoi il était soudainement devenu ami avec moi. Amir check les gars et je frappe dans leur mains tendues à mon tour, comme d'habitude je me fais un peu chahuter. Chaque fois ils trouvent quelque chose.

Aujourd'hui c'est ma robe salopette jaune et mes chaussettes montantes, ça les fait rire, je crois qu'il ne savent même pas pourquoi. Ce sont mes vêtements la plupart du temps qui les amusent. Parce que je crois que le seul domaine où j'ose m'affirmer au lycée, c'est dans mon style. Avant j'étais un peu blessée quand Wassim me demandait où était mon cartable ou quand Thomas se moquait de mes chemisiers à rayures en disant que je sortais de prison. Maintenant ça m'est égal, je sais que ce n'est pas pour être méchants. Je crois même qu'ils seraient déçus s'ils me voyaient arriver avec un sweat et une paire de air max.

Leur grand jeu aussi, c'est d'essayer de donner une nuance à la couleur de mon rouge à lèvres. Tout ça parce que j'ai eu le malheur de les corriger une fois quand ils disaient que j'avais les lèvres bordeaux, alors que c'était carmin.

— Bon c'est fini ? leur dis-je alors que Gabriel vient de me demander quel est l'animal dont j'ai étalé le sang sur mes lèvres, Il va falloir vous recycler les gars, au bout d'un moment c'est même plus drôle.

Amir me fait un clin d'oeil entendu et je vois qu'il est fier de mes progrès. En réalité c'est autant grâce à lui qu'au fait que je me sens de plus en plus à l'aise avec eux. À partir du moment où je n'ai plus peur d'être moi-même avec les gens, je n'ai aucun problème à m'affirmer.

Thomas qui nous a rejoint, me pince la joue en rigolant et je lève les yeux au ciel. Parfois ça me manque de ne pas avoir pouvoir discuter avec des filles. Même si les gars ne sont pas toujours surexcité et qu'on peut de temps en temps avoir des discussions vraiment intéressantes, je me sens un peu seule sur certains aspects.

Mon regard se pose sur l'amas de boucles brunes qui encadrent le visage d'Ania un peu plus loin. C'est difficile de faire le deuil d'une meilleure amie. C'est vrai qu'elle n'est pas toujours facile à comprendre et que c'est une peste sur beaucoup de points, mais au fond c'est vraiment une bonne personne. Simplement la crise d'adolescence et un manque de confiance en soi la rendent parfois vraiment méchante.

Puis mon attention se reporte sur Amir et je me rends compte qu'il fixe lui aussi une fille dans la cour. Ilham.

— Va la voir, murmuré-je.

— Elle voudra pas me parler.

— Essaye quand même.

Le grand brun paraît hésiter, il remet sa casquette sur son crâne et finit par s'éloigner en direction de l'adolescente.

Je les observe discrètement, Ilham n'a vraiment pas l'air disposée à discuter avec Amir. Elle essaie de l'éviter et je sens qu'il n'est pas très convaincant.

Poussant un soupir, je me dis qu'Ania a vraiment bien foutu la merde et je trouve assez dégueulasse le fait qu'elle se venge sur son cousin.

Puis soudainement, je vois l'attitude d'Ilham changer, comme si Amir avait dit un mot magique. Mes sourcils se froncent. Quelque chose me dit que c'est trop facile pour que ce soit bon signe.

Quand la sonnerie retentit, ils viennent tous deux dans notre direction, il la tient par la main et je plisse les yeux parce qu'il me regarde d'un air désespéré. Quand ils arrivent à ma hauteur Ilham me sourit.

— Je suis désolée Jade... je savais pas que tu étais avec Ilyes.

Pardon ?

Le regard d'Amir n'est même plus désespéré, il est suppliant.

Il se fout de moi ?

Alors là, ça me met en colère.

Premièrement, je déteste mentir.

Deuxièmement, si Amir veut bien faire les choses avec Ilham, lui raconter des craques alors qu'il n'a rien à se reprocher n'augure rien de bon pour le jour où il fera vraiment une connerie.

Le problème c'est que si je ne suis pas Amir dans son mensonge, je ne lui laisse pas la chance de dire la vérité et je vais tout gâcher entre eux. Et si je le suis, je prends le risque de le laisser s'embourber dans ses histoires.

— Ah euh... en fait personne ne le sait.

Techniquement je ne mens pas vraiment.

Amir me bénie du regard, mais je l'assassine avec le mien. Vraiment j'ai envie de lui éclater la tête.

— Ne t'inquiète pas je le dirai à personne, me dit gentiment Ilham, Ça vous regarde.

Mais quel abruti fini peut mentir à une fille aussi adorable ?
Je me sens tellement coupable...

Quand je me retrouve à côté d'Amir en classe. Je lui fais savoir ma colère.

— Mais qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? Ilyes et moi ? Sérieusement ! Pourquoi pas Arthur pendant que t'y es ! Et puis même, pourquoi tu lui mens ?

Il frotte sa barbe, l'air vraiment embêté, je sens qu'il est parfaitement conscient d'avoir fait une grosse bêtise.

— J'ai paniqué... elle m'a demandé de lui prouver que y'avait rien entre toi et moi.

— Il faut que tu lui dises la vérité. Elle va finir par apprendre que tu as menti. Ces choses se savent toujours...

Amir hoche la tête et la prof d'éco nous demande de nous taire.

Quand elle a le dos tourné, il me chuchote :

— Promis je vais lui dire.

Je l'espère vraiment. Parce qu'en plus, ça ne va pas plaire à son frère.

******

Ilham semble avoir oublié qu'elle m'en voulait car lorsque je sors du lycée à la fin des cours, elle se joint à moi pour le chemin jusqu'au métro.

— Oh, y'a ton chéri, me fait elle remarquer avec un sourire complice.

Je fronce les sourcils avant de repérer Ilyes adossé au mur du cimetière de Montparnasse.

— Euh ouais... balbutié-je, On devait se voir.

On se rapproche de lui et quand il nous aperçoit il se redresse et s'avance d'un pas nonchalant.

Ilyes dans toute sa splendeur, total look PSG, casquette sur la tête et air max aux pieds.

Est-ce qu'un jour il consentira à porter ne serait-ce qu'un jean ?

Ilham me fait la bise et salue rapidement Ilyes avant de s'éloigner en me faisant un clin d'œil entendu.

— Wesh elle est chelou ta pote.

Je pousse un soupir et décide de le mettre au courant du mensonge de son frère.

— Il est pas sérieux lui, j'vais le fumer. Et zahma sa hlel elle a gobé un truc pareil ? Elle est conne ou quoi ?

— Dis pas ça, elle te connaît pas, elle ne peut pas savoir que c'est totalement improbable.

Il secoue la tête de droite à gauche, l'air à la fois blasé et agacé.

— Bon, fait-il, Pourquoi tu voulais me voir ?

— Bah t'as dit que si j'avais besoin, je pouvais t'envoyer un message. Hier soir j'étais pas super bien et voilà... je t'ai envoyé un message.

Je sens cet épouvantable regard Akrour me passer aux rayons X.

— T'as faim ? demande-t-il.

C'est promis, un jour j'arrêterai d'essayer de comprendre comment se font les connexions dans le cerveau des jumeaux.

— Euh... pas vraiment.

— Ça se voit, fait-il, j'ai meilleure mine que toi.

Si même lui le remarque, ce n'est pas étonnant que Madame Hoang se soit fait du souci.

— Viens, dit-il, j'aime pas traîner ici.

Je le suis jusqu'au métro et on rentre ensemble dans une rame, je me demande où il veut aller.

Ilyes reste parfaitement silencieux, je ne cherche pas à faire la conversation non plus. Mais nous ne sommes pas gênés, c'est plus apaisant que pesant.

— Arrête de te ronger les ongles, tu m'stresses.

Je ne m'étais même pas rendue compte de mon geste. C'est récent cette mauvaise habitude.

Mais j'obéis quand même parce que quand Ilyes parle comme ça, on n'a pas vraiment envie de le contredire.

Il me pousse vers la sortie à Bir Hakeim et je me demande ce qu'il veut faire ici. Ça grouille de touristes et de pickpockets, un des pires endroits de Paris selon moi.

J'ai absolument horreur de la foule, ça me tend et me met extrêmement mal à l'aise.

— Qu'est-ce qu'on vient faire ici ?

— Je sais ap, j'en avais marre du tromé.

Il a bien choisi sa sortie tiens.

Mais je le suis quand même et pousse un soupir de soulagement en voyant qu'il prend la direction opposée à celle empruntée par les touristes.

On se retrouve dans un square pas très grand, Ilyes a acheté de quoi manger au passage et je n'ai toujours pas faim. Comme Amir, il me regarde sévèrement en voyant que je ne touche pas aux cochonneries qu'il a acheté.

— Tu vas pas grossir hein, et puis au pire ça te fera pas de mal.

— Ça n'a rien à voir... Je me fiche pas mal de mon poids, réponds-je.

C'est quand même fou d'avoir ce noeud dans l'estomac qui me fait percevoir toute nourriture avec un profond sentiment d'écoeurement. En plus d'habitude j'ai vraiment très bon appétit.

— T'sais moi je pense que tu devrais continuer de chercher. Là tu t'imagines des tas de trucs, c'est encore pire. J'suis sûr tu dors mal en plus.

Je ne nie pas. Mais j'ai peur de chercher plus, peur de découvrir toujours plus de choses douloureuses. Mais Ilyes reprend :

— J'avoue j'ai cherché des trucs sans toi, ça m'intriguait trop... Je t'en ai pas parlé parce que t'as dit que t'essayais d'oublier tout ça... Mais quand j'vois comme t'es...

Evidemment, c'était sûr qu'au moins un des deux frères allait vouloir en savoir plus sur tout ça. Depuis le début je sens qu'Ilyes est particulièrement intéressé cette histoire, c'est lui qui me pousse à enquêter.

Un profond soupir m'échappe, il meurt d'envie de m'en parler. Et c'est vraiment rare que ce garçon ait du mal à contenir ses paroles. La plupart du temps c'est plutôt l'inverse.

— Allez... Dis moi.

Ma voix tremble un peu quand ma phrase franchit mes lèvres. L'angoisse remonte dans mon corps comme une vague et inconsciemment, je triture de nouveau mes ongles avec mes dents. Ilyes attrape mon poignet pour m'en empêcher.

— Ok mais arrête ça, fait-il, C'est pas tes ongles qui vont te nourrir.

Je me sens un peu rougir comme ses longs doigts restent autour de mon bras.

— Sah regarde je peux limite faire trois fois le tour avec ma main. Faut que tu bouffes ou tu vas finir comme Clem.

Il dit n'importe quoi. J'ai toujours eu des poignets fins et je suis en très bonne santé. Je me défais de l'étreinte de ses doigts et fais claquer ma langue dans ma bouche pour lui signifier mon agacement.

— Ilyes, raconte moi, t'es chiant là.

Avant je n'aurais jamais osé lui parler comme ça, mais en ce moment il est tellement calme. Je me sens un peu pousser des ailes. Je crois que le fait de se prendre trois coups de couteau dans le ventre a vraiment calmé ses ardeurs.

— Parle mieux et on verra.

Un léger sourire flotte sur ses lèvres et je vois une lueur amusée dans ses yeux transparents. Il a envie que je le supplie un peu. Je connais très peu cette version taquine d'Ilyes, à vrai dire je ne l'ai vu ainsi qu'avec mon petit frère.

— Ilyes... S'il te plaît je suis fatiguée...

J'ignore pourquoi ma voix se brise un peu sur le dernier mot. Cette semaine j'ai tenu sans une larme, en m'efforçant de ne rien laisser paraître à la maison comme au lycée. Ilyes doit sentir que je suis à deux doigts de craquer car il arrête aussitôt de me faire languir.

— J'ai cherché sur twitter, sur youtube aussi, vu que la meuf là, Nora, avait l'air d'être une de ces pétasses qui passent leurs journées à être payées pour se foutre du font de teint sur la gueule devant une caméra.

C'est une façon un peu réductrice de parler des Youtubeuses beauté, mais bon, je ne suis pas là pour lui apprendre à nuancer ses propos.

— Bref, j'ai trouvé des trucs intéressants et zahma j'ai essayé de relier les infos avec le temps, enfin tu vois quoi tah les cours d'histoire.

— T'as fait une chronologie des évènements ?

— Voilà.

Je suis impressionnée par tant de méthode dans les recherches. Ilyes sort son portable et me montre ses notes, il a effectivement tenté de retracer une histoire entre février 2021 et Mars 2022.

— En gros début 2021 y'a les premiers tweets et articles qui parlent de ton père et elle, genre les gens se demandent s'ils sont en couple. J'ai trouvé quelques photos. Ensuite vers septembre t'as les premiers tweets et l'article qu'on a lu où ils disent qu'elle est enceinte, j'ai réussi à trouver des tofs aussi, y'a des gens qu'avaient pris des captures d'écran d'une vidéo de la meuf. Ensuite ça commence à partir en couille...

Ilyes marque une pause, il a l'air mal à l'aise. Je n'ose pas lire sur son écran. Il attrape de nouveau ma main pour l'éloigner de ma bouche. Sans réfléchir, j'enfonce ce qu'il me reste d'ongle dans le creux de sa paume et murmure :

— Dis moi.

— Euh en fait, fin 2021 y'a vraiment beaucoup de tweets. Mais ils sont pas très sympas pour tes parents... Ouais parce que ça parle de ta mère aussi. En gros la Nora là, elle aurait fait une vidéo où elle raconte que ton père l'a trompée avec ta mère.

Je sens mon coeur dégringoler au fin fond de mon estomac.

Mon père ?

Tromper sa copine, enceinte ?

Avec ma mère ?

C'est comme si en une phrase, le couple tant adoré et idéalisé de mes parents, venait de devenir quelque chose de monstrueux. Je suis tellement incapable de les imaginer faire une chose pareille c'est... Il faut qu'on me dise que c'est faux, tout de suite.

— On doit retourner voir Mohamed.

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